Côté et Entreprises PEB ltée |
2007 QCCLP 6316 |
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[1] Le 26 février 2007, monsieur René Côté (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 22 février 2007, rendue à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 19 septembre 2006 et déclare que le nouveau diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse n’est pas relié à la lésion professionnelle du 22 août 2003 ou à la rechute, récidive ou aggravation du 24 mai 2004.
[3] À l’audience tenue le 24 octobre 2007 à Québec, le travailleur est présent et représenté. Entreprises P.E.B. ltée (l’employeur) est absent.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que le nouveau diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse est relié à la lésion professionnelle du 22 août 2003.
LES FAITS
[5] À l’époque pertinente, le travailleur occupe un poste de contremaître et chef d’équipe pour le compte de l’employeur, une entreprise œuvrant, entre autres, dans le domaine de la construction de routes.
[6] Le 22 août 2003, le travailleur subit un accident du travail. À la suite d’une fausse manœuvre, il fait une chute au sol et son membre supérieur droit est écrasé sous la roue de son véhicule de travail. On pose d’abord les diagnostics de contusion, tendinite post-traumatique à l’épaule droite et d’entorse au membre supérieur droit. Par la suite, se rajoutent les nouveaux diagnostics d’épicondylite et d’épitrochléite au coude droit.
[7] Le 2 février 2004, la docteure Nicole Thibault produit un rapport médical final. Elle consolide la lésion le 6 février 2004. Elle prévoit un retour au travail régulier le 9 février 2004. Elle ne prévoit pas l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.
[8] Dans les faits, le travailleur ne retourne pas immédiatement au travail puisque son emploi est saisonnier. Il bénéficie de prestations d’assurance emploi. C’est plutôt le ou vers le 10 mai 2004 que le travailleur reprend son travail régulier.
[9] Le 25 mai 2004, le travailleur revoit la docteure Thibault. Cette dernière produit une attestation médicale dans laquelle elle reprend les diagnostics d’épitrochléite droite et de contusion au membre supérieur droit. Elle indique que malgré les exercices de renforcement à domicile effectués cet hiver, il persiste un manque de force dans le membre supérieur droit. Par la suite, la docteure Thibault rajoute le diagnostic de tendinite des fléchisseurs des doigts. En cours d’évolution, se rajoutent également les nouveaux diagnostics de tendinite du sus-épineux droit et de bursite sous-acromiale droite. La CSST reconnaît l’existence d’une relation entre ces nouveaux diagnostics et la lésion professionnelle.
[10] Le travailleur produit une réclamation pour faire reconnaître l’existence d’une rechute, récidive ou aggravation en date du 10 mai 2004. Sur son formulaire de réclamation, il indique que depuis qu’il a repris le travail, les douleurs sont réapparues. Il éprouve de la difficulté à effectuer ses tâches. C’est dans ce contexte qu’il consulte à nouveau son médecin. La CSST reconnaît l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation en date du 24 mai 2004.
[11] À la suite d’un suivi médical soutenu, la docteure Thibault produit un rapport médical final le 30 janvier 2006. Elle consolide la récidive, rechute ou aggravation du 24 mai 2004 à cette date. Il est alors question d’un diagnostic de capsulite à l’épaule droite. Elle prévoit l’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de même que de limitations fonctionnelles. Elle informe le travailleur qu’il doit réorienter sa carrière. Elle dirige le travailleur vers le docteur Pierre Béliveau, physiatre, pour l’évaluation des séquelles.
[12] Le 23 février 2006, le travailleur est examiné par le docteur Béliveau. À titre de diagnostic préévaluation, le docteur Béliveau retient celui de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite. À la suite de son examen, le docteur Béliveau détermine les limitations fonctionnelles suivantes :
« - Considérant la persistance de la douleur à la coiffe des rotateurs de l’épaule droite depuis l’événement accidentel,
- Considérant l’augmentation immédiate de la douleur avec l’activité physique au cours de la journée,
- Considérant qu’il y a eu un traitement conservateur satisfaisant et adéquat,
Je crois qu’il y a lieu d’établir des limitations fonctionnelles en regard de cette lésion :
- Il doit éviter de faire des gestes répétés d’élévation de son bras droit au-dessus de l’épaule ou de faire un travail, le bras élevé en position continue au-dessus de l’épaule,
- Il doit éviter des outils vibrateurs ou encore de soulever et transporter des objets lourds dépassant 20kgs avec le membre supérieur droit. »
[13] Le docteur Béliveau détermine également un déficit anatomo-physiologique de 1 % en raison d’une atteinte permanente des tissus mous de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite.
[14] À compter du mois de mars 2006, le dossier du travailleur est référé à une conseillère en réadaptation de la CSST. On doit déterminer si, en regard des limitations fonctionnelles, le travailleur a la capacité d’exercer son emploi ou un emploi convenable disponible chez l’employeur. Plusieurs rencontres ou discussions ont lieu entre le travailleur, la CSST et l’employeur.
[15] Le 6 avril 2006, la CSST rend une décision concernant l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de la lésion professionnelle du 24 mai 2004. Le pourcentage de l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique est établi à 1,10 %.
[16] Le 10 avril 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle statue sur le droit à la réadaptation du travailleur.
[17] Le 15 juin 2006, une rencontre a lieu à l’établissement de l’employeur. Le travailleur et son représentant sont présents de même que deux représentants de l’employeur et la conseillère en réadaptation. Le travailleur ne pouvant reprendre son emploi prélésionnel, on cherche à évaluer la possibilité pour le travailleur d’occuper un emploi convenable disponible chez l’employeur.
[18] Elle note ce qui suit :
« […]
L’exploration est faite sur d’autres types d’emplois disponibles chez l’E. On se rend vite à l’évidence qu’il n’y a pas d’autres emplois. En effet, tel que le mentionne E, les emplois disponibles sont de type métier unique, liés à la voierie. Les autres emplois techniques demandent une formation de base.
On est donc tous d’accord que l’exploration devra se faire ailleurs sur le MDT.
Je profite des locaux de E pour rencontrer T et représ. du T.
Explications données sur les étapes subséquentes. Je contacterai une cons. en emploi pour qu’elle regarde avec lui les autres possibilités d’EC sur le MDT. Je l’encourage et le rassure quant au type d’emploi, et rien ne l’oblige à l’occuper. Je lui suggère d’analyser sa situation financière, de telle sorte que pendant son année de recherche d’emploi il pourra estimer s’il a besoin de ce revenu. Mais chose certaine, après son année, ses IRR seront réduites du salaire de l’EC. T comprend.
- ASPECT PSYCHOSOCIAL :
T a 59 ans, et il aimait bcp son travail. Il accepte cette situation mais avec émotion.
[…] » [sic]
[19] Le 26 juin 2006, le travailleur revoit la docteure Thibault. Dans ses notes, elle indique que le travailleur est très stressé parce qu’il ne peut pas reprendre son emploi antérieur et qu’il n’y a aucune possibilité de retourner travailler chez son employeur. Depuis, le travailleur est anxieux, malheureux, irritable et son sommeil est perturbé. Il n’accepte pas cette réalité. La docteure Thibault produit une attestation médicale dans laquelle elle indique que le travailleur présente un trouble d’adaptation secondaire à une réadaptation professionnelle nécessaire. Elle dirige le travailleur en psychologie. Sur le billet de prescription de traitements, elle parle plus précisément d’un trouble d’adaptation avec humeur anxieuse.
[20] Le 6 juillet 2006, la conseillère en réadaptation discute avec le travailleur. Elle note :
« - ASPECT PSYCHOSOCIAL :
Suite à la recommandation de son md. il a consulté une psychologue à 2 reprises, la prochaine rencontre est prévue pour le 11 juillet. T a trouvé difficile lors de la dernière rencontre avec son eyeur que celui-ci ne puisse lui offrir un autre emploi, après tant d’années. » [sic]
[21] Le 12 juillet 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte de payer les services d’un support psychologique offert par la psychologue du travailleur pour dix heures d’intervention. Dans cette décision, la CSST indique qu’elle procédera par la suite à une réévaluation de la situation.
[22] Le 15 septembre 2006, une agente de la CSST communique avec le travailleur pour discuter de sa réclamation concernant le trouble d’adaptation avec humeur anxieuse. Dans ses notes, l’agente indique ce qui suit :
« Monsieur m’explique que le nouveau diagnostic est apparu après la rencontre qu’il y a eu chez l’employeur le 15 juin 2006. Cette rencontre l’a vraiment déçu, car il croyait que E allait lui offrir un autre poste, un autre poste pour lui qui avait 34 ans de service là. Il me dit qu’il était contremaître, et que malgré ça, E ne lui a rien offert. Il me dit ne pas l’avoir pris, qu’il a été un temps où il n’en dormait pas la nuit et en faisait des cauchemars. Monsieur ne pense qu’à ça, qu’au fait que E ne lui ai pas offert un autre poste. Il me dit qu’il doit s’activer, s’occuper l’esprit car sinon, ça va pas bien (il ne pense qu’à ça). Lorsqu’il est à son chalet, cela lui permet de penser à autre chose et ça va mieux.
Monsieur voit une psychologue, Mme Lapointe, et depuis qu’il la voit, il y a amélioration de son état. Il me dit qu’elle l’encourage beaucoup. Elle lui aurait expliqué qu’il était en train de faire comme un deuil, mais un deuil de son emploi. T en veut toujours beaucoup à son employeur.
[…] [sic]
[23] Le 19 septembre 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse de reconnaître une relation entre le nouveau diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse et la lésion professionnelle du 22 août 2003. Le travailleur demande la révision de cette décision.
[24] Le 15 octobre 2006, Madame Danièle Lapointe, psychologue, produit un rapport d’évolution à la CSST pour l’informer du suivi psychologique du travailleur. Ce rapport couvre la période du 29 juin au 18 octobre 2006. Dans ce rapport, elle indique :
«1 Les contenus abordés
Durant cette période, le travail psychothérapeutique a porté sur la reconnaissance du Soi Traumatisé de monsieur. Dans cette perspective, l’évaluation psychologique de M. Côté permet de dégager un problème d’anxiété généralisée et des symptômes qui sont associés au refus de son employeur de lui fournir un travail jusqu’à sa retraite. Cette situation a engendré de nombreux problèmes, tels que de l’anxiété, des difficultés de sommeil et de concentration. Il appert que monsieur est en situation de deuil de son emploi et, particulièrement de la reconnaissance qu’il s’attendait de la part de son employeur. Ce dernier point est majeur, car non seulement monsieur s’est senti rejeté, mais il a été incapable d’intégrer un sens à la position de ce dernier. D’autant plus, que malgré l’accident survenu quelques années auparavant au travail, monsieur a toujours été fidèle à son employeur. Par exemple, il a repris le travail malgré les douleurs reliées à l’accident. Par écoute empathique, nous avons aidé monsieur à reconnaître le deuil dans lequel il se situe. Puis, nous avons exploré les possibilités de sortir de son isolement dans lequel il se maintient depuis l’événement. Par des reflets empathiques, nous avons nommé la blessure narcissique1 vécue lors de cette situation. Ce qui dans un premier temps a permis à monsieur de se sentir entendu dans son vécu affectif. Nous l’avons aidé à exprimer ses affects et à reconnaître l’impact de sa blessure, afin qu’il puisse prendre des décisions en fonction de ses désirs plutôt qu’en fonction des attentes, des demandes et des exigences d’autrui. Cette partie du processus est un point central dans le cheminement de monsieur, car en reconnaissant son monde émotionnel cela lui a permis d’explorer les ressources internes qu’il possède. Nous l’avons aidé également à explorer les ressources externes qui peuvent être utiles dans son processus interne. Par exemple, l’aide reçue de la CSST pour un éventuel retour au travail dans d’autres secteurs d’activités. Toutefois, cette partie est encore indissociable entre son passé et la réalité actuelle, voire même impensable. Dans cet ordre d’idées, la poursuite de la psychothérapie nous apparaît essentielle, et ce, afin d’aider monsieur à retrouver ses acquis et d’intégrer des stratégies d’adaptation. Ces recommandations s’inscrivent dans l’objectif d’une acquisition de compétences sur les plans affectif et adaptatif. Nous recommandons la poursuite de la psychothérapie à une fréquence d’une rencontre aux deux semaines.
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1 Il est à noter que le terme narcissique n’est pas employé de façon péjorative, mais dans ce qu’on appelle la blessure narcissique primaire du soi auquel est confronté toutes personnes au cours de la vie.
[25] Le 12 décembre 2006, le travailleur communique avec la conseillère en réadaptation. Dans ses notes, la conseillère indique :
« Je reviens sur notre dernière rencontre en début d’octobre, et sur la possibilité qu’une référence soit faite avec une cons. en emploi à la fin déc. début janvier. J’avais alors contacté sa psy. Pour voir avec elle était d’accord. T est d’accord également. Il me dit qu’il a fait qques démarches pour se trouver un emploi qu’il pourrait faire, mais sans plus. » [sic]
[26] Le 21 février 2007, le travailleur rencontre un conseiller en réadaptation. Il est question de la détermination d’un emploi convenable. Dans ses notes, le conseiller en réadaptation indique :
« […]
-ASPECT PROFESSIONNEL :
Le travailleur se présente à l’heure convenue. Il me dit avoir rencontré Mme Chabot ce matin pour la dernière fois et un rapport suivra. Il dit qu’il a rencontré Mme Lapointe hier.
Il explique qu’il ne veut pas parler de son employeur parce qu’il commence à s’en détacher. Ce qui l’affecte le plus c’est la perte de ses collègues de travail dont certains le rappelle[sic] parfois.
Il dit que cela va mieux depuis le suivi psychologique. Il dit être descendu très bas. Il ne sait pas comment c’est arrivé mais que cela l’a frappé assez fort.
[…] »
[27] Le conseiller en réadaptation informe le travailleur qu’il autorise cinq séances supplémentaires avec la psychologue.
[28] Le 22 février 2007, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle confirme sa décision initiale du 19 septembre 2006, refusant le nouveau diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse. Le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles, d’où le présent litige.
[29] Le 23 février 2007, la conseillère en emploi mandatée par la CSST produit son rapport. Son mandat consiste à identifier avec le travailleur, des emplois convenables respectant son profil. À l’analyse des éléments personnels et sociaux, elle note que le travailleur a de la difficulté à faire le deuil de son emploi précédent de chef d’équipe et de manœuvre en voirie. Le travailleur demeure très amer vis-à-vis la façon dont son employeur s’est comporté à la suite de l’accident. Le travailleur aurait souhaité plus de reconnaissance et de gratitude de la part de l’employeur. Le travailleur se sent perturbé par cette situation. Il pense souvent à son ancien emploi, ce qui l’a amené à consulter une psychologue qu’il voit toujours, pour l’aider à passer au travers.
[30] Le 16 mars 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine que le travailleur a la capacité d’exercer un emploi convenable de livreur de petits colis à compter du 15 mars 2007.
[31] Le tribunal a entendu le témoignage du travailleur.
[32] Il travaille pour l’employeur depuis 1974. À partir de 1977, il occupe un poste de chef d’équipe et de contremaître dans le domaine de la voirie, de construction d’aqueducs et d’égouts. Il supervise une équipe de travail. Il s’assure de fournir l’équipement nécessaire aux membres de l’équipe pour accomplir le travail. Le travailleur aime son travail, lequel lui permet de bien gagner sa vie. « Il a ça en lui. »
[33] Avant la lésion professionnelle du 22 août 2003, le travailleur jouit d’une bonne santé. Il s’adonne à plusieurs sports et loisirs (visites à son chalet, V.T.T, pêche, chasse, ski, bricolage). Il a de bonnes relations avec son employeur, sa famille ou ses amis. Il n’a pas de soucis financiers.
[34] À la suite de sa lésion professionnelle du 22 août 2003, la situation change. Cette lésion est consolidée le 6 février 2004. Le travailleur tente un retour au travail en mai 2004. Il doit cesser de travailler. Il est en récidive, rechute ou aggravation à compter du 24 mai 2004. Le travailleur a de la difficulté à faire son travail qu’il aime tant. Il doit laisser tomber plusieurs activités.
[35] En janvier 2006, son médecin l’informe qu’il doit réorienter sa carrière. Cette nouvelle le bouleverse car il pensait pouvoir réintégrer son poste. « Cette nouvelle le prend au cœur. » En juin 2006, le travailleur assiste à une rencontre chez son employeur. L’employeur fait alors savoir qu’il n’a pas d’emploi à offrir au travailleur en raison des limitations fonctionnelles. Le travailleur encaisse la nouvelle avec émotion. Il a de la difficulté à accepter qu’il ne pourra plus travailler avec ses collègues. Il est bouleversé.
[36] Le travailleur consulte la docteure Thibault le 26 juin 2006. Le travailleur est très stressé en raison du fait qu’il ne peut retourner chez son employeur. Depuis cette nouvelle, il est anxieux, malheureux et irritable. Il n’accepte pas cette réalité. Son sommeil est perturbé. Le travailleur indique qu’il fait des cauchemars. Il ne cesse de penser à cette situation.
[37] La docteure Thibault pose un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse et prescrit une psychothérapie.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[38] Le représentant du travailleur soumet que le nouveau diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse est en relation avec la lésion professionnelle du 22 août 2003[1].
L’AVIS DES MEMBRES
[39] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête du travailleur. Il estime que le nouveau diagnostic de trouble d’adaptation ne peut constituer une lésion. La preuve soumise n’est pas prépondérante pour permettre de faire un lien avec la lésion professionnelle du 22 août 2003
[40] La membre issue des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête du travailleur. Elle estime que le nouveau diagnostic de trouble d’adaptation est relié à la lésion professionnelle du 22 août 2003 et ses conséquences. À partir de la lésion professionnelle du 22 aout 2003, la vie du travailleur bascule. Il subit une récidive, rechute ou aggravation dès le 24 mai 2004. Cette récidive, rechute ou aggravation entraîne des limitations fonctionnelles. Ces limitations fonctionnelles l’empêchent de reprendre son emploi. À partir du moment où l’incapacité pour le travailleur de refaire son emploi se concrétise, le diagnostic de trouble d’adaptation est posé.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[41] Le tribunal doit déterminer si le nouveau diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse est relié à la lésion professionnelle du 22 août 2003.
[42] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) définit la notion de lésion professionnelle comme suit :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[43] Cette définition sous-tend deux éléments principaux. D’une part, il doit s’agir d’une blessure ou d’une maladie et, d’autre part, cette blessure ou cette maladie doit découler d’un accident du travail, d’une maladie professionnelle ou d’une rechute, récidive ou aggravation.
[44] Dans la cause sous étude, il s’agit d’un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse. Ce diagnostic n’est pas remis en cause. Tenant compte de la nature de ce diagnostic, il s’agit d’une maladie. Reste à déterminer si cette maladie découle d’un accident du travail, d’une maladie professionnelle ou d’une rechute, récidive ou aggravation.
[45] D’emblée, le tribunal écarte les notions d’accident du travail et de maladie professionnelle. En effet, il faut garder à l’esprit que le diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse apparaît dans le cadre de l’évolution d’un dossier de lésion professionnelle du 22 août 2003. Ce diagnostic est posé par la docteure Thibault le 26 juin 2006. Le tribunal est d’avis que ce genre de situation doit alors s’évaluer sous l’angle de la rechute, récidive ou aggravation.
[46] La jurisprudence reconnaît d’ailleurs qu’une lésion psychique peut constituer une récidive, rechute ou aggravation d’une lésion professionnelle physique lorsque la preuve établit l’existence d’une relation entre cette lésion physique et la récidive, rechute ou aggravation alléguée[3]. Selon la jurisprudence, la récidive, rechute ou aggravation est définie comme une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d’une lésion professionnelle ou de ses symptômes[4].
[47] Le 22 août 2003, le travailleur subit un accident du travail. L’événement à l’origine de cet accident est peu banal. Le membre supérieur droit du travailleur se fait écraser sous la roue de son véhicule. Le travailleur subit une contusion, une tendinite à l’épaule droite, une entorse, une épicondylite et une épitrochléite. Malgré cette multitude de diagnostics, la lésion professionnelle est consolidée le 6 février 2004, sans atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ni limitations fonctionnelles.
[48] Par contre, au moment de cette consolidation, le travailleur n’a pas à reprendre immédiatement son emploi. Il s’agit d’un emploi saisonnier qu’il reprend normalement en mai. Or, à la reprise des activités en mai, le travailleur ne peut faire son travail. Dès le 24 mai 2004, il subit une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 22 août 2003. Il est toujours question de contusion et d’épicondylite mais aussi de tendinite des fléchisseurs, de tendinite du sus-épineux et de bursite sous-acromiale.
[49] Les conséquences de cette récidive, rechute ou aggravation du 24 mai 2004 sont plus importantes. Non seulement la période de consolidation est importante, puisque cette lésion est consolidée le 30 janvier 2006, mais cette récidive, rechute ou aggravation entraîne la reconnaissance de limitations fonctionnelles. Ces limitations fonctionnelles font en sorte que le travailleur ne peut plus occuper son emploi ou même un emploi convenable disponible chez l’employeur.
[50] Jusqu’à ce stade, force est d’admettre que l’évolution du dossier découle de la lésion professionnelle du 22 août 2003. La récidive, rechute ou aggravation du 24 mai 2004 y est directement reliée et cette récidive, rechute ou aggravation entraîne des conséquences importantes. Et la preuve soumise permet de conclure que ces conséquences bouleversent le travailleur sur le plan psychologique.
[51] Dans le cadre de son témoignage, le travailleur explique qu’en janvier 2006, lorsqu’il apprend qu’il doit réorienter sa carrière, il est bouleversé. Le travailleur ne consulte pas immédiatement. Par contre, le tribunal constate que lorsque que cette annonce devient une réalité, le travailleur réagit. En effet, c’est lors de la rencontre du 15 juin 2006 chez son employeur que le travailleur prend la mesure concrète des conséquences de sa lésion professionnelle. Il réalise qu’il ne peut non seulement refaire son emploi mais qu’il ne peut non plus occuper un emploi convenable chez son employeur. D’ailleurs, aux notes évolutives, il est indiqué que le travailleur encaisse la nouvelle avec émotion.
[52] Dès le 26 juin 2006, le travailleur consulte la docteure Thibault. Le travailleur est très stressé en raison du fait qu’il ne peut retourner chez son employeur. Depuis cette nouvelle, il est anxieux, malheureux et irritable. Il n’accepte pas cette réalité. Son sommeil est perturbé. Dans le cadre de son témoignage, le travailleur indique qu’il fait des cauchemars. Il ne cesse de penser à cette situation. La docteure Thibault pose un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse. Elle prescrit une psychothérapie.
[53] De l’avis du tribunal, nous ne sommes pas dans une situation de tracasseries administratives ou de réactions du travailleur par rapport aux conséquences du processus administratif relié à l'application de la loi. Le tribunal estime plutôt qu’il s’agit d’un cas où le travailleur réagit aux conséquences de sa lésion professionnelle et surtout aux implications de ces conséquences pour sa vie professionnelle et personnelle.
[54] Sur cet aspect, le tribunal croit pertinent de référer à une décision récente[5] de la Commission des lésions professionnelles, laquelle situe bien ce débat :
« […]
[64] Ces précisions ayant été apportées, la question qu'il y a lieu de trancher consiste à déterminer si la dépression que (…) a subie peut être reconnue comme étant reliée à lésion professionnelle du 27 août 2004 et ainsi, constituer une récidive, rechute ou aggravation de cette lésion dans la mesure elle résulte de la perte de son emploi et des difficultés qu'elle a rencontrées à trouver un nouvel emploi.
[65] Dans l'argumentation écrite qu'il a transmise, le représentant de la CSST cite l'extrait suivant de la décision Di Bernardo et Breuvages Cott ltée4 au soutien de sa prétention voulant que, selon la jurisprudence, une lésion psychique reliée à une perte d'emploi et aux difficultés à trouver un nouvel emploi ne constitue pas une lésion professionnelle :
Le représentant du travailleur explique le fait que les premiers symptômes ne se sont manifestés qu'en juin 1993 en disant ceci : ce n'est que lorsque le processus de réadaptation a été amorcé que le travailleur a été confronté au fait qu'il ne pouvait plus travailler chez son ancien employeur et qu'il devait trouver un nouvel emploi; c'est à ce moment que ses symptômes se sont manifestés; son état psychologique est donc en relation avec son accident du travail.
Ce
que soulève le représentant du travailleur équivaut à dire que sa lésion psychologique
serait due aux inquiétudes que lui a causé le fait qu'il devait changer
d'emploi. Or, la Commission d'appel a, à différentes reprises, établi qu'il y
avait lieu de distinguer entre une condition psychologique découlant d'une
lésion professionnelle et celle pouvant être reliée au déroulement du processus
administratif qui suit la lésion professionnelle : Commission de la santé
et de la sécurité du travail-Chaudière-Apalaches et Bélanger
[66] Cette décision s'inscrit dans le courant qui veut que les lésions psychiques qui sont reliées à des « tracasseries administratives » ou aux conséquences du processus administratif relié à l'application de la loi ne peuvent être reconnues comme étant des lésions professionnelles5 et que seules les lésions psychiques qui sont reliées aux douleurs qui résultent de la lésion physique peuvent l'être6. Dans cette perspective, la lésion psychique qui est associée à la perte de l'emploi ne constitue donc pas une lésion professionnelle7.
[67] Ce courant ne fait toutefois pas l'unanimité en jurisprudence tel qu'en témoigne l'extrait suivant de la décision CSST et Bois Daaguam inc.8 :
Par ailleurs, il est vrai qu'une certaine jurisprudence de la Commission d'appel rapportée dans l'affaire CSST et Hamel Hamilton4 refuse de reconnaître qu'une lésion psychologique causée par les tracasseries administratives avec la CSST ou encore des difficultés financières constitue une lésion professionnelle.
Avec respect pour cette jurisprudence, la Commission d'appel estime qu'on ne doit pas l'appliquer de façon aveugle. En effet, pour chaque cas, on doit faire une analyse approfondie et se demander si le facteur déclencheur de la lésion psychologique est une conséquence de la lésion professionnelle.
[…]
La Commission d'appel estime que les faits dans la présente affaire sont semblables à ceux relatés dans l'affaire Descôteaux et Forestiers Picard inc. En effet, n'eût été de l'incapacité du travailleur résultant de sa lésion professionnelle, il n'aurait pas perdu son emploi et il aurait continué de recevoir un salaire et n'aurait pas eu de difficultés financières. Il n'aurait pas perdu l'estime de soi et n'aurait pas eu de démêlés avec la CSST non plus.
__________
4
[68] Cette approche qui apparaît moins restrictive que la précédente a été adoptée dans plusieurs décisions9. C'est celle qu'entend suivre le tribunal dans la présente affaire.
[69] Avec respect pour l'opinion contraire, le tribunal ne croit pas qu'on puisse associer la perte d'emploi qu'entraîne une lésion professionnelle et les difficultés que le travailleur peut rencontrer à trouver un nouvel emploi à de simples « tracasseries administratives » ou n'y voir que des événements reliés au processus administratif d'application de la loi.
[70] À prime abord, une distinction doit être faite entre ces situations et celles qui concernent réellement l'application de la loi, comme le refus d'une réclamation10, la décision de la CSST de mettre fin à un programme de réadaptation11 ou encore, la fin du versement d'une indemnité de remplacement du revenu en raison de l'extinction du droit à cette indemnité12. La perte d'emploi et la difficulté de se replacer sur le marché du travail apparaissent davantage être des conséquences de la lésion professionnelle. En d'autres termes, ces situations ne résultent pas de l'application d'une disposition de la loi mais de l'incapacité du travailleur à reprendre son travail en raison des séquelles permanentes de la lésion professionnelle qu'il a subie.
[71] Chaque personne peut réagir différemment à la perte de son emploi et aux difficultés de se trouver un nouvel emploi de la même façon que la réaction à la douleur chronique peut différer d'une personne à l'autre. Or, si on accepte de reconnaître comme lésion professionnelle la lésion psychique qui est associée aux douleurs chroniques, le tribunal comprend mal les raisons qui justifient qu'on refuse a priori le même traitement à celle qui résulte de la perte d'emploi et des recherches infructueuses d'emploi dans la mesure où la lésion psychique est clairement établie et que la preuve démontre qu'elle est reliée à cette problématique particulière.
[72] Il faut prendre garde cependant de procéder par automatisme et dans cette perspective, comme l'indique la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles dans la décision Bois Daaguam citée précédemment, il convient d'examiner chaque cas en tenant compte de l'ensemble des circonstances qui lui sont propres pour déterminer si la lésion psychique est réellement une conséquence de la lésion professionnelle.
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4 Précitée. Note 3
5 De Chatigny et Les Gicleurs
Delta ltée, C.A.L.P.
6 Dupuis et For-Net Montréal inc., précitée, note 2; Brodeur et Cie Systèmes Allied, précitée, note 2
7 Soucy et Association montréalaise des directions, précitée, note 2.
8 C.A.L.P.
9 Dumont
et Construction Montclair Canada inc., C.A.L.P.
10 Bélanger
et Bois Lacroix ltée, C.A.L.P.
11 De Chatigny et Les Gicleurs Delta inc., précitée, note 5.
12 D'Amour et Ferme de Visons Montcalm, précitée, note 2.
[55] Dans la cause sous étude, alors que le travailleur est à l’emploi depuis 32 ans, il réalise qu’il ne peut plus faire son emploi et qu’il ne peut pas occuper un autre emploi chez son employeur. Il perd également ses collègues de travail. Il est habité par un sentiment d’incompréhension. En effet, il ne comprend pas pourquoi son employeur ne peut lui offrir autre chose après tant d’années de service. Le travailleur vit le deuil de son emploi. C’est d’ailleurs ce que confirme la psychologue dans le cadre de son rapport d’évolution du 22 février 2007. Elle indique bien que le travailleur présente un problème d’anxiété généralisée et des symptômes qui sont associés au refus de son employeur de lui fournir un travail jusqu’à sa retraite. Cette situation engendre de nombreux problèmes, tels que de l’anxiété, des difficultés de sommeil et de concentration. Elle indique clairement que le travailleur est en situation de deuil de son emploi et, particulièrement de la reconnaissance qu’il s’attendait de la part de son employeur.
[56] Ce que vit le travailleur à la suite de la rencontre du 15 juin 2006 est bien réel et corroboré par les constats de la docteure Thibault et de la psychologue. Et ce que vit le travailleur découle des conséquences de la lésion professionnelle initiale du 22 août 2003. La récidive, rechute ou aggravation du 24 mai 2004 est reliée à cette lésion initiale et la récidive, rechute ou aggravation du 24 mai 2004 entraîne des séquelles. Ces séquelles font en sorte que le travailleur ne peut reprendre son emploi ou un autre emploi chez son employeur.
[57] Dans les circonstances, le tribunal est d’avis que le nouveau diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse posé le 26 juin 2006 est relié à la lésion professionnelle du 22 août 2003.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée le 26 février 2007 par monsieur René Côté, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 22 février 2007, rendue à la suite d’une révision administrative;
ET
DÉCLARE que le nouveau diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse est en relation avec la lésion professionnelle du 22 août 2003 et que le travailleur a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en regard de ce nouveau diagnostic.
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SOPHIE SÉNÉCHAL |
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Commissaire |
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Jean-Pierre Devost, Cabinet-Conseil |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] Gagné et Valmont
Nadon Transport inc. et CSST, C.L.P.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Descoteaux
et Les Forestiers Picard inc. [1993]
492; Bergeron et Ville de Senneterre, C.L.P.
[4] Lapointe et Compagnie minière
Québec-Cartier,
[5] Loiseau et Barry Callebaut Canada inc. et CSST, C.L.P. 308404-62B-0701, 1er novembre 2007, C.-A. Ducharme.
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