Décision

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[Texte de la décision]

Section des affaires sociales

En matière de sécurité ou soutien du revenu, d'aide et d'allocations sociales

 

 

Date : 11 mai 2016

Référence neutre : 2016 QCTAQ 04937

Dossier  : SAS-M-230398-1410

Devant les juges administratifs :

DANIEL LAGUEUX

GILLES THÉRIAULT

HÉLÈNE BEAUMIER

 

L… E…

J… G…

Parties requérantes

c.

RÉGIE DES RENTES DU QUÉBEC

Partie intimée

 

 


DÉCISION




OPINION DU JUGE ADMINISTRATIF DANIEL LAGUEUX

[1]              Les requérants contestent la décision en révision rendue par l’intimée, la Régie des rentes du Québec (la Régie), le 4 septembre 2014.

[2]              Cette décision maintient la position initiale de la Régie quant à la date de début du paiement du supplément pour enfant handicapé pour le fils des requérants, soit à partir de décembre 2012.

[3]              Les requérants demandent que le paiement soit versé rétroactivement à la date de sa naissance.

 

[4]              De l’ensemble de la preuve documentaire et testimoniale, le soussigné retient les éléments pertinents suivants.

[5]              Le 28 novembre 2013, la requérante dépose une demande de supplément pour enfant handicapé concernant son fils, X Il est né le […] 2008, très petit, en dessous du 3e percentile.

[6]              Après quelques mois, X a connu des problèmes gastriques sévères. Il a dû consommer des préparations de lait spécifiques. Lorsqu’il a débuté les aliments solides, il a présenté de l’aversion pour certains aliments et des vomissements. Une gastroparésie a été diagnostiquée le 31 janvier 2011. Les traitements avaient débuté le 20 mars 2009.

[7]              À l’âge où il devait commencer à parler, l’enfant a manifesté des difficultés. Une consultation en orthophonie en septembre 2011 révèle un retard moyen de compréhension et modéré de production du langage (ce dernier est qualifié de modéré à sévère en 2014).

[8]              Par ailleurs, X présente des difficultés motrices et ses parents font appel aux services d’un ergothérapeute à compter d’octobre 2012.

[9]              Ces problèmes apparaissent distincts et sont traités séparément. Toutefois, les parents de X poursuivent les démarches de consultation. En raison des symptômes présentés, le cardiologue de l’enfant suggère d’effectuer un test pour rechercher la présence du syndrome de Williams. Un rapport de cytogénétique du 6 juillet 2012 révèle que cela n’est pas le cas, mais fait état de la présence d’anomalies sur le caryotype de l’enfant.

[10]           Le 3 juin 2013, un rapport final confirme un syndrome de la délétion chromosomique 15q26 comprenant une atteinte du gène IGF1R.

[11]           Toutefois, ce n’est qu’en août 2013 que les parents peuvent parler au généticien et recevoir des explications. C’est à ce moment qu’ils sont informés de la possibilité de faire une demande pour enfant handicapé. Rappelons que celle-ci est reçue par la Régie le 28 novembre 2013.

[12]           Les parents soutiennent qu’ils ne pouvaient pas déposer une demande avant, car ils ignoraient la condition réelle de leur fils, X.

[13]           Le 14 juillet 2014, la demande de supplément est acceptée. La Régie indique que le paiement de celle-ci est rétroactif pour un maximum de onze mois de la demande, donc à compter de décembre 2012.

 

[14]           La Régie est mandatée pour traiter les demandes de supplément pour enfant handicapé en vertu de la Loi sur les impôts[1]. À cet effet, l’article 1029.8.61.24 de la Loi traite du délai pour présenter une demande :

1029.8.61.24.  Un particulier ne peut être considéré comme un particulier admissible, à l’égard d’un enfant à charge admissible, au début d’un mois donné que s’il présente une demande, à l’égard de cet enfant à charge admissible, auprès de la Régie au plus tard 11 mois après la fin du mois donné.

La Régie peut, en tout temps, proroger le délai fixé pour présenter une demande visée au premier alinéa.

[…]

[15]           Bien que la Régie puisse proroger le délai pour présenter une demande, la Loi ne prévoit pas de motifs ou de critères applicables. L’intimée s’est dotée d’une directive concernant l’interprétation du deuxième alinéa de cet article, lui permettant, à sa discrétion et pour un motif valable, de reconnaître une période de rétroactivité plus longue que celle de onze mois précédant celui de la demande. Cependant, encore faut-il une justification autre qu’un retard à agir ou l’ignorance de la loi.

[16]           Les requérants soutiennent que tous les problèmes de leur fils sont liés au diagnostic de maladie génétique. Cependant, le rapport médical du 19 novembre 2013, au soutien de la demande de supplément pour enfant handicapé, préparé par le Dr Walla Al-Hertani, médecin généticien, indique plutôt trois diagnostics, soit[2] :

Diagnosis

Date of diagnosis

Medical work up began on

Gastroparesis

2011-01-31

2009-03-20

Speech/language delay

2012-11-01

2011-09-27

Ring chromosone 15
(15q26.3)

2013-03-25

2012-04-20

[17]           De plus, dans une correspondance du 27 août 2013, le médecin indique ce qui suit[3] :

« X is a very pleasant 4 year old boy who is being followed for short stature, microcephaly and global developmental delay. He is now diagnosed with 15q26 deletion syndrome. This deletion encompasses the IGF1R gene, which is the explanation for his short stature and microcephaly. […] »

(Notre soulignement)

[18]           La maladie génétique de X est certainement responsable de son retard de croissance. Pour ce qui est des autres problèmes médicaux de l’enfant, la preuve au dossier n’est pas aussi concluante.

[19]           Quoi qu’il en soit, ce n’est pas ce qui est déterminant. Bien avant l’annonce du diagnostic au niveau génétique, X présentait des difficultés au niveau de sa santé. Dès 2009, ses parents ont consulté pour des problèmes de digestion. Une gastroparésie est alors diagnostiquée. En 2011, l’enfant est évalué et suivi pour des problèmes de langage.

[20]           Ces déficiences ou troubles sont prévus aux paragraphes 1.7 (L’alimentation et la digestion) et 2.4 (Les troubles du langage) de l’annexe A découlant de l’article 1029.8.61.19R2 du Règlement sur les impôts[4]. Lorsque l’état de l’enfant est comparable aux cas mentionnés à l’annexe A, il est alors présumé handicapé.

[21]           Si cela n’est pas le cas, l’exercice n’est pas terminé pour autant. La réglementation prévoit alors que le handicap s’évalue selon :

a) les incapacités qui subsistent malgré les facteurs facilitants;

b) les obstacles qu’il rencontre dans son milieu;

c) les contraintes que vit son entourage.

[22]           À cet effet, dans sa demande, la requérante fait état de ce qui suit[5] :

« […]

He has severe digestive problems (gastroparesis) which requires a substantial medication plan (3 medications administered to a total of 6 times per day) and which has resulted in feeding issues and food aversions. This requires special attention at mealtimes both at home and daycare.

[…] »

[23]           Par ailleurs, le rapport d’évaluation des troubles du langage réalisé alors que X avait quatre ans et un mois conclut[6] :

« […] The information acquired through clinical observations and standardized testing as noted above indicate that X ’s gross motor, fine motor and visual motor development are below age level and are limiting his participation in meaningful activities at home and school.

[…] »

[24]           Ainsi, au regard de ces éléments, une demande de supplément pour enfant handicapé aurait pu être présentée en 2009 ou 2011 et la Régie aurait eu à se prononcer sur la condition de l’enfant.

[25]           À cet effet, le soussigné est d’avis que les requérants ne connaissaient pas à ce moment le programme de supplément pour enfant handicapé. C’est ce qu’il faut comprendre du témoignage du requérant. C’est lors de sa rencontre avec Dr Al-Hertani en août 2013 que monsieur a été informé de celui-ci.

[26]           Le soussigné tient à mentionner qu’il ne met pas en doute la bonne foi des parents. Ils sont soucieux du bien-être de leur fils, X, et ils voulaient avant tout confirmer le diagnostic de leur enfant pour lui assurer les traitements adéquats. Toutefois, cette démarche ne permet pas en soi de justifier la rétroactivité de la demande de supplément à la date de naissance de l’enfant.

[27]           Tel que mentionné précédemment, l’ignorance de la loi ou le retard à agir ne constituent pas une impossibilité d’agir. Dans les circonstances, les requérants auraient pu faire une demande de supplément plus tôt. En conséquence, la prorogation de délai demandée ne peut être accordée.

POUR CES MOTIFS, le soussigné :

REJETTE le recours des requérants; et

CONFIRME la décision rendue en révision par l’intimée le 4 septembre 2014.


 

 

DANIEL LAGUEUX, j.a.t.a.q.


iroSec7-

 


OPINION DU JUGE ADMINISTRATIF GILLES THÉRIAULT

[28]           Des témoignages entendus et de la preuve documentaire, le soussigné retient comme pertinents les faits suivants.

-        [...] 2008 : naissance de l’enfant X à 37 semaines de gestation par le médecin accoucheur. Petit poids de naissance. Du témoignage des parents, on apprend que la grossesse avait été difficile.

-        Problèmes d’alimentation, régurgitations, vomissements, refus de certains aliments, ce qui a nécessité l’aide de professionnels de la santé.

-        31 janvier 2011 (enfant 28 mois) : les médecins posent le diagnostic de gastroparésie. Les traitements avaient débuté le 20 mars 2009.

-        27 septembre 2011 (enfant 36 mois) : première évaluation du langage par une orthophoniste.

-        6 juillet 2012 : rapport de cytogénétique indiquant l’absence du syndrome de Williams, mais notant la présence d’anomalies sur le caryotype de l’enfant. Le généticien recommande un suivi en génétique.

-        [...] 2012 (enfant 48 mois) : réévaluation par une orthophoniste. On pose le diagnostic de retard langagier.

-        4 et 11 octobre 2012 (enfant 49 mois) : évaluation en ergothérapie. Le développement de l’enfant est considéré en dessous de son âge et des séances de thérapie sont recommandées.

-        3 juin 2013 (enfant 57 mois) : diagnostic de trouble chromosomique 15q26 comprenant une atteinte du gène IGF1R.

-        27 novembre 2013 : demande de supplément pour enfant handicapé (demande reçue à la Régie le 28 novembre 2013).

-        30 juillet 2014 (décision de la Régie) : l’enfant est reconnu handicapé pour malformation/anomalie chromosomique. Le début des prestations est fixé à décembre 2012, soit onze mois avant la date de la demande.

-        4 septembre 2014 (décision en révision de la Régie) : pas de prorogation de la période de prestation du supplément pour enfant handicapé.

[29]           Le soussigné accueillerait le recours et accorderait le paiement du supplément pour enfant handicapé rétroactivement à la naissance de l’enfant pour les raisons suivantes.

[30]           Ce n’est qu’au moment du diagnostic de la maladie chromosomique de l’enfant, soit le syndrome de la délétion chromosomique 15q26 comprenant une atteinte du gène IGF1R, le 3 juin 2013, que les parents ont su que les problèmes rencontrés depuis la naissance de X étaient reliés entre eux.

[31]           Auparavant, comme ils l’ont affirmé, les parents ont abordé chaque problème comme une entité séparée.

[32]           Ce n’est que lorsque le diagnostic est tombé qu’ils ont compris que tous les problèmes rencontrés jusqu’alors étaient l’expression d’une seule et même maladie génétique.

[33]           Le motif invoqué par la Régie pour refuser de verser des prestations pour une période rétroactive plus longue est que les parents auraient « pu présenter une demande (plus tôt) et transmettre les documents médicaux par la suite »[7].

[34]           Cette prétention de la Régie ne résiste pas à une étude attentive de la preuve.

[35]           Au contraire, l’analyse de la preuve démontre qu’avant la date du diagnostic de la maladie génétique de X, les parents n’étaient pas en mesure de considérer leur enfant comme porteur d’un handicap important.

[36]           En effet, le premier problème de X était un problème d’alimentation. L’enfant ne tolérait pas ses aliments et on a dû lui administrer des médicaments et ajuster sa diète de façon particulière. Ce problème avait débuté en mars 2009.

[37]           En janvier 2011, alors que l’enfant était âgé de 28 mois, les médecins posent le diagnostic de gastroparésie.

[38]           Les parents devaient-ils soupçonner que ce problème signifiait que leur enfant était handicapé? Rien ne permet d’en tirer cette conclusion.

[39]           Ce genre de problème est assez fréquent chez les jeunes enfants.

[40]           D’ailleurs, si les parents avaient demandé le supplément pour enfant handicapé à ce moment-là, leur demande aurait été rejetée, puisque ce diagnostic n’entre pas dans les cas présumés de handicap important définis à l’annexe A découlant de l’article 1029.8.61.19R2 du Règlement sur les impôts[8].

[41]           Il est aussi significatif de constater que les professionnels de la santé consultés n’ont pas attiré l’attention des parents de X sur la possibilité que le problème de leur enfant constitue un handicap important au sens de la loi.

[42]           Le second problème rencontré était un retard langagier.

[43]           La première évaluation s’est faite à l’âge de 36 mois. L’enfant parlait déjà. La conclusion clinique se lisait comme suit :

« a moderate expressive language delay in the context of mildly delayed language skills and a mild speech production delay »[9]

[44]           Une telle description ne correspond pas non plus aux cas présumés de handicap important définis à la section 2.4 (Troubles du langage) de l’annexe A.

[45]           Les résultats des tests passés en septembre 2012 (alors que l’enfant était âgé de 48 mois) montrent que X performe en dessous de la moyenne, mais malgré cela les exigences de la section 2.4 de l’annexe A pour reconnaître un handicap important ne sont toujours pas rencontrées.

[46]           Il était donc raisonnable pour les parents de X de ne pas considérer leur enfant comme handicapé, et dès lors, de ne pas demander le supplément pour enfant handicapé.

[47]           En avril 2012, X est évalué en ergothérapie pour des troubles moteurs et sensitifs.

[48]           Quand on lit le rapport des évaluations en ergothérapie des 4 et 11 octobre 2012 (alors que l’enfant était âgé de 49 mois), le développement de l’enfant est considéré en dessous de son âge et des séances de thérapie sont recommandées, mais le tableau général montre un enfant actif et enjoué qui présente des atteintes peu sévères[10]. On ne peut donc pas parler d’un handicap important ici non plus.

[49]           En 2012, un cardiologue a observé une anomalie cardiaque chez X Il a alors soulevé la possibilité d’un trouble génétique, soit le syndrome de Williams.

[50]           C’était la première fois que les parents étaient confrontés à la possibilité que leur enfant soit porteur d’une maladie génétique.

[51]           Toutefois, le rapport du généticien est revenu négatif le 6 juillet 2012, ce qui a dû réconforter les parents, et peut expliquer pourquoi ils n’ont pas fait la demande de supplément pour enfant handicapé à ce moment-là.

[52]           Un élément important ressort toutefois de ce rapport. On y mentionne la présence d’anomalies sur le caryotype de l’enfant et le généticien recommande un suivi en génétique.

[53]           Est-ce qu’on peut déduire de ce fait que les parents étaient dès lors informés que leur fils était porteur d’une maladie génétique.

[54]           Loin de là.

[55]           La présence d’anomalies génétiques ne signifie pas la présence d’une maladie génétique. On parle de génotype et de phénotype : le génotype correspond à la configuration des gènes qui peuvent ou non montrer des anomalies, et le phénotype correspond à l’expression clinique de la génétique. Toutes les anomalies génétiques ne se manifestent pas nécessairement par des anomalies physiques ou des maladies cliniques.

[56]           Le fait que le généticien, au moment de son premier rapport, note la présence d’anomalies génétiques ne signifiait pas que l’enfant était porteur d’une maladie (phénotype) génétique.

[57]           Les parents n’étaient pas informés à ce moment-là de la présence d’une maladie génétique chez leur enfant, seulement de la présence d’anomalies sur le caryotype.

[58]           Ce n’est qu’au moment de la tombée du diagnostic, soit le 3 juin 2013, que les parents de X ont su que leur enfant était porteur d’une maladie génétique.

[59]           Ce diagnostic jetait alors un éclairage nouveau sur la réalité vécue. Il liait ensemble tous les problèmes rencontrés depuis la naissance.

[60]           En effet, le syndrome de la délétion chromosomique 15q26 comprenant une atteinte du gène IGF1R (génotype) est connu pour donner des manifestations cliniques (phénotype) variables chez les enfants, dont les plus fréquentes sont des retards de croissance, des troubles digestifs, des anomalies cardiaques, des retards de langage ainsi que des petites statures et de la microcéphalie.

[61]           C’est donc avec raison que les parents relient, en rétrospective, les problèmes rencontrés depuis la naissance de l’enfant à sa maladie génétique.

[62]           Avant la confirmation du diagnostic, ils ne savaient pas que les problèmes de leur enfant depuis la naissance avaient une explication génétique.

[63]           N’eut été ce diagnostic, il est très probable qu’ils n’auraient pas demandé le supplément pour enfant handicapé en novembre 2013.

[64]           Les parents ont agi de bonne foi.

[65]           Il n’y a pas lieu d’invoquer ici l’ignorance de la loi ou le retard à agir. La véritable ignorance est l’ignorance du diagnostic.

POUR CES MOTIFS, le soussigné :

ACCUEILLE le recours;

INFIRME la décision en révision du 4 septembre 2014; et

ORDONNE le paiement du supplément pour enfant handicapé rétroactivement à la date de la naissance de l’enfant, soit le [...] 2008.

 

 

 

                                                         GILLES THÉRIAULT, j.a.t.a.q.

 

 


Opinion de Me Hélène Beaumier

[66]           Je suis désignée pour trancher entre les opinions divergentes des juges administratifs qui ont été saisis de la présente affaire, tel que le prévoit en semblables circonstances le deuxième alinéa de l'article 145 de la Loi sur la justice administrative[11] qui se lit comme suit :

« 145. (…)

Lorsque les opinions se partagent également sur une question, celle-ci est déférée au président, au vice-président responsable de la section concernée ou à un membre désigné par l'un d'eux parmi les membres pour qu'il en décide selon la loi. »

[67]           J'y procède, après que la vice-présidente de la section, en date du 12 février 2016, eut transmis aux parties l’information concernant la divergence d’opinion, les avisant que le dossier serait en conséquence déféré à un autre juge administratif pour que décision soit rendue.

 

Contexte

[68]           Il s’agit pour le Tribunal de se prononcer sur le bien-fondé d’une décision en révision de l’intimé, Retraite Québec, en date du 4 septembre 2014, confirmant que c’est à compter du mois de décembre 2012 que le droit des requérants au paiement du supplément pour enfant handicapé leur est reconnu.

[69]           Disposant ainsi de la question, l’intimé accordait aux requérants la rétroactivité prévue par le premier alinéa de l’article 1029.8.61.24 de la Loi sur les impôts[12] (la Loi), en considérant que c’est le 28 novembre 2013 que les requérants avaient logé leur demande :


«1029.8.61.24.  Un particulier ne peut être considéré comme un particulier admissible, à l’égard d’un enfant à charge admissible, au début d’un mois donné que s’il présente une demande, à l’égard de cet enfant à charge admissible, auprès de la Régie au plus tard 11 mois après la fin du mois donné.

La Régie peut, en tout temps, proroger le délai fixé pour présenter une demande visée au premier alinéa.

(…)»

[Emphase ajoutée]

[70]           Par leur recours, les requérants recherchent une rétroactivité plus grande, soit à compter de la naissance de l’enfant, plaidant que ce dernier est atteint d’une malformation chromosomique créant des problèmes à plusieurs niveaux (problèmes gastriques impor-tants, retards de croissance et retards d’apprentissage - notamment parole et motricité fine), et que c’est depuis sa naissance qu’il en est affecté, condition ayant par ailleurs nécessité un support important en orthophonie et ergothérapie par l’utilisation de services privés.

[71]           C’est en vertu du deuxième alinéa de l’article précité qu’une rétroactivité plus grande peut être octroyée, ce que l’intimé, en l’espèce, refuse, indiquant dans sa décision à cet égard que les requérants auraient pu présenter une demande plus tôt qu’ils ne l’ont fait, et transmettre les documents médicaux par la suite.

[72]           Essentiellement, c’est le débat.

Analyse

[73]           L’un des juges saisis de l’affaire a retenu la position de l’intimé, soulignant que les parents, ayant appris l’existence du programme de supplément pour enfant handicapé en août 2013, « voulaient avant tout confirmer le diagnostic de leur enfant pour lui assurer les traitements adéquats »; qu’ainsi, l’ignorance de la loi et le retard à agir ne pouvaient justifier de rétroagir au-delà des 11 mois prévus par la Loi.

[74]           L’autre juge a retenu la position des parents, estimant qu’une rétroaction jusqu’à la naissance de l’enfant se justifiait en l’espèce, car ce n’est qu’avec la confirmation du diagnostic que les parents ont su que la panoplie de problèmes présentée par leur enfant depuis la naissance avait une explication génétique.

[75]           Avec égard pour la position contraire, c’est aussi ce que je retiens.

[76]           Il ressort en effet que c’est dès sa naissance, en septembre 2008, trois semaines avant terme, que l’enfant, de petite stature, commence à présenter d’importantes difficultés, à première vue sans lien entre elles.

[77]           Tout débute avec des problèmes d’alimentation (régurgitations, nausées, vomisse-ments, aversion), situation conduisant, après consultations, à un diagnostic de gastropa-résie posé en janvier 2011, après des traitements débutés dès mars 2009 (enfant 6 mois).

[78]           Des problèmes de langage s’ajoutent éventuellement, le moment venu, suffisamment importants pour conduire à une première évaluation en septembre 2011 et à un diagnostic formel de retard langagier en septembre 2012. Une thérapie en orthophonie était en cours depuis novembre 2011.

[79]           À peu près au même moment, en octobre 2012, un retard développemental est formellement objectivé après des évaluations ayant débuté en avril 2012; des séances de thérapie sont recommandées, débutant en décembre 2012.

[80]           Parallèlement, toujours en avril 2012, à la demande du cardiologue traitant de l’enfant, qui avait identifié une anomalie cardiaque et cherchait à éliminer un syndrome de Williams, une investigation est entreprise sur le plan génétique; celle-ci élimine le syndrome en question en juillet 2012, mais rapporte toutefois des anomalies sur le caryotype de l’enfant, concluant ainsi à ce qu’il y ait un suivi en génétique.

[81]           Ce suivi aboutit éventuellement à la mise à jour, en juin 2013, avec confirmation en août 2013, du diagnostic ici en cause de trouble chromosomique 15q26, comprenant une atteinte du gène IGF1R.

[82]           On observe que le rapport de cytogénétique de juin 2013, comporte comme renseignements cliniques que l’enfant présente un retard de croissance prénatal et postnatal, ainsi qu’une anomalie crânienne[13] et, concluant à un résultat masculin anormal, fait état que le genre d’anomalie retrouvé en l’espèce (microdélétions impliquant le gène IGF1R) est associé à un retard de croissance pré et postnatal, une diminution de la circonférence crânienne ainsi que des dysmorphies faciales mineures.

[83]           Pour mon collègue le juge Thériault, c’est à compter de ce moment que les parents ont vraiment su que leur enfant était porteur d’une maladie génétique et que l’anomalie en question, connue pour donner des manifestations cliniques variables, mais pouvant comprendre les diverses problématiques rencontrées par l’enfant depuis sa naissance, expliquait, en rétrospective, les problématiques en question; ce avec quoi je suis d’accord.

[84]           Il faut bien comprendre ici que la reconnaissance du statut d’enfant handicapé, si elle relève du diagnostic posé relatif à l’anomalie génétique, doit prendre en compte que ce diagnostic n’a pas (ou n’a pu) être posé plus tôt, mais que les manifestations cliniques successives de cette anomalie, étaient, elles, bien présentes, débutant dès la naissance et s’accroissant; par ailleurs, peu banales, celles-ci nécessitèrent traitements, thérapies et suivis.

[85]           Certes, prises isolément, ces manifestations cliniques ne pouvaient justifier une reconnaissance du statut d’enfant handicapé, mais elles ne laissaient pas non plus présager au départ l’anomalie génétique qui sera éventuellement détectée.

[86]           L’explication génétique intervenue en juin 2013 venait effectivement jeter un éclairage nouveau et donner à la globalité du tableau des difficultés rencontrées une explication tout aussi globale, jusqu’alors ignorée des parents et des différents intervenants auprès de leur enfant.

[87]           Cela ne peut leur être reproché, et, en ce sens, il ne peut ici être question d’ignorance de la loi ou de retard à agir.

[88]           Les requérants sont donc en droit, dans le cas sous étude, de recevoir le paiement du supplément pour enfant handicapé suivant une rétroaction plus grande que les 11 mois prévus par la Loi, la soussignée fixant cette rétroaction à la date de la naissance de l’enfant.


POUR CES MOTIFS, la soussignée :

-        ACCUEILLE le recours;

-        RECONNAÎT l’enfant handicapé à compter de sa naissance le [...] 2008 et

-        ORDONNE le paiement du supplément pour enfant handicapé rétroactivement à compter de cette date.

 


 

 

HÉLÈNE BEAUMIER, j.a.t.a.q.


 

 

Lafond, Robillard & Laniel

Me Mario Laprise

Procureur de la partie intimée

 


 

 



[1] RLRQ, chapitre I-3.

[2] Page 4 du dossier.

[3] Page 25 du dossier.

[4] RLRQ, chapitre I-3, r. 1.

[5] Page 1 du dossier.

[6] Pages 20 et 21 du dossier.

[7] Décision en révision 245777-2014.

[8] RLRQ, chapitre I-3.

[9] Page 12 du dossier.

[10] Voir la conclusion du rapport de l’ergothérapeute à la page 20 du dossier.

[11] RLRQ, chapitre J-3

[12] RLRQ, chapitre I-3

[13] Il est question au dossier de microcéphalie.

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