Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Westboro Mortgage Investment Corp. c. 6379800 Canada inc.

2015 QCCS 5229

JD2646

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GATINEAU

 

N° :

550-17-008414-151

 

 

 

DATE :

Le 12 novembre 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PIERRE DALLAIRE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

WESTBORO MORTGAGE INVESTMENT CORP.,

Demanderesse

 

c.

 

6379800 CANADA INC.,

Défenderesse

 

Et

 

CAROLYN HAGAN,

Mise en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le Tribunal est saisi d'une requête en rétractation de jugement de la défenderesse, condamnée, suite à son défaut de comparaître, à délaisser l'immeuble dont elle est propriétaire, sur la base de l'acte hypothécaire consenti au bénéfice de la demanderesse.

[2]           Malgré que la requête en rétractation de jugement ait été amendée à deux reprises, elle ne pèche pas par excès de limpidité et le Tribunal doit mobiliser toute sa concentration et son énergie pour tenter de comprendre ce qui est allégué dans cette troisième mouture de la requête.

[3]           Il semble en ressortir que la défenderesse se plaint que la requête introductive d'instance lui a été signifiée au greffe alors qu'elle aurait été en mesure de se la faire signifier à l'immeuble hypothéqué.

[4]           À cause de cette signification au greffe, elle n'a appris qu'après que jugement ait été rendu l'existence de ces procédures. Selon sa requête, ses procureurs n'ont obtenu copie du jugement que le 7 août 2015 alors que le jugement a été rendu le 21 juillet 2015.

[5]           Quant à sa requête en rétractation, elle est datée du 14 août 2015, soit à l'intérieur du délai de 15 jours de la connaissance du jugement.

[6]           Tout récemment, la Cour d'appel[1] rappelait les principes qui doivent guider le juge de première instance lorsqu'il est saisi d'une requête en rétractation au stade de la réception. Sur la base de son analyse, la Cour d'appel casse le jugement de première instance qui avait rejeté une requête en rétractation au stade de la réception. La Cour écrit:

« [3]     Il est bien établi qu’à l’étape de la réception d’une requête en rétractation, le tribunal doit se limiter à vérifier si : (i) la requête a été produite dans les délais prévus à l’article 484 C.p.c.; (ii) ses allégations démontrent, de prime abord, l’existence d’un motif de rétractation; et (iii) les moyens de défense invoqués sont prima facie soutenables ou, dit autrement, ne paraissent pas frivoles[3].

 

[4]        Dans un arrêt récent, Mercier c. Bell Canada, la Cour reprend ces principes :

 

[2]       […]. Notre Cour a rappelé, dans l’arrêt Diop c. Sy, les trois conditions qui doivent être satisfaites au stade de la réception:

 

[3]       La partie condamnée par défaut, qui souhaite obtenir la rétractation du jugement, doit, à l'étape de la réception, satisfaire à trois conditions : la demande de rétractation doit être produite dans les délais de rigueur prévus à l’article 484 C.p.c., les allégations de la requête doivent démontrer de prime abord un motif de rétractation et elles doivent faire valoir des moyens de défense prima facie soutenables.

 

[4]       À cette étape, qui sert de filtre, le juge doit simplement s’assurer que les allégations du requérant ne paraissent pas frivoles. Il ne doit pas trancher le fond du dossier. [Références omises]

 

[5]         En l’espèce, ces exigences sont satisfaites.

 

[6]         L’appelante soutient avoir pris connaissance du jugement « sometimes in May 2014 », se disant incapable d’être plus précise. Prenant l’hypothèse qui lui est la plus favorable, soit qu’elle a pris connaissance du jugement le jour où elle a mandaté un avocat pour la représenter, le 13 mai 2014, il faut conclure qu’en déposant sa requête le 28 mai 2014, elle respectait le délai de 15 jours prévu à l’article 484 C.p.c.

 

[7]        Cela dit, même si la Cour avait opté pour un scénario moins favorable, comme l’a fait le juge, elle aurait néanmoins relevé l’appelante de son défaut d’au plus de quelques jours. Les allégations de la requête en rétraction, lesquels doivent être pris pour avérer au stade de la réception, démontrent que l’appelante a été, en fait, dans l’impossibilité d’agir plus tôt [5] au sens du dernier alinéa de l’article 484 C.p.c..

 

[8]        Quant au motif de rétractation invoqué, à savoir la méprise de l’appelante sur la possibilité de comparaître après le délai de dix jours, il appartiendra au juge du fond d’en disposer, et ce, à la lumière de l’ensemble de la preuve, notamment en considérant les faits qui se sont produits depuis l’institution du recours, en juillet 2011, jusqu’au jugement condamnant l’appelante,  en mars 2014.

 

[9]           Enfin, relativement aux moyens de défense invoqués par l’appelante, ils ne paraissent pas frivoles. Si, comme le rapporte le juge, le rapport d’expert de l’intimée révèle la présence d’arcs électriques dans la chambre où a débuté l’incendie, l’appelante est certes autorisée de soutenir, comme moyen de défense, que l’incendie origine d’une lampe défectueuse plutôt que d’une chandelle allumée. Il appartiendra au juge du fond de trancher la question (soulignements ajoutés). »

[7]           Cette longue citation fait ressortir le rôle limité du juge saisi d'une requête en rétractation au stade de la réception. Cette étape sert en quelque sorte de « filtre » dont le juge se sert pour « s'assurer que les allégations du requérant ne paraissent pas frivoles ».

[8]           En l'espèce, les allégations de la requérante, en ce qui concerne le motif de rétractation, permettent de penser qu'elle se plaint de ne pas avoir pu comparaître et se défendre à cause du mode de signification employé et des représentations que lui auraient faites des représentants de la demanderesse à l'époque de l'institution des procédures.

[9]           En ce qui concerne les moyens de défense qu'elle entend faire valoir, ils semblent tourner autour du fait qu'elle prétend ne pas avoir été en défaut de paiement, et que le prêt avait été renouvelé en novembre 2014 contrairement à ce que dit la demanderesse.

 

[10]        De façon pour le moins inhabituelle, la requérante énonce ses moyens de défense dans sa requête en rétractation ré-amendée mais ne les reprend pas dans sa Défense et demande reconventionnelle qui se résume, pour reprendre les mots du procureur de la demanderesse, à une « dénégation générale ».

[11]        Il apparaît évident, pour la suite du dossier, que la requérante devra amender sa défense et demande reconventionnelle afin que ses moyens de défense, qui sont présentement confinés à la requête en rétractation, apparaissent dans la défense et demande reconventionnelle, où ils doivent être allégués.

[12]        Quoi qu'il en soit, malgré que le Tribunal ait de sérieux doutes sur la solidité de ces moyens de défense, et sur la véracité des faits allégués à l'appui des motifs de rétractation, il ne lui appartient pas de trancher au fond. C'est ce qui ressort de l'arrêt de la Cour d'appel cité plus haut.

[13]        En l'espèce, malgré leur côté un peu nébuleux, si les faits allégués sont tenus pour avérés à ce stade, on ne peut dire que les motifs de rétractation sont sans mérite et que les moyens de défense sont frivoles.

[14]        Par conséquent, la requête en rétractation, au stade de la réception, doit être accueillie.

La demande d'ordonnance de sauvegarde

[15]        Le procureur de la demanderesse a souligné que la requérante occupe toujours l'immeuble sans payer quoi que ce soit alors qu'en vertu du jugement visé par la rétractation, la demanderesse en est maintenant propriétaire.

[16]        Il demande verbalement que des mesures de sauvegarde soient mises en place de façon à ce que, d'ici à ce que jugement soit rendu sur le rescindant et le rescisoire, la requérante ne puisse occuper les lieux sans payer quoi que ce soit, dans un contexte où le prêt hypothécaire qu'elle prétend avoir été renouvelé prévoit des versements mensuels de 8 990 $ par mois.[2]

[17]        Aussi, il demande que la demanderesse puisse inspecter l'immeuble dont elle est propriétaire en vertu du jugement pour en vérifier l'état à des intervalles raisonnables.

[18]        Le procureur de la requérante indique par ailleurs que sa cliente ne s'objecte pas à de telles mesures si sa requête est accueillie au stade de la réception.

[19]        Ma collègue la juge Line Samoisette a déjà rendu une ordonnance de cette nature, s'appuyant sur l'article 46 C.p.c., dans un cas de rétractation de jugement.[3]

[20]        Comme ici, la requérante acceptait, au moins en partie, la mise en place de mesures de sauvegarde.

[21]        Dans ce contexte, il y a lieu d'ordonner à la requérante de déposer auprès du procureur de la demanderesse un montant de 8 990 $ à chaque mois pendant l'instance, à compter du 1er décembre 2015, ce montant ne pouvant être retiré du compte en fidéicommis qu'avec l'accord des parties ou suite à un jugement final.

[22]        Il y a aussi lieu d'ordonner à la requérante de permettre à un représentant de la demanderesse d'inspecter l'immeuble pour en vérifier l'état pendant l'instance, une fois par mois.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[23]        REÇOIT la requête ré-amendée en rétractation de jugement;

[24]        SURSEOIT l'exécution du jugement rendu par le Greffier spécial contre la défenderesse et la mise en cause le 21 juillet 2015;

Et, sur la requête en ordonnance de sauvegarde:

[25]        ORDONNE à la défenderesse de déposer auprès du procureur de la demanderesse un montant de 8 990 $ à chaque mois pendant l'instance, à compter du 1er décembre 2015, ce montant ne pouvant être retiré du compte en fidéicommis qu'avec l'accord des parties ou suite à un jugement final.

[26]        ORDONNE à la requérante de permettre à un représentant de la demanderesse d'inspecter l'immeuble pour en vérifier l'état pendant l'instance, une fois par mois.

[27]        DÉCLARE qu'à défaut de se conformer à la présente ordonnance, la défenderesse sera forclose de contester la demande introductive d'instance;

[28]         Frais à suivre le sort du litige.

 

 

__________________________________

      PIERRE DALLAIRE, J.C.S.

Me Pierre Leduc

Procureur de la demanderesse

Leduc Isabelle, avocats

 

Me Pierre-David Gagnon

Procureur de la défenderesse et mise en cause

Municonseil avocats inc.

 

Date d’audience :

9 novembre 2015

 



[1] McKirdy c. AXA Assurances Inc. 2015 QCCA 1684 (les références sont omises)

[2] Pièce P-1.

[3] Auberge Albatross (2001) Inc. c. Groupe gestion immeubles Fakhri Inc. 2009 QCCS 3248

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.