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[1] Le 5 septembre 2005, monsieur Daniel Robitaille (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une contestation à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 30 août 2005.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 5 août 2005 à l’effet de déclarer que l’assignation temporaire proposée par Eskimo Express inc. (l’employeur) au travailleur, au mois de juillet 2005, est conforme à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Québec, le 29 novembre 2005. Les parties étaient présentes.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision contestée et de déclarer que son assignation temporaire n’est pas conforme aux dispositions de la loi.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont unanimes pour recommander à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir la contestation déposée par le travailleur au motif que la prépondérance de preuve démontre que les dispositions de l’article 179 ne furent pas respectées.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’assignation temporaire effectuée dans ce dossier est conforme à la loi.
[7] Les articles 179 et 180 de la loi prévoient :
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le
médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles
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1985, c. 6, a. 179.
180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.
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1985, c. 6, a. 180.
[8] De ces dispositions il en résulte que l’employeur d’un travailleur qui est victime d’une lésion professionnelle peut assigner temporairement ce travailleur à un travail que ce dernier est capable d’exercer pendant sa période d’incapacité.
[9] Pour que cette assignation soit régulière, il est nécessaire que le médecin qui a pris charge du travailleur complète un certificat d’assignation temporaire dans lequel il indique que les fonctions que l’on veut confier au travailleur respectent les trois critères prévus à l’article 179.
[10] De toute évidence, cette description de tâche doit être claire, précise et détaillée afin de permettre au professionnel de la santé d’émettre une opinion médicale sur le sujet.
[11]
D’autre part, le travailleur qui n’est pas
d’accord avec son médecin traitant peut se prévaloir des procédures de
contestation prévues aux articles
[12] Quant aux faits de ce dossier, rappelons que monsieur Daniel Robitaille, chauffeur de tracteur (camionneur) pour son employeur, subissait une lésion professionnelle le 31 mai 2004 par laquelle il s’occasionnait une tendinite à l’épaule droite.
[13] Une première assignation temporaire du travailleur fut effectuée, avec succès, en juin 2004, jusqu’au moment où le travailleur dû quitter cette assignation pour des raisons de santé personnelle.
[14] Le 11 juillet 2005 ainsi que le 28 juillet 2005, le Dr Pierre du Tremblay complète deux formulaires d’assignation temporaire du travailleur concernant deux définitions de tâches successives que le travailleur serait en mesure d’occuper pour son employeur.
[15] Le premier certificat d’assignation temporaire vise particulièrement des tâches cléricales et de formation que l’on intitule « travail de bureau (ou quai s’il y a lieu) ».
[16] Quant au second formulaire d’assignation temporaire, il vise des tâches qui impliquent la conduite d’un tracteur pour le déplacement des remorques dans la cour sans aucun effort physique. On l’intitule « travail de quai ».
[17] Ces deux tâches furent autorisées par le médecin traitant du travailleur en ce qu’elles respectaient les conditions d’application de l’article 179.
[18] Suite à la contestation déposée par le travailleur, un inspecteur de la CSST se présente sur les lieux du travail, le 29 juillet 2005.
[19] Au dossier, on retrouve le rapport d’intervention réalisé par cet inspecteur qui a procédé à une analyse des tâches proposées au travailleur. Lors de cette visite, le travailleur ne pouvait être présent, devant accompagner un membre de sa famille à l’hôpital pour des traitements médicaux.
[20] Suite à cette analyse, on conclut que ces tâches respectent le formulaire d’assignation temporaire ainsi que la capacité du travailleur à les accomplir.
[21] À la décision contestée, la CSST ajoute :
« (…)
L’étude de poste effectuée par la CSST a permis de constater que le travailleur n’a pas à s’étirer pour effectuer le branchement des boyaux sous l’unité de réfrigération. En effet, cette tâche peut se faire en se penchant. De plus, si les portes sont difficiles à ouvrir parce que la remorque n’est pas au niveau, le travailleur peut avancer ou reculer celle-ci jusqu’à ce qu’elle soit au niveau. Enfin, c’est un choix personnel du travailleur que de ne pas demander de l’aide à l’employeur si une des tâches devenaient, pour une raison imprévue difficile à accomplir.
Pour sa part, l’employeur mentionne que le travailleur peut demander de l’aide lorsqu’il en a besoin et le travailler [sic] mentionne qu’il ne peut demander de l’aide à toutes les fois qu’il en a besoin.
Le travailleur mentionne que le litige origine surtout du nombre d’heures de travail exigé par l’employeur, soit 54 heures par semaine et que dans les faits, il ne travaillait pas ce nombre d’heures dans son emploi prélésionnel. Il mentionne également à la Révision administrative que le nombre d’heures travaillées est le résultat d’une conversion du salaire gagné, lorsqu’il est rémunéré au millage, en nombre d’heures travaillées, soit le salaire gagné divisé par un certain taux horaire.
Pour sa part, l’employeur mentionne que le travailleur était payé pour 54 heures/semaines et il maintient ce salaire lors de l’assignation tout en demandant au travailleur d’effectuer 50 heures. Cependant, le travailleur s’absente 3 fois/semaine pour des traitements de physiothérapie. Ces absences ont lieu sur ses heures de travail et aux frais de l’employeur. Ces absences pour traitements réduisent ses heures effectivement travaillées à environ 40 à 42 heures/semaine. De plus, l’employeur soutient que les 54 heures/semaines est une moyenne des heures de présence au travail et non pas, comme le prétend le travailleur, le résultat d’une conversion.
(…) »
[22] Or, à l’audience, la Commission des lésions professionnelles a entendu le travailleur ainsi que madame Josée Asselin, conseillère en relations humaines chez l’employeur.
[23] Le travailleur rappelle qu’il est conducteur de camion pour son employeur. Il s’agit d’un travail qu’il aime. Généralement, le travailleur effectue des livraisons entre Montréal - Québec.
[24] Quant à sa rémunération, le travailleur est payé au mille parcouru auquel s’ajoute un salaire horaire d’approximativement 14,35 $ lorsqu’il doit effectuer des temps d’attente chez les clients, lors du déchargement de son camion ou pour toute autre raison impliquant qu’il doit demeurer au travail alors qu’il ne circule pas.
[25] En conséquence, sa rémunération totale tient compte de ces deux vecteurs cumulatifs.
[26] Suite à son accident du travail, le travailleur rappelle qu’il fut blessé au membre supérieur droit. En 2004, on a procédé à une première assignation temporaire.
[27] À cette époque, le travailleur fut affecté à des tâches de bureau.
[28] Il souligne qu’il a subi certaines pressions qui, ajoutées à des difficultés d’ordre personnel, l’ont amené à quitter cette première assignation pour des raisons médicales de nature personnelle.
[29] Par la suite, son employeur décide de procéder à une nouvelle assignation, en juillet 2005, le travailleur ayant subi, entre-temps, une acromioplastie.
[30] Ainsi, le travailleur déclare qu’il s’est présenté pour sa première journée d’assignation temporaire, le 19 juillet 2005, dans le contexte du premier formulaire qui fut complété par le Dr Pierre du Tremblay et portant sur du travail de bureau.
[31] Or, arrivée sur les lieux il fut informé par les représentants de l’employeur d’aller changer ses souliers pour plutôt porter des bottes de travail puisqu’il était affecté à des travaux légers au quai d’embarquement.
[32] En effet, on a demandé au travailleur de déplacer, à l’aide d’un tracteur, les remorques vers le quai d’embarquement ou l’inverse, remorques situées dans l’aire de stationnement.
[33] Le travailleur quitte donc son travail refusant d’effectuer les tâches qui ne sont pas décrites à son certificat d’assignation temporaire.
[34] Aux notes évolutives, on constate que l’agent Sylvain Rouleau a communiqué aussi bien avec l’employeur que le travailleur et noté l’incident ayant entraîné l’échec de l’assignation temporaire.
[35] D’ailleurs, à ce plan d’action l’agent indique que le travailleur devra se procurer des bottes de sécurité et que, d’autre part, l’employeur devra obtenir un nouveau certificat d’assignation temporaire avec l’ajout des tâches devant être effectuées au quai.
[36] Cet agent souligne que si le médecin autorise le travail de quai, le travailleur devra reprendre cette fonction à partir du 25 juillet au plus tard.
[37] Par la suite, le second certificat d’assignation temporaire est complété par l’employeur et soumis au Dr du Tremblay.
[38] Effectivement, le certificat d’assignation temporaire contient une description relativement détaillée des tâches à effectuer. D’autre part, il n’est fait aucune mention, dans ce certificat, de l’horaire de travail du travailleur, en l’occurrence du nombre d’heures que celui-ci doit travailler.
[39] Or, à l’audience, le travailleur rappelle qu’il s’est présenté chez son employeur pour effectuer l’assignation temporaire.
[40] Selon sa compréhension de cette affectation, il devait effectuer 40 heures de travail par semaine comme étant la prestation normale de travail.
[41] Or, l’employeur l’a avisé qu’il devait effectuer une prestation de travail de 50 heures de travail par semaine pour respecter la prestation habituelle de travail qu’il fournissait pour cet employeur.
[42] Pour en arriver à ce calcul de 50 heures par semaine, le tout confirmé par madame Asselin, l’employeur prend en considération le salaire moyen perçu par le travailleur dans les deux mois précédant l’accident du travail.
[43] Comme on l’a vu, ce salaire est constitué du cumul de deux formes de rémunération, l’une à l’heure, l’autre au millage.
[44] Or, l’employeur, pour établir le nombre d’heures à travailler, prend en considération que ce salaire moyen doit être divisé par le taux horaire que le travailleur se voit reconnaître lorsqu’il est en attente ou lorsqu’il débarque du matériel chez les clients.
[45] Il s’agit d’un taux horaire d’approximativement 14,35 $.
[46] C’est de ce calcul que résulte donc le nombre d’heures que le travailleur devra effectuer en assignation temporaire. En conséquence, ce nombre d’heures peut varier de l’un à l’autre des travailleurs selon le salaire moyen perçu dans les deux mois précédant les accidents qu’ils subissent et en considération du taux horaire qu’ils perçoivent lorsqu’ils sont en attente.
[47] Or, le travailleur après avoir effectué une journée d’assignation temporaire déclare à son agent, aux notes du 22 juillet 2005, qu’il n’est pas en mesure d’effectuer ce travail pour la durée de temps prévu puisque, à tout escient, celui-ci lui cause des exacerbations de douleur à l’épaule.
[48] D’ailleurs, aux notes évolutives du 22 juillet 2005, on constate que l’agent s’est attaché à décrire spécifiquement et en détail les tâches effectuées par le travailleur.
[49] Par la suite, l’agent s’intéresse aux nombres d’heures que le travailleur doit effectuer en assignation temporaire en décrivant les modes de calcul ainsi que les variations entraînées par un tel mécanisme.
[50] Le travailleur souligne à l’agent, comme au tribunal, qu’en tout état de cause il est plutôt rare que le travailleur doit effectuer des semaines de travail d’un nombre d’heures aussi impressionnant dans son travail normal.
[51] En fin d’analyse, l’agent inscrit à ses notes qu’il recommande au travailleur de contester. Par la suite, l’agent communique avec l’employeur, particulièrement madame Asselin.
[52] Lors de cette conversation, l’agent note que madame Asselin lui rapporte que certains travailleurs travaillent 40 heures semaine au moins puisque c’est suite aux recommandations médicales inscrites sur le formulaire d’assignation que l’on prévoit une telle mesure. Sinon, on procède au calcul déjà décrit.
[53] D’autre part, au moment où se produisent ces événements, le formulaire ne semble pas être signé. En conséquence, l’agent recommande à l’employeur trois solutions en attente de la signature du nouveau formulaire, soit diminuer la prestation de travail à 40 heures semaine et payer 54 h 50, soit diminuer à 40 heures par semaine et payer 40 heures, la CSST payant la différence, soit maintenir 50 heures semaine et payer 54 h 50.
[54] L’employeur finit par informer l’agent que vu les contestations, l’employeur désire demeurer sur sa position, ayant besoin d’un travailleur sur le quai d’embarquement à raison de 50 heures semaine.
[55] En conséquence, le travailleur n’a pas effectué son assignation temporaire.
[56] À l’audience, le travailleur dépose un rapport complémentaire du Dr Pierre du Tremblay daté du 28 novembre 2005.
[57] Sur ce document, le Dr du Tremblay ajoute :
« (…)
De plus, l’assignation devrait être répartie sur une semaine de travail régulière i.e. 40/hrs/sem. »
[58] Selon le travailleur, ce document reflète une conversation qu’il a eue avec le Dr du Tremblay concernant le sujet en litige et sur lequel celui-ci souligne son désaccord avec le nombre d’heures travaillées auquel on voulait affecter le travailleur.
[59] Voilà donc l’essentiel de la preuve offerte à la Commission des lésions professionnelles sur le sujet en litige.
[60] La Commission des lésions professionnelles conclut, dans un premier temps, que le premier certificat d’assignation temporaire signé par le Dr du Tremblay, le 11 juillet 2005, ne comportait pas une description du travail de quai où l’on a voulu affecter le travailleur, le 19 juillet 2005.
[61] En conséquence, ce certificat d’assignation temporaire, pour ce travail, était nul et non avenu puisqu’il ne comportait aucune description des tâches auxquelles pouvait être affecté le travailleur sur un travail de quai.
[62] D’ailleurs, la CSST est en mesure de constater cet état de faits ainsi que l’employeur puisqu’il a requis la signature d’un autre formulaire d’assignation temporaire.
[63] Dès lors, c’est à bon droit que le travailleur a contesté la tentative d’assignation temporaire effectuée à partir du certificat signé le 11 juillet 2005.
[64] Quant au second certificat d’assignation temporaire qui est finalement signé le 28 juillet 2005, par le Dr du Tremblay, il doit suivre le même sort.
[65] En effet, comme le tribunal le soulignait à la portion juridique, pour qu’une assignation temporaire du travailleur puisse se réaliser, le législateur a spécifiquement prévu que le médecin traitant de celui-ci devait pouvoir émettre une opinion professionnelle sur les trois conditions requises par l’article 179 de la loi.
[66] Pour ce faire, ce médecin doit avoir une description des tâches à effectuer.
[67] D’autre part, ces tâches s’effectuent normalement sur un horaire de travail « normal », qui correspond à la semaine normale de travail effectuée par les travailleurs au Québec.
[68] Lorsque l’on veut dépasser cette semaine de travail normale, on devrait l’indiquer au certificat d’assignation temporaire afin que le médecin puisse prendre en considération cette donnée inhérente aux conditions de travail, conditions dans lesquelles doivent s’effectuer les tâches prévues à l’assignation temporaire.
[69] Ces conditions de travail font partie inhérente de l’exécution de la tâche et peuvent en soi-même comporter des risques, des dangers pour l’état de santé du travailleur.
[70] Comme le certificat d’assignation ne comportait pas une telle mention, eu égard au débat qui existait entre le travailleur, l’employeur et la CSST, la Commission des lésions professionnelles souligne que les parties n’ont pas été prudentes, dans de telles circonstances.
[71] D’ailleurs, lorsque le travailleur s’adresse à son médecin traitant, le Dr Pierre du Tremblay, pour l’informer d’une telle situation de faits, celui-ci complète la pièce T - 1 précitée.
[72] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles doit considérer que les conditions requises par l’article 179 n’ont pas été respectées et qu’en tout état de cause les assignations temporaires que l’employeur a tenté d’effectuer en juillet 2005 sont nulles et non avenues.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation déposée par monsieur Daniel Robitaille, le 5 septembre 2005;
INFIRME la décision émise par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 30 août 2005;
DÉCLARE que les
deux tentatives d’assignation temporaire de monsieur Daniel Robitaille,
effectuées en juillet 2005, ne respectaient pas les dispositions de l’article
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PIERRE SIMARD |
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Commissaire |
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