Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
2013 QCCJA 669

 

C A N A D A                                            CONSEIL DE LA JUSTICE

PROVINCE DE QUÉBEC                     ADMINISTRATIVE

 

 

2016 QCCJA 832                                  QUÉBEC, le 30 mai 2019

                                                                 

                                                                  PLAINTE DE :

 

Me Mathieu Proulx

 

À L'ÉGARD DE :

 

Me Kathya Gagnon, juge administrative au Tribunal administratif du Québec

                                                                 

 

 

 

en prÉsence de :                           Me Patrick Simard, membre du Conseil de la justice administrative, président de la Régie du logement et président du comité d’enquête

                                                                 

                                                                 

M. Simon Julien, membre du Conseil de la justice administrative représentant le public

 

 

Me Marie Charest, membre du Conseil de la justice administrative et juge administrative au Tribunal administratif du Québec

 

 

                                   RAPPORT DU COMITÉ D’ENQUÊTE

 

La plainte

[1]          Le 29 mars 2016, le Conseil de la justice administrative (Conseil) reçoit de Me Mathieu Proulx, président du Tribunal administratif du Québec (TAQ), une plainte relative à l’exercice des fonctions de Me Kathya Gagnon, juge administrative de ce tribunal.

[2]          Me Proulx reproche à Me Gagnon de ne pas se conformer aux prescriptions de la Loi sur la justice administrative[1] (LJA) en matière de délibéré et de passer outre aux directives de sa vice-présidente relativement à son obligation de demander des prolongations de délai. Il ajoute que de fréquents rappels à l’ordre ont été faits, mais que Me Gagnon refuse ou néglige de s’amender. De plus, il indique qu’au fil des ans, le Tribunal a pris divers moyens pour tenter de résoudre cette situation, mais sans succès. Me Proulx considère que cette situation, par son ampleur et son volet systémique, menace de porter atteinte à la confiance du public dans la justice administrative.

La recevabilité de la plainte

[3]          Le 16 mai 2016, le Comité d’examen de la recevabilité des plaintes déclare la plainte recevable au sens de la Loi sur la justice administrative :

Décision unanime du comité d’examen : sur la proposition de madame Marie Auger, appuyée par Me Anne Morin, la plainte est déclarée recevable au sens de l’article 186 de la Loi sur la justice administrative, pour les motifs énoncés à la décision ci-jointe.

En conséquence, le comité transmet sa décision au Conseil de la justice administrative afin qu’il constitue un comité d’enquête chargé de faire enquête sur les allégations de la plainte formulée le 29 mars 2016 par Me Mathieu Proulx contre Me Kathya Gagnon et de statuer sur celle-ci au regard notamment de l’article 146 de la Loi sur la justice administrative (RLRQ, c. J-3) et des articles 1, 2, 3, 9, 10 et 13 du Code de déontologie applicable aux membres du Tribunal administratif du Québec (RLRQ, c. J-3, r.1).

[4]          La plainte étant recevable, le Conseil constitue, le même jour et conformément à l’article 186 de la Loi sur la justice administrative, un comité d’enquête (Comité) formé de trois membres chargés de faire enquête sur la plainte et de statuer sur celle-ci au nom du Conseil. Les résolutions suivantes sont donc adoptées :

ATTENDU QUE le 29 mars 2016 Me Mathieu Proulx porte plainte au Conseil de la justice administrative (ci-après « le Conseil ») contre la juge administrative Kathya Gagnon du Tribunal administratif du Québec;

ATTENDU QUE le Conseil, lorsqu'il procède à l'examen d'une plainte formulée contre un membre du Tribunal administratif du Québec, agit conformément aux dispositions des articles 184 à 192 de la Loi sur la justice administrative (RLRQ, chapitre J-3);

ATTENDU QUE lors de la séance du 16 mai 2016 du comité d’examen de la recevabilité des plaintes, la plainte portée par Me Mathieu Proulx contre la juge administrative Gagnon a été déclarée recevable au sens de la Loi sur la justice administrative;

ATTENDU QUE l’article 186 de cette loi énonce que, si la plainte a été considérée recevable, le Conseil constitue un comité d'enquête, formé de trois membres, chargé de faire enquête sur la plainte et de statuer sur celle-ci en son nom;

ATTENDU QUE l’article 186 de la Loi sur la justice administrative prévoit que lorsque le Conseil constitue un comité d’enquête, deux des membres qui le composent sont choisis parmi les membres du Conseil visés aux paragraphes 3o à 9o de l’article 167 de Loi sur la justice administrative, dont l’un n’exerce pas une profession juridique et n’est pas membre de l’un des organismes de l’Administration dont le président est membre du Conseil;

ATTENDU QUE l’article 186 de la Loi sur la justice administrative énonce que le troisième membre du comité d’enquête est le membre visé au paragraphe 2o de l’article 167 de Loi sur la justice administrative ou choisi à partir d’une liste établie par le président du Tribunal administratif du Québec après consultation de l’ensemble de ses membres;

ATTENDU QUE l’article 187 de la Loi sur la justice administrative prévoit que le Conseil désigne un président parmi les membres du comité d’enquête qui sont avocats ou notaires;

EN CONSÉQUENCE, sur la proposition de madame Marie Auger, appuyée par madame Jill Leslie Goldberg, il est résolu, conformément à l’article 186 de la Loi sur la justice administrative, que le Conseil constitue un comité d’enquête chargé de faire enquête sur la plainte formulée le 29 mars 2016 par Me Mathieu Proulx contre MKathya Gagnon au regard notamment de l’article 146 de la Loi sur la justice administrative (RLRQ, c. J-3) et des articles 1, 2, 3, 9, 10 et 13 du Code de déontologie applicable aux membres du Tribunal administratif du Québec (RLRQ, c. J-3, r.1).

Le comité d’enquête sera composé des personnes suivantes :

§  Me Marie Lamarre, membre du Conseil de la justice administrative et présidente du Comité d’enquête;

§  Monsieur Simon Julien, membre du Conseil de la justice administrative;

§  Me Lucie Le François, membre du Conseil de la justice administrative et membre du Tribunal administratif du Québec.

En cas d’empêchement ou de refus de la désignation par Me Lucie Le François, Me Hélène Gouin, membre du Tribunal administratif du Québec, est désignée membre substitut pour faire partie du comité d’enquête.

De plus, sur la proposition de Me Patrick Simard, appuyée par monsieur Michel Marchand, il est résolu, conformément à l’article 189 de la Loi sur la justice administrative, que le Conseil requiert l’avis du comité d’enquête sur l’opportunité de suspendre Me Kathya Gagnon pour la durée de l’enquête.

[5]          Par la suite, plusieurs modifications sont apportées au Comité  en raison du retrait du Conseil de certains membres.

[6]          Une première modification fait suite au retrait de Me Marie Lamarre et à la désignation de Me Lucie Le François à titre de vice-présidente du TAQ; le Conseil a dû procéder à leur remplacement à titre de présidente et de membre du Comité. Une séance du Conseil a été tenue le 13 septembre 2016 et la résolution suivante a alors été adoptée :

EN CONSÉQUENCE, sur la proposition de madame Suzanne Danino, appuyée par Me Hélène Bédard, il est résolu que la composition du comité d’enquête soit modifiée et que Me Patrick Simard remplace Me Marie Lamarre à titre de membre et président du comité d’enquête dans le dossier 2016 QCCJA 832 et que Me Marie Charest remplace Me Lucie Le François à titre de membre pair.

EN CONSÉQUENCE, le comité d’enquête chargé de faire enquête et de statuer sur la plainte dans le dossier portant le numéro 2016 QCCJA 832 est maintenant constitué des personnes suivantes :

§  Me Patrick Simard, membre du Conseil de la justice administrative, régisseur à la Régie du logement et président du comité d’enquête;

§  Monsieur Simon Julien, membre du Conseil de la justice administrative représentant le public;

§  Me Marie Charest, membre du Conseil de la justice administrative et membre du Tribunal administratif du Québec. 

En cas d’empêchement par Me Marie Charest, Me Hélène Gouin, membre du Tribunal administratif du Québec, est désignée membre substitut pour faire partie du comité d’enquête.

[7]          Une seconde modification est apportée à la composition du Comité en raison du retrait de Me Patrick Simard du Conseil; à sa séance tenue le 8 mai 2017, le Conseil adopte la résolution suivante :

EN CONSÉQUENCE, sur la proposition de Me Morton Minc, il est résolu à l’unanimité des membres participant à la séance que la composition du comité d’enquête 2016 QCCJA 832 soit modifiée et que Me Marie Lamarre remplace Me Patrick Simard à titre de membre et président de ce comité d’enquête.

EN CONSÉQUENCE, le comité d’enquête chargé de faire enquête et de statuer sur la plainte dans le dossier portant le numéro 2016 QCCJA 832 est maintenant constitué des personnes suivantes :

§  Me Marie Lamarre, membre du Conseil de la justice administrative, présidente du Tribunal administratif du travail et présidente du comité d’enquête;

§  Monsieur Simon Julien, membre du Conseil de la justice administrative représentant le public;

§  Me Marie Charest, membre du Conseil de la justice administrative et membre du Tribunal administratif du Québec.

En cas d’empêchement par Me Marie Charest, Me Presha Bottino membre du Tribunal administratif du Québec, est désignée membre substitut pour faire partie du comité d’enquête.

[8]          Finalement, le Conseil a procédé au remplacement de Me Marie Lamarre à titre de membre et présidente du Comité. Une séance du Conseil a été tenue le 27 octobre 2017 et la résolution suivante a été adoptée :

EN CONSÉQUENCE, sur la proposition du président du Conseil, Me Morton S. Minc, il est résolu à l’unanimité des membres participant à la séance que la composition du comité d’enquête 2016 QCCJA 832 soit modifiée et que Me Patrick Simard remplace Me Marie Lamarre à titre de membre et président de ce comité d’enquête.

EN CONSÉQUENCE, le comité d’enquête chargé de faire enquête et de statuer sur la plainte dans le dossier portant le numéro 2016 QCCJA 832 est maintenant constitué des personnes suivantes :

§  Me Patrick Simard, membre du Conseil de la justice administrative, président de la Régie du logement et président du comité d’enquête;

§  Monsieur Simon Julien, membre du Conseil de la justice administrative représentant le public;

§  Me Marie Charest, membre du Conseil de la justice administrative et membre du Tribunal administratif du Québec. 

En cas d’empêchement par Me Marie Charest, Me Presha Bottino membre du Tribunal administratif du Québec, est désignée membre substitut pour faire partie du comité d’enquête.

Les procédures

La suspension pendant l’enquête

[9]          La résolution du Conseil par laquelle est institué le Comité chargé de faire enquête sur la présente plainte comporte une résolution adoptée en application de l’article 189 de la Loi sur la justice administrative. Suivant cette disposition, le Conseil peut, après consultation du comité d’enquête, suspendre le membre pendant la durée de l’enquête.

[10]       Il est à noter qu’une telle suspension n’a pas été prononcée dans le cours de la présente enquête.

La confidentialité de certains documents obtenues lors de l’enquête

[11]       En cours d’enquête le Comité a rendu l’ordonnance suivante :

Le comité d'enquête ordonne la non-accessibilité, la non-publication, la non-divulgation, le non-accès et la non-diffusion des renseignements contenus dans les documents déposés en preuve de quelque nature qu'ils soient pour ne pas permettre l'identification des partie[s] au[x] dossier[s] du TAQ ou de donner accès au contenu de ceux-ci, ainsi que l'identification des juges administratifs dans quelque document que ce soit obtenu en preuve devant le Conseil.[2]

La suspension de l’enquête après la présentation de la preuve sur les fautes déontologiques alléguées

[12]       Le 25 janvier 2019, après avoir déjà tenu onze journées d’audition, reçu plus de deux cents pièces, dont certaines sont très volumineuses, et entendu quinze témoins, dont un expert, le Comité a rendu la décision suivante sur la gestion de l’instance :

 

(…)

 

[11] Le Comité est également d’avis que, dans les circonstances particulières de ce dossier, il est opportun de scinder l’enquête pour rendre d’abord une décision sur l’existence ou non d’une faute déontologique de la part de Me Gagnon. Le cas échéant, le Comité pourra subséquemment recevoir la preuve qu’il estime pertinente quant à la sanction à imposer.

L’enquête

[13]       Lors du dépôt de sa plainte, Me Proulx fournit un état de situation apportant des précisions sur l’environnement de travail de Me Gagnon dont certains éléments sont ci-après exposés.

[14]       Me Gagnon est nommée membre du Tribunal administratif du Québec à la Section des affaires sociales (SAS) le 17 septembre 2008.[3] Au cours de l’année 2010, elle est assignée à la Commission d’examen des troubles mentaux (CETM) de cette section.

La CETM

[15]       Le Code criminel[4] prévoit l’institution d’une CETM pour chaque province canadienne. Au Québec, la LJA prévoit que la SAS du TAQ est désignée comme CETM chargée de rendre ou de réviser des décisions concernant les accusés qui font l’objet d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux ou qui ont été déclarés inaptes à subir leur procès.

[16]       La CETM doit tenir une première audience dans les 45 ou 90 jours d’un tel verdict, pour déterminer si l’individu concerné doit continuer à être détenu ou pas et selon quelles modalités, le cas échéant. Tant qu’il n’y a pas eu de décision en libération inconditionnelle, le dossier doit être révisé annuellement.

[17]       Pour une première audience la durée moyenne est d’environ une heure et demie, alors que pour une révision annuelle, on parle plutôt d’au plus une heure.

[18]       Le temps de préparation est plus long pour les nouveaux verdicts que pour les dossiers de révision, puisqu’on dispose alors des motifs antérieurs. Un délit majeur requiert une plus longue préparation qu’un délit mineur. Me Proulx témoigne d’une durée moyenne de préparation d’environ 30 minutes par dossier quand on a fait assez de dossiers pour trouver rapidement les renseignements utiles. Me Gisèle Lacasse, juge administratif au TAQ, indique plutôt une heure à une heure 30.

[19]       Pour la rédaction des motifs, chacun a son rythme, mais avec l’expérience les juges administratifs se font des modèles et des formulations types, ce qui accélère le rythme de rédaction. Lorsqu’ils commencent, ils reçoivent une formation sur la matière propre à la CETM, siègent d’abord comme 4e membre du banc, et la Direction des affaires juridiques du TAQ (DAJ) leur remet des décisions comme modèles.

[20]       Plusieurs d’entre eux réussissent à rédiger leurs motifs dans les deux semaines qui suivent les auditions et plusieurs autres maintiennent un inventaire d’environ 150 motifs en attente de rédaction, ce qui correspond à un délai d’environ six mois entre la décision et les motifs. Me Lacasse indique qu’il lui faut environ 2h en moyenne pour rédiger les motifs dans un dossier.

[21]       M. Guy Parrot, qui a pris sa retraite en 2003, explique que peu après l’intégration de la CETM au TAQ, il avait environ 200 motifs en retard. Il explique ces retards par le fait que, avant que la CETM soit intégrée au TAQ vers 1999-2000, ils n’étaient que deux juristes à couvrir l’ensemble du Québec, avec environ 1000 dossiers à traiter. Il pouvait entendre jusqu’à huit dossiers par jour, trois jours par semaine, toutes les semaines. Il précise que, selon lui, la priorité c’est de rendre les décisions et que les motifs suivent, en principe. Lorsque ces retards ont résulté en une diminution de son évaluation au rendement, il a rattrapé ces retards en rédigeant des motifs succincts, sous forme d’attendus. Et dans ce contexte, son évaluation a été rétablie à un niveau qui l’a satisfait. Quand il est parti à la retraite, il était à jour.

[22]       C’est au Québec qu’il y a le plus d’hôpitaux désignés[5],  avec 52, alors qu’il n’y en a que 11 en Ontario et un seul en Alberta et en Colombie-Britannique. Ce grand nombre complique la gestion des rôles d’audience et des bancs qui entendent ces causes.

[23]       Ces bancs sont composés de trois juges administratifs : un avocat qui préside et qu’on appelle président délégué, un psychiatre et un autre membre, généralement psychologue, travailleur social ou criminologue.

[24]       Les juges administratifs sont assignés pour des périodes de trois mois à la fois, à un rythme de deux semaines d’audition[6], suivies de deux semaines de délibéré.

[25]       En 1998, il pouvait y avoir jusqu’à sept dossiers par jours sur un rôle d’audience. Ce nombre a été réduit à six, puis à cinq vers 2014-2015, à la fin du mandat de Me Proulx.

[26]       En raison du volume de dossiers dans la région de Montréal, les juges administratifs de Montréal entendent principalement des dossiers de Montréal et de villes assez rapprochées comme Joliette, Sherbrooke, Saint-Jérôme; ceux de Québec doivent voyager beaucoup plus à travers la province, puisque le volume de dossiers à Québec ne suffit pas à les occuper pleinement.

[27]       Entre 2010 et 2012, les auditions en CETM commençaient à 9h le lundi matin, alors qu’en SAS elles ne commençaient qu’à 13h30. Mais vers 2011-2012 environ, selon Me Richard Bourgault, juge administratif à cette section, les auditions du lundi matin ont été enlevées en dehors de Montréal et Québec.

[28]       La décision d’un dossier en CETM est rendue verbalement à l’audience et les parties reçoivent un procès-verbal décisionnel sur place, à la fin de l’audition. Ce procès-verbal ne contient que les données de l’audition et le dispositif de la décision. Les motifs qui la sous-tendent peuvent avoir été donnés verbalement mais n’y sont pas inclus.

[29]       Les motifs écrits suivent plus tard; ils se distinguent du procès-verbal parce qu’on y fait état de l’historique du dossier, on discute de la révision précédente, du point de vue du psychiatre soignant et de sa recommandation, on y apprécie la preuve et les facteurs de risque de dangerosité de l’accusé. C’est toujours le président délégué qui rédige les motifs.

[30]       Me Mathieu Proulx, ancien président du TAQ et de la CETM et ancien vice-président de la SAS, explique que deux courants découlent de ce contexte, quand vient le temps d’appliquer l’article 146 LJA : on y stipule que le délai maximal pour rendre une décision est de trois mois. Certains sont d’avis que ce délai s’applique à la rédaction des motifs, dans le contexte de l’objectif de célérité de la justice administrative de l’article 1 LJA. D’autres soutiennent que ce délai ne s’y applique pas, puisque la décision est rendue à l’audience.

[31]       Me Proulx souligne l’importance d’acheminer les motifs dans un délai raisonnable pour que toutes les parties comprennent la décision qui a été rendue. La pratique consiste à rendre les motifs avant la révision de l’année suivante pour qu’ils soient alors connus des parties, procureurs, personnel traitant, etc., ainsi que des juges administratifs qui entendront cette révision.

[32]       En effet, si des motifs sont rendus après la révision suivante, ni les parties, ni les juges administratifs qui entendent cette nouvelle révision ne peuvent tenir compte de ces motifs pour apprécier l’évolution de la situation.

[33]       De plus, si les motifs d’une révision précédente sont rendus après ceux d’une révision subséquente, cela créée une confusion dans l’esprit des parties. Le Tribunal doit alors prendre des moyens pour clarifier les choses. Mais il est toujours préférable d’éviter ce genre de situation.

[34]       Il s’avère donc essentiel que les motifs d’une révision soient rendus avant la révision suivante.

[35]       Me Proulx admet cependant qu’il est possible que des motifs ne soient pas encore rendus lors de la planification d’une nouvelle audience. Il admet aussi qu’à l’époque où il était président de la CETM et où Me Gagnon y siégeait, la priorité était de tenir l’audience et les motifs devenaient alors secondaire : la Loi exige des révisions annuelles et il devait trouver le moyen de parvenir à entendre celles-ci malgré un manque de ressources.

[36]       Les décisions de la CETM sont appelables de plein droit en Cour d’appel. Si les motifs n’ont pas encore été rédigés lorsque le Tribunal est avisé d’un appel, le président de la CETM s’assure auprès du président délégué responsable de la rédaction qu’ils le soient dans les meilleurs délais. Les appels sont cependant peu fréquents.

[37]       Il y a eu appel d’un ou deux dossiers de Me Gagnon et elle a alors produit ses motifs rapidement.

[38]       Des demandes pour avoir des techniciens en CETM commencent en 2010-2011 et finissent par donner des résultats en 2014, à la suite d’un projet pilote en 2013. Ils ont pour fonction d’analyser les dossiers pour vérifier s’il y manque des documents et de les obtenir le cas échéant.

[39]       La numérisation des dossiers débute quant à elle vers 2012-2013. Avant cela, les juges administratifs devaient voyager avec les nombreux dossiers physiques qu’ils devaient entendre pendant la semaine.

[40]       Pour Me Proulx, les 35 heures par semaine qui apparaissent sur les talons de paye ne sont pas représentatives de la tâche d’un juge administratif :

Moi, je sais que la classification des juges, moi, je ne me suis jamais arrêté au nombre d'heures que je travaillais dans une semaine; je travaillais les fins de semaine régulièrement, les soirs régulièrement et je ne me suis jamais préoccupé : «Est-ce que je travaille trente-cinq (35) ou trente-sept (37) heures?» Et moi, c'est... le statut de juge administratif, on travaille tant qu'il y a de l'ouvrage.

(…)

J'ai connu ce régime-là et je consacrais habituellement une (1) de mes trois (3) semaines de vacances l'été à une (1) semaine de rédaction pour revenir avec un inventaire moins... moins grand.

[41]       Il estime qu’il travaillait environ 60 heures par semaine les semaines d’audience, et 40 à 50 heures par semaine de délibéré. D’autres témoins confirment cette intensité du rythme de travail, d’ailleurs qualifiée de rythme étourdissant et de cadence de galérien par un juge de la Cour supérieure[7].

[42]       Le 3 novembre 2011, sept juges administratifs de Québec qui font de la CETM, écrivent à Me Proulx, alors vice-président de la SAS et président de la CETM. Ils y soulignent des problèmes qu’ils rencontrent dans leur travail en CETM et demandent que divers changements soient apportés pour améliorer cette situation. On y traite entre autres :

·           Des horaires d’audition obligent à voyager le dimanche, ainsi que tard le soir après la fin d’une journée d’audience.

·           Des déplacements nombreux dans une même semaine, ainsi que des distances à parcourir.

·           Du temps de préparation des dossiers qui oblige souvent à travailler les fins de semaines.

·           Du nombre de dossiers entendus chaque jour qui était alors de six, alors que dans les autres provinces ils n’entendent que quatre dossiers par jour.

·           Du manque de temps pour manger le midi.

·           Du nombre de motifs à rédiger sans pouvoir partager la tâche avec les non juristes.

·           Du manque d’effectif pour entendre un nombre croissant de dossiers.

[43]       Une rencontre entre ces signataires et Me Proulx suit peu après, lors de laquelle Me Proulx surprend les autres participants en leur disant se sentir attaqué, puisque ceux de ces derniers qui témoignent indiquent qu’ils voulaient simplement travailler à trouver des solutions aux problèmes exprimés.

[44]       Par la suite, le nombre de dossiers entendus a été réduit à cinq par jour et les auditions n’ont commencé qu’à 13 h les lundis, à l’extérieur de Montréal et Québec.

[45]       Le temps disponible pour rédiger les motifs doit être partagé avec la préparation des dossiers subséquents, la formation les vendredis, etc. Il en découle une problématique décrite comme suit dans le Rapport du Comité des motifs[8]:

Depuis plusieurs années, les juristes siégeant en Commission d'examen des troubles mentaux (CETM) se plaignent de l'importante charge de travail, laquelle a comme conséquence de rendre difficile la rédaction des motifs de chaque dossier entendu dans un délai raisonnable.

En effet, il y a un grand volume de dossiers à traiter, soit environ 2 000 par année. Chaque juriste entend environ une vingtaine de dossiers par semaine d'audiences, pour lesquels une semaine de délibéré est accordée non seulement pour la rédaction des motifs, mais également pour la préparation des dossiers des audiences à venir et tout le travail administratif qui s'y rattache.

Plusieurs juristes ont accumulé d'énormes retards dans la rédaction des motifs, retards très difficiles à récupérer. Le travail s'accumule rapidement et il est très difficile de voir la lumière au bout du tunnel. Les juristes vivent une très grande pression continuelle. Ils sont à bout de souffle. Un très grand risque d'épuisement est présent.

[46]       Ce rapport constate qu’il faudrait minimalement 13 jours pour accomplir le travail prévu actuellement en 10 jours. Ainsi, le temps disponible pour la rédaction des motifs est insuffisant et le comité des motifs recommande que des réaménagements soient effectués pour que ceux qui doivent les rédiger disposent de suffisamment de temps. Tant le temps d’audience que le temps de déplacement doivent être pris en compte à cette fin.

[47]       Pour plusieurs des juges qui font de la CETM, ne pas faire de motifs pour les libérations inconditionnelles, lesquelles mettent le plus souvent fin au dossier, constitue une manière de survivre à l’intensité du rythme de travail et au nombre de décisions et motifs à écrire à tout moment.

[48]       Dans le contexte du manque de ressources en CETM, depuis 2011, la majorité des juges administratifs font de la CETM et de la SAS; le rythme auquel ils font de la CETM a cependant varié d’une semaine par mois entre 2011 et 2016, à une semaine par trois mois en 2017. C’est essentiellement parmi ceux nommés avant 2011 qu’on en retrouve qui font exclusivement de la CETM ou de la SAS.

Me Kathya Gagnon en CETM

[49]       Me Gagnon est nommée au TAQ le 17 septembre 2008 et rattachée au bureau de Québec. En effet, le TAQ a un bureau à Québec et un autre à Montréal; c’est l’un ou l’autre de ces bureaux qui constitue le port d’attache des personnes qui y sont nommées. Comme les autres sections du Tribunal, la CETM est itinérante : elle siège dans tous les hôpitaux désignés de la province de Québec.

[50]       Elle est assignée à temps plein en CETM en 2010, après avoir fait de la SAS et de la CETM depuis sa nomination. Me Proulx indique qu’elle était d’accord, ce qu’elle confirme. Elle explique qu’elle aime le contact avec les gens et qu’il y a avait alors un besoin criant pour des juristes en CETM.

[51]       À cette époque il pouvait y avoir jusqu’à six dossiers par jour sur un rôle d’audiences. Elle indique qu’il lui arrivait d’accepter des ajouts au rôle qui pouvaient faire monter le total des dossiers à sept et même à huit par jour.

[52]       Quant au nombre de dossiers entendus, Le Comité constate que lors de la période où elle a siégé en CETM, les journées de six dossiers constituent une minorité; pour toute cette période on constate aussi de nombreuses journées de 1, 2, 3, 4 ou 5 dossiers, mais aucune de plus de 6 dossiers[9]. Cependant, en juin 2009, elle a eu une journée de 7 et une autre de 13 dossiers entendus. L’expert Lessard témoigne que pour la période 2008 à 2016 la moyenne des dossiers entendus est de 2,86, CETM et SAS confondues[10].

[53]       Elle était la seule juge administrative juriste de Québec à être à temps plein à la CETM; les autres juges administratifs juristes de Québec qui faisaient de la CETM étaient hybrides car ils partageaient leur temps entre la SAS et la CETM. À Montréal il y avait de 3 à 5 juges administratifs à temps plein, et quelques juges administratifs hybrides parmi les juristes; cette situation a changé selon les années, puisque, pour diverses raisons, certains sont passés de la CETM à la SAS et plus rarement l’inverse.

[54]       Elle a cependant fréquemment été assignée dans des hôpitaux de Montréal, dont l’Institut Philippe-Pinel où les mesures de sécurité pouvaient allonger la journée d’audition et rendre plus problématique de se nourrir le midi. Pour s’y rendre, cela impliquait soit de partir vers 5h30 le lundi matin, où d’amputer son dimanche pour voyager. Et le jeudi, le retour s’effectuait après la journée d’auditions. Et cela impliquait le transport de trois à quatre boîtes par semaines.

[55]       Me Gagnon se décrit comme quelqu’un de très impliquée, qui va au fond de ses dossiers, qui n’est pas capable de tourner les coins ronds. Elle mentionne que ça lui a valu de se faire traiter de TOC[11] par certains collègues.

[56]       Ainsi, la préparation de ses dossiers lui prenait généralement quatre heures, mais ça pouvait aussi prendre 3 heures ou parfois 5 heures pour les dossiers plus volumineux, car elle lisait tout.

[57]       Elle témoigne qu’elle n’a reçu que peu de formation à son arrivée et a dû trouver les informations requises par les domaines où elle siégeait par elle-même. Elle déplore ne pas avoir eu de mentor.

[58]       Depuis sa nomination en 2008 elle a eu une dizaine d’adjointes différentes. En avril 2010, elle n’avait plus d’adjointe et s’est fait suggérer de dactylographier elle-même ses motifs, mais son doigté ne lui permettait pas d’aller assez vite pour le volume de décisions SAS et de motifs CETM qui était alors le sien[12]. Elle était plus efficace quand elle les dictait.

[59]       Avec son adjointe, pendant la période où elle entendait des dossiers en CETM, elle avait développé des modèles de mandats de dépôt, d’ordonnances de traitement et, de transferts inter hospitaliers; il s’agit de divers gestes qui relèvent d’un président délégué en CETM.

[60]       Elle affirme qu’elle pouvait passer trois à quatre heure par semaine à gérer des documents mal classés et autres erreurs et omissions du Secrétariat[13] du TAQ.

[61]       À certains moments elle témoigne avoir perdu des données informatiques correspondant à des semaines de travail, parce que le système informatique faisait défaut; elle n’aurait pas été la seule à qui ce fût arrivé selon elle.

[62]       Elle admet qu’il relève de sa seule et unique responsabilité de déterminer la manière dont elle rend ses motifs et qu’on ne pouvait pas lui imposer une manière particulière de rédiger.

[63]       Me Gagnon se plaignait de ne pas bénéficier de suffisamment de temps de déplacement. Me Proulx a pris connaissance de ses demandes, mais ne pouvait pas y donner suite en raison du manque de ressources pour entendre les nombreux dossiers : une fois que le rôle était adopté, il n'y avait plus beaucoup de possibilité de changement, là, parce que ça impliquait beaucoup d'acteurs[14].

[64]       Il n’y avait alors aucun gabarit de motifs offert aux juges administratifs qui commençaient à faire de la CETM. Les formations données en rédaction de décisions s’adressaient à l’ensemble des juges administratifs du TAQ, et non spécifiquement à ceux de la CETM.

[65]       Me Bourgault souligne le dévouement de Me Gagnon pour aider des collègues et participer à des comités, en soulignant qu’il lui avait suggéré d’arrêter de vouloir régler tous les problèmes pour concentrer son temps à la rédaction.

[66]       Lorsqu’il a constaté qu’elle avait pris du poids et que sa santé semblait se détériorer, il lui a recommandé de demander de cesser de faire de la CETM. C’est ce qu’elle a fait dans son courriel du 13 avril 2011[15]. Mais rien ne change.

[67]       À divers moments, certains de ses collègues qui témoignent à l’enquête lui recommandent d’aller consulter et s’inquiètent de sa santé.

[68]       Me Proulx avait discuté de la possibilité de faire des motifs abrégés avec ses collègues, mais il n’y avait alors rien de formalisé à cet égard. Chacun était libre du choix de sa rédaction.

[69]       Le maître des rôles s’assurait que les déplacements s’effectuent de manière logique, mais ne disposait pas d’instructions précises pour ce faire.

[70]       Ce n’est qu’après que Me Gagnon soit passée de la CETM à la SAS que des collègues ont reçu le mandat de préparer le gabarit d’un modèle de décision et une grille de délibéré[16]. Me Lacasse les a présentés à ses collègues à diverses reprises à partir de l’assemblée générale de la CETM du 5 octobre 2012, afin de faciliter la rédaction des motifs. Et depuis, les nouveaux juges nommés à la SAS bénéficient systématiquement d’une formation sur ces documents.

[71]       Dès 2011, Me Proulx a commencé à s’interroger sur les retards de Me Gagnon à rédiger ses motifs. Il constate qu’elle s’enlise, se demande si c’est en raison d’un manque de méthodologie, et ne comprend pas pourquoi c’est si long.

[72]       Il la retire des rôles en mars 2012, car elle n’a alors pas rédigé de motifs pour 427 des 447 dossiers entendus. Bien que les retards dans la rédaction des motifs soient fréquents, aucun autre membre de la CETM n'a accumulé des retards de l’ampleur de ceux de Me Gagnon.

[73]       Il lui mentionne alors qu’il considère raisonnable qu’elle rédige les motifs de 20 à 30 dossiers par semaine[17]. Une simple division permet de constater qu’à ce rythme il lui aurait fallu entre 14 et 22 semaines pour compléter le travail.

[74]       Afin d’aider Me Gagnon à y parvenir, il lui fournit des outils de suivi et de soutien[18]. Ainsi, un stagiaire a rédigé une centaine de projets de motifs dans ces dossiers, mais inutilement car elle ne s’en est pas servi. Une secrétaire l’a aussi assistée avec la structure des décisions à rendre et l’organisation de son travail. Me Proulx croit lui avoir suggéré de demander à la direction des affaires juridiques (DAJ) de faire les recherches pour les questions de droits inhabituelles qu’elle doit trancher, afin de lui sauver du temps.

[75]       Me Proulx et la présidente du TAQ rencontrent Me Gagnon le 11 février 2013[19]. Elle déclare alors être brûlée, fatiguée, exténuée, ce qui les rend préoccupés quant à son état de santé. Me Proulx lui suggère donc, comme il a été question de problèmes plus profonds qu’une simple question de retard et de difficulté à compléter [ses] tâches, (…) de faire appel sans tarder au programme d’aide aux employés.[20]

[76]       En septembre 2013, il lui reste des motifs à rédiger dans 161 dossiers.  Ce n’est que le 11 avril 2014, soit plus de deux ans après qu’elle ait été libérée de toute audition[21], que les motifs ont été complétés dans ces 427 dossiers ; ceci correspond à une moyenne de rédaction de motifs de quatre dossiers par semaine, et donc de moins d’un par jour[22].  Pour la période de septembre 2013    à avril 2014, cette moyenne augmente à environ 6 par semaine, selon qu’on inclut ou pas les deux semaines du temps des Fêtes dans le calcul.[23]

[77]       Me Gagnon explique que, comme ça faisait longtemps qu’elle avait entendu les dossiers, elle devait écouter les enregistrements et des problèmes informatiques allongeaient substantiellement le temps requis par cette écoute.

[78]       Me Proulx exprime que cette longue période où Me Gagnon n’a pas siégé a hypothéqué les opérations de la CETM et s’est avérée inéquitable pour ses collègues puisqu’ils n’ont pas bénéficié d’une telle libération pour rédiger leurs motifs. Il ne se rappelle pas avoir dû libérer d’autres juges pour rédiger, et, le cas échéant, certainement pas aussi longtemps que pour Me Gagnon.

[79]       Les délais à rendre ses motifs ont causé plusieurs cas de motifs croisés, avec les difficultés qui en découlent pour les parties.

[80]       La majorité des juges administratifs qui font de la CETM n’ont que quelques dizaines de motifs non rédigés aux diverses dates de relevés, alors que quelques-uns dépassent la centaine par moments, qu’une ou deux personnes peuvent dépasser les deux cents pour quelques périodes, mais qu’une seule personne dépassera les trois cents, pour les dernières périodes.[24] Parmi ces personnes avec de nombreux motifs non rédigés, l’une d’elles n’a pas eu de période d’invalidité, mais d’autres en ont eues et elles ont rendu tous leurs motifs sans cesser de siéger, contrairement à Me Gagnon.

[81]       Le 16 avril 2014, Me Proulx lui envoie un avis formel relatif à la mise en place d’un plan d’encadrement et à une affectation à la SAS plutôt qu’à la CETM, à la suite de ses retards et dépassements de délais lors de la rédaction de ses décisions[25]; il y souligne entre autres les éléments suivants :

·           Ces retards et dépassements de délais ont perduré depuis plusieurs années;

·           Dès le début de [ses] fonctions à la (…) SAS, [elle a] rencontré des difficultés à respecter [ses] échéanciers;

·           Elle a souvent omis de demander des prolongations de délais de délibéré; Me Proulx précise que c’est un problème qu’on lui a rapporté et qui concerne la période où elle était en SAS entre sa nomination en 2008 et son assignation à temps plein à la CETM, en 2010.

·           Lors d’une rencontre en septembre 2013, après qu’on lui ait demandé si des problèmes personnels ou professionnels pouvaient affecter son rendement, on l’a de nouveau référée au programme d’aide aux employés. Elle a alors répondu que tout allait bien et qu’elle n’avait pas besoin de cette aide;

·           Lors d’une troisième rencontre en janvier 2014, on a constaté que les échéances et actions demandées en septembre 2013 n’avaient pas été respectées;

·           Les retards dans la rédaction de ses décisions ne seront plus tolérés, elle devra améliorer plusieurs aspects de son travail et elle devra demander des autorisations si elle prévoit dépasser les délais légaux pour rendre ses décisions.

·           On l’invite à faire part de ses besoins de formation et on lui offre du soutien dans l’exécution de ses tâches. On prévoit des rencontres de suivi aux trois mois pour éviter le cumul de retards, une mesure qui n’aurait pas été appliquée à d’autres juges administratifs selon Me Proulx.

·           On l’avise que de nouveaux retards pourraient entraîner une plainte au Conseil de la justice administrative (CJA).

[82]       Me Natalie Lejeune indique que lors de la présentation de cette lettre, Me Gagnon n’a posé aucune question, ni commenté ou discuté aucun élément en lien avec les délais pour rendre les décisions, les méthodes de travail et la gestion du temps.

[83]       Me Proulx précise qu’il n’était pas question de la retourner siéger en CETM, car elle s’était trop embourbée précédemment et il ne fallait pas risquer de revivre une telle expérience.

[84]       Me Gagnon était sur l’impression, jusqu’à cet avis et la rencontre où on le lui a présenté, qu’elle devait retourner en CETM, et elle se bâtissait des gabarits et des modèles des divers types de décisions à rendre.

[85]       Me Proulx ajoute que Me Gagnon a expliqué son incapacité à compléter ses délibérés en 2013 par la qualité supérieure de son travail, sa grande charge de travail et le fait qu’elle était épuisée. Mais il ne comprend pas pourquoi c’était  

si long, puisqu’elle n’avait plus le stress des audiences, et qu’elle n’avait plus qu’à rédiger ses motifs de décisions à son bureau, sans avoir à se déplacer. Et elle n’a jamais mentionné de problèmes de santé qui auraient alors pu expliquer ces délais de rédaction, malgré qu’il lui ait suggéré à plus d’une reprise d’obtenir de l’aide.

[86]       Me Lejeune mentionne aussi que Me Gagnon lui a parlé de sa charge de travail en CETM, se plaignant de ne pas avoir été bien traitée alors qu’elle a beaucoup aidé ses collègues, sans qu’ils l’aident en retour.

[87]       Après la période où elle a été libérée de ses auditions en CETM pour rédiger ses motifs, quand elle est retournée en SAS, Me Gagnon s’est sentie rejetée et ostracisées par ses supérieurs et ses collègues. Elle a subi divers événements comme de se faire qualifier d’Ouragan Kathya[26], de fille du Nord, de se faire dessiner une pierre tombale, etc.

Principaux arguments du procureur de Me Gagnon

[88]       Selon le procureur de Me Gagnon, la question des délais pour rendre une décision appartient au TAQ et non au juge administratif qui entend une cause, car :

·           C’est le TAQ qui contrôle le nombre de dossiers au rôle et l’ampleur du voyagement que doit effectuer le juge administratif.

·           Le juge administratif ne contrôle que ce qui se passe à l’audience et le contenu de la décision.

·           C’est en effet le président du TAQ qui peut prolonger le délai de délibéré ou dessaisir un membre qui n’a pas rendu sa décision dans le délai de trois mois.

·           Le Code de déontologie applicable aux membres du Tribunal administratif du Québec[27] (Code membres TAQ), ne mentionne pas que de ne pas rendre une décision dans le délai de la LJA constitue un manquement déontologique.

[89]       À la suite de la problématique des motifs non rendus en CETM, ces motifs seraient devenus inutiles, puisque les décisions sont rendues à l’audience et qu’il n’y a aucun délai applicable pour rendre les motifs.

[90]       D’ailleurs, Me Proulx affirme que la mission de la CETM c’est de tenir des audiences; les motifs sont plus secondaires[28].

[91]       Le nombre de déplacements, particulièrement pour Me Gagnon d’ailleurs, et le nombre de causes à entendre par jour sont excessifs et font l’objet de plaintes des juges administratifs.

[92]       À l’époque où Me Gagnon était en CETM, le manque de ressources impliquait d’en demander trop aux juges administratifs en place. Il n’y avait encore ni grilles des motifs ni gabarit de décision ni techniciens CETM.

[93]       Même s’il favorisait les motifs abrégés, Me Proulx n’a jamais donné de modèle de ce type de motifs à Me Gagnon pour l’aider dans ses retards, parce qu’il faisait attention de préserver son indépendance. Mais ça s’est discuté lors de rencontres de juges administratifs.

[94]       Me Gagnon a été ostracisée lorsque le TAQ l’a libérée de ses auditions en CETM pour la forcer à rendre inutilement les motifs des décisions rendues. On s’acharne sur son cas alors que plusieurs de ses collègues ont plusieurs dizaines de motifs à rendre et sont en retard, généralement d’environ six mois[29]. Le Comité remarque cependant que la preuve à laquelle réfère le procureur de Me Gagnon mentionne que Me Gagnon avait des retards plus sévères que ses collègues.

[95]       Puisque la tâche de juge administratif correspond à 35 heures par semaine selon le talon de paye, il n’est pas normal de devoir en travailler de 40 à 90 par semaine, et d’amputer ses vacances et ses fins de semaine. Ce n’est donc pas une faute de sauver sa peau et de ne travailler que les heures pour lesquelles on est payé.

[96]       D’ailleurs, le fait de contrevenir accidentellement à l’article 13 du Code membres TAQ ne constitue pas une faute. Me Gagnon n’a pas fait exprès d’être en retard dans la rédaction de ses motifs; c’est l’épuisement causé par le rythme des auditions qui l’a retardée.

[97]       Le procureur de Me Gagnon attire l’attention du Comité sur un jugement de la Cour supérieure qui qualifie le rythme de travail à la SAS de cadence de galérien.[30]

[98]       D’ailleurs, le droit de gérance du TAQ ne devrait pas être exercé en présumant du même degré de performance pour tous sans tenir compte des limites de certains. Il est responsable de s’ajuster à la capacité du juge administratif.

[99]       Me Gagnon n’a pas à subir les conséquences d’un système problématique auquel plusieurs demandaient d’apporter des correctifs. Il est vrai que ce n’est pas le rôle du Comité de faire le procès du TAQ, mais il doit tenir compte de l’ensemble des circonstances pour déterminer si les délais de Me Gagnon à rédiger ses motifs constituent une faute.

[100]    Il faut garder à l’esprit que l’ampleur de la pression subie par les juges administratifs en raison du manque de ressources disponibles pour effectuer le travail est énorme et crée un manque de souplesse en cas de maladie ou autres problèmes. Or, le rythme imposé et le besoin de rédiger des motifs abrégés pour arriver à tout rédiger à temps portent atteinte à l’indépendance du juge administratif.

[101]    Le choix de Me Gagnon de fignoler ses décisions sans tourner les coins ronds, et de prendre le temps de bien faire ce travail même si cela la met en retard, s’inscrit dans cette indépendance et ne saurait lui être reproché.

Les délais de rédaction de motifs en CETM constituent-ils ici une faute déontologique?

[102]    La jurisprudence citée par le procureur de Me Gagnon rappelle divers principes qui doivent être pris en compte lors de l’analyse de la preuve recueillie lors de l’enquête :

·        Le rôle du Comité n’est pas de punir le juge administratif, mais d’exercer une fonction réparatrice à l’égard de l’institution, et non une fonction punitive à l’égard du décideur. En effet, l’objectif premier de la déontologie consiste à soutenir la confiance du public envers la justice.[31]

·        Lorsque toutes les circonstances de l’affaire sont connues, le Comité doit déterminer s’il y eu dérogation aux règles de déontologie et si, dans ce contexte, le comportement d’un juge constitue une faute déontologique.[32]

·        Pour conclure à un manquement déontologique, il faut que l'acte reproché comporte une gravité objective suffisante pour que, dans le contexte où il a été posé, cet acte porte atteinte à l'honneur, la dignité ou l'intégrité de la magistrature.[33]

·        A cette fin, il faut se demander si, pour une personne raisonnable, impartiale et renseignée, (…) le comportement du juge administratif mine sa confiance envers l’ensemble des juges administratifs et sa considération dans l’administration de la justice administrative.[34]

·        Puisque les juges administratifs sont des êtres humains, on peut leur demander de viser la perfection en ayant un comportement souhaitable; mais on ne peut pas exiger qu’ils l’atteignent et on doit pouvoir vivre avec un comportement acceptable. Il en découle que la faute déontologique naît d'un comportement qui se situe en-dessous du comportement acceptable. Un professionnel peut avoir une conduite qui s'éloigne du comportement souhaitable sans être inacceptable. Dans ce cas, il ne commet pas de faute déontologique.[35]

·        Dans cette analyse, il faut garder à l’esprit que s’il est vrai que les juges doivent faire preuve de diligence dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, certains éléments influent sur leur capacité de respecter cette obligation, à savoir leur charge de travail, le caractère suffisant ou non des ressources dont ils disposent — en outre le personnel —, l’aide technique qui leur est offerte, ainsi que le temps qu’ils peuvent consacrer à la recherche, aux délibérations, à la rédaction et à l’accomplissement de fonctions judiciaires autres que la présidence des audiences. Il convient d’accorder toute l’importance voulue aux responsabilités des juges envers leur famille. Les juges doivent disposer de suffisamment de vacances et de temps libre pour se maintenir en bonne santé physique et mentale et pour accroître les habiletés et les connaissances qui leur sont nécessaires pour bien juger.[36]

·        La diligence dans l’exercice des fonctions juridictionnelles met en jeu les éléments suivants : le respect des principes de l’impartialité et de l’égalité dans l’application de la loi; la rigueur; l’esprit de décision; la promptitude; et la prévention des abus de procédure et des abus envers les témoins.[37]

(Soulignements du Comité)

[103]    Les dispositions du Code membres TAQ stipulent entre autre que :

1. Le présent code a pour objet d'énoncer les règles de conduite et les devoirs des membres du Tribunal administratif du Québec en vue de soutenir la confiance du public dans l'exercice impartial et indépendant de leurs fonctions.

2. Les membres rendent justice dans le cadre du droit.

3. Le membre exerce sa charge avec honneur, dignité et intégrité; il évite toute conduite susceptible de la discréditer.

(…)

9. Le membre préserve l'intégrité de la charge qu'il occupe et en défend l'indépendance dans l'intérêt supérieur de la justice.

10. Le membre prend les mesures requises pour maintenir sa compétence professionnelle.

(…)

13. Le membre s'abstient de se livrer à une activité ou de se placer dans une situation susceptible de porter atteinte à la dignité de sa charge ou de discréditer le Tribunal.

(Soulignements du Comité)

[104]    L’article 146 LJA prévoit que :

146. Dans toute affaire, de quelque nature qu'elle soit, la décision doit être rendue dans les trois mois de sa prise en délibéré, à moins que le président du Tribunal, pour des motifs sérieux, n'ait prolongé ce délai.

Lorsqu'un membre saisi d'une affaire ne rend pas sa décision dans le délai de trois mois ou, le cas échéant, dans le délai tel que prolongé, le président peut, d'office ou sur demande d'une des parties, dessaisir ce membre de cette affaire.


 

Avant de prolonger le délai ou de dessaisir le membre qui n'a pas rendu sa décision dans les délais requis, le président doit tenir compte des circonstances et de l'intérêt des parties.

(Soulignement du Comité d’enquête)

[105]    Comme mentionné plus haut, l’article 182 LJA prévoit qu’une plainte peut porter non seulement sur un manquement au Code membres TAQ, mais aussi sur un manquement à un devoir imposé par la LJA.

[106]    Ces dispositions s’inscrivent dans le cadre des objectifs de qualité, célérité, accessibilité qui constituent le fondement de la LJA[38].

[107]    Le procureur de Me Gagnon soutien qu’à la fin de la période durant laquelle elle a été libérée de ses auditions le TAQ aurait dû la retourner en CETM, puisque ses modèles et gabarit étaient alors faits et qu’elle aurait alors été efficace pour rédiger ses motifs.

[108]    Le Comité constate cependant que, pendant la période où elle a été libérée d’auditions, et donc des déplacements y afférents, Me Gagnon n’a jamais dépassé une moyenne de rédaction de 6 motifs par semaine. C’est pourtant pendant les derniers 6,5 mois des 24,75 où elle a été libérée d’audition, et donc alors qu’elle aurait dû avoir atteint son efficacité maximale, que cette moyenne a été atteinte.

[109]    Si elle était retournée en CETM, même avec cinq dossiers par jour au lieu des six de 2010 à 2014, elle aurait dû réussir à écrire une vingtaine de motifs par semaine pour éviter de se retrouver dans la même situation qu’en 2012, soit plus du triple de ce qu’elle a atteint alors qu’elle n’avait ni les déplacements ni les auditions ni la préparation des auditions qu’elle aurait alors eus.

[110]    Le Comité considère que la décision du TAQ de ne plus faire siéger MGagnon en CETM était raisonnable dans ce contexte et ne saurait lui être reprochée.

[111]    Puisqu’en CETM la décision est rendue à l’audience, il est difficile de conclure que les longs délais à rédiger les motifs contreviennent à l’article 146 LJA.

[112]    Aucun des précédents cités par le procureur de Me Gagnon, ou lus par le Comité en matière de retards à rendre des décisions[39] ne concerne des retards à rédiger des motifs. Il en ressort cependant que :

·        Déroger au délai légal pour rendre une décision n’équivaut pas nécessairement à un manquement déontologique.

·        La diligence est une valeur distincte de ce délai.

·        Pour analyser les cas de dépassement de délais, il faut adopter une approche globale et nuancée.

·        Dans la majorité des cas il s’agissait de cas exceptionnels alors que le décideur concerné respectait généralement le délai légal.

·        Souvent ces cas exceptionnels se voient nuancés par des difficultés particulières qui affectent ce décideur, des circonstances hors de sa volonté, des problèmes de santé, des dossiers particulièrement complexes et volumineux, une charge de travail particulièrement lourde ou des difficultés particulières à obtenir des prolongations de délibéré.

·        Les gestes posés par le décideur pour rendre la décision le plus rapidement possible, tenter de minimiser les effets du retard et éviter qu’une telle situation se reproduise sont pris en compte lors de l’analyse des circonstances entourant ce retard.

·        La plainte est généralement rejetée en raison des circonstances entourant le retard.

[113]    Dans Desjardins c. Arsenau[40], la situation ressemble à celle objet de la présente enquête, bien que la plainte ne portait alors que sur un seul retard : le juge administratif avait une importante charge de travail qui requerrait de longs déplacements compliqués par les contraintes de disponibilités des moyens de transport. Pendant la période concernée, il avait dû remplacer un collègue qui prenait sa retraite. Bien que la plainte soit rejetée parce que le caractère exceptionnel du retard et les circonstances particulières qui l’entourent font qu’il ne remet pas en cause la confiance du public, on y lit que :

[41] (…) On a par conséquent fait valoir que la grande disponibilité et l’esprit d’équipe de Me Arseneau ne devraient pas lui nuire et qu’il ne devrait pas être tenu responsable de délais institutionnels sur lesquels il n’exerce pas de contrôle.

[42] À cet égard, le Comité rappelle que son mandat consiste à porter un jugement sur un manquement allégué aux devoirs du commissaire Arseneau et qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’organisation du travail et la gestion du Tribunal. Par ailleurs, tel que précédemment exprimé, la prise de décisions et les délais à observer sont de la responsabilité du commissaire. Peu importe le caractère du délai en cause, son inobservance constitue un manquement déontologique, comme l’ont maintes fois reconnu les conseils canadien et québécois de la magistrature.

[43] Dans cette perspective, le Comité d’enquête est d’avis qu’en l’espèce, le commissaire s’est écarté de la conduite que lui dicte l’article 429.51 de la LATMP en ne prenant pas tous les moyens pour se conformer aux devoirs de sa charge.

(Soulignements du Comité)

[114]    Les dossiers relatifs au décideur Robins[41] de la Régie du logement présentent un intérêt particulier en l’instance. Il est vrai que les décisions de 2015 du Conseil ont été annulées par les tribunaux supérieurs, mais c’est parce qu’ils ont jugé que le Comité d’enquête avait excédé son mandat. Ils retiennent qu’il était déraisonnable qu’il investigue plus que les circonstances des deux décisions en retard, objet des plaintes devant lui, et qu’il se penche sur les statistiques des retards de Me Robins pour le sanctionner dans ces deux dossiers spécifiques.

[115]    Les dossiers ayant été retournés au Conseil, il s’est repenché sur les plaintes en 2018, en ne traitant à chaque fois que de la décision objet de la plainte. Dans le dossier Bussière, il souligne que le contraire de la diligence est la négligence, mentionne l’absence de demande de prolongation et les autres circonstances révélées par la preuve, dont le délai de 10 mois pour rendre une décision simple qui aurait dû l’être dans les trois mois; il conclut à l’existence d’une faute et adresse une réprimande au juge administratif. Dans le dossier Farmer, en raison de la complexité du dossier et de la réprimande du même jour dans le dossier Bussière, la plainte est rejetée.[42]

[116]    Cependant, puisque l’essence de la Plainte à l’égard de Me Gagnon concerne l’ensemble de ses retards entre 2010 et 2016, les principes énoncés dans les rapports d’enquête de 2015 concernant Me Robins peuvent alimenter la réflexion du Comité en l’instance. En effet, dans les plaintes à l’encontre de Me Robins, le Comité s’est penché sur les nombreux retards de ce dernier à rendre ses décisions et sur son défaut de demander une prolongation du délai dans la grande majorité des dossiers où il était en retard. Il s’agit là de circonstances qui ressemblent à celles de la présente enquête.

[117]    Dans le rapport d’enquête 2015 sur la plainte de Mme Bussière, on souligne que :

[51] Le régisseur a toujours été conscient de ses retards. Il parle d’une période d’ajustement et il en identifie les causes ce qui ressort tant de son témoignage que de sa lettre de réponse à la plainte. La preuve démontre clairement que pour la période du 1er juin 2012 au 12 juillet 2013, le régisseur a éprouvé d’importantes difficultés à remplir ses obligations en ce qui concerne les délais. On ne peut plus parler ici d’un cas ponctuel lorsque presque 20% des décisions sont en retard.

[52] Or, le régisseur a attendu que l’administration de la Régie découvre l’ampleur de la situation. Certes, par la suite, il coopère et collabore à la satisfaction de celle-ci mais cette coopération nécessite un ensemble de mesures administratives lourdes et dérogatoires. Elle ne débute que lorsque le vice-président l’apprend par des plaintes de justiciables. C’est le choix du régisseur de ne pas faire face à la situation qui est ici en cause.

(…)

[55] En décidant de faire primer sa fierté sur l’intérêt du justiciable, le régisseur a commis une faute déontologique qui s’est illustrée et manifestée par une accumulation de retards importants et répétitifs. L’intérêt du justiciable doit demeurer au cœur du souci du juge administratif et à ce titre, guider ses choix déontologiques.

(…)

[64] Le Comité a d’ailleurs été étonné par le témoignage de celui-ci. Il ne considère pas son devoir déontologique de diligence avec toute l’importance qu’il faut lui accorder. Il en vient même à suggérer que le délai de trois mois n’est pas réaliste. À aucun moment, peut-on percevoir un souci à l’égard du justiciable.

[65] Il dissocie sa préoccupation, louable certes, de la qualité de ses décisions de celui du rendu de la décision. Or, faut-il le rappeler, la première qualité d’une décision est d’être rendue et le Comité a déjà souligné la finalité et la rationalité de la règle de la célérité.

(…)

[69] (…) la réaction des préposées indique que le nom du régisseur est connu pour ses retards à rendre ses décisions. La plaignante pouvait tout à fait avoir le sentiment que son dossier n’était pas important. Le contexte ne favorise aucunement la confiance dans la Régie dans une telle situation et cela résulte en partie des manquements du régisseur.

(Soulignements du Comité)

[118]    Pour apprécier si des retards à rédiger des motifs en CETM peuvent constituer une faute déontologique, il faut en comprendre la raison d’être. Dans un premier temps, il faut garder à l’esprit que le Code criminel[43] prévoit que la CETM fait parvenir à toutes les parties un exemplaire de sa décision accompagnée des motifs ; il s’agit donc d’une obligation légale.

[119]    Le Rapport du Comité des motifs[44] décrit l’utilité des motifs comme suit :

Les motifs visent divers objectifs selon la personne qui les consulte:

-    L'accusé a besoin des motifs rapidement pour bien comprendre ce qu'il a à améliorer dans la prochaine année.

-    Les équipes traitantes utilisent les motifs comme outil d'intervention dans le plan de traitement de l'accusé. Le fait que les décisions proviennent de la CETM a souvent comme effet de préserver l'alliance thérapeutique, parfois difficile à atteindre et conserver.

-    La prochaine formation qui entendra le dossier a besoin des motifs pour bien comprendre la décision rendue et les éléments de dangerosité présents.

[120]    Dans ce contexte, ne pas réussir à mieux optimiser son temps de rédaction pour éviter d’accumuler des retards, par exemple en préparant un résumé du dossier lorsqu’on en prend connaissance, en notant l’essence de nos motifs lors de nos discussions avec les collègues lors du délibéré, en demandant leurs modèles aux collègues expérimentés les plus efficaces ou en construisant ses propres modèles, etc, s’avère problématique.

[121]    Peut-on considérer qu’une juge administrative qui plus souvent qu’autrement n’a pas rédigé ses motifs avant la révision suivante, c'est-à-dire dans l’année qui suit la décision, exerce sa charge avec honneur, dignité et intégrité et évite toute conduite susceptible de la discréditer[45]?

[122]    Quand après à peine deux ans elle n’a pas encore rédigé les motifs de 95 %[46] des 447 dossiers entendus et qu’il lui faudra plus de deux ans sans audition pour y arriver, le Comité est d’avis que non. Il considère que cette situation est très en deçà d’un comportement acceptable de la part d’un juge administratif.

[123]    Il est vrai que la charge est lourde et exigeante, avec de nombreux dossiers et beaucoup de voyagement. Mais la preuve ne convainc pas le Comité qu’elle voyageait plus que ses collègues de Québec, ni qu’elle entendait plus de dossiers qu’eux.

[124]    Bien qu’elle n’ait pas été la seule à accumuler des retards dans la rédaction de ses motifs, aucun n’a atteint un tel nombre de motifs en attente de rédaction, et le collègue qui a témoigné avoir vécu un problème similaire a expliqué avoir décidé de produire des motifs abrégés et d’avoir ainsi réussi à rattraper ses retards, sans demander d’aide ni avoir été libéré de ses auditions.

[125]    Me Gagnon réfère aux 35 heures par semaine du relevé de paye, mais tous les témoins s’entendent sur le fait que ce n’est aucunement représentatif des exigences de la fonction. Certains ont d’ailleurs préféré retourner à leur ancien travail quand ils l’ont réalisé, mais plusieurs s’en satisfont et réussissent à maintenir le rythme avec un peu d’organisation.

[126]    Le Comité constate qu’elle ne profite pas de l’aide qu’on lui offre et qu’elle se plaint pourtant de ne pas en recevoir. Il comprend de son témoignage que ce n’est que si on allège son horaire d’audition pour lui donner plus de temps de rédaction que cette aide serait acceptable, même si c’est aux dépens de ses collègues et des citoyens en attente d’une décision.

[127]    Quand elle obtient une suspension de ses auditions pour rédiger, il lui faut plus de deux ans pour rédiger les motifs de causes entendues sur moins de deux ans. Elle est la seule à avoir obtenu une telle suspension d’audition selon les souvenirs de Me Proulx. Et ce aux dépens de ses collègues qui continuent d’entendre des causes et de rédiger alors qu’elle ne doit que rédiger.

[128]    Que les inquiétudes sur son état de santé proviennent de ses collègues ou de ses supérieurs, elle ne consulte pas et ne va pas chercher l’aide suggérée pendant la période où elle est en CETM. Le Comité ne dispose que d’affirmations selon lesquelles elle était fatiguée et débordée en 2013. Et elle ajoute qu’elle allait tout de même bien physiquement et qu’elle a repris le dessus. Rien dans la preuve ne permet donc de retenir qu’entre 2010 et 2012, et même jusqu’en 2014, elle aurait eu des problèmes de santé de nature à justifier ses trop longs délais de rédaction de motifs.

[129]    Elle ne semble pas sensible aux difficultés que ses retards peuvent causer aux justiciables de la CETM, lors de motifs croisés. Elle ne semble pas non plus préoccupée par la manière dont ces délais peuvent porter atteinte à la confiance du public dans les institutions judiciaires; la prévention de telles atteintes et le maintien de cette confiance constituent pourtant l’objet premier de la déontologie, selon la Cour suprême! [47]

[130]    Dans ce contexte, le Comité retient que de tels délais à rédiger ses motifs, pour un tel nombre de dossiers et sur une si courte période, constituent une faute déontologique

Me Kathya Gagnon en SAS

[131]    Le 16 avril 2014, la direction du Tribunal rencontre Me Gagnon pour discuter des attentes à son égard, notamment du respect du délai de rédaction des décisions. On l’informe également qu’elle sera assignée à la SAS, mais qu’elle ne traitera pas des matières relevant de la division de la santé mentale. On lui assigne dix semaines d’audience, plutôt que onze semaines comme cela aurait dû l’être sur les vingt-trois semaines que comporte la période. On lui offre également de la formation.

[132]    Dès juin 2014, Me Natalie Lejeune, alors vice-présidente de la SAS, est informée du mécontentement de certains juges administratifs de cette section face à la prestation de travail de Me Gagnon.

[133]    Les problèmes suivants surviennent et les suivis ci-après mentionnés sont subséquemment effectués.

[134]    Le 8 juillet 2014, Me Lejeune rencontre Me Gagnon pour faire un suivi; celle-ci est informée que dans l’objectif de lui laisser le temps de se réapproprier ses compétences dans les matières relevant de la SAS, ses assignations sont à nouveau réduites pour la période en cours. Me Lejeune lui offre son aide pour organiser son travail et lui suggère des formations. Elle invite Me Gagnon à faite preuve de rigueur dans le suivi des délibérés afin de ne pas se retrouver dans la même situation que celle vécue alors qu’elle était assignée à la division de la santé mentale.

[135]    Le 4 août 2014, Me Proulx, Me Lejeune et Mme Pagé rencontrent Me Gagnon pour s’assurer que celle-ci comprend qu’elle doit saisir l’opportunité qui lui est donnée. Me Gagnon s’engage alors à respecter les délais et à améliorer sa prestation de travail.

[136]    Dès septembre 2014, 17 décisions ne sont pas rendues dans le délai prescrit par la loi. Malgré les avertissements qui lui ont été adressés à cet effet et ce nombre important de retard accumulé en moins de six mois, Me Gagnon ne demande aucune prolongation de délai, comme le requiert l’article 146 de la Loi sur la justice administrative.

[137]    Le 3 février 2015, un rappel sur les délibérés en retard est communiqué à Me Gagnon.

[138]    Ayant déjà, et encore, accumulé des retards dans la rédaction de ses décisions depuis qu’elle siège en SAS, Me Gagnon reproche à la direction du tribunal de ne pas lui avoir accordé l’autorisation de prendre des vacances aux dates demandées, alors que la preuve démontre qu’ironiquement cette autorisation lui a été à ce moment refusée parce que présentée en retard.

[139]    Le 6 mars, Me Lejeune rencontre Me Gagnon. II est discuté notamment du respect des délais, autant pour les dossiers dont elle est la rédactrice que pour ceux dont les décisions sont rédigées par ses collègues. Elle se plaint de ses collègues à qui elle attribue ses retards. Après plusieurs rappels à l’ordre, elle consent à revoir l’organisation de son travail.

[140]    Le 20 avril 2015, Me Lejeune rappelle à Me Gagnon son obligation de demander des prolongations lorsque le délibéré va dépasser le délai légal de trois mois, puisque des retards sont constatés dans plusieurs dossiers.

[141]    Le 21 mai 2015, constatant que des retards persistent, Me Lejeune transmet à Me Gagnon la liste des six dossiers pour lesquels les décisions sont en retard et lui rappelle de nouveau son obligation de demander, le cas échéant, une prolongation de délai. Cette démarche ne suscite aucune réaction ou réponse de Me Gagnon.

[142]    Le 26 mai 2015, Me Lejeune tente sans succès de fixer une rencontre avec Me Gagnon pour vérifier l’avancement de son travail. Me Gagnon ne souhaite pas revenir au bureau de Québec parce qu’elle désire terminer sa période de délibéré à son domicile de Baie-Comeau.

[143]    Le Comité constate que même le privilège de Me Gagnon de demeurer à Baie-Comeau pour y délibérer alors que son port d’attache est à Québec, servira de motif à Me Gagnon pour se plaindre du transport que lui occasionnerait une visite à Québec pour une rencontre avec sa supérieure.

[144]    Voulant une fois de plus accommoder Me Gagnon, Me Lejeune accepte que cet entretien se fasse finalement au téléphone.

[145]    En juin 2015, Me Lejeune est informée par certains juges administratifs de l’absence de collaboration et de fiabilité de Me Gagnon, notamment dans la rédaction de ses décisions. Des projets de décisions qui lui ont été envoyés sont restés sans réponse pendant parfois plus d’un mois.

[146]    Le 8 juin 2015, Me Lejeune demande à Me Gagnon de se présenter au bureau de Québec pour évaluer les problématiques qu’elle semble rencontrer avec plusieurs collègues d’expérience au Tribunal.

[147]    Le 11 juin 2015, Me Lejeune tient une rencontre téléphonique avec Me Gagnon qui est encore à son domicile de Baie-Comeau. Il est convenu de tenir cette rencontre par téléphone, pour éviter le temps de déplacement à Me Gagnon, afin qu’elle consacre le plus de temps possible à la rédaction de ses décisions. Me Gagnon a alors neuf décisions qui n’ont pas été rendues dans le délai prescrit.

[148]    Une fois de plus, le Comité constate que bien qu’elle se soit souvent plainte de son temps de déplacement lorsqu’elle siégeait en CETM, Me Gagnon se rend, à tout le moins durant cette période en SAS, fréquemment à Baie-Comeau pour délibérer alors que son bureau, son adjointe et les ressources utiles à l’exercice de ses fonctions sont au siège social du tribunal à Québec. Aucune explication ne sera donnée par Me Gagnon pour expliquer en quoi ces déplacements de plusieurs heures de route seraient plus raisonnables que ceux exigés pour accomplir ses assignations.

[149]    En octobre 2015, Me Lejeune est une fois de plus informée que des projets de décisions soumis à Me Gagnon par des collègues restent sans réponse. Ils lui demandent d’intervenir auprès de Me Gagnon, puisque malgré des offres d’entraide des collègues, celle-ci cumule les retards. Le Comité constate que Me Gagnon ignore les demandes répétées de ses collègues et omet toujours de présenter des demandes de prolongation de délai.

[150]    En novembre 2015, Me Lejeune sollicite Me Gagnon pour une rencontre. Il est précisé que le principal sujet de discussion sera la gestion de ses décisions et de celles soumises par ses collègues.

[151]    Le 26 novembre 2015, Me Lejeune avise Me Gagnon que la situation n’est pas corrigée et que les retards dans les dossiers persistent. Des incidents avec du personnel du Tribunal, l’inquiétude manifestée par plusieurs requérants ainsi que le manque de collaboration avec ses collègues et la direction sont aussi discutés. Me Lejeune avise Me Gagnon que cette situation très malheureuse sera portée à l’attention de la haute direction et que des actions pourraient être envisagées.

[152]    Me Gagnon sollicite un dernier entretien en décembre 2015, avant de partir pour cinq semaines de vacances; cette rencontre a lieu le 14 décembre. À cette date, 22 décisions ne sont pas rendues dans le délai prescrit. Me Gagnon se plaint de sa charge de travail, mais elle s’engage à rédiger quelques décisions durant ses vacances. Elle veut toutefois un engagement que le Tribunal prendra à sa charge les frais de transport pour la transmission des décisions de sa résidence au Tribunal; ce qui est accepté. Malgré cette entente, Me Gagnon ne transmet aucune décision pendant cette période.

[153]    En février 2016, Me Lejeune est à nouveau informée que Me Gagnon n’a pas donné suite à des projets de décision qui lui ont été transmis pour signature en octobre 2015.

[154]    En février 2016, un procureur s’enquiert de la décision d’un recours entendu en octobre 2014. Bien que le deuxième juge administratif qui a entendu le recours ait sollicité Me Gagnon à plusieurs reprises afin qu’elle respecte le délai de délibéré, il ne réussit pas à obtenir de projet de décision avant son départ pour un congé de maladie dont la durée est indéterminée. Devant ces faits, le président du Tribunal a dessaisi Me Gagnon du dossier. Considérant l’important délai écoulé, les parties optent pour que le recours, confié à deux autres juges administratifs, soit décidé suivant la preuve déjà versée au dossier.

[155]    Le 4 mars 2016, 32 dossiers souffrent d’un retard à signer ou à rendre une décision. À ceux-ci s’ajoutent des dossiers pour lesquels des documents sont attendus; il s’agit de recours pour lesquels le délibéré est suspendu jusqu’à ce que les documents requis soient produits. Malgré que les documents aient effectivement été produits dans douze dossiers, Me Gagnon n’a pas repris le délibéré.

[156]    Au moment du dépôt de la plainte, le 29 mars 2016, la situation persiste et s’aggrave quant aux retards reliés à la rédaction des décisions, à la signature des projets soumis par d’autres juges administratifs et quant aux plaintes et inquiétudes manifestées par les parties. De nouvelles demandes sont reçues au Tribunal par des procureurs qui s’enquièrent des raisons pour lesquelles les décisions ne sont pas rendues dans plusieurs dossiers de Me Gagnon, alors qu’ils n’ont pas été informés que le président aurait prolongé le délai de délibéré. Six lettres sont reçues le 23 mars, quatre le 24 mars et trois le 29 mars.

[157]    En juin 2016 elle commence à consulter pour des problèmes physiques et psychologiques. Elle se retrouve alors en congé de maladie. Le Comité constate que ces problèmes de santé ne se déclarent clairement qu’après que Me Gagnon ait fait l’objet de la présente plainte. Malgré l’ampleur de la preuve sur cet aspect, la chronologie des retards ne permet pas d’y voir un motif qui puisse les justifier.

Les retards en SAS constituent-ils une faute déontologique?

[158]    En plus des principes énoncés dans la section sur les délais de rédaction de motifs en CETM, une remarque provenant du rapport d’enquête relatif à la plainte de Mme Bussière[48] sur l’importance de demander une prolongation de délai lorsqu’un juge administratif anticipe de ne pas pouvoir respecter le délai légal mérite qu’on s’y arrête :

[48] Dans son témoignage, Me Laflamme affirme que le vice-président de la Régie examine le dossier, les motifs invoqués et accorde une prolongation pour une certaine date. Surtout, il appert que les parties sont prévenues de la prolongation obtenue. Une telle démarche renforce la confiance du public dans le tribunal administratif en démontrant le respect pour chacun des dossiers. Le justiciable saura que le juge administratif qui a entendu son cas, a obtenu une autorisation pour dépasser le délai, donc qu’il a dû la justifier.

[159]    Le Comité constate qu’il n’y a aucune raison valable qui peut justifier le comportement de Me Gagnon en SAS.

[160]    Il découle de ce qui précède que Me Gagnon n’a pas plus exercé sa charge avec honneur, dignité et intégrité lors de ses assignations en SAS.

[161]    Le Comité constate que le fonctionnement de Me Gagnon, lorsqu’elle a été assignée uniquement en SAS, s’avère très similaire à celui qui prévalait lorsqu’elle était en CETM, au détriment du justiciable souvent en attente d’une révision d’un refus d’une prestation par une autorité gouvernementale :

·           retards à rendre ses décisions;

·           reproches non fondés quant à la disproportion de sa charge de travail;

·           négligence à demander des prolongations de délibéré;

·           désintéressement à rendre jugement avec célérité.

[162]    Voilà qui discrédite la justice administrative et va à l’encontre de l’article 3 du Code de déontologie applicable aux membres du Tribunal administratif du Québec.[49]

[163]    Quant aux arguments plaidés par Me Gagnon, il y a lieu d’en disposer comme suit.

[164]    Prétendre que de prendre le temps de fignoler ses décisions sans se préoccuper des retards qui en découlent relève de l’indépendance du juge administratif s’avère insoutenable et incompatible avec la première qualité d’une décision, qui est d’être rendue. Multiplier les retards sans demander de prolongation c'est agir avec mépris à l’égard des justiciables qui attendent leur décision.

[165]    Le Comité ne retient pas, comme elle le plaide, que l’organisation du travail au TAQ est la source de ses manquements déontologiques. La charge de travail est certes lourde, mais le Comité ne peut retenir qu’elle est déraisonnable.

[166]    Le Comité ne retient pas plus que Me Gagnon a été harcelée comme elle le plaide. Exiger d’elle d’accomplir sa prestation de travail n’est pas du harcèlement, ni de la part de la direction du tribunal, ni de la part de ses collègues qui s’en plaignent.

[167]    Au surplus, il est de la responsabilité du juge de se mettre à l’abri de toute influence ou fragilité qui pourraient avoir une incidence sur son indépendance, sa prestation de travail. Ses conflits personnels avec son locateur, dont elle a témoigné longuement, ne sont aucunement pertinents pour l’exonérer du respect de ses obligations déontologiques.

[168]    Quant à l’argument plaidé à l’effet que le délai prévu dans la loi pour rendre une décision appartient au tribunal et non au juge, il s’agit d’une interprétation saugrenue de celle-ci et un moyen fallacieux pour ne pas faire face à ses obligations. Le tribunal n’existe que par ses membres juges administratifs et seuls ceux-ci sont soumis aux obligations déontologiques prévues au Code. Le tribunal, comme entité, a des obligations mais certainement pas celles prévues dans le Code de déontologie applicable aux membres du Tribunal administratif du Québec[50].

[169]    Le Comité ajoute qu’accepter une nomination de juge administratif n’est pas qu’un privilège, C’est aussi :

·           prendre la responsabilité d’accomplir une lourde tâche de travail au bénéfice des citoyens qui mettent leur confiance entre les mains de celui ou celle qui accepte d’accomplir cette fonction;

·           accepter des contraintes de temps quant aux délais à rendre des décisions, la célérité devant guider le comportement du juge administratif dans l’accomplissement de toutes ses tâches.

[170]    Le Comité est d’avis que le respect des obligations déontologiques par le juge administratif participe activement à l’indépendance du juge. La compétence du juge est cependant nécessaire à son indépendance. Elle en est indissociable. Sans elle, l’indépendance ne peut exister. L’équilibre entre l’une et l’autre est essentiel.

[171]    Dans une société où existe la primauté du droit, le fondement même de cette primauté, où le citoyen met toute sa confiance en ses juges, exige la compétence de ces mêmes juges. Cette compétence nécessite que les juges s’adaptent aux exigences requises par l’exercice de leurs fonctions et qu’ils respectent les exigences de la Loi.

[172]    Le Comité est d’avis que Me Gagnon a manqué à ce devoir et commis une faute déontologique.

 

EN CONSÉQUENCE de ce qui précède, LE COMITÉ D’ENQUÊTE :

 

Déclare que Me Kathya Gagnon a contrevenu aux articles 146 de la Loi sur la justice administrative (RLRQ, c. J-3) et aux articles 2, 3, 9 et 10 du Code de déontologie applicable aux membres du Tribunal administratif du Québec (RLRQ, c. J-3, r.1);

Ordonne la reprise de l’enquête quant à la présentation de preuve et d’arguments sur la sanction.

 

 

____________________________________________

Me Patrick Simard

Président du comité d’enquête

 

 

____________________________________________

M. Simon Julien

 

 

____________________________________________

Me Marie Charest

 

 

 

Procureur du juge administratif :

Me Bruno Lévesque

Lévesque Lavoie avocats inc.

Procureur du Tribunal administratif du Québec :

Me Christian Trépanier

Fasken Martineau DuMoulin SENCRL, s.r.l.

 



[1]    RLRQ., c. J-3

[2]    N.S. 17 mars 2017, p. 252.

[3]    Décret 898-2008 du 17 septembre 2008

[4]    Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-46, art. 672.38ss.

[5]    Ce sont les lieux où se tiennent les audiences en CETM.

[6]    Généralement du lundi au jeudi, avec parfois des vidéo-audience le vendredi.

[7]    Pièce JA-57, par. 120ss.

[8]    De juillet 2015, pièce JA-2.

[9]    Pièce JA-65F.

[10]   Pour les dossiers à l’extérieur cette moyenne est de 3,07 et pour les dossiers locaux, de 2, 23; N.S. 8 mai 2018, p. 197.

[11]   Troubles obsessifs compulsifs.

[12]   Pièce JA-74.

[13]   Équivalent du greffe des tribunaux judiciaires.

[14]   N.S. 2017-02-28.

[15]   Pièce JA-5.

[16]   Cette grille de délibéré se présente sous la forme d’un tableau contenant tous les éléments de dangerosité qui peuvent être évalués dans un dossier.

[17]   Annexe 2.

[18]   Annexe 2.

[19]   Soit alors qu’elle n’entend plus de cause pendant environ 11 mois.

[20]   Annexe 3.

[21]   À l’exception d’une continuation d’enquête.

[22]   Si on divise 427 dossiers par 107 semaines (2 ans et 21 jours) ou par 442 jours de travail (Annexe 4).

[23]   Si on divise 161 dossiers par 28 semaines (du 26/9/2013 au 11/4/2014) on obtient 5,75 motifs/semaine, alors que si c’est par 26 semaines, le résultat est de 6,19.

[24]   Pièces JA-22 à JA-29.

[25]   Annexe 4.

[26]   Pièce JA-81.

[27]   RLRQ, chapitre J-3, r.1.

[28]   N.S. 2017-02-27, pp. 106-107; N. S.2017-02-28, p. 63.

[29]   Pièce JA-22 à JA-29; N.S. 2017-02-27, p. 68 et 124; N.S. 2017-02-28, p. 43.

[30]   S.L. c. Tribunal administratif du Québec, 2017 QCCS 666, par. 123, pièce JA-57, par. 120ss.

[31]   Branco et Moffatt, 2013 CanLII 7401 (QC CJA), par. 10; voir aussi : Ruffo c. Conseil de la magistrature, 1995 CanLII 49 (CSC); LANGLOIS, JOSÉE, « Chronique - L’approche déontologique du Conseil de la justice administrative », dans Repères, juin 2016, Droit civil en ligne (DCL), EYB2016REP1993; LANGLOIS, JOSÉE, Le critère déterminant en déontologie : la confiance du public, Wolters Kluwer Québec, 10 septembre 2012, en ligne : <https://www.wolterskluwer.ca/fr/blog/le-critere-determinant-en-deontologie-la-confiance-du-public/>.

[32]   Gallup c. Duchesne, 1998 CanLII 7058 (QC CM).

[33]   Lamoureux c. L'Écuyer, 1997 CanLII 4664 (QC CM).

[34]   Chartrand et Perron, 2012 CanLII 47189 (QC CJA), par. 62.

[35]   Ordre des architectes du Québec c. Duval, 2003 QCTP 144, par. 11 (CanLII). Voir aussi : Beaudin c. Harvey, 2006 CanLII 74456 (QC CJA), par. 105ss.

[36]   CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE, Principes de déontologie judiciaire, Ottawa, 2004, p. 18, en ligne : <http://www.cjc-ccm.gc.ca/cmslib/general/news_pub_judicialconduct_Principles_fr.pdf>. Voir aussi : Beaudin c. Harvey, 2006 CanLII 74456 (QC CJA), par. 85ss.

[37]   CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE, Principes de déontologie judiciaire, Ottawa, 2004, p. 20, en ligne : <http://www.cjc-ccm.gc.ca/cmslib/general/news_pub_judicialconduct_Principles_fr.pdf>

[38]    Art.1 LJA.

[39] Branco et Moffatt, 2013 CanLII 7401 (QC CJA); Goulet et Collin, 2009 CanLII 50304 (QC CJA); A c. X, 2013 CanLII 101758 (QC CM); Fortin et Moffat, 2010 CanLII 39475 (QC CJA); La Haye et Bélanger, 2014 CanLII 67854 (QC CJA); Belhumeur et als. et Moffatt, 2016 QCCJA 834, 838, 868; Desjardins c Arsenau, 2006 CanLII 74454 (QC CJA); CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE, Principes de déontologie judiciaire, Ottawa, 2004, p. 21, en ligne : http://www.cjc-ccm.gc.ca/cmslib/general/news_pub_judicialconduct_Principles_fr.pdf;

[40] 2006 CanLII 74454 (QC CJA).

[41]   Bussière et Robins, 2015 CanLII 14104 (QC CJA) ; Farmer et Robins, 2015 CanLII 14105 (QC CJA) ; Robins c. Conseil de la justice administrative, 2016 QCCS 1566 ; Conseil de la justice administrative c. Robins, 2017 QCCA 952

[42] Bussière et Robins, 2013 QCCJA 669, 14 mars 2018; Farmer c Robins, 2014 QCCJA 691, 14 mars 2018.

[43]   L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 672.53 (3).

[44]   De juillet 2015, pièce JA-2.

[45]   RLRQ, chapitre J-3, r.1, art. 3.

[46]   Soit la proportion des 427 motifs non rédigés sur les 447 dossiers entendus pendant cette période.

[47]   Ruffo c. Conseil de la Magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267, par. 110.

 

[48]    Bussière et Robins, 2015 CanLII 14104 (QC CJA), renversé mais sur un autre aspect, voir : Robins c. Conseil de la justice administrative, 2016 QCCS 1566 et Conseil de la justice administrative c. Robins, 2017 QCCA 952.

[49]   RLRQ, c. J-3, r. 1

[50]   RLRQ, chapitre J-3, r.1.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.