Décision

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Personne désignée c. R.

2022 QCCA 406

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-007758-228

(  -00-000000-000)

 

DATE :

23 mars 2022

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

 

Personne désignée

APPELANTE – accusée

c.

 

Sa Majesté la Reine

INTIMÉE - poursuivante

 

 

 

ARRÊT

VERSION PUBLIQUE CAVIARDÉE

 

 

 

 

[1]                L'arrêt de la Cour a été rendu et signé le 28 février 2022. En raison du privilège de l'informateur, la Cour a consulté les parties pour recevoir leurs commentaires sur une proposition de caviardage.

[2]                Après cette consultation, un caviardage additionnel et quelques corrections de pure forme ont été apportés. La nouvelle version de l'arrêt qui se trouve en annexe est le fruit de ce processus. La version originale de l'arrêt du 28 février et la version ainsi corrigée demeurent sous scellés. La version caviardée est publique.

 

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

               

             

             

Procureurs de l’appelante

 

           

             

             

Procureurs de l’intimée

 

Date d’audience :

         

 


ANNEXE

 

 

 

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-007758-228

(  -00-000000-000)

 

DATE :

 

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

 

Personne désignée

APPELANTE – accusée

c.

 

Sa Majesté la Reine

INTIMÉE - poursuivante

 

 

ARRÊT DU 28 FÉVRIER 2022

(VERSION PUBLIQUE, CORRIGÉE ET CAVIARDÉE)

 

 

[1]                L'appelante[1] se pourvoit contre une déclaration de culpabilité prononcée     —— - [date] par juge          — —        ,district de       , découlant du rejet d'une requête en abus de procédure par jugement rendu le          - [date].

Introduction

[2]                En     [date], le                                    -[Z] se dit victime d’un crime en cours, soit                                                                   [nature du crime et un aspect du modus operandi]. L’appelante, Personne Désignée (« PD »), connaît                            . À la demande                                - PD                                    - [précisions sur la victime et l’implication générale de PD].

[3]                En fait, les parties s’entendent sur la trame générale qui implique PD                            [l’implication de PD]. PD est donc partie au crime                                      [un aspect du modus operandi]. Aux fins de l’appel, le crime en cause sera désigné comme le dossier X.

[4]                      - [laps de temps écoulé] plus tard, comme il sera plus amplement expliqué, PD devient un indicateur de police[2]. Puis, retournement de situation, elle est accusée et déclarée coupable de sa participation dans le dossier X après en avoir elle-même révélé l’existence aux policiers. Lors de son procès, PD prétendait que l’accusation portée contre elle constituait, dans les circonstances, un abus de procédure. Elle n’a pas convaincu le juge. Elle avance en appel que la conclusion de ce dernier est erronée.

[5]                L’appel proposé explore l’entente entre un indicateur et les policiers. Plus précisément, suppose-t-elle une promesse ou, au contraire, l’absence de promesse d’une protection contre une accusation pour les crimes avoués ?

[6]                Afin de parfaire l’argumentation présentée sur cette question, à l’audience, la Cour a demandé aux parties des commentaires additionnels sur la pertinence des principes énoncés dans les décisions Banque de Montréal c. Bail ltée, [1992] 2 R.C.S. 554, Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, [2018] 3 R.C.S. 101, et R. c. Talon, 2006 QCCS 3029, pour évaluer l'entente entre les policiers et PD. Le           [date], la formation avait reçu les observations écrites des parties et la réplique de l'appelante.

Remarques liminaires sur le procès secret

... Au Canada, comme dans toute société véritablement démocratique, on s’attend à ce que les débats judiciaires soient publics et à ce que le public ait accès à l’information. Toutefois, de temps à autre, la sécurité de personnes ou de groupes, le respect du droit à la vie privée et la protection de l’intégrité du système judiciaire dans son ensemble exigent que certains renseignements soient gardés secrets.

Personne désignée c. Vancouver Sun, [2007] 3 R.C.S. 253, par. 1 (soulignement ajouté).

[7]                Comme dans l’affaire R. c. Bacon, 2019 BCCA 458 et 2020 BCCA 140, tant en première instance qu’en appel, les parties avaient requis de procéder à huis clos, sans même que la cause n'apparaisse au rôle. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique exprime beaucoup d’inquiétudes face à cette situation : Bacon, 2020 BCCA 140, par. 68-70. Ces inquiétudes sont partagées.

[8]                Certes, l’article 486 C.cr. autorise l’exclusion du public. D’une part, le point de départ est minimalement qu’un dossier soit ouvert et qu’une cause soit placée au rôle. D’autre part, la disposition exige de soupeser divers facteurs. Pour cet exercice, il faut bien un minimum de publicité, comme le veut d'ailleurs la logique du Règlement de la Cour du Québec, RLRQ, c. C-25.01 et notamment son article 6. La Cour partage les propos de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique lorsqu’elle écrit :

[70]    Such secrecy in the court process is an anathema. A court should not hide the fact a hearing is proceeding. Listing a case as an in camera proceeding provides slim information to the public but it is not nothing. In the minimum, doing so informs the public that the court, which is their court, is grappling with the case listed. It allows the public to keep track of the closed proceedings and it allows for applications to the court in respect of the closure: e.g., Dagenais v. Canadian Broadcasting Corp., [1994] 3 S.C.R. 835. In our respectful view, proceedings that do not allow for that minimal degree of oversight should not occur.

[9]                On ne saurait trop insister sur l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires au pays. Comme l’a souligné la Cour suprême, ce principe « englobe davantage que la seule exigence selon laquelle la justice ne doit pas être rendue secrètement » puisque la publicité des débats est notamment importante pour que le public soit « convaincu de la probité des actions des juges » : Endean c. Colombie Britannique, [2016] 2 RCS 162, par. 83-84. Ces constats valent tout autant, sinon plus, dans le contexte d’un procès criminel.

[10]           Dans l’arrêt Mentuck, la Cour a eu l’occasion de se prononcer de manière incidente sur l’importance du droit à un « procès public » protégé par l’al. 11d) de la Charte. Elle faisait remarquer que pour un accusé, ce droit « garantit que le système judiciaire continue de tenir des procès équitables, et non pas de simples apparences de procès ou de procédures où la culpabilité est décidée d’avance. La surveillance du public garantit que l’État respecte le droit d’être présumé innocent et n’intente pas des procédures inéquitables (voir Dagenais, précité, p. 883) » ainsi que rendre justice à une personne acquittée et autrement, « l’accusé n’a guère de possibilité de rendre public son point de vue » : R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442, par. 53-54.

[11]           Dans la présente affaire, les parties se sont entendues pour procéder à huis clos[3]. Pour bien marquer la nature de ce qui s’est produit, le pléonasme « huis clos complet et total » illustre encore mieux le choix des parties, avalisé par le juge de première instance, concernant le procès de l’appelante. En outre, aucun numéro formel ne figure sur le jugement étoffé du juge du procès, les témoins ont été interrogés hors de cour, les parties ont demandé au juge de trancher sur la base des transcriptions, dans le cadre d’une audition secrète et le jugement a été gardé secret. En somme, aucune trace de ce procès n’existe, sauf dans la mémoire des individus impliqués.

[12]           Cette façon extraordinaire de procéder n’échappe pas au juge de première instance qui, d’entrée de jeu, cite l’arrêt Personne désignée c. Vancouver Sun, [2007] 3 R.C.S. 253, et explique que la revendication du privilège de l’indicateur, évidente selon lui, le justifiait de ne pas envoyer un préavis aux médias.

[13]           La requête pour proroger le délai d’appel a été accueillie, encore une fois sous le sceau du huis clos complet, tout en prenant soin de déférer « à la formation qui entendra l'appel la question d'ordonner à tout moment la levée du huis clos ». Un dossier d’appel a été ouvert de façon parallèle à la procédure habituelle. L’audition s’est déroulée dans le secret absolu.

[14]           De l’avis de la Cour, après examen du dossier, cette façon de procéder était exagérée et contraire aux principes fondamentaux qui régissent notre système de justice. Un dossier au greffe de la Cour sera donc ouvert, sujet à une ordonnance de le garder sous scellés.

[15]           La Cour est d’avis que si des procès doivent protéger certains renseignements qui y sont divulgués, une procédure aussi secrète que la présente est absolument contraire à un droit criminel moderne et respectueux des droits constitutionnels non seulement des accusés, mais également des médias, de même qu’incompatible avec les valeurs d’une démocratie libérale. Comme le rappelait le juge Kasirer, pour une Cour unanime, « [l]e pouvoir d’imposer des limites à la publicité des débats judiciaires afin de servir d’autres intérêts publics est reconnu, mais il doit être exercé avec modération et en veillant toujours à maintenir la forte présomption selon laquelle la justice doit être rendue au vu et au su du public » : Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, par. 30.

[16]           S’il est vrai que le privilège de l’informateur doit être absolument protégé, sauf si l’innocence d’un accusé est manifestement en jeu, comme le souligne la Cour suprême dans plusieurs arrêts, dont l’arrêt R. c. Basi, [2009] 3 R.C.S. 389, au par. 37, le procès lui-même doit être public, sujet à des ordonnances spécifiques de non-publication ou de huis clos partiel.

[17]           Par conséquent, les présents motifs sont rédigés pour être publics, sous réserve d’un caviardage, puisque l’affaire met en cause des principes importants concernant le traitement des informateurs par les policiers.

[18]           Le fait d’accuser un informateur du crime qu’il dénonce lui-même comporte son lot de problèmes, notamment en entraînant inévitablement une violation du droit à un procès public de l’accusé et la violation des droits des médias.

Le contexte

[19]           L’enquête policière        - s’amorce après une plainte générale et des motifs de croire que des crimes                - sont commis                 [nature du crime et service de police].

[20]           PD                            - est aussi          — —                                                  -Or, indépendamment de                                    — —            - [situation générale de PD].

[21]           Vers le          - [date], l’enquête policière s’intéresse donc à      — —   [sujet de l’intérêt auquel] PD                 [lien entre PD et le sujet de l’intérêt]. Deux policiers, A [4] et B  se présentent           afin de l’interroger en sa qualité de témoin. Pour le policier A , s’il constate que PD semble nerveuse en raison de leur présence, rien de bien particulier ne ressort de cette rencontre, qui dure environ 45 minutes, sinon des informations générales            — — — —                                              — — - [sujet du premier échange]. Le policier A  laisse sa carte et ses coordonnées à PD à la fin de l’entretien, pour le cas où elle aurait de l’information à lui fournir.

[22]           Peu de temps après cette rencontre, PD discute du sujet avec un autre agent du même corps de police, le policier C ,                         — —                          - [le contexte]. Le policier C  rencontre par la suite le policier A  et ce dernier lui dit qu’il souhaite la collaboration de PD.

[23]           Plus tard, le policier A apprend du policier C que PD lui a remis une lettre faisant état d’                                     [nature du crime]. Le         [date], le policier C  remet ce document à son collègue A puis, sachant que le service de police voulait recruter PD, il organise une rencontre entre celle-ci et le policier A .

[24]           Cette rencontre, qui a pour but de recruter PD comme indicateur, se tient               [date]. Le policier C  fait les introductions puis il se retire de la rencontre, laissant PD avec les policiers A  et B . L’entretien a lieu dans une minifourgonnette de la police. Le trio se déplace pour s’arrêter dans un stationnement aux abords d’un parc. À ce moment, l’objectif des policiers est d'obtenir la collaboration de PD à titre de source humaine. PD exprime sa préoccupation, souhaitant que sa collaboration avec la police demeure secrète.

[25]           C'est lors de cette rencontre que sont données à PD les premières explications sur le rôle et les limites de l’indicateur de police. Le policier A  témoigne sur les explications données. Voici le passage que cite l’intimée dans son exposé et qui constitue l’essentiel de ce qu’a dit le policier A à PD :

Mais j'explique le, le privilège d'informateur que ce que, euh ce qui est dit à la police à titre de, d'indicateur reste confidentiel, on protège son identité et puis…     [que PD] n'aura pas à témoigner par rapport à, à ses, à ses propos euh qui sont livrés à la police. J'explique J'explique aussi la différence avec un agent qui lui devra témoigner probablement et qui, qui agit, qui agit euh selon les indications de la police. Euh je survole un peu, chaque fois que je rencontre une source je survole les, les grandes lignes. Je parle notamment de, de la confidentialité d'une relation euh je parle de l'importance de, de, de pas agir euh selon, de pas agir à titre d'agent de la police.

Donc c'est vraiment de rapporter, c'est des yeux… l'exemple que je donne c'est des yeux, oreilles de la police, donc de rapporter ce qui vient à leur connaissance. Euh j'ai, je parle du fait qu'y faut pas s'impliquer dans de, des crimes. Euh que les gens ne bénéficient pas d'immunité, euh c'est les _____, des, des, des, les grandes lignes d'usage que je donne habituellement aux sources humaines, surtout la, la relation employeur-employé, je dis qu'y a pas de relation d'employeur-employé si une personne décide de                        - [service de police] collaborer avec       [nous ; service de police].

Et euh je… la, la, la conversation se conclut sur euh, sur quelque chose comme on va se rappeler, on se donnera des nouvelles, je pense que                          - [période] puis je sais pas si c'est              - [PD]                      - [période] ou nous… en tout cas bref on, on s'est laissés là-dessus puis ça a pris quand même environ un mois avant que, qu'on ait un nouveau contact pour, pour échanger.

Q : À cette rencontre-là euh quand… est-ce que euh le sujet de la véracité des propos qu'y pourrait vous donner est abordée ?

R : Hum je pourrais pas vous dire.

Q : Est-ce qu'à cette rencontre-là le sujet de, d'immunité est abordé de quelque façon que ce soit.

R : Euh peut-être pas, peut-être pas avec le mot immunité mais je fais toujours référence à, à un geste. Par exemple ce que je peux dire souvent aux sources c'est si tu te fais prendre euh dans un acte criminel, tu vas te faire, tu vas te faire accuser comme n'importe qui d'autre. C'est des choses que je dis sans nécessairement utiliser le mot immunité mais je parle de, du fait que si une source est, est, est impliquée dans un crime mais elle ne bénéficie pas d'immunité.

[Retranscrit tel quel; souligné blanc dans

l’original; autres soulignements ajoutés.]

[26]           PD doit réfléchir à l’idée de devenir indicateur.   — ——         [référence temporelle]. Il s’écoule un mois avant le contact suivant, une rencontre tenue          - [date]. Le policier A  ne peut dire sur qui repose l’initiative de celle-ci. Au moins              [nombre d’événements] pertinents à l’enquête sont discutés, mais les détails du dossier X ne le sont pas.

[27]           Ce deuxième entretien, qui durera quelque 75 minutes, se déroule dans un parc municipal, les participants étant assis à une table de pique-nique. PD rencontre les policiers A  et son supérieur, le policier D , qui l’accompagne en raison de l’absence du policier B . Il s’agit de l’unique interaction du policier D  avec PD.

[28]           De cette rencontre, le policier A  a peu de souvenirs. Il rapporte très généralement qu’il se serait assuré de nouveau que PD comprend que leur relation doit demeurer confidentielle, que, en tant qu’indicateur, elle ne bénéficie pas d'une immunité (bien qu’il n’ait pas utilisé ce terme) contre les crimes qu’elle commettrait et qu’il n’existe pas de relation employeur-employé entre elle et le service de police.

[29]           Le policier D  témoigne avec plus de détails de la rencontre et de ce qu’il a compris des explications données à PD sur son rôle comme indicateur, des aspects qui intéressent l’appel. Voici ce qu’il raconte, d’abord en interrogatoire :

Q : Et euh, à cette rencontre-là euh, euh, qui est celui qui va parler à, à [PD] ?

R : C'est [le policier A] qui entretient de façon ma… majoritaire là [PD]. Je me rappelle d'une euh, d'une intervention euh, de mémoire je dirais qui dure environ cinq minutes auprès de [PD] où je lui explique l'importance et le, le fait primordial de, de dire la vérité et toute vérité dans une relation de source. Euh, j'ai expliqué pourquoi —————— [PD] est indicateur pour la police [PD] a pas son droit au silence pis ——————————————————— [ce que PD] a dit… nous dit mais peut pas être retenu contre [PD] ——————————————————— [PD] comprenait mais je voulais vraiment mettre l'emphase là-dessus pis je me suis présenté comme étant le superviseur et l'enquêteur principal euh, pis qu'on était con… content de l'avoir avec nous pour euh, éclaircir certaines choses. Mais je me rappelle d'avoir beaucoup euh, stressé ce point-là, là, l'im… l'importance de dire la vérité.

Q : Est-ce que il est question durant cette rencontre-là à quelque moment que ce soit euh, d'immunité ?

R : Non, jamais. Euh, jamais d'immunité euh, euh…

Q : Je dis pas que ça lui est promis mais est-ce que le sujet de, de l'immunité est, est discuté d'une façon quelconque ?

R : Pas, pas de mémoire euh…

Q : O.K.

R : Ça s'approche même pas de l'immunité. Mais comme j'ai dit juste… J'ai, j'ai juste dit à [PD] que étant donné [que PD] avait pas le droit au silence dans une relation de source et bien tout ce [que PD] nous disait pouvait pas être retenu contre [PD] . Euh, l'immunité euh, je suis conscient que c'est la prérogative des euh, des procureurs.

[30]           Puis, en contre-interrogatoire, il explique :

Q : O.K. Qu'est-ce que vous lui avez expliqué quant à son rôle et votre rôle ?

R : Son rôle avait déjà été expliqué par euh [le policier B] et [le policier A], ils lui avaient déjà expliqué euh c'était quoi pour [le service de police] une source humaine et à quoi [PD] pouvait euh, à, à quoi s'attendre de cette relation-là. Ils lui ont expliqué les paramètres comme c'est toujours fait euh avant d'entrer en relation. Donc on explique les règles du jeu. Moi ce que j'ai fait c'est pas vraiment ça, c'est plus mettre, je me rappelle très bien d'avoir mis l'accent sur le, sur l'importance de dire la vérité puis d'expliquer les, les histoires qui se sont passées au complet dans le fond.

Q : Hmm, hmm.

R : Pis que c'est un environnement qui était, qui était sécure pis pourquoi, pourquoi ça l'était etc…

Q : O.K. Lui avez-vous dit que euh —— [que PD] devait tout vous dire, [que PD] pouvait tout vous dire euh même [si PD] avait fait des choses pas correctes ?

R : Oui, tout à fait.

Q : Euh donc vous, et est-ce que j'ai raison de dire vous lui avez dit que ce qui vous intéressait c'était pas de savoir [si PD] avait fait des choses pas correctes ou pas mais [que PD] vous le dise et que vous connaissiez tous les faits ?

R : Que je con…

Q : Mais c'est-à-dire que vous, vous n'étiez pas intéressé à, poursuivre [PD] là, c'est-à-dire que c'était pas [PD] qui était l'objet de votre, de votre enquête et vous vouliez que [PD] vous donne des informations ?

R : Tout à fait, oui.

[Retranscrit tel quel; soulignements ajoutés.]

[31]           Accessoirement, PD n’a pas encore un numéro de source, mais elle en est une, dans les faits, aux yeux des policiers.          -[date], une demande de numéro de source est déposée auprès du service de police. Ce processus de vérification, dont les paramètres ne sont pas précisés, est en cours et valide la candidature de PD comme indicateur « codé ».               [date], un numéro de source lui est formellement attribué. Ses contrôleurs sont les policiers A  et B .

[32]           Le prochain contact est une autre rencontre entre PD et les policiers A  et B . Elle se tient le             [date] dans une chambre d’hôtel. Il s’agit de la seconde rencontre à titre d’indicateur et la première après la reconnaissance officielle de ce statut par le service de police. Sa durée est d’environ 90 minutes. Seront abordés neuf sujets, soit                    — —    - [sujets discutés] autres éléments d’intérêt.

[33]           Le policier A  explique que          [objet de la discussion] sont discutés et que, pour la première fois, PD donne des informations sur le dossier X qui, à charge de redite, n’apparaissait absolument pas sur le radar des enquêteurs. C’est le seul dossier pour lequel PD dévoile sa propre implication.

[34]           PD explique aux policiers                                                                                                    —————————————————————                                                                                                                                       [implication détaillée de PD dans le dossier X].

[35]           Il n’est pas utile d’entrer dans plus de détails. On peut conclure que dans la description qu’elle fait alors du dossier X, PD est clairement une participante au sens du droit criminel. C’est ce qu’admettra finalement le policier A en contre-interrogatoire.

[36]           Le policier A  reconnaît en effet qu’au moment de recevoir ces informations, la version de PD soulevait déjà chez lui des soupçons et des questions sur son véritable rôle. Cependant, il ne lui pose aucune question concernant son rôle précis, ni pour connaître et comprendre le contexte de l’affaire comme, à titre d'exemples, la manière dont                                               [modus operandi] ou les circonstances dans lesquelles                                                       [modus operandi].

[37]           Le policier A  sait pourtant que PD lui explique avoir participé au dossier X, un crime. Voici son témoignage :

Q : Alors si on, on, on résume, vous saviez après                                          - [date à laquelle PD avait été impliquée] dans cette              - [nature du crime] nous sommes d'accord?

R : Euh, maître, je veux juste souligner une chose.

Q : Oui.

R : Je veux pas relier [PD]                            -, à ce moment-là, tout ce que je sais c'est [que PD] agit, en quelque sorte,                          - [nature du crime]           [circonstance de l’implication de PD]. C'est tout ce que je peux affirmer par rapport à mes notes.

Q : Je comprends par rapport à vos notes. Sauf que ce que je vous dis c'est que après le                                   [date à laquelle vous savez que PD a été impliquée] dans cette histoire-là?

R : [Que PD est] impliqué dans l'histoire, oui.

Q : Donc, qu'il y a eu [un crime]                            -?

R : Ça, on peut dire ça oui.

Q :                    - [Que PD a été sollicitée]                    [circonstance de l’implication de PD]?

R : Oui.

Q :                            - [implication]?

R : Exact.

Q : Donc, donc vous saviez cela?

R : Oui.

[…]

Q : Alors. Est-il exact de dire que dans vos notes et que dans la discussion que vous avez eue, il y a aucune question qui est posée à [PD] sur le rôle précis [que PD] a joué dans cette affaire? Est-ce que j'ai raison?

R : À ce moment-là euh, non, il y a aucune autre question _____...

Q : O.K. Aucune question qui portait sur                                    - [modus operandi]? C'est exact?

R : Oui, _____, on l'a pas demandé.

Q : Ni par qui                  - [modus operandi]? C'est exact?

R : Exact.

Q : Comment                  - [modus operandi]? C'est exact?

R : Exact.

Q : Et comment                       [modus operandi]?

R : Exact.

Q : Sauf que [PD] vous a avoué                      - [implication] ?

R :                             [implication] oui.

[Retranscrit tel quel; soulignés blancs dans l’original.]

[38]           Le policier A  admet finalement qu’à ce moment, PD s’incriminait                                  - [nature du crime], dans ces circonstances,                 [nature du crime]. Le policier D comprend aussi qu’à partir de ces mêmes faits, on peut penser qu'un crime a été commis.

[39]           Pourtant, rien n’est fait. Aucune démarche, aucune mise en garde. La relation se poursuit.

[40]           Le           [date], une troisième rencontre a lieu, d’une durée d’environ 45 minutes, dans une voiture banalisée. Les policiers A  et B  apprennent l’implication plus précise de PD dans le dossier X, soit                                            - [modus operandi]. Encore là, aucune réaction particulière.

[41]           Toutefois, au cours de la rencontre, les policiers apprennent que PD                                  [action risquant de compromettre le statut de PD]. Ils n’ont alors pas hésité et ils ont « remis les pendules à l'heure concernant        ——           [statut de PD] ». Le policier A  reconnaît néanmoins que, sur le coup, cela n’a pas affaibli son lien de confiance ni ne l'a porté à croire que   ——    ——   [action risquant de compromettre le statut de PD] justifiait de mettre un terme à la relation d’indicateur ; sa seule préoccupation, dit-il, était   ——    [statut de PD] de PD.

[42]           Le           [date], le policier A  discute au téléphone avec PD afin de s’assurer qu’une démarche d’enquête envisagée dans     [autre événement] ne mettait pas en jeu son identité.

[43]           Pourtant, le policier A  ne fait aucune vérification similaire à propos de l’enquête qu’il amorce sur le dossier X dans les jours suivants,                         [date]. Les policiers A  et B  décident alors d’enquêter sur les informations reçues de PD et plus particulièrement sur les rencontres dans                                                                                                                                                                             [démarches spécifiques d’enquête]. Le policier A  laisse sa carte                  - [personne rencontrée]. Les enquêteurs retiennent de ces rencontres que PD décrivait bien un crime                                               .

[44]           Pour cette raison, dès le lendemain,            - [date], le policier A  communique par téléphone avec PD et lui explique qu’elle doit révéler sa véritable implication dans le dossier X et plus particulièrement si elle                     [modus operandi]. Sur le coup, PD lui répond que non, puis qu’elle ne se souvient pas, avant que la conversation ne bifurque sur un autre aspect de l’enquête.

[45]           Encore une fois, le policier A  témoigne qu’il n’a pas ressenti le besoin de rencontrer PD pour préciser les choses.

[46]           Le                 [date], [W] communique avec les policiers. Ceux-ci obtiennent une version qui décrit le rôle de PD dans le dossier X                                                                                                                                                  [nature du crime et modus operandi]. Il affirme que PD                         [implication de PD]. PD      ——                                                                                                                      — — — — —                       - [nature du crime et modus operandi]. Les policiers obtiennent une                          [de W].       — — — — —                                                  [déclaration décrivant l’implication de PD], mais        [W place PD] définitivement au cœur du crime avec une participation plus importante qu’elle ne l’avait elle-même laissé entendre jusqu’à ce jour.

[47]           Les policiers se disent alors sous le choc. Après consultation avec le ministère public,                                                                                        -, [démarches administratives] le service de police décide de mettre fin à la relation d’indicateur avec PD pour deux motifs : un manque de transparence (avoir menti ou ne pas avoir dit toute la vérité) et avoir                                              [action risquant de compromettre le statut de PD].

[48]           PD apprendra par          que les policiers ont reçu de l’information              [identité]                - [date] elle communique avec le policier A . PD est nerveuse et rappelle le policier le              - [date],                          [information risquant de compromettre le statut de PD].

[49]           La dernière rencontre se déroule le          - [date], alors que les policiers ont préalablement pris la décision de mettre un terme à la relation d’indicateur avec PD. Elle s’amorce sans mention de cette décision et il s’agit de la plus longue rencontre des policiers avec PD, soit 2 heures et 20 minutes.

[50]           Cette rencontre a lieu dans une chambre d’hôtel. PD fournit d’abord aux policiers des informations     ——       [autres événement]. Ensuite, une fois ces informations obtenues, les policiers questionnent PD sur le dossier X et lui demandent de commenter certains éléments de preuve.                                                        - PD, qui reconnaît alors son implication complète, c’est-à-dire qu’elle a participé                                            - [démarches d’enquête et nature du crime].

[51]           À la fin de cette rencontre, les policiers avisent PD que leur relation est terminée et qu’il lui reste essentiellement deux options : renoncer à son privilège d’indicateur et témoigner contre les autres participants du dossier X,    ——           [identité] ou être elle-même accusée. Comme il a été mentionné, PD a été accusée.

La requête en abus de procédure et la décision

[52]           Au procès, l’appelante a concentré ses efforts sur une requête en demandant l’arrêt des procédures. La requête invoquait deux volets, soit la violation du droit à un procès dans un délai raisonnable et l’abus de l’État dans la mise en œuvre des accusations. Le premier volet n’est plus en cause en appel.

[53]           Sur l’autre volet, l’appelante reprochait plusieurs fautes aux policiers, lesquelles débouchaient sur la conclusion que leur comportement constituait un abus de procédure au sens du droit.

[54]           PD prétendait que les policiers avaient agi de façon contraire à leur devoir absolu de protéger l’identité de leur source. Selon ses prétentions, ils avaient mis à risque son identité en approchant                - [identité] sans avoir obtenu de sa part le portrait d’ensemble. Pourtant, ils en savaient suffisamment pour former des motifs raisonnables de croire que PD avait participé au crime visé par le dossier X. Ils savaient aussi qu'en poussant leur enquête                     [identité], ils créaient une situation dangereuse et impossible pour leur informateur.

[55]           Dans ces circonstances, PD faisait grief aux policiers d'avoir utilisé deux prétextes pour mettre fin à la relation d'indicateur. En premier lieu, les policiers auraient invoqué à tort un mensonge à propos de son implication dans le dossier X. En second lieu, ils lui auraient reproché à tort d’avoir contrevenu à son obligation                         [action risquant de compromettre le statut de PD].

[56]           En décidant de mettre fin unilatéralement à leur collaboration et par la manière dont ils l’ont fait, les policiers auraient piégé PD. Ils auraient manœuvré pour la placer devant un choix impossible : révéler sa collaboration et témoigner ou être elle-même accusée.

[57]           Puisque PD a été accusée, subsidiairement, elle avançait que l’utilisation de la preuve dérivée des informations qu’elle avait fournies était abusive et rendait le procès inéquitable. PD en demandait l’exclusion.

La décision

[58]           Le juge rejette la requête en abus de procédure. Il fait un résumé correct du droit applicable, citant notamment l'arrêt R. c. Babos, [2014] 1 R.C.S. 309.

[59]           En résumé, le juge rappelle que l'arrêt des procédures pour abus est la réparation la plus draconienne en droit criminel. En principe, les cas qui donnent ouverture à ce remède sont rares et doivent être manifestes. Le juge rappelle ensuite les deux catégories d'abus de procédure, soit la catégorie principale qui regroupe les conduites étatiques qui compromettent l'équité du procès et la catégorie résiduelle, soit les conduites étatiques qui, tout en n'affectant pas l'équité du procès, risquent de miner l'intégrité du processus judiciaire. La partie qui l’invoque a le lourd fardeau de le démontrer, l’exercice étant par définition difficile.

[60]           Dans l’évaluation des situations de la catégorie résiduelle, il faut notamment soupeser la nécessité d'arrêter les procédures et celle de tenir un procès en dépit de la conduite contestée. Par conséquent, il faut envisager la possibilité que des réparations autres que l’arrêt des procédures permettent au système de justice de se dissocier suffisamment de la conduite fautive. Cependant, plus la conduite est grave, plus il sera difficile pour le système judiciaire de s’en dissocier et de faire néanmoins primer la nécessité de tenir un procès (plutôt que de prononcer l’arrêt des procédures). Lorsqu'elle choque la conscience de la communauté ou heurte son sens du franc-jeu et de la décence, il est peu probable que l'intérêt de la société dans la tenue d'un procès complet sur le fond l'emporte au terme de la mise en balance.

L’absence d’immunité

[61]           Le juge rappelle le rôle important des sources dans les enquêtes policières, citant R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979, p. 994. Le droit reconnaît que l’identité d’une source jouit d’une protection absolue. Avec raison, il souligne cependant que le droit ne reconnaît pas d’emblée ni ne confère l’immunité à la source à l'égard d'infractions criminelles commises. Il conclut que les policiers n'avaient jamais promis cette immunité et que l'appelante ne pouvait pas raisonnablement comprendre autrement.

La source n’a pas dit la vérité

[62]           Le juge conclut que PD a été clairement avertie qu’elle devait dire la vérité. Elle s’y était engagée et n’a pas respecté cet engagement. À cet égard, il retient que « [l]es distorsions entre les renseignements fournis et les faits révélés par l'enquête ne concernent pas des détails périphériques de l'affaire, mais plutôt des éléments importants ». Par conséquent, face aux différentes déclarations faites par PD, les policiers étaient justifiés de comprendre qu’elle n’avait pas dit toute la vérité. Ces distorsions ne s’expliquaient pas par un problème de mémoire, comme le prétend PD, puisque la qualité des informations fournies dans d'autres           — - [événements] ne présentait pas ce problème. Il rejette donc cette explication et tranche que PD a voulu cacher son rôle véritable dans le dossier X.

Enquête sans les informations complètes

[63]           Le juge ne voit aucune faute dans la façon de mener l’enquête sur le dossier X. Lorsque des policiers reçoivent une information d’une source, le droit leur impose d’évaluer la fiabilité du renseignement, citant R c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421. Ils avaient donc le devoir de vérifier la fiabilité des informations fournies par PD, d’autant qu’elle en était à sa première collaboration, sans expériences passées. Cela étant, le juge conclut que la visite exploratoire des policiers chez            - [identité] était justifiée, comme les vérifications faites dans un autre dossier, le dossier Y.

[64]           Le juge ne croit pas que ces démarches contrevenaient aux obligations de l'arrêt R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a expliqué que le ministère public doit évaluer les risques associés à la communication de renseignements fournis par une source avant de les partager avec des tiers. Or, le juge est d'avis que les policiers n'ont pas communiqué ou partagé de tels renseignements.

[65]           En définitive, selon le juge, les policiers n'ont pas l'obligation « de vérifier auprès de cet indicateur les risques qu'il soit identifié pour chacune des voies d'enquête qu'ils entendent suivre […] ce qui laisserait l'indicateur maître de l'enquête policière ». Ils devaient prendre des précautions afin que l’identité de PD ne soit pas révélée et elle ne l’a pas été.

Prétextes pour mettre fin à la relation d'indicateur

[66]           Enfin, le juge n'est pas convaincu que les policiers ont usé de prétextes pour mettre fin à la relation. Ils invoquaient une violation           [action risquant de compromettre le statut de PD] par PD et son mensonge sur son implication dans le dossier X. Or, ces motifs étaient réels et PD a bel et bien contrevenu à l’entente initiale. À cet égard, il importe peu, selon le juge, que les policiers n'aient pas immédiatement mis fin à leur collaboration après avoir appris la violation           [action risquant de compromettre le statut de PD].

[67]           Il conclut que PD a volontairement fourni les informations à la « suite d'une décision manifestement réfléchie de collaborer avec eux ». Ces informations ne résultent pas d’une contravention aux droits de PD, particulièrement de son droit au silence. Le juge rappelle que les policiers ne lui ont promis aucune immunité.

[68]           Le juge accepte que l’existence même du dossier X a été révélée par PD, mais l'accusation n’est d'aucune manière prouvée à l'aide d'une déclaration émanant de PD. La preuve repose sur le témoignage de            - [identité]. Rien dans cette affaire ne met en cause la mobilisation de PD contre elle-même et l'équité de son procès est par conséquent préservée.

[69]           Ainsi, sur le premier volet de l'abus de procédure, selon le juge d'instance, l'appelante n'a pas démontré que les policiers, par leur conduite, ont miné l'équité du procès.

[70]           Sur le second volet de l'abus de procédure, le juge n'est pas convaincu que le comportement des policiers a porté atteinte à l'intégrité du système de justice. Le seul bémol concerne la dernière rencontre avec PD, alors que les policiers font parler cette dernière avant de lui annoncer la fin de la collaboration. Le juge n’approuve pas cette démarche, mais souligne que le manque de jugement ne transforme pas une erreur en abus de procédure relevant de la catégorie résiduelle, citant R. c. Dumont-Chamberland, 2017 QCCA 429, par. 50, repris dans Thébaud c. R., 2019 QCCA 724, par. 40.

[71]           Le juge refuse donc à la fois l'arrêt des procédures et l'exclusion de la preuve dérivée.                                         [suite des procédures].

Les moyens d’appel

[72]           PD soulève plusieurs moyens dans son mémoire :

Premier moyen

Le juge commet une erreur manifeste et déterminante en concluant que la preuve démontre que l‘appelante a menti aux enquêteurs.

Deuxième moyen

Le juge commet une erreur manifeste et déterminante en concluant que les enquêteurs n’ont pas promis implicitement à l’appelante qu’elle ne serait pas poursuivie pour sa participation à des infractions passées dont elle dévoilerait l’existence à titre d’indicateur.

Troisième moyen

Le juge commet une erreur manifeste et déterminante en concluant que les enquêteurs ont agi de bonne foi alors que leurs agissements démontrent plutôt une volonté de piéger l’appelante en l’amenant à renoncer à son statut d’indicateur et à témoigner contre                                 [identité] ou, à tout le moins, dénotent une insouciance inacceptable envers le statut d’indicateur de l’appelante.

Quatrième moyen

Le juge erre en droit en concluant que la preuve dérivée utilisée pour poursuivre l’appelante n’a pas été obtenue en mobilisant celle-ci contre elle-même et en n’excluant pas cette preuve.

*

[73]           Pour les motifs qui suivent, la Cour traitera uniquement du deuxième moyen, qui cerne bien le problème fondamental de la poursuite. Ce moyen soulève le caractère critique des ententes entre l’État et un indicateur. Avec égards pour le juge d’instance, il conduit, en l’espèce, à l’arrêt des procédures.

[74]           La Cour estime donc inutile de se prononcer sur le premier moyen qui, tel que présenté, est voué à l’échec. L’appelante prétend qu’elle n’a pas menti aux policiers, comme ceux-ci l’ont prétexté pour mettre un terme à son statut d’informateur. Avec égards, il y a dans le moyen avancé un débat de sémantique inutile qui tient davantage à l’intensité de l’intention derrière la fausseté des faits rapportés par PD. L’intimée a raison de mentionner que le juge retient davantage un manque de franchise qu’un mensonge délibéré. Cela dit, les circonstances démontrent que cette détermination est exempte d’erreur et supporte l’inférence que PD n’a pas dit toute la vérité dans ses déclarations initiales.

[75]           Le troisième moyen met en cause, selon la théorie de l’appelante, un piège tendu à PD par les policiers. Selon la Cour, le fait que les policiers aient voulu piéger PD ne ferait qu’amplifier un résultat déjà inacceptable qui heurte le sens du franc-jeu et de la décence de la communauté. La tenue d’un procès malgré cette conduite, sans qu’il soit nécessaire de conclure à un piège, est déjà, comme on le verra, irrémédiablement préjudiciable à l’intégrité du système de justice.

[76]           La Cour est également d’avis qu’il est inutile dans les circonstances de se prononcer sur le quatrième motif, l’exclusion de la preuve. Il serait même inapproprié de le faire compte tenu du peu d’importance de l’argument dans les procédures et le mémoire. Outre le mécanisme habituel d’exclusion de la preuve prévu au paragraphe 24(2) de la Charte, la Cour suprême reconnaît que l’exclusion de la preuve est aussi une réparation en application de son paragraphe 24(1) : R. c. Bjelland, [2009] 2 R.C.S. 651. En première instance, cette conclusion était subsidiaire, elle a été peu plaidée et le juge n’en traite pas. En appel, le mémoire de l’appelante est muet sur l’exclusion de la preuve, sauf pour la reprendre comme conclusion subsidiaire.

La norme de contrôle

La décision sur l’arrêt des procédures

[77]           Le pouvoir de révision d’une décision discrétionnaire est limité. L’arrêt des procédures fait partie des réparations qui relèvent de ce pouvoir. Ainsi, les tribunaux ont maintes fois rappelé que :

[15] Le choix de la réparation accordée en application du par. 24(1) de la Charte relève du pouvoir discrétionnaire du juge du procès, qui doit toutefois exercer ce pouvoir judiciairement. Une cour d’appel intervient lorsque le juge du procès s’est fondé sur des considérations erronées en droit ou lorsque sa décision est erronée au point de créer une injustice (voir R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297, par. 117-118).

R. c. Bjelland, [2009] 2 R.C.S. 651, par. 15. Voir aussi : R. c. Bellusci, [2012] 2 R.C.S. 509, par. 17 ; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, par. 87 ; R. c. Brouillette, 2016 QCCA 858, par. 5 ; R. c. Brind'Amour, 2014 QCCA 33, par. 50-52.

[78]           L’appel ne porte pas sur les règles générales relatives à l’abus de procédure et la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’en reprendre l’exposé, le juge les ayant bien résumées.

Analyse

L’immunité implicite pour un crime passé

La position des parties

[79]           PD reproche au juge d’avoir mal saisi le sens de son argument et d’avoir conclu que les policiers ne lui ont jamais promis l’immunité. L'appelante accepte que « l’immunité de poursuite ne peut être accordée que par le poursuivant et non par les policiers », mais plaide que là n’était pas la véritable question.

[80]           Selon PD, les policiers ne lui ont jamais clairement dit que si « elle révélait sa propre participation à un crime, elle pourrait être accusée de ce crime ». C’est en ce sens qu’il y aurait eu une promesse implicite d’immunité si elle divulguait un crime qu’elle avait commis et pour lequel les policiers avaient un intérêt. Ceci serait logique et découlerait du privilège de l’indicateur afin d’encourager la collaboration avec la police. PD n’avait aucun intérêt à dévoiler l’existence du dossier X si elle pouvait en être accusée. Dans les circonstances, PD reproche donc à l’État d’avoir judiciarisé le dossier X et de l’avoir accusée.

[81]           Pour l’intimée, les policiers n’ont fait que deux promesses à PD : celle de protéger son identité et celle de ne pas utiliser ses déclarations en preuve contre elle. Il n’y a eu aucune promesse d’immunité, même implicite, incluant quelque protection que ce soit pour les infractions à l’égard desquelles elle communiquait de l’information. Or, les deux promesses ont été respectées. Son identité a toujours été protégée et ses déclarations n’ont pas été utilisées en preuve. Le juge a eu raison de conclure qu’elle ne jouissait d’aucune immunité. Il a eu raison de rejeter sa requête pour abus de procédure.

L’importance des indicateurs

[82]           Comme il a été mentionné en introduction, la Cour a requis des observations additionnelles des parties. Dans la sienne, le ministère public réitère que l’État a respecté ses promesses envers PD. Il admet toutefois, de manière subsidiaire, que si « la preuve démontre, comme l’affirme l’appelante, que les parties ont convenu qu’elle ne serait pas poursuivie relativement à toute infraction en lien avec les renseignements qu’elle allait fournir, et que l’État n’aurait donc pas honoré ses engagements, il s’agirait alors d’un abus de procédure dont la réparation appropriée serait un arrêt des procédures. L’appel devrait alors être accueilli. » (M.I. supplémentaire, p. 8).

[83]           Le recours aux informateurs est répandu, mais il confère un statut exceptionnel. L’informateur entretient une relation particulière avec les autorités. Aux yeux de la jurisprudence, la source gagne en importance lorsque le service de police lui accorde un « code » après un processus de validation, attestant ainsi une certaine reconnaissance qui le distingue d’un autre informateur, plus ponctuel ou anonyme : voir R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755, p. 776, rappelant R. c. Debot (1986), 30 C.C.C. (3d) 207, 219 (C.A.O.) conf. par [1989] 2 R.C.S. 1140 ; R. c. Brûlé, 2021 QCCA 1334, par. 174.

[84]           Cette relation et l’entente qui la sous-tend doivent être exemptes d’ambiguïtés. Cela encourage les individus à collaborer avec la police en lui fournissant des renseignements. Il s’agit d’un motif de nature systémique qui favorise les ententes claires. Des ententes approximatives ne peuvent que décourager les personnes de collaborer.

[85]           La Cour suprême du Canada a maintes fois rappelé l'importance fondamentale de l'indicateur pour la police et le système de justice pénale dans son ensemble, puisqu’il aide les enquêtes criminelles et l’arrestation des délinquants, favorisant ainsi le maintien de l’ordre public : R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281, par. 10 ; R. c. Durham Regional Crime Stoppers Inc., [2017] 2 R.C.S. 157, par. 1, 12, 17 ; Personne désignée c. Vancouver Sun, [2007] 3 R.C.S. 253, par. 16 ; R. c. Barros, [2011] 3 R.C.S. 368, par. 30.

[86]           L’importance du privilège relatif aux indicateurs de police se traduit par la protection absolue de son identité. Il s’agit d’une règle adoptée afin d’atteindre deux objectifs interreliés, soit de protéger la sécurité de la source et d’encourager d’autres personnes à communiquer des informations aux autorités : R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281, par. 9 ; R. c. Barros, [2011] 3 R.C.S. 368, par. 28; R. c. Durham Regional Crime Stoppers Inc., [2017] 2 R.C.S. 157, par. 11-12.

[87]           En la matière, l’intérêt public du privilège prime sur l’administration de la justice afin de maintenir « un service de police efficace et l'application effective des lois criminelles » : Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, p. 97.

[88]           L’utilisation d’indicateurs est un compromis accepté pour assurer l’efficacité des enquêtes criminelles et l’arrestation des délinquants. Un compromis, car l’informateur n’a pas toujours les mains propres. Il n’est pas rare qu’un informateur soit une personne impliquée dans le milieu criminel et connue des policiers, d’où la sensibilité des ententes avec ces personnes.

[89]           Un informateur peut contrevenir à la loi, à l’éthique ou la morale en divulguant des informations à la police. Cela n’affecte pas le privilège d’indicateur : Solliciteur général du Canada, et al. c. Commission royale (dossiers de santé), [1981] 2 R.C.S. 494.

[90]           Dans ce dernier arrêt, le juge Martland reprenait les propos d’un arrêt anglais pour souligner que la conduite de l’informateur n’est pas déterminante. Le juge Martland poursuit en expliquant que « la règle peut jouer en faveur aussi bien de l’indicateur de police menteur ou malveillant ou vindicatif ou intéressé ou même dément que de celui qui apporte des renseignements par un sens idéaliste de son devoir civil. L’expérience semble démontrer que malgré la possibilité d’abus de l’immunité contre divulgation qui en résulte, il est dans l’intérêt public de respecter, de façon générale, cette immunité » : Solliciteur général du Canada, et al. c. Commission royale (dossiers de santé), [1981] 2 R.C.S. 494, 538, citant l’arrêt D. v. National Society for the Prevention of Cruelty to Children, [1978] A.C. 171, à la p. 233.

[91]           Dans l’arrêt Hiscock, le juge LeBel, alors à notre Cour, soulignait ce dernier arrêt et, à propos de l’informateur, il notait que :

L’informateur joue un rôle souvent important, parfois même essentiel, dans l’action policière et l’application des lois criminelles. Son action se situe à l'occasion dans des marges fort grises. L'on tolère apparemment, dans l'intérêt d'une meilleure application de la justice, la commission de certains actes criminels. L'on permet à l'informateur de réaliser des profits personnels. Son identité est protégée même lorsqu'il pose des actes illégaux ou délictueux, comme l'a conclu la Cour suprême du Canada dans l'affaire Re Health Records. L'on notera cependant qu'il s'agissait toujours d'actes délictueux commis pour les fins du service de l'État. Dans l'affaire Re Health Records, il s'agissait d'informations recueillies par la police, auprès de médecins ou d'employés d'hôpitaux de l'Ontario, en violation des obligations de ces personnes à leur secret professionnel. L'informateur de police s'était certes mal conduit. Cependant, il n'était pas sorti de son rôle. Les informations étaient recueillies illégalement, mais en vue de l'objectif général de l'application des lois, même si celle-ci impliquait des actes que le droit ou, à tout le moins, la morale, réprouverait.

R. c. Hiscock, 1992 CanLII 2959, [1992] R.J.Q. 895, p. 911-912.

[92]           Le juge LeBel exposait ensuite les limites évidentes du privilège en rappelant que :

Le privilège de l'informateur ne saurait être interprété et appliqué pour accorder une licence de commettre des actes criminels dans le seul intérêt du prévenu. Il est de nature à couvrir des actes illégaux, voire même criminels, pourvu qu'il demeure orienté vers la fonction de mise en application des lois. Si l'on acceptait l'argument des appelants, le privilège que l'on invoque se trouverait complètement détourné de sa finalité, puisqu'utilisé pour une fin et des intérêts contraires à ceux qui le justifient dans le droit public canadien. […]

R. c. Hiscock, 1992 CanLII 2959 , [1992] R.J.Q. 895, p. 912.

[93]           À son tour, en 2017, citant l’arrêt Hiscock, le juge Moldaver, écrivant pour la Cour suprême, rappelait que « l’action de l’indicateur se situe souvent dans des marges grises sur le plan moral et que des individus qui commettent des actes répréhensibles pour fournir des informations à la police peuvent malgré tout avoir droit au privilège relatif aux indicateurs de police » : R. c. Durham Regional Crime Stoppers Inc., [2017] 2 R.C.S. 157, par. 19.

[94]           Le juge Moldaver poursuit :

[20] En revanche, dans l’affaire Hiscock, l’indicateur de police avait agi avec l’intention de faciliter sa propre activité criminelle. Dans ces conditions, le juge LeBel a souligné que si on interprétait le privilège de l’indicateur de telle sorte que les éléments de preuve recueillis grâce à l’écoute électronique soient exclus, cela reviendrait à 

accorder [à l’accusé] une licence de commettre des actes criminels dans le seul intérêt du prévenu. […] Si l’on acceptait l’argument [de l’accusé], le privilège que l’on invoque se trouverait complètement détourné de sa finalité, puisque utilisé pour une fin et des intérêts contraires à ceux qui le justifient dans le droit public canadien. [p. 912]

[21] De même, dans l’arrêt Personne désignée, le juge LeBel — qui était dissident, mais non sur ce point — a déclaré ce qui suit :

J’ai conclu [dans l’arrêt Hiscock] que le privilège ne devait pas être interprété et appliqué de manière à autoriser la commission d’actes criminels dans le seul intérêt du prévenu et qu’il ne pouvait donc pas être utilisé par les accusés tel qu’ils proposaient de le faire […] L’interprétation contraire aurait cautionné une utilisation abusive du privilège, eu égard à son objectif. [par. 111]

[22] Je souscris aux observations formulées par le juge LeBel dans les arrêts Hiscock et Personne désignée. […]

R. c. Durham Regional Crime Stoppers Inc., [2017] 2 R.C.S. 157, par. 20-22.

[95]           Ainsi, le juge Moldaver soulignait que « le privilège relatif aux indicateurs de police ne peut être interprété de manière à ce qu’il s’applique lorsqu’il irait à l’encontre des objectifs mêmes qui en justifient l’existence » : R. c. Durham Regional Crime Stoppers Inc., [2017] 2 R.C.S. 157, par. 17.

L’importance des termes de l’entente

[96]           Il est rapidement devenu apparent que la portée de l’entente de collaboration était au cœur des préoccupations des parties. À charge de redite, la formation a sollicité les commentaires des parties sur l'affaire R. c. Talon, 2006 QCCS 3029, où la Cour supérieure était saisie d’un problème semblable. Les parties ont aussi été invitées à considérer les principes généraux d’équité en matière contractuelle, tels que reflétés par les arrêts Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554 et Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, [2018] 3 R.C.S. 101.

[97]           Dans Talon, on se rappellera que l’informateur avait conclu une entente de collaboration avec l’État, laquelle comportait expressément une immunité de poursuite et d’autres mesures de protection en échange de son témoignage contre des complices. Les circonstances sont évidemment différentes, mais l’affaire a toutefois une résonance ici, puisqu’il s’agissait, comme en l’espèce, d’interpréter la portée d’une condition de l’entente. Un bref contexte est nécessaire.

[98]           En 1994, avant de signer l’entente de collaboration, Talon avait dû admettre son implication dans les crimes auxquels il avait participé au cours de sa vie, connus ou non des autorités, en échange d’une immunité de poursuite. Or, il s’était bien gardé de parler de deux meurtres qu’il avait commis en 1978 et en 1986. C’est l’avocat d’un complice qui avait révélé ces faits au ministère public. Après discussion avec Talon, le ministère public avait amendé l’entente pour inclure ces deux crimes et il avait maintenu ses engagements envers lui. Dans les procédures criminelles contre ses complices, Talon avait été contre-interrogé sur ces meurtres.

[99]           En 1996, après la publication d’un livre biographique, Talon avait parlé à la télévision de ces deux meurtres en entrevue avec une journaliste.

[100]      En 2004, la fille d’une des victimes a porté plainte et des accusations ont suivi contre Talon. Il était acquis que l’État n’avait aucune autre preuve concernant ces meurtres.

[101]      Lors de son procès, Talon plaidait l’abus de procédure. La juge Sophie Bourque, j.c.s., était aux prises avec la portée du contrat entre Talon et l’État, c’est-à-dire qu’elle devait déterminer « si les aveux de 1996 [pouvaient] être utilisés par la Poursuite contre Marcel Talon, ou si ceux-ci [étaient] protégés par l’entente de 1994 » : R. c. Talon, 2006 QCCS 3029, par. 36. Pour statuer, la juge a considéré les règles d’interprétation du contrat, qu’énoncent les articles 1425 et s. C.c.Q., afin examiner les termes du contrat de même que le comportement et le rapport d’inégalité existant entre les parties : R. c. Talon, 2006 QCCS 3029, par. 87.

[102]      Dans les arrêts Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554, et Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, [2018] 3 R.C.S. 101, la Cour suprême a expliqué l’obligation de renseignement et a réitéré le devoir général de bonne foi dans les obligations.

[103]      L’intimée trouve délicat d’importer les notions de droit civil relatives aux contrats et de les appliquer aux ententes entre un indicateur et un corps policier. Manifestement, ces ententes surviennent dans des contextes singuliers et il serait téméraire de leur appliquer strictement le droit des obligations.

[104]      Par ailleurs, selon l’intimée, cette question est nouvelle en appel, soulevée par la formation. Une telle question ne peut être considérée que si la preuve au dossier d’appel le permet et que l’omission de le faire risque d’entraîner une injustice : R. c. Mian, [2014] 2 R.C.S. 689, aux par. 41 et 51. Elle estime que ce n’est pas le cas. Selon l’intimée, la preuve ne permet pas à la Cour de définir les paramètres de la relation entre l’État et un indicateur, un sujet vaste et complexe, et cela n’est pas strictement nécessaire pour trancher l’appel.

[105]      Pour sa part, l’appelante est également d’accord que l’appel n’a pas à définir tous les paramètres de la relation entre l’État et un indicateur. Cependant, les commentaires sollicités par la formation ne touchent pas, selon elle, un nouveau fondement pour trancher l’appel au sens de l’arrêt Mian. La jurisprudence identifiée par la Cour s’inscrit parfaitement dans l’argumentation du second moyen d’appel portant sur la promesse implicite (M.A. supplémentaire, en réplique, par. 6).

[106]      Selon PD, les policiers ont manqué aux obligations de renseignement parce qu’ils n’ont « [j]amais… informé l’appelante que si elle révélait la commission d’une infraction dans laquelle elle était impliquée, elle pourrait faire l’objet d’une accusation si les personnes avec qui elle l’avait commise confirmaient sa participation » (M.A. supplémentaire, par. 6). PD n’a par ailleurs reçu aucune explication de ce que signifiait une preuve indépendante. Les policiers n’ont jamais expliqué à PD que s’ils découvraient une preuve de sa participation à un crime qu’elle aurait auparavant elle-même dénoncé, elle en serait accusée.

[107]      La Cour est d'accord avec l'appelante que les principes touchant la bonne foi et l'obligation de renseignement complètent le second moyen d'appel et ne constituent pas une nouvelle question en appel.

La nécessité d’une entente claire

[108]      Il faut rappeler que le statut d’indicateur peut naître d’une promesse expresse ou implicite. Dans R. c. Personne désignée B, [2013] 1 R.C.S. 405, la Cour suprême, sous la plume de la juge Abella, écrit ainsi que :

[18] Dans R. c. Barros, [2011] 3 R.C.S. 368, la Cour a conclu que « les individus qui fournissent des renseignements à la police n’en deviennent pas tous des indicateurs confidentiels » (par. 31). Toutefois, elle a précisé « qu’il n’est pas nécessaire que la promesse [de protection et de confidentialité] soit explicite [et] peut être implicite selon les circonstances » (par. 31, citant Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60). La question de droit qui se pose est donc celle de savoir si, en toute objectivité, on peut inférer des circonstances l’existence d’une promesse implicite de confidentialité. En d’autres mots, la conduite des policiers auraitelle pu donner à quelquun dans la situation de lindicateur potentiel des motifs raisonnables de croire que son identité serait protégée? Dans le même ordre d’idées, pourraiton raisonnablement déduire de la preuve que lindicateur potentiel croyait que le statut dindicateur lui était conféré ou lui avait été conféré? Il peut y avoir promesse implicite relative au privilège de l’indicateur même lorsque la police n’a pas l’intention d’attribuer ce statut ou de considérer la personne comme un indicateur, dès lors que la conduite des policiers dans l’ensemble des circonstances aurait pu donner lieu à une attente raisonnable en matière de confidentialité.

R. c. Personne désignée B, [2013] 1 R.C.S. 405, par. 18 (Soulignement ajouté); R. c. Barros, [2011] 3 R.C.S. 368, par. 31 ; Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, p. 105.

[109]      La conduite des policiers peut donc donner à une personne se trouvant dans la situation de l’indicateur potentiel des motifs raisonnables de croire qu’elle sera protégée ou que le statut d’indicateur lui sera effectivement reconnu. Partant, lorsqu’une personne peut implicitement et raisonnablement comprendre de la conduite ou des propos de la police qu’on lui accorde ce privilège, la Cour suprême explique que c’est à l’État de dissiper cette impression; c’est l’État qui doit être explicite s’il veut prétendre qu’il n’y a pas d’entente.

[110]      La Cour considère qu'il en va ainsi des autres dimensions de la relation avec un indicateur, comme une protection contre les crimes qu’il peut révéler afin de dénoncer ses complices. À défaut, il est possible de comprendre que l’entente comporte une promesse raisonnablement compatible avec les objectifs qui justifient l’existence du privilège d’indicateur. Autrement dit, si l’État entretient le doute et ne clarifie pas sa position en temps utile, alors qu’il existe objectivement des motifs de croire que le statut a été reconnu à l’informateur potentiel, un tribunal peut conclure à l’existence du privilège.

[111]      La Cour est d’accord avec l’intimée et reconnaît que les règles entourant l’indicateur de police relèvent de la common law : Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60. Il ne s’agit donc pas d’appliquer strictement les obligations contractuelles du Code civil du Québec aux ententes. Ces obligations demeurent néanmoins pertinentes à ces ententes.

[112]      Comme l’écrit l’intimée, « le privilège de l’indicateur implique évidemment l’existence d’une entente synallagmatique » (M.I. supplémentaire, par. 34), citant le juge Fish dans l’arrêt Basi. Dans cette affaire, le juge Fish décrit de la manière suivante le marché entre le policier et l’indicateur :

« … un policier garantit la protection et la confidentialité d’un indicateur éventuel en échange de renseignements utiles qu’il lui serait difficile ou impossible d’obtenir autrement. On reconnaît depuis longtemps que, lorsque les circonstances le justifient, un marché de ce genre s’avère un outil indispensable pour la détection, la prévention et la répression du crime. »

R. c. Basi, [2009] 3 R.C.S. 389, par. 36; voir aussi R. c. Durham Regional Crime Stoppers Inc., [2017] 2 R.C.S. 157, aux par. 11 et 12.

[113]      L’intimée cite ensuite l’arrêt Barros, dans lequel le juge Binnie écrit :

[32] La prétention que l’intéressé s’est vu confier le rôle d’indicateur de police peut toujours être contestée par la défense. Or, il sera plus facile au ministère public d’y répondre s’il peut invoquer une preuve claire que ce rôle a été explicitement confié à l’intéressé plutôt que s’il s’agit d’une simple supposition présentée après le fait. En gardant à l’esprit que le privilège relatif aux indicateurs de police a été créé et est appliqué dans l’intérêt public plutôt que d’un point de vue contractuel, on pourrait soutenir qu’en cas de menace de danger important ce privilège (ou tout autre privilège d’intérêt public) pourrait s’appliquer même en l’absence des éléments de nature contractuelle d’offre et d’acceptation. Toutefois, la question ne se pose pas eu égard aux faits de l’espèce et je ne m’y attarderai pas davantage.

R. c. Barros, [2011] 3 R.C.S. 368, par. 32.

[114]      Contrairement à l’intimée cependant, la Cour comprend que les réserves émises par la Cour suprême concernant les limites des règles contractuelles en la matière visent plutôt à renforcer le privilège et non à exclure les règles générales du contrat qui, encore une fois, découlent avant tout du bon sens et de l’équité, compte tenu des parties et des circonstances particulières.

[115]      Partant, l’accord des volontés des parties à l’entente repose sur la compréhension raisonnable des obligations de chacune. Il n’y a pas de raison d’écarter les règles générales régissant la formation des contrats qui, encore une fois, sont fondamentalement l’expression des règles d’équité et de bonne foi. À titre d’exemple, il serait étonnant qu’une entente conclue sur la base d’un dol de l’État ne suscite aucune réaction judiciaire. Elle serait à bon droit dénoncée et il en découlerait des conclusions conséquentes. Il en est de même lorsque l’accord avec un indicateur est obtenu dans le contexte d’un déficit de renseignement de nature déterminante, alors que cette information est en possession de l’État ou que l’État peut raisonnablement s’assurer que l’indicateur l’obtienne, en lui suggérant, par exemple, de consulter un avocat.

[116]      Rien dans la common law n’écarte le devoir de renseignement lorsque vient le temps de passer un accord avec un indicateur. L’obligation de renseignement du droit civil n’est pas étrangère au droit criminel.

[117]      La jurisprudence récente examine surtout le privilège de l’indicateur sous l’angle de la protection de son identité. Avec une solide protection, le système entend encourager les gens ayant des informations pertinentes à une enquête à les partager avec les agents de l’État. Il serait cependant contre-productif pour le système de justice d’accepter que des policiers puissent proposer des ententes imprécises, passées sans trop de formalités, pour ensuite les répudier en raison de ce qu’eux seuls comprenaient de l’entente initiale et sans égards à ce que leurs vis-à-vis pouvaient légitimement et raisonnablement en comprendre.

[118]      Comme le soulignait avec raison la juge Bourque dans l’affaire Talon :

[140] La parole de l'État a une valeur telle qu'elle se doit d'être incontestable et au-dessus de tout soupçon. L'intérêt supérieur de la justice commande que tous les citoyens et les citoyennes puissent avoir une confiance inébranlable en sa parole. Cela est d'autant plus vrai, lorsque l'État prend la peine de s'engager par écrit, par la voie de cinq représentants, provenant de trois autorités différentes.

[…]

[148] Le peu de décisions portant sur le manquement à sa parole par l’État, démontre à quel point celle-ci est importante pour l’État lui-même. Ceci est en soi un gage du très haut niveau de confiance que peut lui accorder la communauté. Cela rend tout manquement allégué d’autant plus grave, et exigeant une réponse de nature à restaurer le niveau de confiance nécessairement ébranlé par tout manquement observé.

R. c. Talon, 2006 QCCS 3029, par. 140 et 148.

L’obligation de renseignement

[119]      L’arrêt R. c. Personne désignée B illustre qu’une obligation de renseignement incombe à l’État et que les ambiguïtés peuvent bénéficier à l’indicateur. L’issue de cette affaire, selon la majorité, dépendait « des conséquences du vide informationnel » parce qu’on ne lui avait jamais clairement indiqué qu’elle n’était pas un indicateur de police : R. c. Personne désignée B, [2013] 1 R.C.S. 405, par. 1-2.

[120]      Dans cette affaire, rappelons que l’indicateur d’un service de police a offert des informations à un second service de police, croyant toujours bénéficier du statut d’informateur. La Cour a reconnu que « l’omission de la SQ [le second service de police] de clarifier ce statut pourrait avoir donné à cette dernière [la source] des motifs raisonnables de croire qu’elle avait le statut d’indicateur, qu’elle ait posé ou non une question spécifique du type : "Estce que je vais être traité/ée comme un indicateur de police advenant le cas où il n’y aurait pas signature d’un contrat de témoin repenti ?" » : R. c. Personne désignée B, [2013] 1 R.C.S. 405, par. 39.

[121]      L’ambiguïté résultait de l’attitude du second service de police à l’égard du statut l’indicateur, créée essentiellement par une démarche confuse menant à l’entente : R. c. Personne désignée B, [2013] 1 R.C.S. 405, par. 41. Les policiers avaient au surplus tenu des propos rassurants visant à conforter l’indicateur dans l’idée qu’il bénéficiait de ce statut : R. c. Personne désignée B, [2013] 1 R.C.S. 405, par. 44.

[122]      Ainsi, indépendamment du fait que la source exprime ou non une préoccupation, l’État doit l’informer. En définitive, c’était l’omission du service de police de renseigner adéquatement la source qui avait rendu « plausible qu’une personne placée dans la même situation que [la source] aurait eu des motifs raisonnables de croire que la confidentialité que lui avait promis le premier corps policier continuerait de la protéger après le transfert de son dossier… » : R. c. Personne désignée B, [2013] 1 R.C.S. 405, par. 49.

L’impact sur les droits constitutionnels de l’indicateur

[123]      La présente affaire démontre avec éloquence l’importance de l’obligation de renseignement qui incombe à l’État. Bien que cet aspect n’ait pas été plaidé spécifiquement, et qu’il ne participe donc pas au fondement de l’intervention de la Cour, il est important de rappeler la dimension constitutionnelle du contrat d’indicateur.

[124]      En cette matière, il est bien établi que la renonciation à un droit constitutionnel ne sera valide que si le ministère public démontre qu'elle est éclairée et exprimée en toute connaissance de cause, notamment en fonction de ce que peut lui dire le représentant de l’État et aussi, du fait qu’une personne doit savoir qu’elle n'est pas tenue de renoncer à un droit : R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173, p. 203 ; R. c. Borden, [1994] 3 R.C.S. 145, 162 ; R. c. Singh, [2007] 3 R.C.S. 405, par. 31-32. R. c. Cole, [2012] 3 R.C.S. 34, par. 78.

[125]      Or, la personne dans la situation de PD qui s’engage dans un rôle d'indicateur renonce potentiellement à plusieurs droits constitutionnels. Ainsi, une telle décision entraîne de lourdes conséquences pour la personne qui, comme PD, accepte de parler aux autorités.

[126]      Comme le démontre éloquemment la présente affaire, PD a notamment renoncé à son droit au silence, à son droit à l’assistance d’un avocat, à son droit à un procès public et à son droit à une défense pleine et entière.

[127]      Tout d'abord, les policiers ont admis ne jamais avoir informé PD de son droit au silence et la preuve ne démontre pas qu’ils lui ont suggéré de consulter un avocat. Bien sûr que PD n'était pas une suspecte à ce moment précis, mais considérant la relation particulière dans laquelle elle s'engageait, et les policiers le savaient, elle risquait de s'incriminer. Cela a pu également leur sembler expédient compte tenu, d’une part, de la volonté de PD de divulguer des informations et, d’autre part, de l’objectif policier de faire avancer une enquête                                                                                              -                           [nature du crime].

[128]             [durée] collaboration                 [durée] avec PD a permis de faire avancer des enquêtes. Toutefois, la présente affaire en illustre bien les dangers puisque les révélations de PD, selon la preuve et la compréhension qu’en avaient ses contrôleurs, l'ont incriminée. Ce comportement de la part de PD défiait toute logique, comme on le verra au paragraphe [144] infra. Or, si elle avait su qu’on l’accuserait du crime, elle n’en aurait rien dit du tout. Dans le cadre de la relation l’unissant aux policiers, elle a été amenée à croire qu’elle pouvait divulguer sa participation sans que cela ait de conséquences pour elle.

[129]      Quant au procès public, la procédure suivie en l’espèce en privait PD. Comme mentionné en introduction du présent arrêt dans les remarques liminaires, un procès secret est une aberration. Même le secret partiel ne se justifie qu'en raison de circonstances exceptionnelles et constitue autrement une violation d’un droit fondamental, cher à notre système de justice. Par conséquent, le secret absolu ne peut probablement jamais se justifier.

[130]      Qui plus est, PD n'avait plus droit à une défense pleine et entière. Elle ne pouvait pas, sans risquer de mettre à jour sa participation comme indicateur, appeler des témoins, y compris ses prétendus complices, pour contredire le plaignant et la preuve en général afin d’établir son véritable rôle ou soulever un doute à cet égard. Le privilège et la procédure forçaient ainsi PD à faire reposer sa défense uniquement sur sa version, sauf à se mettre en danger. Il s'agit d'une atteinte à l'équité du procès.

Brève récapitulation des faits

[131]      Avant d’aborder l’erreur du juge de ne pas avoir prononcé un arrêt des procédures, il faut rappeler les faits saillants du présent dossier.

[132]      Évidemment, la situation de l’espèce est très différente des autres affaires, comme Talon ou Personne désignée B, discutées plus haut. L’entente est ici verbale et non écrite. À lire les témoignages, les notes des policiers sont sommaires et les détails précis de ce qui se dit aux rencontres avec PD n’y figurent pas. L’entente elle-même semble hautement informelle. Il y a aussi que PD ne témoigne pas, comme le souligne l’intimée. Vu la preuve, cela n’est cependant pas déterminant.

[133]      Les policiers « contrôleurs » ont témoigné approximativement de ce qu’ils ont dit à PD, faisant maintes fois reposer leurs récits sur leur façon « habituelle » d’approcher et de recruter une source. Les paramètres de la collaboration ont été sommairement expliqués à PD, jamais négociés, et lui ont été présentés dans une minifourgonnette et sur un banc de parc, et cela malgré qu’on ait pris la précaution de recourir au processus de validation et d’attribution d’un code de source par le service de police.

[134]                 [date], les policiers rencontrent l’appelante avec l’objectif de la recruter comme source humaine et, à cette occasion, ils s’engagent à garder son identité secrète. L’intimée ajoute que PD est aussi informée « que si, en tant qu’indicateur, elle est impliquée dans un crime, elle ne bénéficiera d’aucune immunité et que, si elle se fait prendre, elle pourrait se faire accuser comme n’importe qui d’autre » [M.I., par. 18, soulignement ajouté]. Il s’agit là de l’unique précision faite sur ce qui a été expliqué à PD, dans la minifourgonnette, avec l’objectif de la recruter comme informateur.

[135]      L’intimée s’appuie sur le seul témoin de la rencontre, le policier A , dont le témoignage, dans ses extraits les plus complets et pertinents sont reproduits plus haut, au paragraphe [25]. Comme on le voit de ces extraits, le statut d’indicateur est abordé pour la première fois, avec beaucoup d’autres informations. Le policier A affirme qu’il avise habituellement une source qu’elle ne doit pas s'impliquer dans des crimes, que si une source se fait prendre dans un acte criminel, elle va se faire accuser.

[136]      À ce moment, l’implication de PD dans le dossier X est consommée depuis plusieurs années. Il est frappant de constater que le policier A laisse une ambiguïté évidente sur l’aspect temporel pertinent aux actes criminels visés par la « mise en garde ». Par exemple, il ne précise pas à PD que, si elle est impliquée dans un crime qu’elle lui rapporte, elle sera accusée si l’enquête, indépendamment de son information, permet de l’accuser. Il convient d’être explicite à ce sujet. Cette information aurait eu l’avantage d’être claire et directe. Il est raisonnable de croire qu’un enquêteur d’expérience sait que des informateurs potentiels n’ont pas toujours les mains propres.

[137]      La preuve démontre clairement que cette ambiguïté persiste lors de la rencontre suivante, au moment où la relation d’informateur se cristallise. À cette seconde rencontre, au cours de laquelle PD offre plusieurs informations pertinentes, le policier D ,qui accompagnait le policier A , témoigne de ce qu’il comprend des consignes données à PD. Des extraits sont repris plus haut, au paragraphe [29]. L’immunité n’est pas abordée avec PD, car le policier D sait, lui, que cela est de la prérogative du poursuivant. Le policier insiste beaucoup auprès de PD sur l’obligation de dire la vérité et répète que tout ce que PD disait ne pouvait pas être retenu contre elle, ce qui, chez une personne profane, crée sûrement l’idée que cela veut dire qu’on ne pourra pas la poursuivre et sans lui dire que, par contre, on pourrait obtenir grâce à elle une preuve dont on pourrait ensuite se servir contre elle. Le policier D confirme avoir expliqué à PD qu’elle devait tout dire même si elle avait fait des choses pas correctes, puisqu’elle n’était pas l’objet de l’enquête.

[138]      Que dire enfin de l’absence de réaction du policier A lorsqu’il reçoit les premières informations à propos du dossier X et qu’il commence à comprendre que PD ne lui dit sans doute pas toute la vérité sur son implication dans ce dossier X, comme le démontrent les extraits de son témoignage, repris plus haut au paragraphe [37], et ce que lui et son collègue, le policier D , comprenaient des révélations (voir le paragraphe [38]). Leur comportement est incompréhensible.

L’erreur du juge

[139]      Au paragraphe 16 de sa décision, le juge résume la rencontre du              - [date] lors de laquelle les explications sur le rôle de l’indicateur et les paramètres de celui-ci sont présentées à l’appelante :

[16] … Le policier A lui explique en quoi consiste la collaboration d'un indicateur. Il lui explique le privilège relatif à l'indicateur, à savoir que ses propos sont livrés aux policiers, qu'elle n’aura pas à témoigner concernant ces propos et que son identité restera confidentielle. Il lui dit aussi qu'elle n'aura qu'à rapporter les renseignements qui viennent à sa connaissance et qu'elle ne devra pas commettre de crime, auquel cas elle sera accusée. Il lui explique donc qu'elle ne bénéficiera d'aucune immunité, sans nécessairement utiliser le terme immunité. La requérante veut réfléchir à cette proposition.

[Soulignement ajouté.]

[140]      Ce résumé est conforme à la compréhension raisonnable du témoignage du policier A , c'est-à-dire que l'appelante ne doit pas commettre de crime dans le futur et qu’elle sera accusée si c'est le cas. Pourtant, le juge écrit aux paragraphes 73 et 100 de sa décision :

[73] Cette règle de droit protège l’identité de l’indicateur. Elle ne prévoit aucune immunité à l'égard d'infractions criminelles commises par l’indicateur. D'ailleurs, les policiers n'en ont promis aucune à la requérante. Au contraire,                   [date], dès la première rencontre avec la requérante où les policiers discutent de sa collaboration à titre d'indicateur, elle est spécifiquement avisée qu'elle ne bénéficie d'aucune immunité. La requérante ne pouvait raisonnablement comprendre qu'elle bénéficiait d'une quelconque immunité.

[100] Les renseignements fournis par la requérante ne résultent pas d'un manque de respect de ses droits, plus particulièrement de son droit au silence. Les renseignements ont été fournis volontairement aux policiers à la suite d'une décision manifestement réfléchie de collaborer avec eux. Quoique les policiers lui aient mentionné que ses propos ne seraient pas utilisés contre elle, la requérante savait que les policiers désiraient obtenir des renseignements pour enquêter                                        — —  - [nature du crime]. Elles savaient donc que les renseignements qu'elle fournirait seraient utilisés par les policiers dans le cadre d'enquêtes. Elle ne peut donc se plaindre que les policiers ont utilisé les renseignements qu'elle a fournis dans le cadre de leur enquête. Rappelons que les policiers l'ont avisée de dire la vérité, toute la vérité et l'ont avisée qu'elle ne bénéficiait d'aucune immunité.

[Soulignement ajouté.]

[141]      Sur la rencontre suivante, à laquelle le policier D participe, le juge dit peu de choses et il n’analyse pas le témoignage de ce policier qui, pourtant, touche des éléments cruciaux de la question en litige, soit la qualité des renseignements donnés et la compréhension raisonnable qu’une personne peut avoir sur le « marché » qui se dessine entre PD et les policiers.

[142]      Le juge n’analyse pas la preuve en fonction de l’obligation de renseignement expliquée plus haut, ce qui a pour effet de limiter son constat à l’absence d’immunité qui accompagne le privilège d’informateur. Strictement, sur cet aspect, il a raison, d'où l'importance pour les policiers d'informer pleinement leur recrue des enjeux relatifs à cette immunité. En l'espèce, PD pouvait raisonnablement comprendre de ses contacts avec les policiers qu’elle pouvait librement dévoiler le dossier X sans qu’elle soit accusée, car elle devait dire la vérité, que l’enquête ne s’intéressait pas à elle, et que rien de ce qu’elle dirait ne pouvait être retenu contre elle. Le comportement des policiers tout au long de leur relation avec elle était compatible avec cette lecture.

[143]      Avec égards pour le juge, il s’arrête erronément sur l’absence de promesse formelle d’immunité. Les références à cette notion dans les témoignages ne sont qu’un raccourci intellectuel pour traduire une réalité juridique, comprise des juristes et des policiers. En effet, autant le policier A que le policier D ont admis n’avoir jamais utilisé ce terme. Le juge devait se pencher sur les informations réellement transmises à PD.

[144]      En réalité, le policier A n’a pas été clair, dans sa mise en garde, sur la portée temporelle de l’implication criminelle de PD et il n'a donné aucune explication véritable, susceptible d’être comprise par un profane, à propos de l’absence d’immunité d’un indicateur. Cette information était évidemment cruciale dans la décision de PD de révéler le dossier X, dont les policiers ne savaient alors rien, leur enquête portant sur d’autres ———————————— [événements]. Sinon, pourquoi en aurait-elle révélé l’existence? Le policier D sait bien que le statut d’indicateur ne garantit pas l’immunité puisque celle-ci ne peut être accordée que par le ministère public, mais jamais il n’explique la notion à PD. Or, son témoignage confirme qu’une personne raisonnable placée dans la situation de PD comprendrait qu’elle peut révéler son implication criminelle passée, que cela ne serait pas retenu contre elle et n’intéressait pas l’enquête. Le juge ne commente aucunement ce témoignage.

[145]      En définitive, la compréhension qu’en a le juge lui-même, au paragraphe 16 de sa décision, que seuls les crimes futurs sont concernés, est raisonnable.

[146]      Les explications des policiers sur les paramètres de la collaboration étaient malheureusement fort ambiguës. Par leur propos, ils ont laissé entendre que PD devait admettre tous les faits même si cela l’impliquait dans un crime, que rien ne serait retenu contre elle et que l’enquête ne s’intéressait pas à ce qu’elle avait pu faire. Par leur comportement, notamment l’absence de réaction lorsqu'elle a commencé à révéler des bribes de sa participation au dossier X, ils ont conforté PD dans cette lecture. La dernière rencontre témoigne d'ailleurs d'un appétit certain des policiers pour les informations que détient PD sans considération des conséquences sur ses droits. Le juge lui-même leur en fait reproche. En laissant PD s’incriminer sans rien dire et sans la prévenir du retrait de son statut d'informateur, tout en sachant qu’elle leur donnera les moyens de prouver sa collaboration au crime, lui laisse raisonnablement croire qu'elle peut parler en confiance.

[147]      Selon la Cour, avec égards pour l’opinion contraire, PD ne pouvait pas raisonnablement comprendre qu’elle serait accusée du dossier X si elle s’en ouvrait aux policiers. Au contraire, une personne raisonnable aurait dans les circonstances compris qu’elle ne serait pas poursuivie pour des crimes passés. En tout respect pour le juge, sur la foi de la preuve administrée, sa conclusion contraire est déraisonnable.

[148]      Cette conclusion mène non seulement à une injustice, mais donne l’impression de tolérer une démarche de recrutement de source marquée par la désinvolture. Cela mine sérieusement l’objectif important d’encourager les personnes à offrir des informations à la police et par conséquent, mine l'intégrité du processus judiciaire. Une approche plus rigoureuse est manifestement plus adaptée à l’important rôle des informateurs pour le système de justice pénale.

[149]      La responsabilité de l’État est grande lorsqu’il recrute des sources humaines. Il n’est pas toujours possible ni pratique, il est vrai, de négocier de façon exhaustive les termes d'un contrat élaboré[5]. Les méthodes d’approche des sources et la conclusion des ententes, comme pour les méthodes d’enquête en général, peuvent nécessiter une approche moins formaliste, flexible, et doivent être laissées à la discrétion de l’État et plus particulièrement des policiers. Toutefois, comme toute méthode d’enquête, il y a des pratiques meilleures que d’autres. L’une d’elles est certainement de s'assurer de conclure avec le candidat « indicateur » des ententes en lui transmettant toute l’information requise afin qu’il s’engage en toute connaissance de cause et que les policiers conservent des notes détaillées de cette entente: Wood c. Schaeffer, [2013] 3 R.C.S. 1053, par. 67; R. c. Zalat, 2019 QCCA 1829, par. 34.

[150]      En l’espèce, le service de police a pris soin de valider la candidature de PD dans le cadre d'un processus interne qui a pris un certain temps. Le dossier n’explique pas pourquoi, en marge de celui-ci, une démarche plus formelle avec PD n’a pas été entreprise afin de s’assurer qu’elle comprenait les limites de la protection offerte et les conséquences possibles de ses révélations anticipées. Évidemment, le risque de cette démarche était peut-être de perdre la collaboration recherchée si PD comprenait qu’elle resserrait elle-même l’étau sur son sort, sans la possibilité d’une entente « d’immunité ».

[151]      Quoiqu’il en soit, si l’omission de renseigner adéquatement le candidat n’empêche probablement pas l’État de profiter des renseignements obtenus, l’État ne pourra profiter des imprécisions de son entente avec l'indicateur pour la retourner ensuite contre lui.

[152]      En outre, selon ce qui lui est dit, un candidat peut certainement comprendre implicitement qu’on le tiendra indemne de ses mauvaises actions qui peuvent être touchées par l’enquête. Il lui importe peu que cette « immunité » relève ou non du pouvoir policier. C'est clairement le cas en l’espèce.

[153]      Le fait de porter des accusations dans les circonstances est manifestement choquant. L'équité du procès était certainement compromise par les limites imposées au droit à une défense pleine et entière. Cela dit, une telle conduite étatique risque de miner l'intégrité du processus judiciaire.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[154]      ACCUEILLE l’appel ;

[155]      SURSOIT à la déclaration de culpabilité;

[156]      PRONONCE l’arrêt des procédures.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

                     

                     

                     

Procureurs de l’appelante

 

                     

                     

                     

Procureurs de l’intimée

 

Date d’audience :

         

 


[1]  Dans le présent arrêt, le genre masculin ou féminin est utilisé uniquement pour s’harmoniser avec le genre des termes utilisés sans égards au genre de PD.

[2]  Dans le présent arrêt les expressions « informateur », « indicateur », « source », « source humaine » sont des termes équivalents pour désigner le statut d’indicateur de police reconnu par la common law. Pour plus de clarté, il n'est aucunement question dans le présent arrêt du régime particulier prévu aux articles 25.1 et suivants du Code.

[3]  Dans l’affaire R. c. Hiscock, 1992 CanLII 2959, [1992] RJQ 895, on apprend que le procès s’était déroulé dans un huis clos strict à la demande des parties. La décision ne permet pas d’en comprendre précisément le motif, sinon que Hiscock prétendait au procès être un indicateur alors que les faits ont plutôt révélé qu’il entretenait une relation avec la police dans le but de faire avancer ses propres activités criminelles. Le juge lui avait donc refusé le bénéfice du privilège dans ces circonstances, ce qui explique pourquoi la Cour a pu en discuter ouvertement dans sa décision.

[4]  Le caviardage suivant la désignation des policiers A, B, C ou D cache leurs noms.

[5]  Par ces commentaires, la Cour ne fait que reconnaître la variété des relations entre une source et un service de police. Il ne faut certainement pas y voir l'énoncé de paramètres définitifs. Le sujet est riche en nuances: Boisvert, A.-M., La protection des collaborateurs de la justice : éléments de mise à jour de la politique québécoise rapport final présenté au ministère de la sécurité publique, Québec: Sécurité publique Québec, 2005.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.