Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Abitibi-Témiscamingue

SAGUENAY, le 17 mars 2003

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

198923-08-0302

DEVANT LE COMMISSAIRE :

Me ROBERT DERAICHE

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉ DES MEMBRES :

JEAN-YVES GONTHIER

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

MICHEL PAQUIN

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

123357592

AUDIENCE TENUE LE :

6 mars 2003

 

 

 

 

 

EN DÉLIBÉRÉ LE :

13 mars 2003

 

 

 

À :

VAL D’OR

 

 

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MARCEL PLANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SCIERIE GALLICHAN INC.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

[1]               Le 4 février 2003, monsieur Marcel Plante (le travailleur) dépose au greffe de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 30 janvier 2003.

[2]               Par cette décision, la CSST confirme la décision émanant du Comité de santé et de sécurité de l'entreprise rendue le 6 décembre 2002, en vertu de l'article 37 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[1] (LSST), déclarant que le travail à la balance constitue une assignation temporaire que le travailleur est en mesure d'effectuer.

[3]               Lors de l'audience, le travailleur et l'employeur étaient présents et représentés et la CSST était absente et non représentée.

L'OBJET DU LITIGE

 

 

[4]               Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure que le travail à effectuer à la balance ne constitue pas une assignation temporaire au sens de la loi et de déclarer qu'il était en droit de refuser ce travail.

L'AVIS DES MEMBRES

 

 

[5]               Les membres issus des associations des employeurs et des associations syndicales, après avoir été consultés sur les questions en litige, sont d'avis d'accueillir la requête en contestation du travailleur au motif que la procédure prévue à l'article 37 de la LSST n'a pas été suivie, ce qui a rendu invalide la décision prise par le Comité de santé et de sécurité de l'entreprise.

[6]               Par contre, le membre issu des associations des employeurs tient à préciser qu'il considère que les motifs invoqués par le travailleur ne peuvent être retenus et que le travail à la balance constitue une assignation temporaire. C'est le motif relatif au non-respect de la procédure prévue à la LSST qui lui permet d'émettre un avis en faveur d'accueillir la requête en contestation du travailleur.

LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION

 

 

[7]               La Commission des lésions professionnelles, après avoir analysé la preuve documentaire apparaissant au dossier et celle déposée par les parties, avoir entendu les témoignages et les argumentations des représentants des parties et avoir consulté ses membres, rend la présente décision.

[8]               La Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles[2] (LATMP) (la loi) prévoit à l'article 179 :

179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :

 

1   le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

2   ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

3   ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.

 

Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles  37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S - 2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

________

1985, c. 6, a. 179.

 

 

 

[9]               Lorsque le médecin du travailleur conclut que le travail proposé est conforme aux critères prévus à la loi et que le travailleur est en désaccord avec l'opinion de son médecin, il peut soumettre son litige à l'appréciation du Comité de santé et de sécurité de l'entreprise tel que la procédure mentionnée à l'article 37 de la LSST le prévoit. Ainsi :

37. Si le travailleur croit qu’il n’est pas raisonnablement en mesure d’accomplir les tâches auxquelles il est affecté par l’employeur, il peut demander au comité de santé et de sécurité, ou à défaut de comité, au représentant à la prévention et à l’employeur d’examiner et de décider la question en consultation avec le médecin responsable des services de santé de l’établissement ou, à défaut de médecin responsable, avec le directeur de la santé publique de la région où se trouve l’établissement.

 

S’il n’y a pas de comité ni de représentant à la prévention, le travailleur peut adresser sa demande directement à la Commission.

 

La Commission rend sa décision dans les 20 jours de la demande et cette décision a effet immédiatement, malgré une demande de révision.

 

________

1979, c. 63, a. 37; 1985, c. 6, a. 525; 1992, c. 21, a. 302. 179.

 

 

 

[10]           Il est important de faire un bref historique de la LSST. Lors de la promulgation de cette loi, le législateur a précisé qu'un des objectifs recherchés était la protection de la santé et la sécurité des travailleurs, notamment par la prise en charge, par le milieu, de l'organisation du travail en matière de santé et de sécurité. Ainsi, il prévoyait la mise en place d'un programme de prévention et l'élaboration d'un programme de santé avec les intervenants spécialisés en santé et la nomination d'un médecin responsable des services de santé dans l'établissement.

[11]           Une structure interne était créée soit le Comité de santé et de sécurité de l'établissement. Puisqu'un des objectifs de la LSST était la prise en charge par le milieu, ce comité se devait d'être représentatif de l'entreprise, soit les travailleurs et la direction de celle-ci. Dans cette perspective, ce comité jouit de certains pouvoirs inhérents à ses fonctions.

[12]           Afin d'atteindre les objectifs de cette loi, le législateur faisait le pari que les parties pouvaient être en mesure de s'entendre sur l'intérêt premier de la loi, soit la sécurité et la santé des travailleurs oeuvrant au sein de l'entreprise. Historiquement, l'employeur gérait la santé et la sécurité et le syndicat revendiquait des conditions de travail sécuritaires pour ses membres. L'esprit de loi exigeait donc, d'une part, le partage du pouvoir de gestion en santé et sécurité et, d'autre part, une participation des travailleurs dans le processus de décision en la matière. Le législateur comptait sur la maturité intellectuelle des parties pour être en mesure de travailler conjointement et pour atteindre l'objectif de la loi. Dans cette perspective, une prémisse s'impose, soit celle de mettre de côté les idées partisanes lesquelles, loin de servir les parties en cause, ne font que les éloigner du but fixé par la loi, soit de rendre le milieu de travail sécuritaire pour les travailleurs, ce qui est évidemment rentable pour les travailleurs et l'entreprise.

[13]           Dans le présent dossier, il est évident qu'une partie de bras de fer se joue entre le président du syndicat et la direction de la compagnie. Tel que mentionné lors de l'audience, le tribunal n'en est pas un d'arbitrage mais bien une instance rendant des décisions quasi-judiciaires en rapport avec l'application des dispositions des lois le régissant dont il tire sa compétence.

[14]           Ceci étant dit, tel que le prévoit l’article 37 de la LSST, le Comité de santé et de sécurité a le pouvoir de trancher un litige entre le travailleur et son médecin traitant en regard du travail à effectuer dans le cadre d’une assignation temporaire. Par contre, ce pouvoir doit s’exercer dans les règles prévues par le législateur. Ainsi, l’article 37 de la LSST prévoit que le Comité de santé et de sécurité doit décider de cette question en consultation avec le médecin responsable de l’établissement.

[15]           Cette consultation est une obligation puisque de par ses qualifications et ses fonctions en regard du programme de santé de l'établissement, le médecin responsable est une personne ressource habilitée à donner son opinion sur l’aspect médical. Les dispositions pertinentes concernant le médecin responsable sont les suivantes :

75. Le médecin responsable des services de santé de l'établissement peut participer, sans droit de vote, aux réunions du comité. 1979, c. 63, a. 75.

124. Le médecin responsable informe le travailleur de toute situation l'exposant à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ainsi que de toute altération à sa santé. 1979, c. 63, a. 124.

 

125. Le médecin responsable doit visiter régulièrement les lieux de travail et prendre connaissance des informations nécessaires à la réalisation de ses fonctions. 1979, c. 63, a. 125.

126. Le médecin responsable ou la personne qu'il désigne a accès à toute heure raisonnable du jour ou de la nuit à un lieu de travail et il peut se faire accompagner d'un expert.

 

127. Il a de plus accès à toutes les informations nécessaires à la réalisation de ses fonctions notamment aux registres visés dans l'article 52. Il peut utiliser un appareil de mesure sur un lieu de travail. 1979, c. 63, a. 126.

 

 

[16]           Rappelons que les critères établis à l’article 179 de la LATMP prévoient, en regard de l’assignation temporaire, que celle-ci peut être raisonnablement accomplie par le travailleur, que le travail proposé ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique de ce dernier, compte tenu de sa lésion et que ce travail soit favorable à la réadaptation du travailleur. Qui est mieux placé pour donner son avis sur des questions d’ordre médical que le médecin responsable de l’établissement qui de par ses fonctions, a une connaissance des postes de travail, des tâches à être accomplies et des dangers potentiels pour la santé des travailleurs ?

[17]           Lors du témoignage de monsieur Jean-Robert Lowe, directeur des ressources humaines, il a été établi que l’établissement a élaboré un programme de santé et a désigné un médecin responsable, soit le Dr Jutras, et que ce dernier n’a pas été consulté lors de la prise de décision du Comité de santé et de sécurité concernant l'assignation temporaire. Cette omission constitue une erreur qui rend la décision dudit comité invalide et est un motif pour accueillir la requête en contestation du travailleur.

[18]           Mais il y a plus. Tel que prescrit par l'article 37 de la LSST, le Comité de santé et de sécurité exerce un pouvoir décisionnel en matière d’assignation temporaire. L’exercice de ce pouvoir s’accompagne d’une obligation qui valide la prise de décisions affectant les droits d'une personne, soit la règle de « audi alteram partem », c'est-à-dire qu'une personne, dont les droits prévus à une loi peuvent être affectés par une décision, a droit d'être entendue par l'instance qui rend la décision.

[19]           Dans le présent dossier, le Comité de santé et de sécurité a rendu une décision qui a été contestée devant la CSST. Le tribunal considère que c'est à propos que le réviseur de la CSST a conclu que la décision dudit comité doit être assimilée à une décision rendue par la CSST. Les règles de justice naturelle exigent donc que la partie, dont les droits prévus à la loi sont affectés par une décision, puisse être entendue.

[20]           La preuve testimoniale révèle que Monsieur Lowe a exigé que le travailleur et lui-même soient exclus de la réunion du Comité de santé et sécurité décidant du litige, son motif étant qu'il ne voulait pas que les membres soient influencés par leur statut respectif de président de syndicat et de directeur des ressources humaines. C’est là une attitude louable, mais à trop vouloir bien faire, parfois on gâte la sauce.

[21]           En effet, du témoignage de Monsieur Plante, le tribunal considère qu'il avait des arguments à soumettre à l'appréciation du Comité de santé et de sécurité ce qui ne fut fait.

[22]           La preuve documentaire au dossier révèle que le travailleur a été invité à présenter ses motifs de refus d'effectuer l'assignation temporaire à la balance. Ainsi, le 3 décembre 2002, il écrit :

« Je conteste la décision de m'envoyer faire de l'assignation temporaire à la balance.

 

Article 179 : Loi sur les accidents du travail

 

1: Le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail

 

2: Ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

 

3: Ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur

 

Je recommande au comité de santé et de sécurité d'attendre le 16 décembre quand ils auront retiré ma tige métallique dans mon pouce pour m'envoyer faire de l'assignation temporaire à l'usine de sciage avec les autres travailleurs et non seul dans mon coin à faire semblant que je travail.» (sic)

 

 

[23]           Lorsque le travailleur a été sollicité afin de présenter par écrit, au Comité de santé et de sécurité ses motifs justifiant son refus d'effectuer le travail en assignation temporaire, il a fait part à l'employeur de son intention de se faire conseiller par son avocate, Me Audet. Or, il appert de la preuve qu'il n'a pu la rejoindre et que c'est lui qui a écrit ladite lettre. À sa lecture même, le tribunal constate, qu'essentiellement le travailleur a repris les termes énoncés à l'article 179 si ce n'est le dernier paragraphe où il invoque, d'une part, la condition d'une tige métallique dans son pouce et, d'autre part, le fait qu'il considère que l'assignation temporaire n'est pas un travail.

[24]           Le tribunal considère que cette lettre ne peut constituer une preuve que la règle « audi alteram partem » a été respectée, notamment lorsque l'on considère que le travailleur a explicité, lors de l'audience, les motifs apparaissant à sa lettre tel le fait qu'il considérait que la tige qui dépassait de son pouce pouvait constituer un risque de se blesser et qu'il estimait que la propreté des lieux pouvait constituer un danger d'infection de sa blessure, considérations qui auraient pu influencer la décision du Comité de santé et de sécurité si ce dernier avait entendu le travailleur et si le médecin responsable de l'établissement avait été consulté.

[25]           Concernant le processus d'assignation temporaire, la preuve révèle que le travailleur a été sollicité pour effectuer un travail d'assignation temporaire trois jours après avoir été opéré. Le travailleur ayant refusé, la compagnie a consenti à attendre deux semaines. À la suite de ce délai, on a demandé au travailleur de rencontrer leur médecin désigné, la Dre Landry. Après cet examen, cette dernière a rencontré le Dr Adam, orthopédiste, qui a opéré le travailleur afin de lui faire signer le formulaire d'assignation temporaire ce qu'il fit le 2 décembre 2002. Or, la preuve révèle que le travailleur n'a jamais eu l'opportunité de faire valoir ses prétentions auprès de son médecin traitant.

[26]           Par contre, Monsieur Lowe a témoigné que Monsieur Plante aurait dit à ses confrères de travail qu'il ne ferait pas d'assignation temporaire. C'est une preuve par ouï-dire et le tribunal considère que même s'il accordait toute la crédibilité à ce commentaire, ce commentaire ne ferait que la démonstration de la partie de bras de fer existant entre la Direction et le Président du syndicat. Dans les faits, il est démontré que le travailleur a effectué une assignation temporaire à l'usine de sciage après que l'on ait retiré la tige métallique de son pouce.

[27]           En résumé, le tribunal considère que la prépondérance de la preuve démontre que le processus de prise de décision a été entaché par l'omission d'avoir consulté le médecin responsable de l'établissement et par le non-respect de la règle « audi alteram partem » et, qu'en conséquence, la requête en contestation du travailleur doit être accueillie.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en contestation de monsieur Marcel Plante, le travailleur;

INFIRME la décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 30 janvier 2003 et;

DÉCLARE que la décision du 6 décembre 2002, rendue par le Comité de santé et sécurité de l'établissement, en vertu de 37 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail est invalide.

RETOURNE le dossier au Comité de santé et sécurité de l'établissement, pour qu'il rende une décision en conformité avec l'article de 37 la LSST après avoir consulté le médecin responsable des services de santé de l’établissement.

 

 

 

Robert Deraiche

 

Commissaire

 

 

 

 

 

GIROUARD, ADAM & ASSOCIÉS

(Me Josée Audet)

921, 3e Avenue,  Bureau 200

Val-d’Or (Québec)  J9P 1T4

 

Représentant de la partie requérante

 

MCGUIRE, BOYER DUSSAULT AVOCATS

(MeJean Mcguire)

39-A 1e Avenue Ouest

Amos (Québec) J9T 1T7

 

 



[1]          L.R.Q. chapitre S‑2.1.

[2]          L.R.Q., chapitre A-3.001

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