Fiore c. Dufour |
2015 QCRDL 12844 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
170471 31 20140822 G |
No demande : |
1562619 |
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Date : |
23 avril 2015 |
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Régisseure : |
Sophie Alain, juge administratif |
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PAOLO FIORE |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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DORIS DUFOUR |
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Locataire - Partie défenderesse |
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RICHARD LACHAPELLE |
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Partie intéressée
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D É C I S I O N
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[1] Par une demande du 22 août 2014, le locateur requiert la résiliation du bail et l'expulsion de la locataire, l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel, plus le paiement des frais judiciaires.
[2] Comme motif de sa demande, le locateur fait valoir que la locataire loue illégalement des chambres du logement
[3] Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015 au loyer mensuel de 620 $.
Questions en litige
1. La locataire a-t-elle changé, sans droit, la destination des lieux en louant des chambres?
2. Si c’est le cas, la situation justifie-t-elle une résiliation de bail au motif de préjudice sérieux?
Contexte
[4] La locataire occupe le logement depuis 2005. Il s’agit d’un 5 ½ pièces, situé au 1er étage d’un duplex dont le rez-de-chaussée est occupé par le locateur.
[5] Le locateur reproche à la locataire de louer trois chambres et qu’elle a donc changé la destination du logement, ce qui lui cause un préjudice, car il peut y avoir beaucoup de bruit la nuit. Mais ce qui a motivé la présente demande, c’est que le locateur se fait menacer par des occupants du logement.
[6] Il a avisé la locataire à de nombreuses reprises de cesser cette pratique. C'est pourquoi depuis 2012, il avise la locataire au moment de la signature de la reconduction du bail qu’elle ne peut pas sous-louer des chambres.
[7] Mais il a remarqué les allées et venues de plusieurs personnes qui ne sont manifestement pas des membres de la famille de la locataire.
[8] Il dépose le témoignage écrit d’Hélène Régnier et d’Alain Bauer qui mentionnent que lors de leur séjour en septembre et octobre 2006, la locataire a également loué une chambre à une autre personne. Ils déclarent avoir payé un loyer mensuel de 550 $.
[9] Également, une collègue de travail de la fille du locateur a découvert sur Kijiji que la locataire a placé une petite annonce aux termes de laquelle elle offre des chambres à louer (Pièce P-6). Le 15 juillet 2014, la locataire lui a répondu qu’actuellement toutes les chambres étaient louées, mais que vous en aviez une sur la rue William-David.
[10] Dernièrement, soit le 13 janvier 2015, une dame a sonné chez le locateur pour rencontrer la locataire; elle désirait s’enquérir sur une chambre à louer.
[11] La locataire s'oppose à la demande de résiliation de bail et nie formellement avoir changé la destination de son logement. Elle se décrit comme une personne passionnée de sa santé et de santé naturelle et être une bohème artiste.
[12] Elle admet avoir eu des colocataires, car elle aime partager son logement avec d’autres personnes, ce qui est normal prétend-elle. Elle nie, cependant, les allégations de va-et-vient et que son logement soit un bordel.
[13] Enfin, elle affirme habiter seule le logement au jour de l’audience, car elle admet avoir mis à la porte, en décembre 2014, monsieur Alain Poirier, celui qui a agressé verbalement le locateur.
[14] Elle déclare également être en conflit avec le locateur depuis plusieurs années, car ce dernier se mêle de sa vie privée. Entre autres exemples, elle prétend que le locateur vient frapper à sa porte pour tout et rien, surveille ses allées et venues, regarde par la fenêtre pour la voir entrer et sortir. Elle soutient que la fille et le gendre (Richard Lachapelle) du locateur ne viennent pas aussi souvent qu’ils le prétendent à l’audience.
[15] En défense, elle fait valoir que le locateur est au courant qu’elle sous-louait des chambres depuis plusieurs années sans qu'il trouve à se plaindre. Elle déclare comme preuve de la connaissance du locateur, la décision dans le dossier 31-080123-234.
[16] La soussignée comprend à lecture de la décision du 2 juin 2008[1] qui rejette la demande de reprise du locateur, que les parties sont en litige depuis quelques années; le locateur alléguant les va - et-vient, tandis que la locataire, le comportement du locateur.
[17] Par la voie de sa fille qui agit comme traductrice, le locateur réplique avoir demandé la résiliation quand il a été troublé par un des occupants du logement. Quant à l’argument de la sous-location, il répond n’avoir jamais été avisé de la sous-location d'une partie du logement.
[18] Mais, avant d’aborder les questions en litige, il s’impose de rappeler les obligations des parties.
Rappel des obligations des parties
[19] Le recours du locateur est fondé sur l'article 1863[2] du Code civil du Québec (C.c.Q.) qui édicte que le locateur peut obtenir la résiliation du bail si la locataire n'a pas respecté ses obligations prévues au bail et, de ce fait, que cela lui cause ou aux autres occupants un préjudice sérieux.
[20] Pour obtenir la résiliation du bail, le locateur doit donc démontrer que la locataire a changé la destination du logement en transformant plus du tiers de celui-ci en une entreprise de location de chambres et que cet usage lui cause un préjudice sérieux.
[21] Le changement de destination invoqué par le locateur est énoncé à l'article 1856 C.c.Q. qui prévoit que ni le locateur ni le locataire ne peuvent, au cours du bail, changer la forme ou la destination du logement[3].
[22] Par ailleurs, l’article 1892 C.c.Q. indique que le bail d’une chambre est assimilé à un bail de logement et que toutes les dispositions relatives aux baux sont applicables.
[23] Le professeur Pierre-Gabriel Jobin s’exprime ainsi sur le changement de destination :
95. Notion. L'article 1856 du Code prescrit que le locataire ne peut pas changer la forme ou la destination du bien loué. […]
La loi interdit d'abord au locataire de modifier la forme du bien loué, tel qu'il se trouvait lors de la conclusion du bail ou, tout au moins, lors de la délivrance du bien. Elle lui interdit également d'en changer la destination, ce qui est une source de difficultés plus nombreuses. Le changement s'apprécie en fonction de la destination qui a été prévue par une disposition du bail ou, à défaut, qui est révélée par l'usage antérieur du bien ou son état au moment de la délivrance. Par exemple, le locataire d'un logement ne saurait le transformer en établissement de bains turcs et en salon de massage, ni en maison de chambres, inversement, le locataire d'une salle de cinéma ne saurait la transformer en logement. […]
Il peut y avoir changement de destination sans qu'il y ait nécessairement modification matérielle du bien loué (la poursuite d'activités commerciales ou artisanales en est un exemple.[4] […] [Références omises]
[24] Quant à la sous-location, un locataire a l'obligation d'aviser le locateur de la sous-location d’une partie du logement comme le prévoit l'article 1870 C.c.Q.[5]
[25] Par ailleurs, le Tribunal rappelle qu’un locateur doit se conformer à l'alinéa 1 de l’article 1871 C.c.Q. qui stipule qu’il ne peut refuser de consentir à la sous-location du bien sans un motif sérieux.
La locataire a-t-elle changé, sans droit, la destination des lieux?
[26] Le Tribunal doit décider si la location de chambres dans le logement peut être considérée comme ce qui est habituellement nommé, une « maison de chambres » et s'il y a commerce.
[27] Ni la Loi sur la Régie du logement ni ses règlements ne définissent la notion de « maison de chambres ».
[28] Toutefois, si l'on se réfère à l'article 1 du Règlement sur la salubrité, l'entretien et la sécurité des logements[6] de la Ville de Montréal, celui-ci définit ce qu'est une « maison de chambres » en indiquant qu’il faut se référer à la réglementation de l'arrondissement.
[29] Le logement est situé sur la rue Cartier dans l'arrondissement, Rosemont-La-Petite-Patrie. Selon l'article 5 du Règlement sur l'urbanisme de l'arrondissement Rosemont-Petite-Patrie[7], une maison de chambres est un immeuble résidentiel, de quatre unités ou plus, incluant des services sanitaires de base, dont un ou plusieurs sont situés à l’extérieur des chambres.
[30] En l'espèce, il est prouvé que la locataire occupe toujours son logement et a loué moins de quatre chambres. Par conséquent, son activité de louer des chambres ne serait donc pas illégale face au règlement municipal.
[31] Par contre, en louant deux chambres, l'espace ainsi offert en location représente plus du tiers de la superficie du logement[8].
[32] La locataire loue à court ou moyen terme ses chambres à des gens qu'elle recrute au moyen d'une petite annonce notamment. Elle ne cherche manifestement pas à s'adjoindre des colocataires puisqu'elle ne requiert jamais l'autorisation du locateur et ne cherche pas à leur conférer les droits d'un locataire au bail; principalement le droit au maintien dans les lieux. Le service qu'elle rend à ses personnes de passage s'apparente à ceux offerts par une auberge.
[33] Le Tribunal estime qu'il s'agit de sous-location partielle avec des gens avec qui elle partage les lieux et les coûts. D’ailleurs, l'article 1870 C.c.Q. n'interdit nullement la sous-location. Cet article pose toutefois la condition, le locataire doit obtenir le consentement du locateur.
[34] La locataire n’a pas démontré avoir été officiellement autorisée par le locateur. Bien au contraire. Le locateur a donc établi que la locataire n'a pas respecté ses obligations.
[35] De plus, la preuve démontre qu’en 2006, la sous-location semblait être un gagne-pain de la locataire, car le loyer payé par un des occupants pour une chambre (550 $) était de l’ordre du loyer du logement (570 $).
[36] Dans les circonstances, force est de constater que la locataire a changé, sans permission, la destination du bien loué, ce qui est interdit; elle a donc manqué à ses obligations.
La situation justifie-t-elle une résiliation de bail au motif de préjudice sérieux?
[37] La locataire ayant loué un logement pour des fins résidentielles, elle ne pouvait offrir des chambres à louer. En agissant ainsi, la locataire contrevient aux dispositions de l'article 1856 C.c.Q. Or, il s’agit d’une règle impérative à laquelle la locataire ne peut déroger.
[38] En l’instance, cette modification intervient non seulement en l'absence d'une autorisation du locateur, mais à son insu.
[39] Cette situation cause au locateur un préjudice sérieux en raison de son âge et des troubles occasionnés, soit la violence verbale dont il a fait l’objet par un des occupants.
[40] En l'instance, la preuve soumise permet certes au Tribunal de conclure que le locateur savait qu’il y avait des va-et-vient en 2008, mais qu’il a attendu d’en subir un préjudice sérieux pour produire sa demande à la Régie du logement.
[41] Cependant, au moment de l'audience, la preuve prépondérante démontre que la locataire s'est conformée à ses obligations et les manquements qui lui étaient reprochés ont tous été corrigés, et ce, depuis deux mois.
La résiliation est assujettie à une autre règle très importante : le locateur, victime d'une faute du locataire, ne possède pas de droits acquis à la résiliation, en ce sens que, dans certaines circonstances, elle sera refusée par le tribunal même si la faute et le préjudice sérieux sont clairement établis.
La doctrine d'absence de droits acquis à la résiliation est donc bien établie. Dans la plupart des cas, elle se justifie par le fait que, le débiteur ayant remédié à son défaut, l'action n'a plus d'objet ou encore le locateur ne subit plus de préjudice sérieux.[9] [Soulignement ajouté]
[43] Par conséquent, le Tribunal est d'avis qu’à la suite de l'analyse de la preuve, la demande du locateur ne peut être retenue sauf en ce qui concerne le remboursement des frais judiciaires. En effet, le Tribunal doit considérer le fait que la locataire ait réellement commis des actes répréhensibles avant et après la production de cette procédure (soit jusqu’en décembre 2014), malgré l’envoi d’une mise en demeure de cesser ce qu’il lui est reproché.
[44] Conséquemment, le Tribunal accueillera la demande pour les frais seulement.
[45] Néanmoins, le Tribunal rappelle à la locataire que si elle recommence à louer des chambres, le locateur pourra à nouveau produire une demande à la Régie du logement et la décision pourra alors être différente. C’est pourquoi le Tribunal réserve tous les recours au locateur.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[46] ACCUEILLE en partie la demande du locateur, à savoir pour les frais seulement;
[47] CONDAMNE la locataire à payer au locateur les frais judiciaires de 71 $ et de signification de 9 $;
[48] RÉSERVE au locateur tous leurs recours.
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Sophie Alain |
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Présence(s) : |
le locateur la locataire |
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Date de l’audience : |
2 février 2015 |
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[1] Fiori c. Dufour, R.L. Montréal, 31-080123-234G, 2 juin 2008, j.a. Bibeault.
[2] Il se lit comme suit :
1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir.
[3] Il se lit comme suit :
1856. Ni le locateur ni le locataire ne peuvent, au cours du bail, changer la forme ou la destination du bien loué.
[4] Pierre-Gabriel JOBIN, Traité de droit civil : Le louage, 2e édition, Les Éditions Yvon Blais, 1996, p. 246.
[5] L’article 1870 se lit ainsi :
1870. Le locataire peut sous-louer tout ou partie du bien loué ou céder le bail. Il est alors tenu d'aviser le locateur de son intention, de lui indiquer le nom et l'adresse de la personne à qui il entend sous-louer le bien ou céder le bail et d'obtenir le consentement du locateur à la sous-location ou à la cession.
[6] Codification administrative - 03-096.
[7] Codification administrative - 01-279.
[8] Article 1892 C.c.Q.
[9] Pierre-Gabriel JOBIN, Traité de droit civil : Le louage, 2e édition, Les Éditions Yvon Blais, 1996, p. 298 et 299.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.