Rio Tinto Alcan Métal Primaire - Alma |
2013 QCCLP 4096 |
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[1] Le 26 avril 2010, l'entreprise Rio Tinto Alcan Métal Primaire ─ Alma (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal), par l'entremise de sa représentante, une requête par laquelle est contestée une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 16 mars 2010, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 24 novembre 2009 et déclare que l'employeur doit assumer la totalité du coût de la lésion professionnelle subie, le 6 décembre 2005, par M. Raymond Belley (le travailleur).
[3] L’audience s’est tenue à Saguenay, le 5 octobre 2012, en présence de l'avocat de l'employeur. Une preuve commune a été présentée en lien avec la présente affaire et les dossiers nos 458150-02-1112 et 467937-02-1204.
[4] Une première réouverture d'enquête a eu lieu le 20 décembre 2012, le tribunal ayant demandé des informations additionnelles, lesquelles ont été transmises le 31 janvier 2013. Une seconde réouverture d'enquête a eu lieu le 18 février 2013 afin de tenir une conférence téléphonique, le 11 avril suivant, avec le procureur de l'employeur et son expert médical. La cause a été mise en délibéré à la suite de la tenue de cet appel conférence, soit le 11 avril 2013.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L'employeur demande au tribunal de lui accorder un partage de l’imputation du coût des prestations versées en raison de la maladie professionnelle subie par le travailleur, le 6 décembre 2005, de l’ordre de 25 % quant à son dossier financier et de 75 % quant aux employeurs de toutes les unités. À cet égard, il invoque le tabagisme comme handicap préexistant à la lésion professionnelle.
LES FAITS
[6] Le travailleur a occupé l'emploi de soudeur chez l'employeur pendant 38 années et 2 mois. La CSST accepta la réclamation du travailleur concernant une maladie professionnelle dont le diagnostic était un cancer de la vessie (carcinome transitionnel vésical), et ce, à compter du 6 décembre 2005. Cette décision n'a pas fait l'objet d'une demande de révision.
[7] Le 19 juin 2006, une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de l'ordre de 84 % fut octroyée en raison de cette lésion. Cette décision n'aurait pas fait l'objet d'une révision administrative, selon l'état du dossier.
[8] Le 28 octobre 2008, l'employeur a adressé à la CSST une demande de partage relativement au coût de la lésion du travailleur. Cette demande fut rejetée le 24 novembre 2009 et cette décision fut confirmée, le 16 mars 2010, à la suite d'une révision administrative.
[9] Le dossier administratif contient un rapport d'évaluation du travailleur constitué par l'employeur. Il appert que le travailleur a effectué ses tâches chez l'employeur alors qu'il était susceptible d'être exposé au benzo [a] pyrène (BaP), soit un hydrocarbure aromatique polynucléaire, et ce, pendant 36 ans et 6 mois.
[10] Le rapport est conçu de façon à ventiler l'ensemble des occupations du travailleur selon la dose réelle d'exposition à cet hydrocarbure. Selon les données recueillies, l'exposition professionnelle du travailleur équivaut, en carrière, à 20 années et 5 mois BaP.
[11] D'autre part, le service médical de l'employeur a consigné des données concernant la santé et les habitudes de vie du travailleur pendant sa carrière, pièce E-i. En regard de l'information concernant le tabagisme, il appert de ces données que le travailleur aurait commencé à fumer à l'âge de 21 ou 23 ans (1960, 1963), à raison de 15 cigarettes par jour. Selon les informations colligées, il aurait :
Ø cessé de fumer un an vers 1981-1982;
Ø fumé 20 cigarettes par jour entre 1982 et 1985 avec des arrêts occasionnels;
Ø cessé de fumer en 1985;
Ø recommencé à fumer dans les années 1990 à raison de 5 à 6 cigarettes par jour.
[12] Le Dr Paul Perrotte, médecin spécialisé en uro-oncologie, a témoigné. Dans ce domaine, il agit à titre de clinicien, de professeur agréé en urologie et de chercheur s'intéressant particulièrement au processus métastatique du cancer de la vessie. Le Dr Perrotte a réalisé une étude détaillée du dossier médical du travailleur, en tenant compte de l'incidence croisée du tabagisme et de l'exposition professionnelle au BaP, en regard du cancer de la vessie, pièce E-ii.
[13] Le cancer de la vessie dont il est question est ici dénommé cancer urothélial ou « transitional cell carcinoma », lequel représente 95 % des cas de ce type de cancer au Québec, au Canada et en Amérique du Nord. Le tabagisme et l'exposition professionnelle au BaP, notamment dans l'industrie de l'aluminium, sont les deux facteurs de risque susceptibles de causer ce cancer.
[14] La compréhension du processus de carcinogénèse (la malignité) nécessite d'aborder deux notions, soit le temps de latence[1] et la dose cumulée[2]. Dans le cas du BaP, il y a une latence minimale de 10 ans avant que ne se manifeste un cancer de la vessie. De plus, selon l’étude du professeur Tremblay[3], pièce E-iii (onglet 7), une exposition annuelle au BaP inférieure à 0,2 μg ne comporterait pas de risque. Les études épidémiologiques ont démontré qu’il existe, pour chacun de ces carcinogènes, un seuil d’exposition critique prédisposant au développement du cancer de la vessie, soit une consommation tabagique de 20 paquets-années[4] ou une exposition au BaP de l'ordre de 19 mcg/m3-années.
[15] Le facteur de risque prédominant est le tabagisme selon le Dr Perrotte. En effet, le risque relatif du fumeur de contracter un cancer de la vessie est 2,5 fois plus élevé que chez le non-fumeur. En regard du risque relatif à l'exposition professionnelle, l'uro-oncologue énonce que :
« [. . . ] Dans le cas qui nous intéresse, l’industrie de l’aluminium et surtout les travailleurs exposés à l’environnement des cuves du procédé de Soderberg sont reconnu comme ayant un risque augmenté de développer un cancer de la vessie. Ceci est encore plus vrai chez les travailleurs qui ont été exposé avant les années ’90 alors que la bio-protection était sous-optimale et la causalité méconnue. Ceci dit, on reconnaît qu’une exposition au BAP de 19 mcg/m3 années est le seuil qui prédispose les travailleurs à un risque augmenté de cancer de la vessie. Ainsi donc le risque relatif de cancer de la vessie chez les travailleurs de l’aluminium est selon R R W Gaerter1, G P Thériault2 de 1,6 à 1,7 après 19 ans d’exposition. Ces mêmes auteurs imputent 50% des cancers de la vessie chez les travailleurs de l’aluminium à l’exposition industrielle. Dans une réévaluation plus contemporaine du risque, Tremblay et ass. ont déterminé que le risque de développer un cancer de la vessie chez le travailleurs des alumineries québécoises est de 2,22 (1,56-3,48). Ce risque de 2,22 est estimé pour les travailleurs exposés à un seuil de 0,2 mcg/m3 de BaP pour une période de 40 ans. La latence avant le développement de lésions est de 10 ans dans cette étude. »
[16] Il appert que le risque de développer un cancer de la vessie diminue lorsqu’il y a cessation de l'exposition au carcinogène. Après quatre années d'interruption du tabagisme, le risque serait diminué de 40 %. La régression ne serait toutefois pas linéaire et ne reviendrait jamais au taux du non-fumeur. Quant à l'interruption d'exposition au BaP, il n'existe pas d'étude qui quantifie la diminution du risque de contracter le cancer de la vessie. Les données disponibles concernent le cancer du poumon et le risque, dans ce cas, devient nul après 15 années sans exposition. Peut-on appliquer ce taux au cas du cancer de la vessie ? Le Dr Perrotte répond :
« Il est intuitivement plaisant de croire que ce phénomène serait le même. Toutefois, si nous extrapolons les données du tabagisme et que le risque n’étant jamais nul une diminution de 75% du risque après 10 ans d’arrêt d’exposition semble raisonnable. »
[17] Il y aurait lieu également de tenir compte de l'incidence de la génétique, soit le cas des acétylateurs lents. Toutefois, il est difficile d'évaluer ce facteur en termes de calcul de risque en raison de la difficulté de quantifier les prédispositions génétiques et d'évaluer leurs interactions.
[18] La question essentielle étant de départager la part des deux sources carcinogènes en présence, le Dr Perrotte s'appuie sur les études du professeur Tremblay. En 1995, ce dernier[5] se pencha sur les cas de 69 personnes, fumeurs et non-fumeurs, pièce E-iii (onglet 7, p. 345), afin d'évaluer les risques de développer un cancer de la vessie eu égard au tabagisme. Il s'est questionné quant à savoir si les effets étaient additifs (linéaires) ou multiplicatifs. Dans le modèle multiplicatif, s'il est attribué au non-fumeur exposé au BaP un risque relatif de 1,0, ce risque est majoré à 3,35 dans le cas du fumeur exposé. Dans le modèle linéaire, extrapolé de l’article de Tremblay, le tabac comporte un risque de 2,63, alors que celui du BaP est de 2,22. Il faut retenir que le modèle multiplicatif serait difficilement applicable, car il n’y aurait pas d’augmentation du risque au-dessus du seuil; il y a donc une augmentation linéaire du risque en fonction de l’exposition et les calculs sont effectués conséquemment à ce risque.
[19] Afin d'évaluer l'imputabilité relative des carcinogènes que sont le tabac et le BaP, le Dr Perrotte propose la méthode de calcul[6] suivante:
« Risque relié au tabac : 2,63
Risque relié au BaP : 2,22
Risque relatif relié au tabac (RRT) : 2,63 X # paquet-année / seuil (20) / 2,63+2,22 x % de diminution du risque associée à l’arrêt d’exposition
Risque relatif relié au BaP (RRB) : 2,22 X # BaP-année / seuil (19) / 2,63+2,22 [x] % de diminution du risque associé à l’arrêt d’exposition
La prépondérance de l'imputabilité peut être estimée ainsi :
1 = RRT / (RRT + RRB) + RRB / (RRT + RRB) »
[20] Dans la présente affaire, le Dr Perrotte a analysé le cas spécifique du travailleur. Il retient que :
« Diagnostic de cancer de la vessie:
Le patient a présenté une hématurie macroscopique en octobre 2005 et une cystoscopie fut faite par le Dr Louis René Barrette qui a mis en évidence de multiples lésions papillaires dans la vessie. Le patient fut alors amené en salle d’opération pour une résection qui a démontré un:
-Carcinome urothélial de la vessie : Ta de bas grade (RTU-TV 19/12/2005).
Il a par la suite développé une récidive en mars 2006 et une nouvelle résection fut alors effectué suivi par un traitement intra-vésical de Bacille Calmette Guérin (BCG).
Pas d’évidence de récidive à ce jour.
Antécédents:
- Adénocarcinome de la prostate s/p prostatectomie 2000
Facteurs de risques:
Exposition au BaP: 20,2 mcg/m3-années
Après révision des données d’exposition de M. Belley, fournies par Alacan, on note un total de 20 ans et 5 mois. Toutefois, il faut noter que l’exposition moyenne est de moins de 1,0 mcg/m3. En effet, l’exposition est sur une période de 27 ans avec une exposition de moins de 0,3 mcg/m3 dans la vaste majorité des années. De plus lors des 10 dernières années, on note un cumulatif de moins de 1,0 mcg/m3 et toutes les années avec moins de 0,2 mcg/m3-année. On peut donc conclure que l’exposition est sous le seuil critique dans les dix ans avant le diagnostic de carcinome urothélial. Dans un tel contexte, le risque relié à l’exposition au BaP devrait être diminué de près de 75%.
Exposition au tabagisme: 32 pqt-années
L’histoire de tabagisme de M. Belley est assez classique et est classique avec un début à l’âge de 21 ans et qui s’étend sur 32 ans avec un total de 32 pqt-année. On note une diminution du tabagisme dans les années 1990 mais il n’est pas clair au dossier si le patient a cessé complètement son tabagisme après 1997. Selon certaines notes, il est fumeur occasionnel.
Analyse de la situation:
Le cas de M. BeIley est certainement un cas où l’exposition au BaP n’est pas contestée mais où la composante du tabagisme sur le diagnostic n’a pas été évaluée par l’urologue Dr Louis-René Barrette. En effet, le patient est fumeur de 32 paquets-année et lors du diagnostic en 2005 et par la suite en 2006, le patient semble encore être exposé au tabac. À l’opposé, le patient n’est plus exposé au BaP à des taux critiques depuis près de dix ans avant le diagnostic. Lors de son rapport adressé à la CSST du 6 juin 2006, le Dr Louis René Barrette dans son compte-rendu ne fait aucune mention du tabagisme du patient et ce malgré la pertinence d’une telle observation.
Tel que décrit dans le mémoire sur le cancer de la vessie, le facteur de risque le plus important demeure le tabagisme et la notion de temps-concentration est essentielle. Ainsi, il est difficile de concilier cette notion avec l’exposition aux BaP dans l’historique de M. Belley mais cette notion est certainement la plus pertinente pour l’historique de tabagisme de M. Belley.
Il est impossible de conclure que M. Belley a ou avait une prédisposition génétique a
développé un cancer de la vessie mais il est clair que ce ne sont pas tous les hommes de 66 ans avec la même exposition qui développent un cancer de la vessie.
Calcul de l’imputabilité des facteurs de risque dans la survenue du cancer de la vessie:
1) Risque associé au tabagisme: 2,63
Coefficient d’accentuation: # paquets-années /seuil de paquet (20) = 32/20 = 1,6
Coefficient de cessation du tabagisme: 0,40 (8 ans d’arrêt)
Risque relatif pondéré associé au tabagisme (RRT)
= (2,63/ (2,63 + 2,22) X 32/20) X 0,40 = 0,34
2) Risque associé au BaP: 2,22
Coefficient d’accentuation: BaP-année / seuil d’exposition (19 mcg/m3-année)
=20,2/19=1,06
Coefficient de cessation de l’exposition au BaP: 0,25 (26 ans d’arrêt)
Risque relatif pondéré associé au BaP (RRBaP)
= (2,22/ (2,22 + 2,63) X 20,2/19) X 0,25 = 0,12
3) Prépondérance de l’imputabilité du tabagisme: RRT/ RRT + RRBaP X 100
= 0,34/0,34 + 0,12 X 100 = 74%
4) Prépondérance de l’imputabilité du BaP: RRPaB / RRPaB + RRT X 100
= 0,12 / 0,12 + 0,34 X 100 = 26%
Conclusions:
À la lumière de l’historique d’exposition au tabac et au BaP, on ne peut que conclure que l’exposition aux produits du tabac a eu l’effet prépondérant dans le développement du cancer de la vessie de M. Belley. En effet, on calcul que 74% du lien de causalité avec son cancer de la vessie est dû au tbac et 26% à l'exposition au BaP. » [sic]
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[21] Le tribunal doit décider s’il y a lieu d’accorder la demande de l’employeur quant à un partage du coût des prestations accordées au travailleur.
[22] L’article 328 de la loi énonce le principe général en raison duquel le coût des prestations versées à la suite d’une maladie professionnelle est imputé au dossier financier de l’employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
328. Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
[…]
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1985, c. 6, a. 328.
[23] Néanmoins, l’employeur peut demander un partage de ce coût conformément aux prescriptions de l’article 329 de la loi.
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[24] L’employeur, pour obtenir gain de cause, doit d’abord démontrer que le travailleur était déjà handicapé lors de la manifestation de sa lésion professionnelle.
[25] La notion de handicap a été définie par ce tribunal dans l’affaire Municipalité Petite-Rivière-St-François et CSST[7], laquelle fait depuis consensus. Un handicap constitue une déficience physique ou psychique soit « une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique »[8], qui doit correspondre à une déviation par rapport à une norme biomédicale. En 2001, l’Organisation mondiale de la santé retenait une définition plus récente de la notion de déficience, soit une perte ou une anomalie d’une structure anatomique ou d’une fonction organique. Il est précisé que, dans ce contexte, le terme anomalie désigne un écart important par rapport à des normes statistiques établies, soit un écart par rapport à la moyenne de la population dans le cadre de normes mesurées. Il appert que cette nouvelle définition reprend essentiellement la notion précédente de déficience, telle que l’appliquait largement le tribunal. Les paramètres de la notion de handicap demeurent donc inchangés malgré cette nouvelle définition.[9]
[26] Dans un second volet, l’employeur doit démontrer que cette déficience a « entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion. »[10] Afin d’apprécier la contribution de cette déficience, il y a lieu de retenir les paramètres énoncés dans l’affaire Hôpital Général de Montréal[11], soit :
- la gravité du fait accidentel;
- le diagnostic de la lésion professionnelle;
- la durée de la période de consolidation de la lésion;
- la nature des soins et des traitements;
- l'existence ou non de séquelles découlant de la lésion professionnelle;
- ainsi que l'âge du travailleur.
[27] Aucun de ces paramètres n'est déterminant à lui seul mais, considérés dans leur ensemble, ils permettent d’évaluer le bien-fondé de la demande de l'employeur.
[28] D'entrée de jeu, le tribunal accorde une valeur probante au témoignage du Dr Perrotte, lequel n'a d'ailleurs, d'aucune façon, été contredit.
[29] Le tabagisme est en soi une habitude de vie qui génère des risques importants relativement à l'apparition d'un cancer de la vessie. Ces risques sont corrélatifs à l'importance quantitative de la consommation tabagique et à la durée de celle-ci. Dans la présente affaire, la consommation du travailleur équivaut à une dose tabagique de 32 paquets-années, soit 1,6 fois le seuil minimal reconnu.
[30] Le tribunal reconnaît, en l'espèce, que les effets du tabagisme, soit l'inhalation de carcinogènes, engendrent des changements cellulaires assimilables à une déficience physique. Cette déficience s'est développée antérieurement à l'émission, en 2005, du diagnostic de cancer de la vessie chez le travailleur. D'autre part, compte tenu de l'importance et de la durée de la consommation tabagique du travailleur, il y a lieu de reconnaître que les effets corrélatifs de cette consommation constituent une déviation de la norme biomédicale.[12]
[31] Le Dr Perrotte reconnaît que l'exposition au BaP constitue un autre facteur susceptible d'avoir généré le cancer de la vessie chez le travailleur. Il existe donc une synergie entre les effets du tabagisme et de l'exposition professionnelle au BaP pour expliquer la manifestation d'une telle pathologie. En l'espèce, les données colligées par l'employeur quant à l'exposition du travailleur à ce carcinogène, n'ont pas été contredites, et le Dr Perrotte détermine qu'elle équivaut à 20,2 mcg/m3-années, le seuil d'exposition causal étant de 19.
[32] Il appert du calcul d'imputabilité de ces deux sources carcinogènes, en regard de la manifestation du cancer de la vessie, une nette prépondérance en faveur du tabagisme. L'imputabilité de ce dernier est de 74 %, tandis que celle de l'exposition professionnelle au BaP est de 26 %. Ce calcul n'est pas contredit.
[33] La preuve s'avère donc prépondérante pour établir que les effets de la consommation tabagique du travailleur sont imputables dans une proportion de 74 %, eu égard à l'apparition du cancer de la vessie. Il y a donc lieu d'accueillir la demande de l'employeur et d'accorder un partage du coût des prestations accordées quant à la maladie professionnelle du travailleur, conformément à la méthode de calcul retenue. En conséquence, le dossier financier de l'employeur doit être imputé de 26 % de ce coût.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête présentée par l'entreprise Rio Tinto Alcan Métal Primaire ─ Alma, l’employeur;
INFIRME la décision rendue le 16 mars 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit assumer 26 % du coût des prestations versées en raison de la maladie professionnelle qui s'est manifestée, à compter du 6 décembre 2005, à l'endroit de monsieur Raymond Belley, le travailleur, et que le reste doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.
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Réjean Bernard |
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Me François Côté |
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NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L'exposition antérieure au développement de la pathologie.
[2] Le risque est proportionnel à la dose et au temps d'exposition.
[3] C. TREMBLAY et al.,« Estimation of Risk of Developing Bladder Cancer among Workers Exposed to Coal Tar Pitch Volatiles in the Primary Aluminum Industry », (1995) 27 American Journal of Industrial Medicine,pp. 335-348.
[4] Nombre de paquets/jour x années d'usage.
[5] Précité note 3.
[6] Tenant compte des modifications apportées par l'expert lui-même, lors de son témoignage.
[7]
[8] La définition de cette notion est puisée dans la Classification internationale des handicaps élaborée par l’Organisation mondiale de la santé et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, Paris, CTNERHI-Inserm, 1988.
[9] En ce sens, voir :
Les
Créations Morin inc., C.L.P.
Groupe Power,
[10] Municipalité Petite-Rivière-St-François et CSST, précitée, note 7.
[11] [1999] C.L.P. 891 .
[12] Décisions du tribunal dans lesquelles le tabagisme a déjà été reconnu comme une déficience physique qui dévie de la norme biomédicale :
J. M. Asbestos inc. et Marchand (succession), C. L. P. 110105-05-9902, 24 juillet 2003, L Boudreault;
Alcoa et Ouellet, C. L. P. 197213-09-0301, 4 février 2005, Y. Vigneault;
Mittal Canada inc. , C. L. P. 309012-62B-0702, 11 mars 2008, D. Lampron;
Ville de Montréal, C. L. P. 334187-62-0711, 29 septembre 2009, L. Couture;
Toromont Industries Québec, C. L. P. 379381-31-0905, 18 janvier 2010, J.-F. Clément. .
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