Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gaspé

Le 24 février 2005

 

Région :

Bas Saint-Laurent

 

Dossier :

232609-01A-0404

 

Dossier CSST :

125930016

 

Commissaire :

Me Louise Desbois

 

Membres :

Marcel Beaumont, associations d’employeurs

 

Rémi Dion, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Premier Tech Industriel ltée

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Robert Carrier

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 21 avril 2004, Premier Tech Industriel ltée. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 19 avril 2004 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle rendue le 1er avril 2004 par le Comité paritaire de santé et sécurité du travail de l’employeur et déclare que l’assignation temporaire de monsieur Robert Carrier (le travailleur) pour la période du 1er au 7 avril 2004 n’est pas valide.

[3]                Lors de l’audience tenue à Rivière-du-Loup le 14 octobre 2004, monsieur Marc - André Lavoie est présent pour l’employeur qui est également représenté par son procureur. Le travailleur est absent mais son représentant est présent.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                L’employeur demande de déclarer que l’assignation temporaire du travailleur pour la période du 1er au 7 avril 2004 est valide.

LES FAITS

[5]                Le travailleur, actuellement âgé de 34 ans, est préparateur chez l’employeur le 23 mars 2004 lorsqu’il s’inflige une lésion professionnelle. Il semble qu’alors qu’il manipulait une longue barre de métal, elle aurait basculé et l’aurait frappé sous le bras droit, provoquant un craquement dans le cou.

[6]                Le travailleur poursuit son travail jusqu’au 30 mars 2004, date à laquelle il consulte le docteur André Munger. Ce dernier diagnostique une contusion à l’épaule droite et une cervicalgie mécanique droite. Il prescrit de la chiropratie et un arrêt de travail pour une semaine.

[7]                Le même jour, l’employeur transmet un formulaire d’assignation temporaire du travailleur au docteur Munger. Il lui est demandé de le compléter et de le retourner par télécopieur à l’employeur. Il s’agit du formulaire habituel d’assignation temporaire. Quant à la question du travail proposé qui se pose sur cette page, l’employeur réfère le médecin à une annexe jointe. Dans cette annexe, différentes tâches sont proposées en assignation temporaire, à côté desquelles le médecin doit cocher « oui » ou « non ».

[8]                Le docteur Munger coche effectivement « oui » ou « non » à droite de chacune des tâches proposées et signe la dernière page de l’annexe en indiquant la date du 31 mars 2004. Il ne signe cependant pas la première page, correspondant au formulaire, et sur laquelle apparaît la mention suivante :

« Le médecin qui a charge du travailleur ou de la travailleuse se prononce sur les trois points de l’article 179 de la LATMP (voir au verso).

Une réponse positive aux trois questions suivantes permet de procéder à l’assignation temporaire.

 

« 1.    Est-ce que le travailleur ou la travailleuse

         est raisonnablement en mesure d’accomplir ce travail ?        ___  Oui     ___  Non  

   2.    Ce travail est-il sans danger pour sa santé, sa sécurité

         et son intégrité physique compte tenu de sa lésion ?            ___  Oui     ___  Non  

   3.    Ce travail est-il favorable à sa réadaptation ?                        ___ Oui     ___  Non  »

 

 

[9]                Le 1er avril 2004, la secrétaire du médecin transmet les documents à l’employeur par télécopieur, tel que demandé. Sur sa page de présentation, elle écrit : « Voici le rapport d’assignation temporaire pour Robert Carrier ».

[10]           Le même jour, le travailleur conteste l’assignation temporaire.

[11]           Le Comité paritaire de santé et sécurité du travail de l’employeur se réunit le même jour et rend une décision qui se lit comme suit :

« […] Le travailleur soutient qu’il n’est pas apte à faire l’assignation temporaire en question. Par conséquent, les responsables à la prévention sont d’avis que l’assignation temporaire est non-valide. Par contre, les membres représentant l’employeur sont d’avis que l’assignation est bel et bien valide. Or, étant donné que les deux parties ne peuvent s’entendre sur une position unanime, le comité paritaire de santé et sécurité du travail de l’entreprise Premier Tech Industriel est dans l’obligation d’émettre une décision qui va dans le sens des responsables à la prévention, soit que l’assignation temporaire est non-valide. »

 

 

[12]           Selon la preuve disponible, il n’y aurait eu aucune consultation d’un médecin par le Comité.

[13]           Toujours le 1er avril 2004, l’employeur demande à la CSST la révision de la décision du Comité, en ces termes :

« […]

 

Nous croyons que l’assignation temporaire de monsieur Robert Carrier est invalide (sic)  puisque le docteur Munger, médecin désigné du travailleur, a bel et bien signé l’assignation temporaire. En effet, même si le docteur Munger n’a pas rempli les trois cases sur le formulaire d’assignation temporaire, le docteur Munger a rempli les annexes de l’assignation temporaire et a signé à l’endroit désigné à cette fin. Par conséquent, l’assignation temporaire est valide puisque dans un dossier antérieur dans notre entreprise (Premier Horticulture), le même litige était en question et le commissaire, madame Louise Desbois confirme cette opinion.

 

[…] »

 

 

[14]           Le 7 avril 2004, le travailleur revoit le docteur Munger. Celui-ci complète un rapport médical pour la CSST sur lequel il écrit diriger le travailleur en physiothérapie et ajoute : « Arrêt travail  Pas de travaux légers ». Il ne fait cependant aucun commentaire relativement à l’assignation temporaire préalable.

[15]           Le 19 avril 2004, la CSST rend sa décision sur la demande de révision de l’employeur. Elle confirme alors la décision du Comité paritaire de santé et sécurité du travail et déclare que l’assignation temporaire n’est pas valide.

[16]           Le 20 avril 2004, le docteur Munger répond à une nouvelle demande d’assignation temporaire de la part de l’employeur. Le travail proposé est alors décrit sur le formulaire d’assignation (plutôt que dans une annexe). Le médecin coche « oui » aux trois questions relatives à l’assignation et signe le formulaire. Il autorise alors l’assignation mais en précisant que ce n’est qu’à compter du 26 avril 2004.

[17]           Le 26 avril 2004, le travailleur se présente au travail mais quitte après quelques heures, alléguant trop de douleur. Il se rend alors à l’urgence où un médecin, sur la base des allégations de douleur du travail, prescrit un arrêt de travail jusqu’à ce que le travailleur revoie son médecin traitant.

[18]           Le 27 avril 2004, soit le lendemain, le docteur Munger autorise une nouvelle assignation temporaire. Le travailleur ne se présente cependant pas au travail, se considérant incapable de travailler, même à un travail très léger, et considérant que le médecin de l’urgence l’a arrêté jusqu’à ce qu’il revoie son médecin de famille.

[19]           Le 3 mai 2004, la physiothérapeute déclare à l’agent de la CSST que le travailleur, sans trop de raison, constate une augmentation de ses douleurs depuis quelques jours. Le même jour, le travailleur déclare quant à lui à l’agent qu’il aurait fait une chute au cours du week-end et qu’il a actuellement beaucoup de douleur et d’enflure.

[20]           Le 4 mai 2004, le travailleur revoit son médecin, le docteur Munger. Ce dernier prescrit alors à nouveau un arrêt de travail et refuse le même jour une assignation temporaire, indiquant que le travailleur est en investigation et qu’il ne doit pas y avoir de travaux légers.

[21]           Le 4 juin 2004, le docteur Steve Mawn, que le travailleur a consulté pendant les vacances du docteur Munger, autorise une assignation temporaire. Le travailleur la conteste cependant en alléguant avoir trop de douleur ainsi que le fait que le docteur Mawn n’est pas son médecin traitant. Le Comité paritaire de santé et sécurité du travail donne encore une fois raison au travailleur, considérant les avis partagés de ses membres. L’employeur demande à la CSST la révision de cette décision.

[22]           Le travailleur revoit le docteur Munger le 22 juin 2004. Ce dernier n’autorise pas d’assignation temporaire et poursuit l’investigation pour expliquer les symptômes allégués par le travailleur.

[23]           Le 15 juillet 2004, le docteur Patrice Drouin, neurologue, examine le travailleur à la demande de la CSST. Le travailleur se plaint alors toujours de différents symptômes, dont, notamment, un engourdissement complet des mains. En fait, il dit ne rien sentir du tout à ce niveau. Pourtant, il s’avère capable de manipuler et reconnaître tous les objets que le médecin dépose dans ses mains… Le médecin conclut finalement ne pas pouvoir croire le travailleur, et que cela vaut également, entre autres, pour ses allégations de douleur et de limitations de mouvement du cou. Il écrit notamment :

« […]

 

Les problèmes de monsieur consistent dans le déficit sensitif des deux mains, mais qui ne sont (sic) pas organiques. […]

 

Je n’ai aucune évidence d’une séquelle gênant le travailleur à son travail.

 

Je ne comprends pas d’ailleurs le problème de cervicalgie à la suite d’un traumatisme à la face postérieure et interne du bras droit.

 

[…]

 

À mon sens, il n’y a pas de séquelle qui puisse interférer avec son travail habituel et encore moins de séquelle qui puisse expliquer qu’il n’ait pas été capable de faire l’assignation temporaire du 26 avril, d’autant plus que le travail qu’il avait à faire était d’une extrême légèreté.

 

[…]

 

Tout ce que l’on peut retrouver comme traumatisme est un traumatisme direct à la face postérieure du bras où il y a eu sûrement un hématome et une ecchymose. Il est impossible de comprendre le reste du problème.

 

[…] » (sic)

 

 

[24]           Sur réception de ce rapport en août 2004, le docteur Munger autorise un retour progressif au travail. Le travailleur déclare à son agent en être extrêmement mécontent puisqu’il se considère « pire qu’avant son accident ».

[25]           Il semble que le dossier soit transmis au Bureau d’évaluation médicale mais l’avis n’est pas au dossier transmis au tribunal.

L’AVIS DES MEMBRES

[26]           Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête de l’employeur devrait être rejetée. Aucun élément de preuve ne permet en effet de présumer que le médecin du travailleur a, le 31 mars 2004, pris connaissance des trois questions relatives au bien-fondé de l’assignation temporaire et a considéré y répondre positivement en signant l’annexe au formulaire. Il s’agit pourtant d’une preuve qui aurait été facile à obtenir de la part du médecin si cela avait effectivement été le cas.

 

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[27]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer la légalité de l’assignation temporaire du 1er avril 2004.

[28]           La possibilité pour un employeur d’assigner temporairement un travailleur et les modalités de cette assignation sont prévues aux articles 179 et 180 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :

179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:

 

1°   le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

 

2°   ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

 

3°   ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.

 

Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

__________

1985, c. 6, a. 179.

 

 

180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.

__________

1985, c. 6, a. 180.

 

 

[29]           Ces dispositions s’inscrivent plus particulièrement dans le cadre du chapitre sur la réadaptation du travailleur.

[30]           Les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[2], auxquels réfère l’article 179 de la loi, se lisent par ailleurs comme suit :

            Demande au comité de santé et de sécurité

37.     Si le travailleur croit qu’il n’est pas raisonnablement en mesure d’accomplir les tâches auxquelles il est affecté par l’employeur, il peut demander au comité de santé et de sécurité, ou à défaut de comité, au représentant à la prévention et à l’employeur d’examiner et de décider la question en consultation avec le médecin responsable des services de santé de l’établissement ou, à défaut de médecin-responsable, avec le directeur de la santé publique de la région où se trouve l’établissement.

            Absence de comité.

     S’il n’y a pas de comité ni de représentant à la prévention, le travailleur peut adresser sa demande directement à la Commission.

            Décision.

     La Commission rend sa décision dans les 20 jours de la demande et cette décision a effet immédiatement, malgré une demande de révision.

                   ___________

                   1979, c. 63, a. 37; 1985, c. 6, a. 525; 1992, c. 21, a. 302.

 

            Révision.

                   37.1.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue en vertu de l’article 37 peut, dans les 10 jours de sa notification, en demander la révision par la Commission conformément aux articles 358.1 à 358.5 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001).

                   ____________

                   1985, C. 6, A. 525; 1997, C. 27, A. 37.

 

            Procédure urgente.

                   37.2.  La Commission doit procéder d’urgence sur une demande de révision faite en vertu de l’article 37.1.

            Effet.

                        La décision rendue par la Commission sur cette demande a effet immédiatement, malgré qu’elle soit contestée devant la Commission des lésions professionnelles.

                   ______________

                   1985, c. 6, a. 525; 1997, c. 27, a. 38.

 

            Contestation.

                   37.3.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission à la suite d’une demande faite en vertu de l’article 37.1 peut, dans les 10 jours de sa notification, la contester devant la Commission des lésions professionnelles.

                   ______________

                   1985, c. 6, a. 525; 1992, c. 11, a. 48; 1997, c. 27, a. 39.

 

 

[31]           Ainsi, lorsque  le  médecin du  travailleur est  d’accord  avec une  assignation  temporaire mais que le travailleur n’est pas d’accord avec lui, le travailleur doit suivre la procédure prévue par la Loi sur la santé et la sécurité du travail pour tenter d’obtenir du Comité paritaire ou de la CSST une décision à l’effet contraire. Le travailleur ou l’employeur insatisfait de la décision peut en demander la révision à la CSST, ce qui fût fait en l’instance par l’employeur.

[32]            Et, à la suite de la décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative, le travailleur ou l’employeur insatisfait doit contester cette décision devant la Commission des lésions professionnelles dans les dix jours de sa réception, ce qui fût également fait en l’instance par l’employeur.

[33]           La question qui se pose en l’instance est celle de la conformité à la loi de la procédure d’assignation temporaire et de l’avis du médecin ayant charge du travailleur. Le travailleur n’invoque en effet pas son incapacité devant ce tribunal mais plutôt l’invalidité de la procédure.

[34]           Une revue de la jurisprudence sur la question permet, malgré quelques divergences, de dégager certains principes quant à l’interprétation à donner à l’article 179 de la loi, et même de rallier certaines positions à première vue opposées.  Ainsi, il ressort que l’assignation temporaire a pour objectif premier de favoriser la réadaptation du travailleur[3], quoique, dans certaines décisions, on reconnaisse également celui de permettre à l’employeur de limiter les coûts de la lésion professionnelle[4].

[35]           En outre, il est généralement reconnu qu’un employeur doit préciser au médecin le travail spécifique qu’il entend assigner au travailleur, afin que le médecin puisse se prononcer à savoir si ce travail rencontre les critères énoncés à l’article 179 de la loi[5].

[36]             Par contre, on n’exige pas toujours que l’avis du médecin soit consigné sur le formulaire administratif prévu par la CSST, ni qu’il soit écrit, ni même qu’il comporte une réponse spécifique à chacune des trois questions reliées aux critères de l’article 179[6].

[37]           Finalement, une assignation temporaire semble devoir être favorable en regard de la réadaptation médicale mais également sociale et professionnelle du travailleur pour être considérée respecter l’article 179 de la loi[7].  Par contre, le seul fait qu’une assignation ne plaise pas à un travailleur n’est pas suffisant pour conclure que celle-ci n’est pas favorable à sa réadaptation[8].  Il y aurait ainsi, en quelque sorte, une présomption de faits selon laquelle le fait pour un travailleur de retourner sur le marché du travail, particulièrement dans son milieu de travail, est favorable à sa réadaptation.

[38]           Il s’avère qu’en l’occurrence, l’employeur a soumis une première fois au médecin du travailleur une liste de tâches potentielles spécifiques, en annexe au formulaire prévu par la CSST pour l’assignation temporaire.

[39]           Or, le médecin n’écrit absolument rien sur le formulaire d’assignation temporaire qui lui est soumis. Ni son nom, ni la date, ni sa signature, ni la réponse aux trois questions d’usage quant au bien-fondé de l’assignation temporaire, ni quoi que ce soit d’autre qui permettrait  de croire qu’il a ne serait-ce que lu l’ensemble du formulaire. Il se limite à cocher « oui » ou « non » dans l’annexe, à droite de chacune des tâches proposées, et à signer cette annexe.

[40]           Le tribunal ne dispose d’aucune preuve selon laquelle :

·        Le médecin aurait pris connaissance des trois questions prévues à l’article 179 de la loi ;

·        Le médecin aurait considéré y répondre positivement en donnant son opinion sur chacune des tâches proposées et en signant l’annexe au formulaire.

[41]           Le médecin a pu uniquement se demander si le travailleur était capable d’effectuer les tâches proposées, sans se demander, par exemple, si cela était favorable à sa réadaptation. Il est impossible de présumer du questionnement du médecin en l’instance, de son intention précise et, surtout, de sa connaissance des questions précises sur lesquelles il devait se pencher.

[42]           De plus, lorsqu’il revoit le travailleur une semaine plus tard, il prescrit un arrêt de travail en raison de la lésion professionnelle.

[43]           Le présent cas s’avère assez différent de celui soumis par l’employeur et sur lequel la soussignée s’est prononcée antérieurement[9]. En effet, dans ce dossier :

·        Le médecin avait déjà été appelé à plus d’une reprise, peu auparavant, à se prononcer sur une assignation temporaire du travailleur et avait chaque fois répondu « non » aux trois questions;

·        Dans le cadre de l’assignation temporaire contestée, il avait écrit sur le formulaire d’assignation les limitations fonctionnelles qu’il voulait voir respectées, et avait signé ledit formulaire, omettant uniquement de répondre spécifiquement aux trois questions;

·        Le médecin, revu par le travailleur le lendemain du début de l’assignation temporaire, n’avait pas remis en question ladite assignation temporaire mais plutôt signé un billet médical personnel (soit pas sur un rapport pour la CSST) d’arrêt de travail.

[44]           Dans ce contexte précis et particulier, la commissaire soussignée écrivait :

« [55]    Lorsque l’employeur soumet à nouveau, au même médecin, la liste d’assignations potentielles ainsi que le formulaire d’assignation temporaire, il est raisonnable de croire que le médecin du travailleur y posera encore une fois un regard critique et soucieux de l’intérêt de son client et manifestera encore son désaccord le cas échéant.

 

[56]      Or, le médecin n’exprime aucunement son désaccord avec l’assignation temporaire, ni même avec aucune des assignations suggérées, précisant cependant les limitations qui devront être respectées par le travail qu’accomplira le travailleur dans le cadre de l’assignation temporaire et offrant ainsi une protection supplémentaire au travailleur.

 

[57]      Ainsi, l’employeur a précisé au médecin différents travaux spécifiques auxquels il pourrait assigner le travailleur et en lui laissant la facette de choisir celui ou ceux qui respectent l’article 179 de la loi ou d’éliminer ceux qui ne le respectent pas.  Le médecin, qui avait peu de temps auparavant exprimé son désaccord avec l’une ou l’autre des assignations potentielles, a cette fois clairement autorisé ces assignations en n’en raturant aucune et en précisant simplement les limitations à être respectées dans l’exécution du travail.

 

[58]      Un autre élément de preuve vient également confirmer l’accord du médecin à l’assignation temporaire.  Le lendemain du début de l’assignation temporaire, le travailleur retourne rencontrer son médecin en se disant incapable d’accomplir ce travail assigné.  Pourtant, le médecin ne remplit alors aucun rapport pour la CSST, que ce soit pour remettre en cause l’assignation temporaire ou tout simplement transmettre un rapport d’évolution et être payé par la CSST en conséquence.  Au contraire, le médecin ne complète qu’un billet médical d’arrêt de travail, sans mention de quelque cause ou de quelque lien avec la lésion professionnelle du travailleur.

 

[…]

 

[60]      Le tribunal ne peut non plus avoir une interprétation de la loi d’une rigidité telle que l’on ne doive plus que se plier à sa lettre et non à son esprit et se plier à la lettre des formulaires et non à l’avis y clairement exprimé.  En l’occurrence, il apparaît plus que probable que le médecin du travailleur ait approuvé les assignations proposées et jugé qu’elles respectaient les critères de l’article 179 de la loi, et ce, même s’il n’a pas coché les réponses à ces questions spécifiques. »

 

(Soulignements ajoutés)

 

 

[45]           La cause du travailleur en l’instance est loin d’être sympathique et le tribunal doute fort de sa bonne foi et de son incapacité à s’acquitter de l’assignation temporaire proposée par l’employeur le 30 mars 2004. Mais là n’est pas la question que doit trancher le tribunal.

[46]           Il est en outre manifeste que les relations de travail sont très mauvaises entre l’employeur et le travailleur. Ce qui explique sans doute le litige soumis à ce tribunal pour une semaine d’assignation temporaire et le fait que chaque partie se soit campée dans sa position, sans même tenter d’aller au fond des choses.

[47]           Ainsi, quelqu’un a-t-il demandé au docteur Munger ce qu’il avait en tête en signant l’annexe au formulaire d’assignation temporaire le 31 mars 2004? Et s’il avait pris connaissance des trois questions apparaissant au formulaire? Et s’il considérait y avoir répondu en complétant et signant l’annexe? Ou si, au contraire, il ne s’était aucunement penché sur ces questions? Manifestement pas.

[48]           En outre, le travailleur ayant contesté l’assignation temporaire et ayant obtenu gain de cause devant le Comité paritaire le jour même, pourquoi l’employeur n’a-t-il pas immédiatement communiqué avec le médecin pour obtenir l’éclaircissement, serait-ce verbal? Ou pour lui soumettre à nouveau le formulaire en lui précisant l’importance de répondre aux trois questions posées?

[49]           L’employeur devait démontrer la légalité de l’assignation temporaire proposée au travailleur, ce qu’il a échoué à faire. Ce n’est pas parce que le médecin coche « oui » à côté de certaines tâches, dans une annexe, que l’on peut présumer, dans le contexte de ce dossier, qu’il a pris connaissance des trois questions relatives au bien-fondé de l’assignation temporaire et y a répondu affirmativement. Il n’y a ainsi pas de preuve prépondérante que le médecin a approuvé les assignations proposées et jugé qu’elles respectaient les critères de l’article 179 de la loi.

[50]           Il ne faut pas adopter une interprétation de la loi qui soit trop rigide, mais il faut s’assurer que son esprit soit respecté et son but atteint. Le législateur n’a pas précisé pour rien trois questions sur lesquelles il voulait que le médecin se penche, plutôt que de simplement requérir son accord à l’assignation temporaire. Le législateur ne parle pas pour ne rien dire.

[51]           Les règles du jeu doivent en outre être suffisamment claires pour qu’un employeur sache à quoi s’en tenir et sache qu’il doit obtenir sans délai réponse aux questions requises par l’article 179 lorsque le médecin n’y a pas clairement répondu, et ce, à moins de circonstances très particulières qui devront être étudiées au mérite.

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de l’employeur, Premier Tech industriel ltée;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 19 avril 2004 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’assignation temporaire signée par le médecin du travailleur le 31 mars 2004 était illégale.

 

 

 

Louise Desbois

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Gilles Moreau, avocat

RIOUX, BOSSÉ, MASSÉ, MOREAU

Représentant de la partie requérante

 

 

Monsieur Normand Nault

FRAT. NAT. FORESTIERS TRAV USINES

Représentant de la partie intéressée

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001

[2]          L.R.Q., chapitre S-2.1

[3]          Pièces d’auto Kenny inc. et C.S.S.T., [1998] C.L.P. 259 ; C.U.S.E. et Boilard, C.L.P. 124038-05-9909, 11 avril 2000, F. Ranger.

[4]          Komatsu international inc. et Gagnon, [1999] C.L.P. 130 ; Rivard et C.L.S.C. des trois vallées, [1999] C.L.P. 619 .

[5]          Société canadienne des postes et Thibault, [1987] C.A.L.P. 377 ;  Mueller Canada inc. et Lavoie, [1987] C.A.L.P. 506 ;  Jonquière et Corneau, [1989] C.A.L.P. 14 ;  Bourgault et Marcel Lauzon inc. [1992] C.A.L.P. 188 ;  Bombardier inc. et Côté, C.A.L.P. 35904-60-9201, 17 novembre 1993, M. Lamarre;  J.M. Asbestos inc. et Marcoux, C.A.L.P. 72559-05-9508, 26 juillet 1996, C. Demers;  Métallurgie Brasco inc. et Jomphe, C.L.P. 114861-01B-9904, 16 juin 2000, C. Bérubé;  Permafil ltée et Fournier, C.L.P. 148090‑03B-0010, 28 février 2001, M. Cusson.

[6]          Ville de Laval et Lalonde, C.A.L.P. 22936-61-9011, 20 juin 1991, M. Duranceau; Bourassa et Hydro-Québec, C.L.P. 111311-04-9903, 22 septembre 2000, M. Carignan.

[7]          Labonté et Prévost Car inc., C.A.L.P. 40654-03-9206, 27 novembre 1992, R. Ouellet; Desrochers et J.M. Asbestos inc., C.L.P. 110825-05-9902, 16 août 1999, F. Ranger.

[8]          Létourneau et Agrégats Dany Morissette inc., C.L.P. 124923-04-9910, 23 novembre 1999, A. Vaillancourt;  Fortier et A.F.G. Industries ltée, C.L.P. 116416-32-9905, 23 décembre 1999, G. Tardif;  Blier et Olymel Princeville, C.L.P. 125927-04B-9911, 23 mai 2000, P. Brazeau;  Pouliot et J.M. Asbestos inc., [2000] C.L.P. 1128 ;  Fortin et Accessoires d’ameublement AHF ltée, C.L.P. 146022-72-0009, F. Juteau.

[9]          Manning et Premier Horticulture, [2003] C.L.P. 1250

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