Labranche c. Entreprise Venise Peintre inc. |
2020 QCTAT 4185 |
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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL |
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Région : |
Montréal |
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1035383 31 908 (CQ-2019-4853) 1038441 31 2001 (CQ-2020-0562) |
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Dossier employeur : |
94054 |
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Québec, |
le 29 octobre 2020 |
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : |
Dominic Fiset |
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Mario Labranche |
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Partie demanderesse |
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c. |
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Entreprise Venise Peintre inc. |
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Partie défenderesse |
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DÉCISION INTERLOCUTOIRE
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[1] Mario Labranche (le Plaignant) travaille pour Entreprise Venise Peintre inc. (l’Employeur ou Venise Peintre).
[2] À la suite de son congédiement, il dépose deux plaintes; l’une en vertu de l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail[1] (la LNT), l’autre en vertu de son article 124.
[3] Dans les jours suivant son congédiement, lui et l'Employeur signent un document (le Document) :
[En-tête du papier à lettre de l'Employeur]
Boisbriand, le 7 décembre 2018
Mario Labranche
[Adresse domiciliaire du Plaignant]
OBJET : Entente et Mise à pied Chargé de projet
Nous (Entreprise Venise Peintre) voulons, par la présente, confirmer que nous mettons fin d'un commun accord à notre lien d'emploi avec vous (Mario Labranche).
Nous (les deux parties) nous engageons donc mutuellement à ne pas nuire à nos futures activités professionnelles de quelques façons que ce soit. Ce qui veut aussi dire que vous (Mario Labranche) vous engagez à ne pas dévoiler nos façons de faire (secret professionnel) concernant nos méthodes de travail, nos prix ou toutes informations que ce soit nous concernant. Vous (Mario Labranche) vous engagez également à ne pas faire de prospection chez nos clients ni chez nos employés.
Nous (Entreprise Venise Peintre) reconnaissons avoir récupérer : le véhicule de la cie, la manette de porte de garage, [rature dans le texte original], le cellulaire, le IPad, la carte de crédit ainsi que quelques accessoires de travail qui étaient en votre possession dans le cadre de vos fonctions de chargé de projet.
Vous (Mario Labranche) reconnaissez aussi avoir reçu : deux semaines de préavis, pour les semaines finissant le 8 déc 2018 et le 15 déc 2018, votre 4 % ainsi que votre cessation d'emploi (mise à pied fin de contrat).
Nous vous souhaitons une bonne continuation dans vos futures activités professionnelles.
Signé à Boisbriand le 7 décembre 2018.
[Signature du vice-Président de l'Employeur et signature du Plaignant]
[Transcription textuelle]
[4] L’Employeur soulève un moyen préliminaire voulant que le Document soit une transaction mettant fin à tout litige entre lui et le Plaignant.
[5] Ce moyen préliminaire soulève la question suivante :
· Le Document constitue-t-il une transaction au sens de l'article 2631 du Code civil du Québec[2] (le CCQ), soit un document qui empêche le Plaignant de saisir le Tribunal de l'une ou l'autre de ses deux plaintes?
[6] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal répond par la négative à cette question. Les parties devront donc être à nouveau convoquées, pour qu’il soit procédé à l’audition sur le fond des deux plaintes.
[7]
L’article
2631. La transaction est le contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l'exécution d'un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques.
Elle est indivisible quant à son objet.
[8] Pour qu’il y ait transaction, trois conditions doivent être satisfaites, à savoir :
1. une contestation née (ou à naître) entre les parties;
2. des concessions réciproques faites par les parties;
3. une renonciation des parties aux recours qu’elles ont entrepris (ou qu’elles auraient pu entreprendre).
[9] Qu’en est-il dans le cas présent?
[10] Il incombe à l’Employeur de démontrer, suivant la prépondérance des probabilités, que ses prétentions sur le moyen préliminaire sont bien fondées. Il doit donc démontrer l’existence d’une transaction, ainsi que sa portée. À défaut, le moyen préliminaire doit être rejeté.
[11] Le vice-président de Venise Peintre (le VP) affirme que l'Employeur voulait rédiger le Document afin d'éviter des procédures judiciaires avec le Plaignant; il précise qu'il voulait, grâce au Document, « acheter la paix » avec lui. Le Tribunal constate que ces affirmations du VP ne sont qu’une vue de l’esprit afin de donner, a posteriori, une intention à l'Employeur qu’il n'avait manifestement pas au moment où le Document a été rédigé.
[12] Ce dernier constat s’impose à la lumière du témoignage de l'adjointe administrative de l'Employeur (l'Adjointe).
[13] Il appert que son témoignage est davantage précis que celui du VP; il est aussi désintéressé à l’égard de l’ensemble de la situation soumise à l’attention du Tribunal, contrairement au témoignage du VP. Il permet au Tribunal de saisir l’intention réelle de l’Employeur, et ce, de façon contemporaine à la rédaction du Document.
[14] Le témoignage de l’Adjointe est particulièrement éclairant pour conclure à l’absence d’une intention spécifique de la part de l’Employeur de conclure une transaction avec le Plaignant. En effet, elle affirme sans ambages qu’elle n’a reçu aucune instruction de la part du VP, ou d’une autre personne en autorité chez l’Employeur, aux fins de la rédaction du Document; elle précise d’ailleurs que le Document est « une lettre de [son] cru » et qu’elle l’a rédigée de sa propre initiative.
[15] Elle ajoute que ce document avait pour objectif de mettre fin au « contrat » du Plaignant, de s'assurer qu’il remette les biens de l'Employeur qui étaient alors en sa possession et de confirmer par la même occasion la remise des sommes qui lui étaient dues, ainsi que son relevé d'emploi.
[16]
Quelles sont ces sommes auxquelles le Document réfère? Il s’agit des « deux semaines de préavis » dont il est
question à l’article 82 de la LNT[3] et du « 4 % », soit l’indemnité annuelle
pour tenir lieu de vacances, dont il est question aux articles
[17] Le Tribunal conclut qu'il y a absence de concessions réciproques lorsqu’un employeur verse simplement les sommes qui sont dues à un salarié au moment de sa fin d’emploi. Dans le cas présent, les parties se sont contentées de se donner quittance pour ce qu'elles se devaient l'une à l'autre au moment de la fin d'emploi : d'un côté, le Plaignant remet tous ses instruments de travail à l'Employeur; de l'autre, l'Employeur verse les sommes qui sont dues au Plaignant et rédige un relevé d’emploi.
[18]
Relativement à l’engagement mutuel des parties à ne pas se nuire pour la
suite de leurs activités professionnelles, on ne peut non plus considérer la
chose à titre de concessions réciproques pouvant avoir un quelconque effet sur
la recevabilité éventuelle d’une plainte en vertu des articles
[19] En effet, l’Adjointe affirme avoir écrit « nous […] nous engageons donc mutuellement à ne pas nuire à nos futures activités professionnelles de quelques façons que ce soit », afin d’éviter que le Plaignant puisse aller travailler ailleurs en dénigrant Venise Peintre. De son côté, l’Employeur s’engageait ainsi à ne pas nuire au Plaignant dans sa recherche d’un nouvel emploi.
[20] Pour ce qui est du motif apparaissant au relevé d’emploi et qui prévoit « Manque de travail / Fin de saison ou de contrat », cela a été inscrit par l’Adjointe afin de ne pas nuire au Plaignant dans ses démarches avec Service Canada, soit aux fins d’obtention de prestations d’assurance emploi.
[21] On ne peut considérer qu’un employeur fait une fleur à un salarié lorsqu’il accepte de rédiger un relevé d’emploi à la suite de son congédiement; en effet, il a l’obligation légale de le faire, et ce, dès qu’il y a un arrêt de rémunération. Quant à la décision de l'Employeur de changer le motif réel de la fin d'emploi, cela en inscrivant sur le relevé d'emploi un autre motif que « congédiement », l'on ne peut non plus y voir l'expression de concessions réciproques, cette décision ayant été prise unilatéralement par l'Employeur, sans même qu'il y ait eu négociation avec le Plaignant sur le sujet.
[22] Finalement, relativement à l’utilisation de l’expression « nous mettons fin d'un commun accord à notre lien d'emploi » dans le Document, l’Adjointe mentionne, sans plus d’explications, qu’elle a écrit cela parce que le Plaignant « voulait quitter ». On ne peut y voir l’expression d’une renonciation claire du Plaignant à exercer des recours contre l’Employeur, et ce, d’autant plus qu’il ne ressort ni de l'un ni de l'autre des témoignages entendus à l'audience que la question d'une telle renonciation aurait été abordée à un moment contemporain de la signature du Document.
[23] Conséquemment, le Tribunal en conclut que l’Employeur n’a pas réussi à démontrer que le Document signé par les parties revêt les attributs d’une transaction au sens du CCQ. Cela étant, les plaintes sont recevables.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE le moyen préliminaire d’Entreprise Venise Peintre inc.;
CONVOQUE les parties pour la poursuite de l’audition des plaintes 1035383 31 1908 et 1038441 31 2001, le 11décembre 2020.
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Dominic Fiset |
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Me Denis Monette |
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SERVICES JURIDIQUES DENIS MONETTE INC. |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Denis L. Blouin |
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DUNTON RAINVILLE, S.E.N.C.R.L. |
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Pour la partie défenderesse |
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Date de l’audience : 15 octobre 2020 |
/js
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