Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

Gagnon c. Compagnie d'assurance-vie AIG du Canada

2006 QCCS 3737

JG 1702

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-004174-041

 

DATE :

10 JUILLET 2006

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

NORMAND GOSSELIN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

MARIE-MICHÈLE GAGNON

Demanderesse

et

LOUIS FAFARD

Demandeur

c.

COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE AIG DU CANADA

Défenderesse

et

SERVICES FINANCIERS BANQUE NATIONALE DU CANADA

            Défenderesse

et

CHRISTIAN PAINCHAUD

            Défendeur

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]                Bénéficiaires d'une police d'assurance sur la vie tombée en déchéance pour non-paiement de la prime, les demandeurs Marie-Michèle Gagnon et Louis Fafard poursuivent en dommages l'émetteur de la police, Compagnie d'assurance-vie AIG du Canada (AIG), le cabinet Services Financiers Banque Nationale du Canada (SFBN) ainsi que son représentant Christian Painchaud.  Ils réclament l'équivalent de la prestation de décès à la police, soit 200 000 $.

LES FAITS

[2]                Le 29 novembre 2000, Julie Turcotte, fille de la demanderesse, signe une proposition d'assurance sur la vie auprès de la défenderesse AIG.  Elle sollicite l'émission d'une police universelle au montant de 100 000 $ assortie d'une assurance temporaire renouvelable d'une durée de 10 ans pour un montant additionnel de 100 000 $.  La prime prévue est de 508 $ par année.   Les deux bénéficiaires désignés sont Louis Fafard (50%) et Marie-Michèle Gagnon (50%).

[3]                La proposition est signée au bureau du défendeur Christian Painchaud agissant à titre de représentant pour SFBN.  Une fois complétée, elle est transmise par monsieur Painchaud à SFBN à Montréal et de là, acheminée à AIG à Toronto.

[4]                AIG accepte la proposition et émet la police le 22 décembre 2000.  Elle est transmise au représentant Painchaud qui la remet à madame Turcotte le 29 janvier 2001.  Précisons que la première prime a été payée au moyen d'un chèque de 508 $ qui accompagnait la proposition.

[5]                Cette police d'assurance sur la vie, de type universel, a ceci de particulier qu'elle comporte une dimension «épargne».  En l'espèce, une faible partie de la prime annuelle de 508 $ est investie dans des comptes indexés.  Le niveau de prime est établi en présumant un rendement annuel de 8% sur la partie investissement.  Si, une année donnée, le rendement réel s'avère inférieur à 8% l'assurée devra combler le déficit encouru.

[6]             À cette époque, madame Julie Turcotte habite à 4636, Promenade des Sœurs, à Cap-Rouge.  Depuis juin 2000, elle est séparée de son conjoint Louis Fafard et elle a la garde de leurs deux enfants en bas âge.

[7]                Le 30 mai 2001, monsieur Fafard rachète la part de son ex-conjointe, Julie Turcotte, dans l'immeuble du 4636, Promenade des Sœurs, à Cap-Rouge et y emménage.  Le même jour, madame Turcotte achète une nouvelle résidence sise à 1398, Père-Jamet, à Sainte-Foy et s'y installe avec ses deux enfants.

[8]                À l'été 2001, madame Turcotte consulte son médecin suite à la découverte d'un nodule au sein gauche.  Les examens médicaux révèleront la présence d'une tumeur maligne qui, malheureusement, entraînera son décès moins de trois ans plus tard, le 22 février 2004.

[9]                Le 7 décembre 2001, AIG avise par écrit madame Turcotte que sa police d'assurance est en déficit en raison d'une performance médiocre des fonds d'investissements qu'elle a choisis.  Le manque à gagner s'élève à 55,77 $.  La lettre (P-9) est adressée au 4636, Promenade des Sœurs, avec copie au représentant Christian Painchaud.

[10]           Comme il le fait pour tout le courrier adressé chez lui à l'attention de son ex-conjointe, monsieur Fafard remet la lettre à madame Turcotte.  Il en sera de même pour l'avis d'échéance de prime (D-11) qui suivra quelques jours plus tard.

[11]           Le représentant Christian Painchaud, ayant reçu copie de ces deux avis, communique avec madame Turcotte par téléphone.  Il faut savoir que l'assurée, lors de son déménagement en mai 2001, a conservé le numéro de téléphone qu'elle avait à Cap-Rouge et qui était indiqué à la proposition d'assurance (P-6).

[12]           Selon monsieur Painchaud, lors de cette conversation téléphonique, madame Turcotte l'aurait informé qu'elle habiterait dorénavant au 195 rue Arel, appartement 3, Victoriaville.  Sur ce, et toujours selon la version de monsieur Painchaud, il aurait noté cette nouvelle adresse sur sa copie de l'avis de déficit (P-9)[1].  Le même jour, soit le 11 décembre 2001, monsieur Painchaud aurait téléphoné chez AIG pour y faire enregistrer le changement d'adresse.

[13]           Comme l'indique le relevé D-6, madame Turcotte a payé sa prime annuelle de 508 $ le 2 janvier 2002 et a comblé le déficit de 55,77 $ le 8 janvier 2002.

[14]           À l'automne 2002, la police de madame Turcotte se retrouve encore une fois en déficit.  Le 24 octobre 2002, AIG adresse à son assurée un avis de délai de grâce (D - 1).  On y invite madame Turcotte à combler un déficit de 76,09 $ avant le 24 novembre 2002 à défaut de quoi, la police tombera en déchéance.  L'assurée ne recevra jamais cet avis puisqu'il est adressé au 195, rue Arel, appartement 3, Victoriaville alors que madame Turcotte demeure au 1398, Père-Jamet, à Sainte-Foy.

[15]           Le 31 décembre 2002, AIG adresse une dernière lettre à Julie Turcotte l'informant que sa police est résiliée faute d'avoir comblé le déficit pendant le délai de grâce.  Malheureusement, l'assurée ne reçoit pas cette lettre non plus puisqu'elle est adressée à Victoriaville.  Madame Turcotte qui, à cette époque, souffre d'un cancer, n'est plus assurée.

[16]           En septembre 2003, alors que la maladie gagne du terrain, la demanderesse Marie-Michèle Gagnon demande à sa fille de s'assurer que ses affaires sont en ordre.  En présence de sa mère, madame Turcotte téléphone à monsieur Painchaud pour s'informer de la situation de sa police d'assurance sur la vie.  Le représentant vérifie auprès d'AIG et rappelle sa cliente pour lui apprendre que sa police a été résiliée pour défaut de paiement de la prime.

[17]           Madame Turcotte donne alors mandat au courtier Daniel Lanteigne de faire le nécessaire pour rétablir sa police d'assurance.  Celui-ci prend contact avec AIG et explique, dans une lettre du 3 novembre 2003, que la résiliation de la police relève d'un malentendu.  Il écrit notamment:

«La raison pour laquelle madame Turcotte n'a pas répondu à votre correspondance est fort simple.  Elle ne la recevait pas.  Le courrier était envoyé à une mauvaise adresse au #3-195 rue Arel à Victoriaville.  Un changement d'adresse a été effectué dans le dossier de madame Turcotte le 11 mars 2002 sans qu'elle en fasse la demande.  Le numéro de téléphone quant à lui n'a pas été changé! La nouvelle adresse au dossier est donc erronée depuis cette date.»[2]

[18]           En réponse, AIG invite monsieur Lanteigne à faire exercer à sa cliente l'option de remise en vigueur en complétant le formulaire prévu à cette fin.  Il s'agit, à toutes fins utiles, d'une nouvelle demande d'assurance comportant une évaluation de l'état de santé du proposant.

[19]           Madame Turcotte remplit donc le formulaire en question en prenant soin d'indiquer qu'elle souffre d'un «cancer du sein et métastases aux poumons et os».[3]  Comme il fallait s'y attendre, la réponse de l'assureur est négative.

[20]           Julie Turcotte décède quelques mois plus tard, le 22 février 2004.  L'action des deux bénéficiaires de la police résiliée contre AIG, SFBN et Christian Painchaud est signifiée les 19 et 22 avril 2004.

 

PRÉTENTION DES PARTIES

[21]           Les demandeurs ne réclament pas à AIG le bénéfice de la police.  Leur recours est strictement une action en dommages dirigée contre les trois défendeurs.

[22]           Ils reprochent au représentant Painchaud d'avoir transmis à AIG un changement d'adresse erroné qui ne lui avait pas été demandé par l'assurée Julie Turcotte.  Selon eux, cette erreur a empêché madame Turcotte de recevoir l'avis de délai de grâce D-1 qui lui aurait permis de savoir que sa police était en déficit de 76,09 $.  Les demandeurs ajoutent que monsieur Painchaud a commis une deuxième faute en négligeant d'informer madame Turcotte lorsqu'il a lui-même reçu copie de l'avis de délai de grâce du 24 octobre 2002.  Enfin, ils soutiennent que monsieur Painchaud a failli à son obligation d'assurer le suivi administratif du dossier de sa cliente dont il était le mandataire.

[23]           À l'égard de SFBN, les demandeurs invoquent l'article 80 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers[4] selon lequel un cabinet est responsable du préjudice causé à un client par la faute d'un de ses représentants.

[24]           Enfin, en ce qui concerne AIG, les demandeurs lui reprochent d'abord d'avoir inscrit un changement d'adresse non documenté en plus d'être responsable des fautes du défendeur Painchaud au même titre que son mandataire SFBN.

[25]           Les trois défendeurs contestent l'action et offrent des défenses distinctes.

[26]           Le défendeur Painchaud prétend s'être acquitté de ses obligations à l'égard de feue Julie Turcotte.  Il soutient que le changement d'adresse relayé à AIG le 11 décembre 2001 a été demandé par madame Turcotte.  Il affirme aussi ne pas avoir reçu copie des avis D-1 et D-2 adressés par AIG à madame Turcotte.  Il prétend que madame Turcotte aurait fait défaut de notifier son changement d'adresse lorsqu'elle a déménagé à Sainte-Foy le 31 mai 2001.  Enfin, le défendeur Painchaud soutient que madame Turcotte était suffisamment informée des modalités de sa police pour savoir qu'elle devait acquitter ses primes annuellement sans qu'il fut nécessaire de le lui rappeler.

[27]           La défenderesse SFBN ne nie pas que monsieur Painchaud soit son représentant et qu'à ce titre, elle est responsable du préjudice causé par sa faute comme le prévoit l'article 80 de la Loi sur la distribution des produits et services financiers[5].  Cependant, dit-elle, même si monsieur Painchaud avait commis une faute en effectuant un changement d'adresse erroné, il n'y a pas de lien de causalité entre cette faute et le dommage subi par les demandeurs.  Selon SFBN, la déchéance de la police résulte de l'omission de madame Turcotte de faire les démarches pour payer sa prime à échéance en décembre 2002.

[28]           Quant à AIG, elle prétend n'avoir commis aucune faute et n'être aucunement responsable de celles commises par le défendeur Painchaud.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[29]           La solution du litige passe par l'analyse des questions suivantes:

I)          Le défendeur Painchaud a-t-il commis une faute?

II)        Dans l'affirmative, y a-t-il un lien de causalité entre cette faute et les dommages réclamés par les demandeurs?

III)       Dans l'affirmative toujours, SFBN est-elle responsable des dommages causés par la faute du défendeur Painchaud?

IV)       Quelle est la responsabilité d'AIG?

ANALYSE

I)       Le défendeur Painchaud a-t-il commis une faute?

 

[30]            Avant d'aborder cette question, il convient de situer la nature de la responsabilité du représentant à l'égard des bénéficiaires de la police.  L'obligation d'agir avec compétence et professionnalisme est contractée par le représentant en faveur de son client, l'assuré.  Il n'encourt pas d'obligation à l'égard du bénéficiaire de l'assurance.  Après le décès de l'assurée, le recours du bénéficiaire contre le représentant pour conduite fautive doit donc s'analyser selon les règles de la responsabilité extracontractuelle.

 

·                    Eu égard au changement d'adresse de l'assurée Julie Turcotte?

[31]           Rappelons que madame Turcotte avait contracté, auprès de AIG, une police d'assurance sur sa vie au montant de 200 000 $ et que les demandeurs en étaient les bénéficiaires.  Rappelons aussi qu'en octobre 2002, lors de l'envoi de l'avis de délai de grâce D-1, elle était gravement malade, souffrant d'un cancer.  La preuve montre qu'elle n'a pas reçu cet avis de délai de grâce qui a été adressé à 195 rue Arel, Victoriaville, alors que madame Turcotte habitait au 1398 Père-Jamet à Sainte-Foy.

[32]           Compte tenu de sa condition, le Tribunal est convaincu que madame Turcotte se serait empressée de combler le déficit de 76,09 $ si elle avait reçu l'avis de délai de grâce.  D'ailleurs, sa réaction en septembre 2003 lorsqu'elle a appris que la police était résiliée et sa tentative pour la remettre en vigueur confirment qu'elle n'a jamais voulu abandonner cette protection.

[33]           Par ailleurs, monsieur Painchaud admet avoir lui-même effectué le changement d'adresse auprès de AIG.  Il affirme que le 11 décembre 2001, alors qu'il avait rejoint madame Turcotte par téléphone relativement à l'avis de déficit du 7 décembre 2001, celle-ci lui aurait mentionné qu'elle avait déménagé au 195 rue Arel, appartement 3, Victoriaville.  À ce moment, monsieur Painchaud aurait inscrit la nouvelle adresse sur sa copie de l'avis du 7 décembre 2001 (P-30) et aurait tout de suite transmis l'information à AIG par téléphone.

[34]           Monsieur Painchaud est contredit en cela par madame Turcotte lorsque, par l'entremise de son mandataire, dans une lettre du 3 novembre 2003 (P-12), elle affirme que ce changement d'adresse a été effectué sans qu'elle en fasse la demande.  La preuve accrédite cette version.

[35]           Le Tribunal ne croit pas le défendeur Painchaud lorsqu'il affirme que le changement d'adresse a été initié par madame Turcotte le 11 décembre 2001, et ce, pour les raisons suivantes:

[36]           Premièrement, madame Turcotte n'a jamais habité à cette adresse et n'y connaissait personne.  Elle n'avait à Victoriaville ni parent, ni ami, et n'a jamais parlé à ses proches d'y déménager.  Au contraire, la preuve montre qu'en mai 2001, elle a quitté Cap-Rouge pour aller vivre à Sainte-Foy.  En décembre 2001, elle venait d'apprendre qu'elle était atteinte de cancer et vivait dans sa nouvelle résidence du 1398, Père-Jamet, à Sainte-Foy.  Il n'était nullement dans ses projets d'aller vivre à Victoriaville.

[37]           Deuxièmement, monsieur Painchaud est contredit par AIG quant à la date à laquelle il a communiqué le changement d'adresse à l'assureur.  Monsieur Painchaud dit avoir transmis la nouvelle adresse de l'assurée à AIG le 11 décembre 2001.  Or, selon les registres de l'assureur, cette information n'a été reçue que le 4 mars 2002.  D'ailleurs, le relevé de transaction du 22 décembre 2001 n'a pas été adressé à Victoriaville mais plutôt au 4636, Promenade des Sœurs, à Cap-Rouge.  Si, comme il l'affirme, monsieur Painchaud avait effectué le changement d'adresse le 11 décembre 2001, ce relevé du 22 décembre 2001 aurait été adressé par AIG au 195 rue Arel, Victoriaville.

[38]           Troisièmement, les annotations manuscrites qu'on retrouve sur l'avis P-30 ont probablement été inscrites en totalité le 19 septembre 2003 quand monsieur Painchaud a téléphoné à madame France Clermont pour s'enquérir du statut de la police de madame Turcotte.  Monsieur Painchaud dit avoir noté l'adresse du 195 rue Arel, appartement 3, Victoriaville, le 11 décembre 2001 à l'occasion d'une conversation avec Julie Turcotte.  Le Tribunal n'en croit rien.  La référence aux deux avis D-1 et D-2 immédiatement sous l'adresse permet de constater qu'ils font bloc avec celle-ci et ont été notés en même temps.  À l'évidence, ces avis n'avaient pas encore été adressés en décembre 2001.  En outre, si le défendeur Painchaud avait, comme il le prétend, noté l'adresse de Victoriaville aux fins de la relayer à l'assureur, il aurait pris soin d'écrire le code postal.  En septembre 2003, une telle précision n'avait plus d'importance et c'est pourquoi il ne l'a pas inscrite.  Enfin, s'il fallait retenir la version de monsieur Painchaud, il faudrait se demander pourquoi il n'a pas noté, sur P-30, sa démarche auprès d'AIG pour l'informer du changement d'adresse de l'assurée.

[39]           En conclusion, le Tribunal est d'avis que madame Julie Turcotte n'a jamais mentionné au défendeur Painchaud l'adresse de Victoriaville que celui-ci a transmise à AIG.  Ce changement d'adresse résulte d'une erreur du défendeur, erreur qu'il a tenté de masquer après la résiliation de la police.

 

·                    Eu égard à l'absence de suivi de son dossier

[40]           Les demandeurs prétendent que monsieur Painchaud aurait dû communiquer avec madame Turcotte lorsqu'il a reçu copie de l'avis de délai de grâce du 24 octobre 2002 (D‑1).  Interrogé à ce sujet, il répond ce qui suit:

«Q.   Mais, vous souvenez-vous d'en avoir reçu une copie.

R.     Ça fait plus que deux (2) ans, je ne pourrais pas vous dire oui ou non.

Q.     Mais normalement, les copies conformes d'AIG, vous les receviez.  Vous avez reçu la P-9 alors.

R.     Normalement, on devrait les recevoir.

Q.     Donc, il n'y a aucune raison particulière de ne pas avoir reçu P-11.

R.     Non.

Q.     Et en dessous de votre nom, c'est marqué Services financiers Banque, puis là c'est un numéro. Est-ce que ça c'est le numéro de la Banque Nationale?

R.     Oui.

Q.     Ou si c'est une personne physique qui a un autre numéro comme vous?

R.     Non, c'est le bureau, le numéro de la Banque Nationale.

Q.     Alors, le B-03790, c'est le numéro de la Banque?

R.     Oui.

Q.     Et le B-04540, c'est votre numéro d'agent?

R.     Oui.

Q.     C'est ça.  Alors, on comprend qu'il n'y a aucune raison pour laquelle vous n'auriez pas reçu cette lettre là vers le trente et un (31) décembre, ou le premier (1er) ou deux (2) janvier deux mille trois (2003).  C'est exact?

R.     Exact.

Q.     Mais vous n'avez jamais communiqué avec madame Turcotte suite à cette lettre là?

R.     Bien, si je ne l'ai pas eue, je n'ai pas pu communiquer.

Q.     Bien, vous ne savez pas si vous ne l'avez pas eue, c'est ce que vous venez de me dire.  Vous avez dit, je ne m'en souviens pas.

R.     Mais, c'est ça. Je ne le sais pas si je l'ai eue ou pas.  Je ne l'aie plus dans mon dossier, donc je ne peux pas dire des choses qui ne reflètent pas la réalité.  Je ne m'en souviens plus ou je ne sais pas si je l'ai reçu ou pas.  Chose certaine, elle n'est pas dans mes dossiers.»[6]

 

[41]           Il serait pour le moins étonnant que monsieur Painchaud, qui a reçu copie de toute la correspondance adressée par AIG à madame Turcotte, n'ait pas reçu les lettres D-1 et D-2, lesquelles, il faut le dire, sont maintenant compromettantes.  Le Tribunal est d'avis que monsieur Painchaud a reçu cette correspondance et a omis de contacter madame Turcotte.

[42]           L'article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[7] énonce:

«16. Un représentant est tenu d'agir avec honnêteté et loyauté dans ses relations avec ses clients.

Il doit agir avec compétence et professionnalisme.»

 

[43]           Cette obligation faite au représentant est précisée davantage par l'article 12 du Code de déontologie de la chambre de la sécurité financière[8]:

«12. Le représentant doit agir envers son client ou tout client éventuel avec probité et en conseiller consciencieux, notamment en lui donnant tous les renseignements qui pourraient être nécessaires ou utiles.  Il doit accomplir les démarches raisonnables afin de bien conseiller son client.»

 

[44]           Certes, le paiement de la prime annuelle relève, au premier chef, de la responsabilité de l'assuré[9].  Mais en l'espèce, et compte tenu de la nature de la police, madame Turcotte ne pouvait savoir qu'un déficit de 76,09 $ était encouru à moins d'en être avisé.  Dans les circonstances, le représentant Painchaud, ayant lui-même reçu copie de l'avis du 24 octobre 2002, aurait dû communiquer avec sa cliente.  Cette omission constitue une deuxième faute de sa part.

 

 

 

 

II)      Le lien de causalité

[45]           Painchaud et SFBN plaident que même en présence d'une faute de la part du représentant, il n'y a pas de lien de causalité entre cette faute et le préjudice dont se plaignent les demandeurs.  Selon eux, la résiliation de la police est la conséquence de deux omissions de la part de madame Turcotte.  Premièrement, elle n'a pas avisé AIG de son changement d'adresse en juin 2001 lorsqu'elle a déménagé de Cap-Rouge à Sainte-Foy.  Deuxièmement, elle n'a pas payé la prime annuelle de 508 $ à la date anniversaire de la police, le 22 décembre 2002.

[46]           Il est vrai que madame Julie Turcotte n'a pas informé AIG de son changement d'adresse lorsqu'elle a quitté le 4636 Promenade des Sœurs, à Cap-Rouge, pour aller habiter au 1398 Père-Jamet, Sainte-Foy.  Elle s'exposait ainsi à ce que son courrier lui soit adressé à Cap-Rouge.  Or, la preuve révèle que monsieur Fafard, qui a réintégré le domicile de Cap-Rouge en juin 2001, remettait à madame Turcotte tout le courrier qui était posté à son attention à cette adresse.  Donc, n'eut été du changement d'adresse erroné effectué par le défendeur Painchaud, madame Turcotte aurait reçu l'avis de délai de grâce du 24 octobre 2002.  L'omission de cette dernière n'est donc pas la cause de la résiliation de la police.

[47]           Quant à l'argument selon lequel madame Turcotte a elle-même négligé de payer sa prime annuelle de 508 $ échue le 22 décembre 2002, il ne résiste pas non plus à l'analyse.  En effet, la police n'a pas été résiliée pour cette raison.  Elle est tombée en déchéance à l'expiration du délai de grâce, qui se terminait le 24 novembre 2002, pour combler le déficit de 76,09 $ annoncé dans l'avis du 24 octobre 2002 (D-1).  Or, madame Turcotte ne pouvait connaître ce déficit puisqu'elle n'a jamais reçu l'avis de délai de grâce.

[48]           Ainsi, au 22 décembre 2002, date prévue pour le paiement de la prime annuelle, la police n'existait plus.  Même si madame Turcotte avait alors payé la prime de 508 $, cela n'aurait pas fait revivre la police.

[49]           Enfin, un dernier commentaire.  On se souvient qu'en décembre 2001, lorsque madame Turcotte a reçu l'avis de déficit P-30, elle a non seulement comblé le déficit de 55,77 $ mais elle a aussi payé la prime de 508 $.  Il est permis de croire qu'elle en aurait fait autant si elle avait reçu l'avis de délai de grâce du 24 octobre 2002, vu son état de santé.

[50]           En conséquence, le Tribunal est d'avis que les demandeurs ont démontré l'existence d'un lien de causalité entre les fautes du défendeur Painchaud et la résiliation de la police.

 

 

 

III)    SFBN est elle responsable des dommages causés par la faute de son représentant Painchaud?

[51]           Il n'est pas contesté que le défendeur Painchaud agissait en qualité de représentant de SFBN.  À l'audience, celle-ci n'a soulevé que le moyen fondé sur l'absence de lien de causalité, moyen que le Tribunal vient d'écarter.

[52]           L'article 80 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers est implacable:

«Un cabinet est responsable du préjudice causé à un client par toute faute commise par un de ses représentants dans l’exécution de ses fonctions.

Il conserve néanmoins ses recours contre eux.»

 

[53]           SFBN sera donc condamnée, solidairement avec son représentant Painchaud, à payer aux demandeurs les 200 000 $ dont ils ont été privés suite à la résiliation de la police de madame Turcotte.

 

IV)    Quelle est la responsabilité d'AIG?

[54]           Le défendeur Painchaud est un travailleur autonome dont les services sont retenus par SFBN à titre de représentant.  Les clauses 2.1 et 2.2 de son contrat (DD-1) avec SFBN stipulent en effet:

«2.1 Il est expressément convenu que le Conseiller exercera ses activités en vertu de la présente entente à titre d'entrepreneur indépendant et non à titre de salarié du Cabinet.  Il est également convenu qu'un salarié ou mandataire du Conseiller ne sera un salarié ou mandataire du Cabinet à quelque fin que ce soit ni ne sera réputé intervenir en cette qualité;

2.2 Le Conseiller convient de prendre en charge tous les frais, quels qu'ils soient, relatifs à ses activités en vertu des présentes y compris notamment, le coût des licences, permis, cotisations de retraite et de toute autre charge, taxe ou cotisation requise par les autorités gouvernementales ou autres.»

 

[55]           Dans les faits, monsieur Painchaud est payé uniquement sous forme de commission, et seulement lorsque la police est émise.  Sa rémunération dépend uniquement des propositions qu'il sollicite et du temps qu'il y consacre.  Il n'a pas d'horaire de travail et assume lui-même ses frais de représentation, sa prime d'assurance-responsabilité, les frais de son permis d'exercice ainsi que le coût de son ordinateur et de sa papeterie.

[56]           Les représentants de SFBN peuvent solliciter des propositions pour toutes les compagnies d'assurance sur la vie.  Monsieur Painchaud, quant à lui, vend principalement les produits de cinq assureurs différents: AIG, Transamerica, La Nationale-Vie, Standard Life et l'Industrielle-Alliance[10].

[57]           Le défendeur Painchaud n'est donc ni l'employé, ni le mandataire d'AIG.  Les demandeurs en conviennent.  Ils plaident que, par une sorte d'effet domino, la responsabilité de Painchaud rejaillit sur AIG par l'entremise de SFBN.  En d'autres mots, les demandeurs prétendent qu'AIG doit répondre du préjudice causé par la faute de son mandataire SFBN qui, comme on le sait, est responsable de la faute de son représentant Painchaud.

[58]           La première partie du syllogisme offert par les demandeurs est exacte.  Le contrat d'agence générale principale (P-27) fait de SFBN la mandataire d'AIG.  Il suffit de lire la clause 3 c) 1) de l'amendement intervenu au printemps 2001, avec effet au 9 août 2000, pour s'en convaincre:

«c) Les dispositions suivantes seront ajoutées:

1. Par la présente, AIG Vie désigne l'A.G.P. à titre de représentant, lui confère tous les pouvoirs et obligations d'AIG Vie, afin d'accomplir les devoirs et de remplir les obligations incombant à AIG Vie pour assurer le respect de toutes dispositions légales et réglementaires ou autres règles et exigences d'agence en matière de sélection, d'aptitude et d'obtention de permis des représentants ainsi que de rapporter toute conduite inopportune à l'autorité de supervision (…).»

 

[59]           Cela dit, SFBN n'est pas une représentante au sens de l'article 80 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers.  En effet, l'article 3 de cette loi prévoit que le représentant est une personne physique, ce qui n'est pas le cas de SFBN.

[60]           Par ailleurs, l'article 2164 C.c.Q., qui rend le mandant responsable de la faute de son mandataire, ne peut venir en aide aux demandeurs.  Pour les fins de la tenue et de la mise à jour du dossier de madame Turcotte, le représentant Painchaud agissait comme mandataire de l'assurée et forcément, il en était de même pour SFBN.  Leur manquement à cette obligation ne saurait donc être reproché à AIG.

[61]           Enfin, la preuve ne permet pas de conclure à une faute directe de la part d'AIG.  Les lettres D-1 et D-2 adressées erronément au 195 rue Arel, appartement 3, Victoriaville ne lui ont pas été retournées par la poste.  AIG ne pouvait donc pas savoir que son assurée n'habitait pas à cette adresse.

[62]           Quant au reproche d'avoir accepté un changement d'adresse non documenté, il ne tient pas non plus.  Même si ce changement d'adresse avait été fait par écrit, la conséquence aurait été la même.

[63]           PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[64]           ACCUEILLE l'action des demandeurs contre les défendeurs Christian Painchaud et Services Financiers Banque Nationale du Canada;

[65]           CONDAMNE les défendeurs Services Financiers Banque Nationale du Canada et Christian Painchaud solidairement à payer à la demanderesse Marie-Michèle Gagnon 100 000 $ avec intérêts depuis l'assignation et l'indemnité prévue à l'article 1619 C.c.Q;

[66]           CONDAMNE les défendeurs Services Financiers Banque Nationale et Christian Painchaud solidairement à payer au demandeur Louis Fafard 100 000 $ avec intérêts depuis l'assignation et l'indemnité prévue à l'article 1619 C.c.Q;

[67]           LE TOUT avec dépens;

[68]           REJETTE l'action des demandeurs contre la défenderesse Compagnie d'assurance-vie AIG du Canada, avec dépens.

 

 

 

__________________________________

NORMAND GOSSELIN, j.c.s.

 

Me Normand Auger

Belzile Auger Garnier (casier 123)

Procureur des demandeurs

 

Me René Vallerand

Donati Maisonneuve

625, av Président-Kennedy Ouest

Bureau 1200, Montréal, H3A 1K2

Procureur de la défenderesse AIG

 

Me Alain Gervais

Gervais & associés

86, rue De Brésoles

Montréal, H2Y 1V5

Procureur de la défenderesse SFBN

 

Me Martin Courville

La Roche Rouleau & associés

1155, boul. René-Lévesque Ouest

Bureau 2660, Montréal, H3B 4S5

Procureur du demandeur Christian Painchaud

 

Domaine du droit:

Assurance

 



[1]     Voir P-30, tel qu'annotée par monsieur Painchaud.

[2]     Lettre P-11, 4e paragraphe.

 

[3]     Voir le formulaire P-18 signé par madame Turcotte le 10 décembre 2003.

 

[4]     L.R.Q. c. D-9.2.

[5]     Id.

 

[6]     Interrogatoire au préalable de Christian Painchaud, 16 février 2005,. P. 78, 79, 80.

 

[7]     L.R.Q. c. D-9.2.

 

[8]     R.R.Q., c. D-2, r. 1.01.

 

[9]     Didier LLUELLES, Précis des assurances terrestres, 4e éd., Les Éditions Thémis, 2005, p. 378, 379.

 

[10]    Voir interrogatoire de monsieur Painchaud par Me Vallerand, le 2 décembre 2004, p. 6.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.