Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Centre de la petite enfance Les Dégourdis

2015 QCCLP 258

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay

16 janvier 2015

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

549728-02-1408

 

Dossier CSST :

141421719

 

Commissaire :

Jean Grégoire, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Centre de la petite enfance

Les Dégourdis

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 15 août 2014, le Centre de la petite enfance Les Dégourdis (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 11 juillet 2014 à la suite d'une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme pour d’autres motifs celle qu’elle a rendue le 22 avril 2014 et déclare que l’imputation à l’employeur du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 27 août 2013 doit demeurer inchangée.

[3]           Une audience devait avoir lieu le 12 janvier 2015 à Saguenay. Toutefois, la représentante de l’employeur a renoncé à la tenue de celle-ci et a fait parvenir une argumentation écrite au soutien de ses prétentions.

 

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit, en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) à un transfert du coût des prestations imputées à son dossier financier pour la période du 2 décembre 2013 au 20 mars 2014, au motif qu’une maladie intercurrente a interrompu une période d’assignation temporaire.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit au transfert du coût des prestations versées à la travailleuse pour la période du 2 décembre 2013 au 20 mars 2014.

[6]           Dans le présent dossier, l’employeur base sa demande de transfert de coût en vertu de l’article 326 de la loi, lequel prévoit que :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[7]           De la preuve documentaire, le tribunal retient qu’en 2013, la travailleuse occupait, un emploi d’éducatrice en garderie chez l’employeur.

[8]           Le 27 août 2013, elle subit un accident du travail lorsqu’un enfant lui tombe sur le genou droit.

[9]           Le 31 août 2013, la travailleuse consulte le docteur Dominic Gagnon qui pose le diagnostic d’entorse au genou et autorise, en complétant un formulaire d’assignation, une assignation temporaire qui est mise en œuvre immédiatement par l’employeur.

[10]        Au mois de septembre 2013, la travailleuse débute des traitements de physiothérapie et l’assignation temporaire se poursuit.

[11]        À compter du 7 octobre 2013, elle est prise en charge par la docteure Manon Trudel qui pose le diagnostic de subluxation de la rotule droite avec instabilité persistante. Une imagerie par résonance magnétique du genou droit est alors demandée et l’assignation temporaire est maintenue par le médecin jusqu’au 4 novembre 2013.

[12]        Le 11 octobre 2013, l’examen par résonance magnétique révèle la présence d’une fissure du cartilage fémoropatellaire.

[13]        Le 4 novembre 2013, la docteure Trudel demande une opinion en orthopédie et autorise la poursuite de l’assignation temporaire de la travailleuse jusqu’au 11 décembre 2013.

[14]        Le 19 novembre 2013, l’agente d'indemnisation de la CSST, madame Louise Breton, note ce qui suit lors d’une conversation téléphonique avec la représentante de l’employeur :

[…]

 

Message de Mme Nancy Bilodeau de l’association des CPE:

Elle informe qu’à compter du 2013-11-25, T fera ATT à mi-temps car moins de travail disponible et difficulté budgettaire. Elle nous demande de verser IRR en SP à T.

 

[…]

 

[sic]

 

 

[15]        Le 2 décembre 2013, l’employeur informe la CSST que la travailleuse est maintenant en arrêt de travail complet car elle est enceinte et qu’elle a déposé le Certificat visant le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite.

[16]        Selon le document « Portrait du travailleur », provenant du dossier informatique de la CSST, des indemnités de remplacement du revenu sont effectivement versées à la travailleuse à compter du 2 décembre 2013, et ce, jusqu’au 20 mars 2014. Cette période d’indemnisation de 110 jours représente une somme de 6 940,03 $.

[17]        Le 10 décembre 2013, l’employeur dépose à la CSST une demande de transfert de coût au motif qu’une « maladie intercurrente » a interrompu l’assignation temporaire de la travailleuse.

[18]        Le 11 décembre 2013, la docteure Trudel pose le diagnostic d’entorse au genou droit et autorise toujours l’assignation temporaire.

[19]        Le 20 mars 2014, un rapport final est complété par la docteure Trudel sur lequel elle consolide l’entorse au genou droit subie par la travailleuse, et ce, sans séquelle permanente ni limitation fonctionnelle.

[20]        Le 22 avril 2014, la CSST rejette la demande de transfert de coût déposée par l’employeur.

[21]        Le 11 juillet 2014, à la suite d'une révision administrative, la CSST confirme pour d’autres motifs la décision qu’elle a rendue le 22 avril 2014, d’où le présent litige.

[22]        Des arguments soumis par l’employeur, le tribunal en comprend que celui-ci désire obtenir un transfert des coûts imputés à son dossier financier pour la période du 2 décembre 2013 au 20 mars 2014, au motif que la grossesse de la travailleuse a interrompu son assignation temporaire.

[23]        Bien que l’employeur ne le spécifie pas clairement, le soussigné estime que sa demande ne vise que le transfert du coût des indemnités de remplacement du revenu versées à la travailleuse durant la période en cause, et non pas l’ensemble des coûts imputés à son dossier financier pour la lésion professionnelle du 27 août 2013. Il n’y a en effet aucune raison de retirer les coûts reliés à l’assistance médicale reçue par la travailleuse pour sa lésion professionnelle, tels les coûts reliés aux traitements de physiothérapie, puisqu’il n’y a aucun lien entre ces coûts et l’interruption de l’assignation temporaire effectuée par cette dernière.

[24]        Par conséquent, la demande de transfert de coût de l’employeur ne vise donc pas un transfert total des coûts imputés à son dossier financier pour la lésion du 27 août 2013, mais uniquement un transfert partiel des coûts, c’est-à-dire ceux correspondant aux indemnités de remplacement du revenu versées entre le 2 décembre 2013 et le 20 mars 2014.

[25]        Récemment, dans l’affaire Supervac 2000[2], la Commission des lésions professionnelles a fait une analyse approfondie de la jurisprudence portant sur les demandes de transfert de coût en vertu de l’article 326 de la loi. Dans cette affaire, le tribunal a déterminé que le deuxième alinéa de cette disposition ne visait que les demandes de transfert total de coûts, alors que les demandes de transfert partiel de coûts devaient plutôt s’analyser en fonction du principe général d’imputation prévu au premier alinéa de l’article 326 de la loi. Voici comment le tribunal concluait sur cette question :

 [131]  En résumé, le tribunal retient de son analyse que l’exception au principe général d’imputation prévue au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, en regard de la notion d’obérer injustement, ne s’applique qu’à l’égard des demandes de transfert total de coûts qui visent généralement des situations liées à l’admissibilité même de l’accident du travail. Dans de tels cas, la notion « d’obérer injustement » ne fera pas l’objet d’interprétations contradictoires puisque la proportion significative des coûts devant être démontrée dans le cadre de telles demandes sera facilement établie puisqu’il s’agira de la totalité de ceux-ci.

 

[132]  Par ailleurs, les demandes de transfert partiel de coûts doivent plutôt être analysées en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi afin de déterminer si les prestations ont été ou non imputées en raison de l’accident du travail. Il n'y a pas de délai pour produire une telle demande et l'employeur doit alors démontrer que les prestations qu'il souhaite faire retirer de son dossier financier ne sont pas en lien direct avec l'accident du travail.

           

[sic]

 

            [Nos soulignements]

 

 

[26]        Dans une décision rendue le 16 décembre 2014, la Cour supérieure[3] rejetait une requête en révision judiciaire déposée par la CSST à l’encontre de la décision Supervac 2000[4], jugeant ainsi raisonnable l’interprétation de l’article 326 de la loi retenue dans cette affaire. En outre, cette interprétation de l’article 326 de la loi a également été retenue dans plusieurs décisions[5] subséquentes à l’affaire Supervac 2000.

[27]        Avec respect pour l’opinion contraire, le soussigné adhère entièrement à l’analyse et aux conclusions retenues dans l’affaire Supervac 2000[6] et estime donc que c’est en fonction du premier alinéa de l’article 326 de la loi qu’il faut déterminer si les indemnités de remplacement du revenu versées à la travailleuse durant la période du 2 décembre 2013 au 20 mars 2014 sont des « prestations dues en raison d’un accident du travail ».

[28]        À ce dernier propos, toujours dans l’affaire Supervac 2000[7], le tribunal interprétait les termes « prestations dues en raison d’un accident du travail » prévus au premier alinéa de l’article 326 de la loi de la façon suivante :

[122]  À la lumière des définitions énoncées plus haut et des décisions auxquelles il est fait référence, le tribunal est d’avis que l’utilisation du terme « due en raison d’un accident du travail » que l’on retrouve au premier alinéa de l’article 326 de la loi présuppose qu’il doit exister un lien direct entre l’imputation des prestations versées et l’accident du travail.

 

[123]  Ainsi, toute prestation imputée qui n’est pas due en raison d’un accident du travail devrait être retirée du dossier financier de l’employeur.

 

[sic]

 

 

[29]        C’est ainsi qu’en fonction de cette dernière interprétation, il en découle qu’en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi, il doit exister un lien direct entre l’imputation au dossier de l’employeur du coût des prestations versées à un travailleur et l’accident du travail survenu à celui-ci. Dans la mesure où un tel lien direct n’est pas présent pour une période donnée, les prestations versées durant cette période ne doivent pas être imputées au dossier financier de l’employeur.

[30]        En l’espèce, la preuve démontre clairement que dès la première consultation médicale à la suite de l’événement accidentel du 27 août 2013, une assignation temporaire a été autorisée et effectuée sans interruption par la travailleuse chez l’employeur, et ce, jusqu’au début du mois de décembre 2013. C’est uniquement à compter du 2 décembre 2013, que la travailleuse a cessé son assignation temporaire car elle a déposé un certificat de retrait préventif en raison de sa grossesse.

[31]        Considérant que lors de la consultation médicale du 11 décembre 2013, la docteure Trudel autorisait toujours l’assignation temporaire de la travailleuse, il y a tout lieu de croire que n’eussent été les risques reliés à sa grossesse, celle-ci aurait continué d’effectuer une assignation temporaire chez l’employeur, et ce, jusqu’à la consolidation de sa lésion professionnelle le 20 mars 2014.

[32]        Cependant, le soussigné se doit de considérer la note de l’agente d’indemnisation de la CSST du 19 novembre 2013, à l’effet qu’en raison de difficultés budgétaires et de manque de travail, l’assignation temporaire de la travailleuse aurait été réduite à demi - temps dans les semaines à venir. Dans son argumentation acheminée au tribunal, la représentante de l’employeur souligne d’ailleurs cet élément lorsqu’elle indique : « Considérant que la travailleuse aurait continué son assignation temporaire n’eut été sa grossesse à tout le moins à demi temps ».

[33]        Force est donc de conclure que si ce n’avait été de son retrait du travail en raison des risques reliés à sa grossesse, l’assignation temporaire effectuée par la travailleuse ne se serait poursuivie qu’à demi-temps et la CSST lui aurait versé la moitié de ses indemnités de remplacement du revenu.

[34]        Dans un tel contexte où la preuve prépondérante démontre que l’assignation temporaire de la travailleuse se serait poursuivie seulement à demi-temps,  le tribunal estime approprié de déclarer que seul 50 % des coûts reliés aux indemnités de remplacement du revenu versées à cette dernière par la CSST, durant la période du 2 décembre 2013 au 20 mars 2014, doit être imputé au dossier financier de l’employeur. L’autre 50 % de ces coûts ne devant être imputé à l’employeur, puisque ne représentant pas des prestations dues en raison d’un accident du travail au sens du premier alinéa de l’article 326 de la loi.

[35]        La requête de l’employeur doit donc être partiellement accueillie.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête du Centre de la petite enfance Les Dégourdis, l’employeur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 11 juillet 2014 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que l’employeur doit être imputé de 50 % du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse durant la période du 2 décembre 2013 au 20 mars 2014.

 

 

 

 

Jean Grégoire

 

 

 

 

 

 

 

 

Mme Nancy Bilodeau

ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DES CPE

Représentante de la partie requérante

 

 

 



[1]          RLRQ, c. A-3.001.

[2]           2013 QCCLP 6341, requête en révision judiciaire rejetée le 16 décembre 2014, C.S. Québec, 200-17-019337-138, j. Ouellet, requête pour permission d’appel pendante.

[3]           CSST c. C.L.P. et 9069-4654 Québec inc. (faisant affaire sous le nom de Supervac 2000), 200-17-019337-138, 16 décembre 2014, j. Ouellet, requête pour permission d’appel pendante.

[4]           Précitée, note 2.

[5]           Voir notamment : Arneg Canada inc., 2013 QCCLP 6474, révision pendante; Centre d’éveil Devenir Grand, 2013 QCCLP 6610, révision pendante; Rocoto limitée, 2013 QCCLP 6761, révision pendante; Boulangerie Première Moisson, 2013 QCCLP 6910, révision pendante; Commission scolaire des Laurentides, 2013 QCCLP 7002, révision pendante; Sûreté du Québec, 2013 QCCLP 7004, révision pendante; Ministère de la Sécurité publique, 2013 QCCLP 7018, révision pendante; Coop des Ambulanciers de la Mauricie, 2013 QCCLP 7027, révision pendante; Meubles Branchaud, 2013 QCCLP 7087, révision pendante; Aliments Asta inc., 2013 QCCLP 7222, révision pendante; Meilleurs Marques, 2013 QCCLP 7272, révision pendante; Construction Polaris inc., 2013 QCCLP 7245, révision pendante; Brasserie Labatt du Canada (La), 2013 QCCLP 7344, révision pendante; United Parcel Service Canada ltée, 2014 QCCLP 42, révision pendante; CSSS du Nord de Lanaudière, 2014 QCCLP 76, révision pendante;  Olymel Vallée-Jonction, 2014 QCCLP 165, révision pendante; Les structures Pelco inc., 2014 QCCLP 380, révision pendante; CSSS Lucille-Teasdale, 2014 QCCLP 537, révision pendante; Ville de Montréal, 2014 QCCLP 618, révision pendante; Hydro-Québec, 2014 QCCLP 957; CSSS du Haut-St-François, 2014 QCCLP 1033; Kiewit-Nuvumiut, Société en Coparticipation, 2014 QCCLP 1222, révision pendante.

[6]          Précitée, note 2.

[7]           Id.

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