Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Montérégie

LONGUEUIL, le 18 juin 2001

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

156435-62-0103

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Suzanne Mathieu

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DES MEMBRES :

Carl Devost

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

Gaétan Gagnon

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

114731235

AUDIENCE TENUE LE :

25 mai 2001

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À :

Longueuil

 

 

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NABIL AKKARI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LES ENTREPRISES DELAND 2000 INC.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 5 mars 2001, monsieur Nabil Akkari (le travailleur) dépose une requête en contestation à la Commission des lésions professionnelles d’une décision rendue le 29 janvier 2001, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]               Cette décision conclut à l’irrecevabilité de la demande de révision formulée le 16 octobre 2000 en regard d’une décision de reconsidération rendue par la CSST le 11 octobre 2000.

[3]               Le travailleur et sa procureure sont présents à l’audience tenue le 25 mai 2001; l’employeur, Les Entreprises Deland 2000 inc., est absent.

L'OBJET DE LA CONTESTATION

[4]               Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il peut bénéficier de l’application des dispositions de l’article 76 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., chapitre A-3.001 (la loi).

[5]               Subsidiairement et au cas de non-application de cet article 76, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que les critères du deuxième paragraphe de l’article 365 de la loi sont rencontrés et permettent à la CSST de corriger l’erreur initiale de calcul de l’indemnité de remplacement du revenu.

LES FAITS et L'ARGUMENTATION DE LA PARTIE REQUÉRANTE

[6]               Les quelques faits nécessaires à la compréhension de la présente décision se résument ainsi.

[7]               Le travailleur est victime d’un accident du travail le 11 septembre 1998; il reçoit des indemnités de la CSST durant une période de plus de deux ans et, le 5 octobre 2000, sa procureure demande à la CSST l’application des dispositions de l’article 76 de la loi, pour les motifs suivants :

«Notre client nous a mandaté pour demander la révision de sa base salariale.

 

Suite à notre vérification du dossier, nous constatons que le travailleur occupait au moment de l’événement un poste de charpentier menuisier apprenti, lequel est régi par un décret.

 

Cependant au moment de l’événement de monsieur Akkari, les conditions de travail dans le secteur de la construction au Québec était trouble. En effet, bien qu’assujetti au décret, aucune convention collective de travail n’était en vigueur.

 

La nouvelle convention collective fut signée par la CSD, organisation syndicale dont le travailleur est membre, le 10 décembre 1999. Cette convention prévoit les nouveaux salaires dans le secteur.

 

Le travailleur au moment de l’événement était charpentier menuisier période 1 et il enregistrait 1350 heures à son carnet d’apprenti. Cependant 2 ans plus tard, il aurait automatiquement par l’enregistrement de 2000 heures par année été charpentier menuisier apprenti période 3 et aurait vu son salaire horaire majoré en conséquence.

 

Dans les circonstances, nous vous demandons de revoir la base salariale du travailleur rétroactivement au moment de l’accident, soit le 11 septembre 1998 et d’annualiser son contrat de travail avec les nouveaux paramètres. En effet, n’eut été de sa lésion professionnelle, le travailleur aurait bénéficié d’un contrat de travail au taux horaire de 20,99$ de l’heure.

 

Notre demande est fondée sur l’article 76 de la loi.

 

En conséquence, veuillez ajuster la base salariale. À défaut de procéder à l’ajustement requis, considérez la présente comme une contestation et acheminez le tout à la Direction de la révision administrative.»

 

 

[8]               En réponse à cette demande, la CSST rend une décision le 11 octobre 2000, refusant la reconsidération de la base salariale, le motif du refus étant ainsi exprimé :

«L’étude d’une reconsidération éventuelle aurait pu se faire si vous aviez fait votre demande dans les 90 jours suivant la signature de la nouvelle convention. Or, sans sa lettre du 5 octobre 2000, votre représentant mentionne que celle-ci fut signée le 10 décembre 1999, votre demande est donc hors délai.»

 

 

[9]               Le travailleur demande la révision de cette décision et l’analyse faite par la CSST en révision envisage la contestation sous le seul angle de la reconsidération; le réviseur allègue que la demande de reconsidération est hors délai, car l’avis de paiement, qui équivaut à une décision, est daté du 16 octobre 1998; il mentionne que les critères de l’article 76 de la loi ne sont pas rencontrés, sans analyse sur cette question; et finalement, il conclut à l’irrecevabilité de la demande de révision parce que le travailleur ne peut contester une décision de refus de reconsidération, rendue en vertu du premier alinéa de l’article 365 de la loi, ce qu’il estime être ici le cas.

[10]           Monsieur Akkari a brièvement témoigné à l’audience pour affirmer qu’il avait été engagé pour un travail régulier d’apprenti charpentier menuisier chez l'employeur, sur la recommandation d’un de ses professeurs du centre de formation où il avait appris le métier. Il avait accumulé 1350 heures à titre de crédits de formation et avait travaillé 63,2 heures au moment de son accident du travail.


[11]           Son ambition était de passer toutes les étapes prévues pour devenir charpentier menuisier et posséder ensuite sa propre entreprise dans ce secteur de la construction. Il était admissible à passer l’examen après une accumulation supplémentaire de 4650 heures et témoigne qu’il aurait certainement réussi à faire plus de 2000 heures par année.

[12]           Selon lui, les onze employés de l'employeur étaient tous permanents et travaillaient à temps complet, connaissant peu ou pas de période de chômage; il en déduit qu’il lui aurait été facile dans de telles conditions de gagner un revenu annuel de 55 000 $, n’eut été de l’accident du travail qui a détruit tous ses rêves en ce sens.

[13]           La procureure du travailleur fait valoir que la preuve testimoniale démontre que par « le simple écoulement du temps et de l’apprentissage » entre le 11 septembre 1998 et le 11 septembre 2000, monsieur Akkari aurait atteint à cette dernière date le statut de charpentier menuisier période 3, qui commande un salaire horaire de 20,99 $; c’est donc ce taux horaire dont il doit bénéficier plutôt que 14,22 $ qui a servi de base au calcul de son indemnité de remplacement de revenu.

[14]           Elle demande à la Commission des lésions professionnelles de se démarquer de l’interprétation trop rigide donnée à l’article 76 de la loi par la jurisprudence actuelle, et de dégager une interprétation qui tienne compte à la fois de l’objectif global de la loi mentionnée à l’article 1 et de l’intention du législateur qui se dégage du dernier alinéa de l’article 80.

[15]           Elle soumet que la loi doit permettre la réparation des conséquences de la lésion professionnelle, ce qui englobe ici la perte du statut escompté de charpentier menuisier et du salaire y rattaché, que pouvait valablement espérer faire le travailleur une fois les étapes prévues au décret complétées.

[16]           Elle soumet surtout que le législateur a bien orienté le sens à donner à l’article 76 de la loi, en fournissant une référence particulière à l’article 80 de la loi, qui prévoit le moyen de calculer l’indemnité de remplacement du revenu pour un travailleur qui est étudiant, selon les conditions ci-après exposées :

80. L'indemnité de remplacement du revenu d'un étudiant visé dans l'article 10, d'un travailleur qui est un étudiant à plein temps ou d'un enfant visé dans le paragraphe 3 de l'article 11 est :

      1° jusqu'à l'âge de 18 ans, de 50 $ par semaine ;

      2° compter de l'âge de 18 ans, calculée à partir du revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum alors en vigueur ; et

      3° à compter de l'âge de 21 ans, révisée à la hausse s'il démontre à la Commission qu'il aurait probablement gagné un revenu brut d'emploi plus élevé à la fin des études en cours, s'il n'avait pas été victime d'une lésion professionnelle.

 


      Malgré le paragraphe 1 ou 2 du premier alinéa, l'étudiant ou l'enfant peut démontrer à la Commission qu'il a gagné pendant les 12 mois précédant la date de son incapacité un revenu brut d'emploi justifiant une indemnité plus élevée, et l'article 65 ne s'applique pas dans ce cas en ce qui concerne le revenu minimum d'emploi.

 

      La révision faite en vertu du paragraphe 3 du premier alinéa tient lieu de celle que prévoit l'article 76.

________

1985, c. 6, a. 80.

 

 

[17]           Elle prétend donc que le troisième paragraphe de cet article 80 indique la manière dont doit s’interpréter l’article 76, puisque c’est ce que le législateur dit dans son dernier alinéa de l’article 80.

[18]           Ceci signifie que monsieur Akkari doit bénéficier d’une base salariale plus élevée, puisque la preuve démontre qu’il aurait probablement gagné un revenu brut d’emploi plus élevé à la fin de ses périodes de formation comme apprenti charpentier menuisier.

[19]           Elle estime par ailleurs que la CSST ne peut lui opposer un retard à demander la révision de la base salariale, puisque l’article 76 ne prévoit aucun délai pour déposer cette demande.

[20]           Subsidiairement, elle présente des représentations sur le pouvoir de reconsidération de la CSST. Elle estime que la CSST n’a pas rendu sa décision de reconsidération en vertu du premier alinéa de l’article 365 de la loi mais plutôt en vertu du deuxième alinéa. Or, le délai de 90 jours qui y est indiqué doit être calculé à partir de la date où le travailleur prend connaissance qu’un fait essentiel, existant lors de la décision initiale, était inconnu de lui.

[21]           Ici, ce fait essentiel est l’erreur de la CSST de ne pas avoir établi la base salariale en tenant compte de la jurisprudence établie de manière à peu près unanime sur les méthodes de calcul pour les travailleurs de la construction, soit la règle du taux horaire, multiplié par 40 heures semaine, multiplié par 48 semaines par année et par un taux de 11 %. Dans le cas du travailleur, le revenu brut d’emploi servant au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu passerait ainsi de 29 854,69 $ à 30 305,66 $.

[22]           Le travailleur ne pouvait connaître cette méthode de calcul erroné utilisée dans son dossier par la CSST avant que sa procureure ne l’en informe, ce qui a lieu en octobre 2000. Elle fait valoir qu’il ne faut pas, en droit administratif, appliquer de manière aussi stricte qu’en droit civil ou pénal, la règle voulant que nul ne soit censé ignorer la loi.

L'AVIS DES MEMBRES

[23]           Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que les dispositions de l’article 76 de la loi ne trouvent pas application dans le présent dossier, la preuve démontrant que le travailleur n’aurait jamais occupé, au moment de sa lésion professionnelle, un emploi d’apprenti classe 3; de plus, les dispositions des articles 358 et 365 de la loi ne peuvent s’appliquer en l’espèce car la CSST n’a fait aucune erreur dans l’application de la loi quant au calcul de la base de revenu du travailleur.

[24]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis que le travailleur a soumis une preuve permettant l’application des dispositions de l’article 76 de la loi, parce qu’il a démontré que les échelles de salaire comme apprenti-compagnon dans le décret de la construction augmentent après 2000 heures de façon automatique et que cette augmentation est beaucoup plus élevée que la revalorisation que la CSST effectue annuellement. Pour ce motif, il considère que le cas de monsieur Akkari est particulier et qu'il est pénalisé à cause de la survenance de sa lésion professionnelle, ayant au moins atteint, après deux ans, un salaire d’apprenti classe 2 et probablement classe 3. Il estime que les dispositions de l’article 1 sur les objectifs de la loi obligent à une interprétation large et libérale de la loi.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[25]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit à une révision de la base salariale ayant servi au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu, depuis la date de son accident du travail du 11 septembre 1998.

[26]           La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur n’a pas droit à une telle révision, que ce soit en vertu de l’article 76 de la loi ou des articles 358 et 365 :

76. Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.

 

      Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.

________

1985, c. 6, a. 76.

 

 

358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision par un bureau de révision constitué en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).

 

      Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de l'article 256 ou du premier alinéa de l'article 365.2, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.

________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40.

 

 

365. La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une décision par un bureau de révision, pour corriger toute erreur.

 

      Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que ne soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.

________

1985, c. 6, a. 365; 1992, c. 11, a.36; 1996, c. 70, a. 43.

 

 

L’ARTICLE 76 DE LA LOI

 

 

[27]           La demande de révision de la base salariale prévue à l’article 76 n’est soumise à aucun délai particulier; elle ne peut être présentée avant au moins que le travailleur n’ait été incapable d’exercer son emploi pendant deux ans, critère que rencontre ici monsieur Akkari. En soumettant sa demande le 5 octobre 2000, soit un peu plus de quinze jours après le délai initial de deux ans expiré le 11 septembre 2000, la procureure du travailleur a donc fait diligence.

[28]           Quant à l’interprétation de cet article, pour intéressante que soit l’avenue proposée par la procureure du travailleur, elle ne peut être retenue pour les motifs suivants.

[29]           Il est en effet important de constater que le parallèle entre le statut de l’étudiant stagiaire et celui de l’apprenti charpentier menuisier ne peut être retenu, essentiellement parce que la notion d'étudiant stagiaire, prévue à l'article 10 de la loi ne recouvre absolument pas la réalité de l’apprenti charpentier. Cet article stipule ce qui suit :

10. Est considéré un travailleur à l'emploi de l'établissement d'enseignement dans lequel il poursuit ses études ou, si cet établissement relève d'une commission scolaire, de cette dernière, l'étudiant qui, sous la responsabilité de cet établissement effectue un stage non rémunéré dans un établissement ou un autre étudiant, dans les cas déterminés par règlement.

________

1985, c.6, a. 10; 1992, c. 68, a. 157.

 

 

[30]           En effet, le législateur établit d’abord une présomption de statut de travailleur pour l’étudiant qui effectue, dans un établissement, un stage non rémunéré; comme il n’y a pas de salaire gagné, le calcul de l’indemnité suit alors des règles spéciales prévues à l’article 80 de la loi. Parmi ces règles, il en est une (80, 3°) qui stipule que si ce travailleur, qui doit continuer à étudier à plein temps, atteint 21 ans, son indemnité peut être révisée à la hausse s’il démontre à la CSST qu’il aurait probablement gagné un revenu brut d’emploi plus élevé à la fin des études en cours. Dans ce cas, la révision qui aurait pu être possible en vertu de l’article 76, n’a pas lieu et celle exposée plus haut la remplace.


[31]           Le parallèle entre cet étudiant non payé et un apprenti charpentier menuisier payé au taux horaire de 14,22 $, ne tient donc pas et il est évident que le but poursuivi par le législateur à l’article 80 n’est pas celui visé à l’article 76, même si dans les deux cas, il s’agit d’une révision de la base salariale.

[32]           Dans le cas de l’article 76, le législateur, qui ne parle pas pour rien dire, établit clairement que la démonstration que doit faire monsieur Akkari est d’établir qu’au moment où s’est manifestée sa lésion professionnelle, soit ici le 11 septembre 1998, il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur, n’eut été de circonstances particulières.

[33]           Ce n’est donc pas en date du 11 septembre 2000 qu’il faut se situer pour analyser la situation de capacité de gains du travailleur, mais bien en date du 11 septembre 1998. Aucune autre interprétation ne peut s’inférer de l’expression « lorsque s’est manifestée sa lésion ».

[34]           Cette situation prévue par le législateur est totalement différente de celle prévue pour l’étudiant stagiaire non rémunéré, puisque dans ce cas, il était impossible de parler d’un emploi plus rémunérateur au moment de la lésion, l’étudiant n’étant pas rémunéré. La capacité de gains de l’étudiant devait donc s’analyser en vertu d’autres critères, ce qu’a fait le législateur à l’article 80.

[35]           La preuve entendue ne permet pas par ailleurs de conclure qu’à la date de la manifestation de la lésion professionnelle, ce travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur. Au contraire, monsieur Akkari venait de compléter une partie de sa formation, celle des cours théoriques, pour lesquels il avait obtenu des crédits; mais il devait ensuite compléter son apprentissage, se présenter et réussir l’examen de charpentier menuisier pour ensuite détenir sa carte de compétence à ce titre.

[36]           Monsieur Akkari avait donc un réel statut de travailleur quand il a été embauché comme apprenti par l'employeur, il avait aussi une réelle capacité de gains pour laquelle il recevait un salaire correspondant à ce statut. Tenter, par le biais de l’article 76 de la loi, de lui reconnaître, en septembre 1998, un autre statut, celui d’un apprenti ayant complété les 6000 heures de travail exigées par le décret de la construction, serait aller au-delà de l’intention visée par le législateur à l’article 76 et ajouter à ce texte de loi.

[37]           Monsieur Akkari n’avait jamais occupé et n’aurait jamais pu occuper, avant la date de sa lésion professionnelle, un emploi d’apprenti charpentier menuisier période 3, devant auparavant passer par chacune des étapes prévues de l’apprentissage, lesquelles ne sont pas uniquement synonymes d’écoulement du temps, mais supposent également la réalisation d’heures travaillées.

[38]           L’article 76 de la loi ne prévoit pas une situation purement hypothétique comme celle démontrée par la partie requérante, mais réfère au contraire à un emploi plus rémunérateur effectivement déjà occupé avant que ne survienne la lésion professionnelle. Une des conditions essentielles à l’application de l’article 76 de la loi manque donc ici, ce qui empêche d’en faire bénéficier le travailleur.

LES ARTICLES 358 et 365 DE LA LOI

[39]           À défaut de donner raison au travailleur en vertu de l’article 76 de la loi, la procureure soutient qu’au minimum, la Commission des lésions professionnelles doit corriger l’erreur de calcul de sa base salariale, qui n’aurait pas été calculée selon la méthode recommandée par la jurisprudence dans les cas de travailleurs de la construction.

[40]           Si l’on analyse la lettre du 5 octobre 2000 comme une demande de révision, l’article 358 prévoit un délai de trente jours pour soumettre une telle demande à la CSST.

[41]           Or, c’est le 16 octobre 1998 que monsieur Akkari reçoit un avis de paiement établissant la base salariale à partir de laquelle le montant de son indemnité de remplacement du revenu a été calculé. Sa demande de révision arrive deux ans plus tard.

[42]           Le commissaire Claude-André Ducharme analyse la situation d’une contestation tardive d’un avis de paiement dans la décision Tousignant[1] et réfère à la jurisprudence sur le sujet :

«[…]

 

[24] Contrairement aux prétentions du représentant de madame Tousignant, la jurisprudence largement majoritaire retient la règle voulant que l’avis de paiement accompagnant le premier chèque d’indemnité de remplacement du revenu constitue une décision valable au sens de l’article 354 sur la base salariale qui est opposable au travailleur6. L’analyse de la jurisprudence récente de la Commission des lésions professionnelles confirme ce courant dominant7 et révèle que lorsqu’une demande tardive de modification de la base salariale est accueillie, c’est le plus souvent parce que le travailleur a justifié son retard par un motif raisonnable8.

 

[…]

__________________

6             Théroux et Entreprises Botoco Inc. C.A.L.P. 26714-62-9102, 93-02-18, B. Lemay; Anctil et C.S.S.T., C.A.L.P. 55894-03-9312, 95-08-15, M. Carignan.

7             Lafleur et Transport Shulman ltée, C.L.P. 93131-72-9711, 98-11-20, A. Vaillancourt; Biron et 29593290 Québec Inc., C.L.P. 114160-04B-9904, 00-02-07, R. Savard; Loyer et Entreprises Éric Loyer, C.L.P. 134286-61-0003, 00-11-08, S. Di Pasquale; Nasso et La Compagnie Ideal Security inc., C.L.P. 129799-73-0001,00-11-08, M.H. Côté; Labrecque et Salon de quilles Maxima enr., C.L.P. 130040-08-9912, 00-12-15, M. Lamarre; Lamontagne et Ross Finlay 2000 inc., C.L.P. 134626-08-0002, 01-01-09, M. Lamarre.

8             Dorion et Forlini Démolition Québec ltée, C.L.P. 115305-72-9904, 99-12-22, G. Robichaud; Petit et Drakkar ressources Humaines inc., C.L.P. 127533-62-9911, 00 - 08-29, L. Vallières; MEP technologies inc. et Lefebvre, C.L.P. 115818-61-9904, 00‑10-26, L. Nadeau.»[sic]

 

 

[43]           Le seul motif invoqué ici pour justifier ce retard est le fait que le travailleur ne savait pas qu’il y avait une erreur dans la méthode de calcul utilisée par la CSST, ce qu’il apprend de sa procureure en octobre 2000. Or, l’erreur invoquée en est une d’interprétation des dispositions de la loi quant au calcul du salaire des travailleurs de la construction.

[44]           La Commission des lésions professionnelles estime que la stabilité des décisions exige que celles-ci ne soient pas affectées par des erreurs fondées sur des interprétations jurisprudentielles différentes. Le travailleur n’a donc pas fait la preuve d’un motif raisonnable permettant de le relever du défaut d’avoir respecté le délai de trente jours prévu à l’article 358 de la loi.

[45]           Si par ailleurs la demande faite par la procureure le 5 octobre 2000 est examinée sous l’angle de la reconsidération, il y a lieu de se demander si la CSST était en droit de refuser de reconsidérer le calcul de la base salariale. Soulignons d’entrée de jeu que la demande de reconsidération n’est pas initiée par la CSST mais bien par la procureure du travailleur, ce qui signifie que la décision de refus de reconsidération du 11 octobre 2000, est rendue en vertu du deuxième alinéa de l’article 365 de la loi. La restriction prévue au deuxième alinéa de l’article 358 ne s’applique donc pas ici et la contestation du travailleur est recevable.

[46]           La procureure de monsieur Akkari prétend que la CSST devait reconsidérer sa décision du 16 octobre 1998, parce que cette erreur de méthode de calcul est un fait essentiel inconnu du travailleur avant le 5 octobre 2000.

[47]           La Commission des lésions professionnelles estime qu’il ne faut pas confondre les notions d’erreur et de fait essentiel, qui ont été bien distinguées par le législateur, qui les a prévues dans deux paragraphes distincts. Comme le souligne le commissaire Pierre Prégent dans une décision récente du 9 mars 2001[2] :

«[…]

 

[54] La Commission des lésions professionnelles estime que cette distinction fait en sorte que le fait essentiel non connu au moment de la lésion ne peut inclure l’erreur.

 

[…]»

 

 

[48]           Il faut que la preuve démontre que la décision du 16 octobre 1998, sur le calcul de la base salariale, a été rendue avant que ne soit connu un fait essentiel, celui ici invoqué étant une interprétation jurisprudentielle de la méthode de calcul pour les travailleurs de la construction. Or, le sens du deuxième alinéa de l’article 365 de la loi est à l’effet que si la CSST avait connu tel fait essentiel, elle aurait nécessairement rendu une autre décision.

[49]           La Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’interprétation jurisprudentielle différente[3] ne constitue pas un fait essentiel nouveau et ne donne pas ouverture à l'exercice du pouvoir de reconsidération.  Conclure autrement créerait une brèche dans le processus décisionnel et aurait un impact sur la stabilité des décisions administratives.

[50]           Il est également reconnu par une jurisprudence constante des tribunaux supérieurs, de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et de la Commission des lésions professionnelles[4] qu'une erreur de droit (encore faut-il qu'elle soit prouvée) ne donne pas ouverture à l'exercice du pouvoir de reconsidération.

[51]           La Commission des lésions professionnelles conclut donc que c’est à bon droit que la CSST a refusé de reconsidérer la base salariale ayant servi au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête déposée par le travailleur, monsieur Nabil Akkari, le 5 mars 2001;

CONFIRME pour d’autres motifs, la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 29 janvier 2001, à la suite d’une révision administrative.

 

 

 

 

Suzanne Mathieu

 

Commissaire

 

 

 

 

 

Maître Lysanne Dagenais

5320, boulevard des Laurentides

Laval  (Québec)  H7K 2J8

 

Représentante de la partie requérante

 

 



[1]           Tousignant et Les Filés Canadiens Limitée, 132123-73-0002, 30 mars 2001.

[2]           Bélanger et Consortium Promecan Inc., C.L.P. 142929-08-0007, 09-03-01.

[3]           voir en ce sens la décision dans Cast Terminal et CSST, 1994, CALP, 1041; Produits d’alimentation Bologna ltée et CSST, 1997, CALP, 960

[4]           CSST c. CALP, 1990, CALP 256 (Cour supérieure); Succession Georges Richard et Mainville Canada inc., 09614-63-9910, 90-01-09, G. Godin; STCUM et CSST, 62412-60-9409, 97-11-03, É. Harvey; Lafleur et Transport Shulman ltée, 29153-60-9105, 93-05-26, J. L'Heureux.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.