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[1] Le 14 février 2006, M. Mohamad Kafshdaran (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 19 janvier 2006, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 14 novembre 2005 et déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi à compter du 31 août 2005.
[3] L’audience s’est tenue à Montréal le 27 septembre 2006 et le 5 octobre 2006 en présence du travailleur qui était représenté par avocat. Immeubles Sternthal inc. (l’employeur) était également représenté par avocat.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande d’annuler la décision portant sur la capacité du travailleur d’effectuer son travail car elle est prématurée et fondée sur un avis complémentaire illégal.
[5] Il demande de retourner le dossier à la CSST afin que les questions d’ordre médical soient soumises à un Bureau d’évaluation médicale.
LES FAITS
[6] Le travailleur âgé présentement de 57 ans est concierge pour les Immeubles Sternthal inc.
[7] Le 20 mai 2004, il est victime d’un accident du travail. Il ressent une vive douleur à la région du mollet droit en montant sur une rampe pour aller porter des sacs de déchets. Il consulte un médecin le même jour et une rupture musculaire au mollet droit est retenue comme diagnostic. Il est immédiatement dirigé en orthopédie.
[8] Une échographie réalisée le lendemain de l’événement a démontré une «déchirure sévère distale du muscle jumeau interne avec désinsertion myo-aponévrotique pratiquement complète, hématome associé.»
[9] Le Dr Pierre Sabouret, chirurgien orthopédiste, prend le travailleur en charge le 31 mai 2004 et le place dans une immobilisation plâtrée pour un mois. Par la suite, il est dirigé en physiothérapie.
[10] Le 21 décembre 2004, le travailleur est examiné par le Dr Pierre Major, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. Le diagnostic de rupture musculaire du mollet est retenu par le Dr Major et il considère que la lésion n’est pas encore consolidée. Il est d’avis de poursuivre les traitements de physiothérapie. De plus, il estime utile de réaliser une investigation complémentaire. Le pronostic est selon lui variable.
[11] La contestation relative à la nature, nécessité et suffisance des soins est soumise au Bureau d’évaluation médicale. Le Dr Jacques Duranceau, physiatre, agissant à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale, émet son avis le 10 mars 2005. Il suggère une scintigraphie osseuse triple phase pour éliminer une dystrophie réflexe. Il ajoute que s’il y avait hypoperfusion de non-utilisation du membre inférieur droit ou si l’examen est négatif, la consolidation devrait suivre immédiatement. Une investigation par imagerie par résonance magnétique ne changerait pas à son avis le diagnostic ni le pronostic de ce patient. Il considère que s’il y a nécessité de confirmer le tissu cicatriciel, l’échographie de contrôle lui apparaît l’examen de choix.
[12] Par décision datée du 16 mars 2005, la CSST avise le travailleur qu’elle est liée par l’avis du Bureau d’évaluation médicale, que les traitements sont encore nécessaires et qu’elle continuera de payer pour ces traitements.
[13] Le 20 avril 2005, le médecin conseil à la CSST, communique avec le Dr Sabouret pour connaître l’évolution de la lésion. Le médecin (nom illisible) écrit dans les notes évolutives ce qui suit au sujet de cette conversation téléphonique :
Le Dr Sabouret m’explique :
Le diagnostic est clair et si les douleurs persistent elle sont liées à la cicatrice musculaire qui dérange et dérangera encore la contraction harmonieuse du jumeau.
Donc il ne voit pas l’à propos d’investigation : il fournit dans ces cas-là une base d’un an de physio et de soins et l’étirement de la cicatrice intra-musculaire : et fera le R.E.M. dans la semaine du congé final - soit un an. Il faut penser qu’il ne pourra pas refaire les travaux au niveau qu’ils le faisaient avant. [sic]
[14] Dans un autre rapport du 30 mai 2005 le Dr Sabouret écrit :
Plafonne en physiothérapie. Par ailleurs, douleur et cyanose et œdème, évoquait une dystrophie malgré la prise de Neurontin. ITT - consultation en physiatrie. Poursuivre la physio en attendant.
[15]
Le 31 août 2005, le travailleur est examiné par le Dr Nicholas Newman,
chirurgien orthopédiste, afin de procéder à l’évaluation médicale du
travailleur conformément à l’article
[16] Dans son rapport du 15 septembre 2005, le Dr Newman écrit qu’il note certains phénomènes de discordance dans ce dossier. Il considère que l’usage d’une canne par le travailleur est complètement hors de proportion plus d’un an après la lésion. Les limitations au niveau du genou droit et de la hanche droite ne sont pas crédibles. Il est donc d’avis que le diagnostic de la lésion est une «rupture de la partie interne du gastrocnemius», que cette lésion est consolidée au plus tard le 31 août 2005 et que le travailleur conserve une atteinte permanente; soit un déficit anatomo-physiologique évalué à 1 % (atteinte des tissus mous sans séquelles fonctionnelles mais avec changements radiologiques, soit une échographie positive). Concernant les limitations fonctionnelles, le Dr Newman écrit «devant la disproportion démontrée par M. Kafshdaran aujourd’hui, je ne peux suggérer aucune limitation fonctionnelle, bien que dans les circonstances la suggestion d’un retour au travail progressif pourrait être utile».
[17] Le rapport du Dr Newman est transmis au Dr Sabouret pour commentaires. Dans un rapport complémentaire daté du 26 octobre 2005, le Dr Sabouret écrit «D’accord pour l’essentiel avec l’évaluation du Dr Nicholas Newman. Pour moi le dossier est clos».
[18] Le 10 novembre 2005, le travailleur est examiné par le Dr Martin Lamontagne, physiatre. Dans un rapport médical qu’il transmet à la CSST, il écrit «Séquelles de désinsertion myo-aponévrotique jumeau interne D, syndrome de douleur chronique». Il prescrit un arrêt de travail et retourne le travailleur au Dr Sabouret. Il demande une résonance magnétique et une scintigraphie osseuse.
[19] Par décision datée du 14 novembre 2005, la CSST avise le travailleur qu’il est capable d’exercer son emploi depuis le 31 août 2005. Le travailleur conteste cette décision mais elle est confirmée le 19 janvier 2006 à la suite d’une révision administrative.
[20] À l’audience, plusieurs documents médicaux ont été produits dont une note du Dr Sabouret datée du 10 mars 2006 concernant le rapport complémentaire du 26 octobre 2005. Cette note se lit comme suit :
Je veux préciser qu’une erreur d’interprétation de ma part a pu amener une certaine confusion dans ce dossier. En effet, si je suis d’accord pour l’essentiel avec l’évaluation du Dr Newman, je ne peux pas, par contre, endosser la conclusion à l’effet que M. Kafshdaran n’a aucune limitation fonctionnelle. Il conserve des séquelles douloureuses qui l’empêchent de faire tout autre qu’un travail clérical purement sédentaire.
Patient à revoir en avril 2006 pour consolidation + REM.
[21] Un rapport d’évaluation médicale a été rédigé par le Dr Sabouret le 26 mai 2006. Le Dr Sabouret explique dans son rapport que s’il est d’accord pour l’essentiel avec l’évaluation du Dr Newman, il ne peut endosser la conclusion que le travailleur n’a aucune limitation fonctionnelle. Il ajoute qu’une consultation a été demandée auprès du Dr Lamontagne. Il indique que le travailleur n’a pas été amélioré par la prise de Neurontin mais la scintigraphie triple phase n'a pas réussi à mettre en évidence de dystrophie réflexe. Toutefois, le Dr Lamontagne est aussi d’avis que le travailleur présente une douleur persistante incapacitante. Quant à la résonance magnétique, cet examen a confirmé le premier diagnostic posé à la suite de l’échographie.
[22] Le Dr Sabouret est donc d’avis que le diagnostic final de la lésion est une déchirure du jumeau interne du genou droit avec séquelles douloureuses et fonctionnelles. Il fixe la date de consolidation de la lésion au 11 avril 2006. Il est d’avis que la lésion a entraîné un déficit anatomo-physiologique de 2 % (code 103499, atteinte des tissus mous du membre inférieur avec séquelles fonctionnelles) et les limitations fonctionnelles suivantes :
Limitations fonctionnelles
Le patient ne peut ni de doit tirer, pousser, soulever des charges quelles qu’elles soient. Il ne peut ni ne doit travailler en position accroupie ou à genoux, courir, sauter, pivoter, faire des mouvements de flexion-extension répétés, travailler dans les échelles ou les escabeaux, rester debout plus d’une demi-heure.
[23] Il ajoute que le travailleur est inapte à faire son travail de journalier à l’entretien ménager et que seul un travail purement clérical pourrait lui convenir.
[24] M. Mohamad Kafshdaran a témoigné à l’audience. Il ne parle pas français et s’exprime avec difficulté en anglais. Il déclare que le Dr Sabouret parle français seulement. Il explique que le Dr Sabouret l’a dirigé en physiatrie à l’hôpital Notre-Dame le 30 mai 2005. Toutefois, il n’avait pas de nouvelles de ce médecin qu’il devait consulter. Il en a parlé au Dr Newman qui lui a dit que le Dr Sabouret était son médecin. Il s’est présenté au bureau du Dr Sabouret mais celui-ci lui a dit que son dossier était fermé, de se présenter à l’hôpital Notre-Dame. C’est seulement en novembre 2005 qu’il a rencontré le Dr Lamontagne. Ce dernier lui a conseillé de voir son médecin de famille, le Dr Ismail Zeinali. Toutefois, celui-ci n’a pu le prendre en charge car il n’avait pas les documents concernant cet accident. Finalement, sa fille a obtenu un rendez-vous avec le Dr Sabouret en février 2006.
[25] Myriam Kafshdaran, la fille du travailleur, a également témoigné à l’audience. À compter d’avril 2005, elle accompagnait régulièrement son père chez le médecin. Elle était présente le 30 mai 2005. Le Dr Sabouret lui a dit que l’état de son père avait plafonné avec la physiothérapie et qu’il devrait être vu en physiatrie.
[26] Son père a été vu par un physiatre, le Dr Lamontagne le 11 novembre 2005. Ce médecin a alors suggéré de passer deux autres tests et les résultats de ces examens ont été envoyés au Dr Sabouret.
[27] Le témoin explique que les traitements de physiothérapie ont été cessés en août 2005 mais c’est seulement en novembre que la CSST les a avisés que le dossier de son père avait été fermé. Elle a alors tenté d’obtenir un rendez-vous avec le Dr Sabouret mais elle ne l’a rencontré qu’en février 2006.
[28] Le Dr Sabouret a témoigné à l’audience à la demande de l’employeur. En effet, à la suite du dépôt de sa note du 10 mars 2006 lors de la première audience, la procureure de l’employeur l’a assigné pour témoigner.
[29] Le Dr Sabouret travaille à l’hôpital St-Luc et il voit tous ces patients à l’hôpital. Il est en salle d’opération un jour par semaine. Il voit cependant beaucoup de patients à la clinique et il voit aussi des cas d’accidents du travail.
[30] Il reconnaît sa signature sur le rapport complémentaire du 26 octobre 2005. Il connaît l’utilité d’un tel rapport. Il reconnaît cependant qu’il a fait une erreur en répondant comme il l’a fait. Il explique que pour lui, au point de vue chirurgical, le dossier était clos. Il n’avait plus rien à offrir au travailleur et il voulait obtenir l’opinion d’un collègue. Il considère qu’en tant que chirurgien il a une vision biaisée de ce type de lésion. Il l’a alors envoyé au Dr Lamontagne qui est physiatre. Il s’attendait à ce que le Dr Lamontagne le prenne en charge.
[31] Il reconnaît avoir agi de façon expéditive lorsqu’il a reçu le rapport. Il l’a lu «en diagonal» et a répondu rapidement, étant donné qu’il ne se considérait plus comme le médecin traitant. De plus, la CSST savait qu’il avait dirigé le travailleur au Dr Lamontagne.
[32] En outre, lorsqu’il a rempli le rapport complémentaire il n’avait ni vu ni examiné le travailleur depuis plusieurs mois. Il a présumé que le travailleur allait mieux car le Dr Newman le disait dans son rapport.
[33] Le Dr Sabouret explique qu’il est d’accord avec l’examen du Dr Newman mais pas avec ses conclusions. Lorsqu’on a porté à sa connaissance les ennuis que sa réponse avait causés il a fait un autre rapport. En fait, c’est à la demande de la fille du travailleur qu’il a rédigé la note du 10 mars 2006.
[34] En février 2006, il avait le rapport du Dr Lamontagne et les résultats des examens demandés. Il a alors accepté de revoir le travailleur et de faire le rapport d’évaluation médicale. Dans son rapport d’évaluation médicale, il indique que le travailleur conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
L’AVIS DES MEMBRES
[35] Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête du travailleur et de déclarer nulle la décision contestée car elle est prématurée. L’avis du Dr Sabouret n’est pas étayé dans le rapport complémentaire et les quelques mots indiqués portent à confusion. La CSST aurait dû demander un avis plus détaillé au Dr Sabouret. De plus, le Dr Sabouret avait indiqué dans le passé que le travailleur conserverait des séquelles de la lésion professionnelle.
[36] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête du travailleur et de confirmer la décision contestée. L’avis complémentaire émis par le Dr Sabouret est conforme à la loi. Il est le médecin qui a charge du travailleur. Il a déclaré être d’accord avec l’avis du Dr Newman qui concluait à l’absence de limitations fonctionnelles. La CSST avait raison de conclure que le travailleur est donc capable d’exercer son emploi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[37] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur est capable d’exercer son emploi et ce, depuis le 31 août 2005.
[38] Avant de statuer sur cette question, le tribunal doit examiner la régularité de la procédure d’évaluation médicale ayant conduit à la décision contestée.
[39]
L’article
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[40] Par ailleurs, le travailleur ne peut contester l’avis de son médecin en ce qui concerne une question d’ordre médical :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2.
__________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14.
[41]
En l’espèce, c’est la CSST qui initie la procédure d’évaluation médicale
en demandant au travailleur de se présenter au bureau du Dr Newman pour se
soumettre à un examen conformément à l’article
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
__________
1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
[42]
Le rapport du Dr Newman est transmis au médecin qui a charge du
travailleur, le Dr Sabouret, et ce dernier remplit un rapport complémentaire
tel que prévu à l’article
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
__________
1997, c. 27, a. 3.
[43] Le Dr Sabouret répond qu’il est d’accord pour l’essentiel avec l’évaluation du Dr Newman et que pour lui le dossier est clos. La CSST interprète cette réponse comme voulant dire qu’il est d’accord avec les conclusions émises par le Dr Newman.
[44] Or, selon la jurisprudence, pour que la CSST soit liée par le rapport complémentaire du médecin qui a charge du travailleur qui se dit d’accord avec les conclusions du médecin désigné par la CSST, l’avis du médecin qui a charge doit être clair, non ambigu et ne pas porter à interprétation.[2]
[45] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles estime que l’opinion du Dr Sabouret émise dans le rapport complémentaire du 26 octobre 2005 ne rencontre pas ces critères.
[46] D’abord, le Dr Sabouret, dans une conversation téléphonique avec le médecin conseil de la CSST, le 20 avril 2005, indique qu’il faut prévoir que le travailleur «ne pourra pas refaire les travaux au niveau qu’il les faisait avant». Il prévoyait donc que le travailleur conserverait des limitations fonctionnelles.
[47] Deuxièmement, les mots utilisés par le Dr Sabouret dans son rapport complémentaire ne sont pas clairs et ils peuvent porter à interprétation. Il dit qu’il est d’accord pour «l’essentiel». La CSST aurait dû à tout le moins s’interroger sur ce choix de mots et demander un avis plus étayé au Dr Sabouret. Seulement, quelques mois auparavant, le Dr Sabouret avait indiqué que le travailleur ne serait probablement pas capable de reprendre son travail. La CSST aurait dû, dans les circonstances et compte tenu des commentaires vagues et imprécis consignés au rapport complémentaire, communiquer à nouveau avec le Dr Sabouret pour obtenir des précisions.
[48] Troisièmement, lorsque le Dr Sabouret voit le travailleur, le 30 mai 2005, il soupçonne une dystrophie réflexe et demande une consultation au Dr Lamontagne.
[49] Le Dr Sabouret ne revoit plus le travailleur avant de rédiger son rapport complémentaire. Il ne pouvait dans ces circonstances étayer ses conclusions dans un rapport complémentaire émis plus de cinq mois après sa dernière consultation. Il n’avait pas obtenu le rapport de consultation du Dr Lamontagne puisque la preuve révèle que c’est seulement le 10 novembre 2005 que le travailleur a été examiné pour la première fois par le Dr Lamontagne. Ce médecin a demandé des examens et les résultats ont été envoyés au Dr Sabouret qui les a reçus au début de l’année 2006. Dans ces circonstances, le Dr Sabouret ne pouvait émettre un rapport complémentaire conforme à la loi avant février 2006. Il a admis à l’audience qu’il ne connaissait plus l’état du travailleur et a présumé qu’il était mieux en lisant le rapport du Dr Newman.
[50] Quatrièmement, dans une note datée du 10 mars 2006, le Dr Sabouret indique qu’il y a eu une erreur d’interprétation de sa part dans ce dossier. Il précise qu’il est d’accord pour l’essentiel avec l’évaluation du Dr Newman mais il ne peut endosser la conclusion que le travailleur ne conserve pas de limitations fonctionnelles. Il indique qu’il doit revoir le travailleur en avril 2006 pour consolidation et pour faire le rapport d’évaluation médicale.
[51] Le Dr Sabouret a témoigné à l’audience et a admis qu’il a agi de façon expéditive en indiquant sur le rapport complémentaire qu’il était d’accord pour l’essentiel avec l’évaluation du Dr Newman. Le Dr Sabouret explique que, pour lui, au point de vue chirurgical, le dossier était fermé. Il avait envoyé le travailleur au Dr Lamontagne et croyait que celui-ci l’aurait pris en charge. Cependant, il réitère qu’il n’est pas d’accord avec la conclusion que le travailleur ne conserve pas de limitations fonctionnelles.
[52] Finalement, le Dr Sabouret n’a jamais informé le travailleur du contenu de son rapport complémentaire tel que prévu à l’article 205.1. Au contraire, le travailleur et sa fille ont tenté sans succès d’obtenir un rendez-vous avec le Dr Sabouret pendant des mois. Ce n’est qu’en février 2006 que la fille du travailleur a réussi à l’obtenir et qu’elle a pu l’aviser de la mésentente dans le dossier de son père. Le Dr Sabouret a alors accepté d’écrire la note datée du 10 mars 2006 et de revoir le travailleur en vue de la préparation d’un rapport d’évaluation médicale. Bien que c’est à la demande de la fille du travailleur que le Dr Sabouret a rédigé la note du 10 mars 2006, son témoignage à l’audience ne laisse subsister aucun doute quant à l’interprétation des mots utilisés dans le rapport complémentaire. Il n’est pas d’accord avec la conclusion concernant les limitations fonctionnelles.
[53] Le Dr Sabouret consolide la lésion professionnelle le 11 avril 2006 et produit un rapport d’évaluation médicale dans lequel il indique que le travailleur conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[54]
La Commission des lésions
professionnelles est d’avis que dans ces
circonstances, le rapport complémentaire du Dr Sabouret est irrégulier et ne
présente pas un caractère liant au sens de l’article
[55] Dans ces circonstances et puisqu’il y a divergence d’opinions entre le Dr Sabouret et le Dr Newman, la Commission des lésions professionnelles retourne le dossier à la CSST afin qu’elle soumette les questions d’ordre médical contestées au Bureau d’évaluation médicale. La CSST pourra, par la suite, rendre une décision concernant la capacité du travailleur à exercer son emploi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Mohamad Kafshdaran;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 19 janvier 2006 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE nulle la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 14 novembre 2005 statuant sur la capacité du travailleur à exercer son emploi habituel;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin que les questions d’ordre médical contestées soient soumises au Bureau d’évaluation médicale.
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Santina Di Pasquale |
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Commissaire |
Me Maxime Gilbert |
F.A.T.A. - MONTRÉAL |
Représentant de la partie requérante |
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Me Angelica Carrero |
GROUPE AST INC. |
Représentante de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Leclaire et Constructions
Enfab inc., C.L.P.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.