Décision

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Goyette c. Agence du revenu du Québec

2013 QCCQ 16299

COUR DU QUÉBEC

« Division administrative et d'appel »

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

ST-JÉRÔME

 

 

« Chambre civile »

N° :

700-80-004560-105

 

DATE :

20 décembre 2013

 

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE GEORGES MASSOL, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

Mario Goyette

 

Demandeur – Intimé

c.

 

L'Agence du Revenu du Québec

 

Défenderesse – Requérante

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           La partie défenderesse, l'Agence du Revenu du Québec (ci-après appelée « l'Agence »), sollicite le rejet pour abus de la requête en appel de cotisation initiée par le demandeur Mario Goyette.

[2]           Entre autres motifs, la requérante allègue que la base de l'appel de cotisation du demandeur est axée sur un principe de plus en plus allégué devant les tribunaux, en vertu duquel le contribuable serait le fruit d'une dualité entre l'être humain (personne physique) et l'entité légale (personne morale).

 

 

L'objet du litige

[3]           Un avis de cotisation fut émis pour l'année 2008, réclamant des impôts de 29 648,55 $ au demandeur, suite à la production de sa déclaration d'impôts. Il est à noter qu'aucune pénalité ne lui est demandée.

[4]           Plus particulièrement, l'Agence refuse de reconnaître des dépenses du demandeur de l'ordre de 133 518,97 $, qu'il a soustraites de son revenu d'emploi.

[5]           Celles-ci, comptabilisées sur une dizaine de pages, montrent qu'il s'agit de dépenses personnelles, comme des achats dans les grandes chaînes de magasins, des repas au restaurant, de l'alcool, des paiements de factures, taxes et cartes de crédit, de l'essence, etc.

 

Les procédures

[6]           Le demandeur se pourvoit en appel de l'avis de cotisation par requête introduite le 15 décembre 2010. Cette requête est succincte mais, en y regardant de près, on peut y voir les germes des motifs que monsieur Goyette allait plus tard développer dans une requête amendée.

[7]           Cette requête amendée est datée du 13 juin 2011. L'amendement s'étale sur plus de 14 pages et reprend des arguments que le contribuable avait préalablement soumis à l'Agence. Ses allégations, décrites sous diverses formes, reprennent la distinction dans le cas d'un contribuable entre l'entité juridique munie d'un numéro d'assurance sociale et le particulier – personne naturelle.

[8]           Ayant fait défaut de produire son inscription pour enquête et audition dans un délai de 180 jours, la défenderesse inscrit pour jugement sur désistement quant aux frais et obtient jugement du soussigné, daté du 7 septembre 2011, rejetant la requête introductive d'instance.

[9]           S'en sont suivi de nombreuses requêtes en rétractation de jugement ainsi qu'une requête en prolongation du délai de 180 jours, d'abord rejetée par le soussigné.

[10]        Suite au dépôt de nouvelles ententes sur le déroulement de l'instance et d'un accord entre les parties, l'ensemble du dossier est régularisé le 22 juin 2012, de sorte que le demandeur est admis à déposer son inscription pour enquête et audition.

[11]        Le 30 novembre suivant, le demandeur, après avoir inscrit pour enquête et audition, dépose la déclaration selon l'article 274.1 du Code de procédure civile. Il réclame alors une audition d'une durée de 10 jours, prévoyant faire entendre 5 témoins ordinaires et 9 témoins experts. Parmi ceux-ci, il entend faire témoigner :

-      Un représentant du Directeur de l'état civil, sur le concept de la personne, l'acte et/ou certificat de naissance ainsi que sur l'ensemble des processus entourant la création et la vocation des numéros d'assurance sociale ;

-      Louis L'Heureux, avocat et témoin expert, sur l'harmonisation de la Loi fédérale fiscale avec le droit civil québécois sur le concept de la personne ainsi que sur la notion de la base volontaire et de l'assujettissement ;

-      Normand Leclerc, notaire et témoin expert, sur les distinctions entre les notions de personne physique et de personne morale ainsi qu'aux caractéristiques propres à chacune ;

-      Marie-Eve Lacroix, avocate, professeure et témoin expert, sur les notions afférentes aux droits de la personne ainsi qu'à l'attribution de la personne juridique ;

-      René Provost, avocat, professeur et témoin expert, sur les notions afférentes aux droits de la personne ;

-      Daniel Proulx, avocat, professeur et témoin expert, sur les libertés fondamentales, les principes de justice naturelle et l'aspect constitutionnel de la personne ainsi que de l'attribution de la personnalité juridique ;

-      Adelle Blackett, avocate, professeure et témoin expert, sur les rapports entre les sujets de droit ainsi que la notion de la discrimination ;

-      Lucie Lamarche, avocate, professeure et témoin expert, sur les droits économiques et sociaux de la personne ;

-      Un représentant de l'Ordre des comptables du Québec, sur l'ensemble des opérations comptables au soutien des prétentions de la partie demanderesse ainsi que sur la structure mise en place par la partie défenderesse aux fins des rapports d'impôts ;

-      Luc Godbout, professeur et expert, sur les théories économiques de l'imposition ;

-      Pierre Fortin, professeur et témoin expert, sur les différents aspects de la fiscalité et des notions afférentes aux droits invoqués par la partie demanderesse ;

 

 

-      Suzanne St-Cerny, sur les considérations relatives aux charges fiscales imposées ainsi qu'aux études faisant état de la progressivité quant à la détermination des facteurs sociaux afférents aux charges d'imposition. [1]

[12]        Le 15 février 2013, le soussigné convoque une conférence préparatoire. À cette occasion, le représentant de la défenderesse indique qu'il présentera une requête pour rejet basée sur l'abus de procédures. Cette dernière est finalement entendue le 3 décembre 2013.

 

Les motifs à la base du raisonnement du demandeur

[13]        D'emblée, le soussigné est d'avis que le demandeur utilise un stratagème visant à se soustraire du paiement de l'impôt.

[14]        Entre autres choses, et sans en faire une description trop détaillée qui aurait pour effet de donner une importance trop marquée à cette façon de procéder, il convient de rappeler les faits suivants : d'abord, avant son appel de cotisation, le demandeur transmet au ministre du Revenu, le 10 mars 2009 (pièce P-3), une lettre intitulée « Convention fiscale de la personne légale et contribuable » dans laquelle il énonce, entre autres :

« Je n'ai aucune raison de croire que je ne suis pas le seul à détenir l'Acte de naissance et le Certificat de naissance émis par le gouvernement du Québec, constituant une entité juridique et qui porte un nom similaire à celui qui m'a été donné par mes parents.

Je n'ai aucune raison de croire que je ne puisse pas imputer, en tant qu'humain, des frais pour des services d'auteur et d'animateur, incluant ceux de gestion privée pour maintenir et développer les compétences de la personne légale GOYETTE, MARIO numéro d'assurance sociale xxx. »

[15]        À la fin de cet avis, le demandeur accorde un délai de 30 jours au ministre du Revenu pour contester ces assertions à défaut de quoi, il sera présumé y adhérer. Et, il signe : Joseph Albert Mario de la famille de personnes physiques Goyette.

[16]        Dans un autre document contemporain, il indique :

 

 

 

« Le but

Je n'ai aucune raison de croire que je ne puisse pas vous rappeler que le but de la convention fiscale, incluant l'entente de services d'auteur et d'animateur, est d'utiliser mes ressources humaines tant intuitives, émotives, mentales et biologiques pour permettre à la personne légale et contribuable MARIO GOYETTE numéro d'assurance sociale xxx de générer un revenu brut et de produire le plus grand nombre d'activités économiques possibles, achat ou vente, en faveur de la croissance de la société du Québec. »

[17]        Le 24 septembre 2010, le demandeur transmet une autre missive de 14 pages, cette fois-ci à l'agent d'opposition de l'Agence du Revenu. Cette lettre reprend en gros les motifs colligés dans sa requête introductive d'instance amendée du 13 juin 2011. Il indique, entre autres, que le statut de personne physique comme contribuable à part entière a été confirmé par un jugement rendu par la Cour supérieure de l'Ontario. Il fournir d'ailleurs une copie de ce jugement.

[18]        Dans sa longue plaidoirie et diatribe, il énonce moult arguments, tentant de faire la distinction entre la personne société identifiée par un numéro d'assurance sociale, étant une entité juridique, et la personne naturelle.

[19]        Le demandeur résume clairement sa stratégie en indiquant (pièce P-7, page 6) :

« […] que la personne physique charge des frais pour réaliser le travail de la personne légale, celle ayant un numéro d'assurance sociale qui fut attribué par le gouvernement. »

[20]        Et, plus loin, d'ajouter :

« D'ailleurs, c'est la principale fonction de la personne physique de réaliser le travail des personnes morales. Qu'il s'agisse de gérer, d'exécuter, de financer ou de fusionner des personnes morales, ces tâches sont l'œuvre de personnes physiques. Ce sont des personnes physiques qui écrivent des contrats, qui programment des logiciels sur lesquels les personnes morales existent. »

[21]        En résumé, le demandeur Mario Goyette, muni d'un numéro d'assurance sociale, tire son revenu de travail de la personne physique. Celle-ci est une personne société créée par un processus législatif et distincte de la personne physique, l'être biologique, qui ne peut être une personne morale.

 

 

 

 

La requête entreprise

[22]        L'Agence fonde son recours sur l'article 54.1 du Code de procédure civile [2] :

« 54.1. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.

L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics. »  (soulignement du soussigné)

 

Analyse et décision

[23]        Depuis quelques années, sévissent dans les systèmes juridiques occidentaux des plaideurs qui se servent de diverses techniques et d'arguments pour gêner les activités et les procédures des tribunaux. Ces tactiques revêtent différentes formes et sont alimentées par des gourous qui rendent accessibles, via Internet entre autres, des arguments dont peuvent se servir les personnes ayant un litige judiciaire.

[24]        Sans trop entrer dans les détails, mentionnons que la revue de ces différents stratagèmes a été faite de façon remarquable en 2012 dans une décision de la Cour du banc de la Reine de l'Alberta [3] ; dans celle-ci, laquelle est touffue de plus de 183 pages, la Cour de l'Alberta, saisie d'un litige en matière familiale, résume les diverses tendances qu'elle regroupe sous le vocable de « Plaideur organisé d'arguments commerciaux pseudo-juridiques » (Organized Pseudolegal Commercial Argument).

[25]        Les tribunaux ainsi que l'actualité rapportent d'autres vocables, comme « Citoyens souverains » (Sovereign Citizens) ou « Freeman-on-the-land » ou « Detaxers ».

 

 

[26]        Le juge Rooke, de la Cour de l'Alberta, énonce quatre formes les plus courantes de contestation du système juridique :

1.      Le plaignant n'est pas sujet à l'autorité de la Cour « The litigant is not subject to Court authority » ;

2.      Toute obligation requiert une entente « Obligation requires agreement » ; en vertu de ce principe, un justiciable ne peut être soumis à une obligation strictement légale ;

3.      Dualité entre les personnes « Double split persons » ; c'est la forme employée par le demandeur en l'instance ;

4.      Ententes unilatérales « Unilateral agreements » ; sont incluses dans cette forme toutes tentatives par le justiciable de lier la partie adverse par des pseudo-missives contenant des avis unilatéraux en vertu desquels la personne se déclare d'un principe et que ce dernier sera irrévocablement tenu pour avéré, à défaut par l'autre partie d'y répondre dans un délai ; là encore, c'est une des formes qu'a choisi d'employer Mario Goyette.

[27]        Toutes les décisions ayant eu à se pencher sur ce type d'argument l'ont systématiquement rejeté.

[28]        Dans Stanchfield [4], la Cour fédérale réagit de la façon suivante :

« [6] Comme je l’ai mentionné précédemment, ce n’est pas la première fois que des personnes ont tenté de soutenir que les « personnes physiques » ne sont pas assujetties à l’application de la Loi. En fait, cette idée sous jacente a été expressément et minutieusement examinée dans un certain nombre de décisions, de sorte que l’on peut aujourd’hui affirmer qu’une telle idée est totalement dépourvue de fondement. Malgré cela, le défendeur tente de démontrer que chacune de ces affaires est de nature différente. »

[29]        La même année, la Cour canadienne de l'impôt, dans Kion [5], mentionne également :

« [6] Les Kion ne sont pas les premiers à se fonder sur l'argument de la « personne naturelle », et j'ai bien peur qu'ils ne soient pas les derniers. Comme les autres gens de leur espèce, les Kion, quoique personnellement opposés à payer taxes et impôts, n'ont eu aucun scrupule à gaspiller l'argent de leurs concitoyens en refusant de se conformer à leurs obligations légales et en invoquant des arguments absurdes devant l'appareil administratif et le système judiciaire. De plus, les principes philosophiques des Kion ne les ont pas empêchés d'empocher les sommes qu'ils ont reçues au titre de la prestation fiscale canadienne pour enfants et du crédit pour la TPS. »

[30]        Plus haut, le soussigné indiquait qu'il fallait éviter d'accorder trop d'importance aux arguments soulevés par le demandeur.

[31]        À ce sujet, il est à noter que dans ses arguments (voir entre autres pièce P-7, lettre du 24 septembre 2010), le demandeur allègue que cette dualité, personne physique – personne légale, a été retenue par les tribunaux canadiens et cite à cet effet une décision de la Cour supérieure de l'Ontario [6].

[32]        Il dépose, en pièce, sept décisions ainsi que celles rendues dans Stanchfield précitée, Kion précitée et d'autres.

[33]        Or, toutes ces décisions n'ont fait que répéter, aux fins d'analyse, ce type d'argument frivole et l'ont unanimement rejeté.

[34]        Le demandeur se sert donc du fait que ces décisions se sont penchées sur ce type d'argument pour prétendre que la dualité entre les personnes a été retenue.

[35]        Le soussigné est plutôt d'avis, à l'instar de toutes les décisions consultées, que les arguments du demandeur, contenus dans les divers documents, contiennent des assertions décousues et dépourvues de sens, qui n'ont aucune chance de lui donner gain de cause devant la Cour.

[36]        Ces documents ne sont qu'une collection d'arguments sans fondement qui ont été qualifiés par les tribunaux d'absurdes. Ces assertions, non seulement ne tiennent pas la route, mais sont inintelligibles, incompréhensibles, dépourvues de sens et doivent être qualifiées d'abusives et de futiles.

[37]        La tactique est même à la limite de la quérulence, à n'en juger par l'intention qu'avaient le demandeur et la personne qui le représente, en voulant convoquer plus de 12 personnes expertes ou personnes étrangères à lui, qui n'auraient témoigné que sur des sujets sans pertinence avec le fond de la cause.

[38]        Or, ce type de tentative, rappelons-le, a été encore récemment qualifié d'abusif et rejeté du revers de la main [7].

[39]        De plus, à la base, les tribunaux ont, de tout temps, décidé que le terme « personne », tel que défini à l'article 248 (1) de la Loi sur l'impôt sur le revenu [8], englobe tant la personne physique que la personne morale [9].

[40]        Il est à noter que l'équivalent de la définition de « personne » se retrouve à l'article 1 de la Loi sur les impôts [10].

[41]        Enfin,  il est clair, en l'espèce, que les déductions réclamées par le demandeur à l'encontre de ses revenus ne sont pas permises suivant les dispositions de la Loi sur les impôts, dont celles prévues aux articles 59 et suivants de même qu'aux articles 334 et suivants.

 

Dispositif

[42]        Considérant que le recours de monsieur Goyette est clairement abusif et que ses arguments sont frivoles et n'ont aucune chance de réussite, la requête pour rejet est accordée et l'action du demandeur rejetée.

 

Pour ces motifs, le Tribunal :

          Accueille la requête pour rejet ;

            Rejette la requête en appel d'un avis de cotisation du demandeur ;

            Condamne le demandeur aux dépens.    

 

 

__________________________________

Georges Massol, j.c.q.

 

 

 

 

 

 

 

 

Maître Jasmine Patry

Pour le demandeur

 

Maître Eric Labbé

Larivière, Meunier

Pour la défenderesse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

3 décembre 2013

 



[1]     Déclaration de mise au rôle du 30 novembre 2002 rédigée par la procureure du demandeur

 

[2]     Code de procédure civile, chapitre C-25

[3]     Meads c. Meads, [2012] ABQB 571

 

[4]     Canada (Revenu national) c. Stanchfield, [2009] CF 99 (CanLII)

 

[5]     Kion c. La Reine, [2009] CCI 447 (CanLII)

 

[6]     Kennedy c. Canada, [2000] CanLII 22837 (ON S.C.)

[7]     Janovsky c. La Reine, [2013] CCI 140 (C.C.I., 2013-04-24) ; Dalle Rive c. La Reine, 2013-610(IT)G (2013-07-19) ; McLeod c. La Reine, [2013] TCC 228 (2013-07-18)

[8]     Loi sur l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)

 

[9]     Kennedy c. Canada, op. cit., note 6

 

[10]    Loi sur les impôts, RLRQ c. I-3

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