Martel c. Kia Canada inc. |
2014 QCCS 3273 |
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JG-1462 (Recours collectif) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N0 : |
500-06-000645-131 |
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DATE : |
le 9 juillet 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE PIERRE-C. GAGNON, J.C.S. |
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THÉRÈSE MARTEL |
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Requérante |
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c. |
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KIA CANADA INC. |
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Intimée |
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JUGEMENT SUR REQUÊTE EN AUTORISATION |
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[1] Mme Thérèse Martel, propriétaire d’une automobile Kia Rio 2012, requiert l’autorisation d’un recours collectif contre Kia Canada inc., pour le groupe suivant :
Tous les consommateurs résidant au Québec qui ont acheté un véhicule de marque KIA énuméré dans les sous-groupes ci-après, d’un des concessionnaires de l’intimée, et dont le programme d’entretien exigé dans le manuel du propriétaire, remis par le fabricant, diffère du programme d’entretien exigé par le concessionnaire, et ce, depuis le 19 mars 2010 jusqu’au jugement final sur la requête en autorisation.
Les consommateurs faisant partie du groupe doivent avoir acheté un véhicule KIA d’une de ces années modèles :
Rio : |
2013 et 2012 |
Forte : |
2013, 2012, 2011 et 2010 |
Sedona : |
2013, 2012, 2011 et 2010 |
Sorento : |
2013, 2012, 2011 et 2010 |
Soul : |
2013 et 2012 |
Sportage : |
2013, 2012 et 2010 |
[2] En résumé, Mme Martel considère que les membres du groupe sont victimes d’une pratique trompeuse : bien que, dans chaque cas, le manuel du propriétaire indique les intervalles d’entretien requis pour le véhicule (par exemple, le changement de l’huile à moteur à tous les 12 000 kilomètres) le concessionnaire Kia exigerait de se conformer à des intervalles plus courts, sous menace de ne pas honorer la garantie du manufacturier.
[3] On verra que Kia Canada invoque que tous les véhicules circulant au Québec sont exposés à un climat rigoureux, d’où l’application des « Conditions de service intense ».
A. LES FAITS ESSENTIELS
[4] Ce qui suit est un résumé des prétentions de la requérante Thérèse Martel à la lumière des allégations de sa requête pour autorisation, de son interrogatoire hors cour du 5 septembre 2013, de l’interrogatoire de son conjoint M. Michel Lacasse à la même date, et de la transcription d’une conversation téléphonique entre Mme Martel et Mme Tonu Trinh, employée de Kia Canada[1].
[5] Mme Martel est la requérante et recherche le statut de représentante, en tant que propriétaire de sa Kia Rio 2012. Mais il faut associer au récit son conjoint M. Lacasse, à qui Mme Martel a confié diverses interventions déterminantes.
[6] Le couple Martel-Lacasse réside à Orford, en zone semi-urbaine, à bonne distance des différents concessionnaires automobiles, en particulier Kia Sherbrooke, qui se trouve à une quarantaine de minutes de route.
[7] Mme Martel cherche à acheter, à l’état neuf, une petite automobile économique, principalement pour faire la navette entre sa résidence et son lieu de travail. Ses trois principaux critères de sélection sont : le prix d’achat, la consommation d’essence et le coût de l’entretien préventif.
[8] Elle et M. Lacasse se documentent, notamment sur l’Internet, en comparant les caractéristiques de divers véhicules de même catégorie.
[9] Généralement, lors de la livraison d’une automobile neuve, on remet à l’acquéreur le manuel du propriétaire qui décrit le mode de fonctionnement du véhicule, et aussi certaines consignes pour l’entretien préventif.
[10] Mais bien avant cette étape, durant leur exercice comparatif, les Martel-Lacasse consultent sur Internet le manuel du propriétaire de la Kia Rio 2012.
[11] Ils remarquent dans la section « Entretien » du manuel les intervalles suivants :
· liquide de la boîte automatique : aucune vérification, aucun service requis;
· huile à moteur et filtre : 12 000 km ou 12 mois;
· liquide de refroidissement du moteur : 192 000 km ou 120 mois; puis ensuite à tous les 24 000 km ou 24 mois;;
· bougies d’allumage : 150 000 km ou 12 mois.
[12] Sur la base de telles informations, plus avantageuses que celles concernant des automobiles concurrentes, Mme Martel achète sa Kia Rio 2012 le 5 janvier 2012.
[13] Ce jour-là, alors qu’elle n’allait chez Kia Sherbrooke que pour « magasiner » et vérifier, Mme Martel quitte en ayant signé le contrat d’achat. Un conseiller aux ventes motivé l’a convaincue grâce à une prolongation de la garantie (à dix ans ou 200 000 km), à la gratuité des changements de pneus et à la gratuité des changements d’huile, « à vie » dans les deux derniers cas.
[14] Mme Martel vérifie alors que le manuel du propriétaire qu’on lui remet énonce les mêmes informations que celles vérifiées sur l’Internet.
[15] Le 24 mai 2012, M. Lacasse se présente chez Kia Sherbrooke pour le premier entretien périodique. La Kia Rio affiche alors 12 872 km à l’odomètre. Le préposé de Kia Sherbrooke indique à M. Lacasse que l’intervalle de 12 000 km mentionné dans le manuel du propriétaire ne s’applique pas en raison du climat rigoureux du Québec, de sorte qu’il faut plutôt changer l’huile à tous les 8 000 km.
[16] Étonnés mais obéissants, les Martel-Lacasse veillent par la suite à faire changer l’huile à tous les 8 000 km, plus ou moins.
[17] Puis le 17 janvier 2013, se présentant pour un entretien préventif à 35 811 km, M. Lacasse se fait remettre un dépliant de Kia Sherbrooke[2] indiquant que les changements d’huile doivent s’effectuer à tous les 6 000 km. Le préposé de Kia Sherbrooke insiste que tel intervalle doit être observé.
[18] Quelques jours avant la signification de la requête, Mme Martel contacte Kia Canada via sa ligne téléphonique sans frais. Une employée, Mme Tonu Trinh, lui indique que, dans le manuel du propriétaire, il faut lire la page 7/21, à la fin de la section « entretien », qui restreint les intervalles en cas de « conditions sévères ».
[19] De fait, dans le manuel du propriétaire de la Kia Rio 2012[3], on trouve une description détaillée du programme d’entretien normal (p. 7/8 à 7/20), puis une dernière page (p. 7/21) décrivant le programme d’entretien pour le service intense.
[20] En bas de cette page, Kia énumère 11 « conditions de service intense », comme suit :
CONDITIONS DE SERVICE INTENSE
A - Conduire répétitive (sic) sur de courtes distances de moins de 8 km (5 milles) à température normale ou de moins de 16 km (10 milles) par temps froid
B - Ralenti ou vitesse réduite excessive sur de longues distances
C - Conduire sur des routes avariées, poussiéreuses, vaseuses, non pavées en gravier ou salées
D - Conduire à des endroits où l’on utilise du sel ou des matières corrosives ou par temps très froid
E - Conduire à des endroits sablonneux
F - Conduire dans la grosse circulation à plus de 32 C (90 F)
G - Conduire en terrain montagneux
H - Tirer une remorque ou une caravane, utiliser un porte-bagages
I - Service comme voiture de patrouille, taxi ou autre service commercial ou pour remorquer
J - Vitesse supérieure à 170 km/h
K - Conduire régulièrement dans le trafic discontinu.
[21] Mme Martel explique qu’elle a lu cette page (elle ne précise pas quand) et en a conclu qu’elle ne s’appliquait pas à son cas, « que c’était plus à la Baie James, Kuujjuak[4] ». Là où elle vit et où elle va, l’on répand de la poussière de pierre sur la chaussée, mais pas de sel, soutient-elle.
[22] Mme Martel considère que son choix d’acheter une Kia Rio 2012 a été altéré par les fausses représentations de Kia Canada. Celle-ci ne pourrait se dissocier de ses concessionnaires qui insistent sur des changements d’huile à tous les 8 000 km et même tous les 6 000 km, sous menace de ne pas honorer la garantie du manufacturier.
[23] Mme Martel réclame pour elle-même un dédommagement de 362,12 $, correspondant aux remplacements additionnels de liquide de la boîte automatique, d’huile à moteur et son filtre, de liquide de refroidissement du moteur et de bougies d’allumage. Elle réclame aussi des dommages-intérêts punitifs de 500 $ par membre du groupe, en vue de dissuader telle pratique commerciale illégale et trompeuse.
[24] Les Martel-Lacasse en savent fort peu sur d’autres consommateurs qui seraient dans leur situation. Ils n’ont identifié aucun autre membre du groupe. Nouvelle venue à Orford, Mme Martel se considère en milieu isolé[5]. Ses voisins ne possèdent pas de Kia. De passage à Lévis, elle a contacté le concessionnaire de l’endroit, chez qui elle s’est procuré un dépliant référant lui aussi aux « conditions sévères » quant aux intervalles d’entretien à observer.
B. QUESTION EN LITIGE ET RÈGLES DE DROIT APPLICABLES
[25] Il s’agit de déterminer si le recours collectif doit être autorisé.
[26] Le test applicable est énoncé à l’article 1003 du Code de procédure civile :
Art. 1003. Le tribunal autorise l'exercice du recours collectif et attribue le statut de représentant au membre qu'il désigne s'il est d'avis que :
a) les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;
b) les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;
c) la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des articles 59 ou 67; et que
d) le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres.
[27] Dans le récent arrêt Infineon[6], la Cour suprême rappelle qu’au stade de l’autorisation, la Cour supérieure exerce un rôle de filtrage, ce qui prescrit un seuil de preuve peu élevé, en favorisant une interprétation et une application larges des conditions d’autorisation du recours collectif[7]. Ainsi,
61 À la présente étape, le tribunal, dans sa fonction de filtrage, écarte simplement les demandes frivoles et autorise celles qui satisfont aux exigences relatives au seuil de preuve légal prévus à l’art. 1003. Le but de cet examen n’est pas d’imposer un lourd fardeau au requérant, mais simplement de s’assurer que des parties ne soient pas inutilement assujetties à des litiges dans lesquels elles doivent se défendre contre des demandes insoutenables. La Cour d’appel a décrit l’exigence relative au seuil comme suit : « le fardeau en est un de démonstration et non de preuve » ou, en anglais, [TRADUCTION] « the burden is on of demonstration, and not of proof » (Pharmascience inc. c. Option consommateurs, 2005 QCCA 437 (CanLII), par. 25; voir également Martin c. Société Telus Communications, 2010 QCCA 2376 (CanLII), par. 32).
[28] Quelques semaines plus tard dans l’arrêt Vivendi[8], la Cour suprême expose en quoi le processus d’autorisation du recours collectif au Québec dénote une approche plus souple que celle de la certification dans les provinces de common law.
[29] Ainsi, même si l’article 4.2 C.p.c. énonce un principe général de proportionnalité dans tous les aspects de la procédure civile, il n’en découle pas un cinquième critère indépendant[9].
[30] Le juge d’autorisation doit autoriser le recours collectif si les quatre critères de l’article 1003 C.p.c. sont respectés. Il n’a pas à se demander si le recours collectif constitue le véhicule procédural le plus adéquat[10].
[31] Et même si l’article 1003 C.p.c. énonce quatre critères distincts, la Cour d’appel reconnaît qu’il existe des vases communicants entre les critères, si bien que la contestation portant sur l’un d’entre eux peut entraîner la remise en question d’un autre[11].
[32] Le Tribunal retient qu’il ne faut pas autoriser les demandes frivoles ou insoutenables, mais qu’autrement il suffit au requérant de démontrer qu’il se conforme aux critères de l’article 1003 C.p.c., qu’il a « une cause défendable »[12].
[33] Le premier critère, celui de l’alinéa 1003 a), est l’existence d’une question commune à l’ensemble des membres du groupe proposé.
[34] Quant à celui-ci, la Cour suprême réitère qu’il s’agit à cet égard de franchir « un seuil peu élevé »[13]. Suffit la présence d’une seule question de droit identique, similaire ou connexe[14]. Il n’est même pas nécessaire que chaque membre du groupe adopte un point de vue identique ni même similaire sur cette question commune[15].
[35] Autrement dit, les réponses n’ont pas à être communes[16].
[36] Le deuxième critère, celui de l’alinéa 1003 b), exige que les faits allégués (tenus pour avérés[17]) paraissent justifier les conclusions recherchées.
[37] À ce sujet, dans l’arrêt Dubuc c. Bell Mobilité[18], la Cour d’appel précise que « le requérant doit démontrer une apparence sérieuse de droit, ce qui apporte que sa requête doit faire voir une apparence sérieuse des faits essentiels ».
[38] Quand le recours invoque inexécution contractuelle, « le requérant (doit) établir prima facie la teneur des obligations contractuelles liant les parties »[19].
[39] Le troisième critère, celui de l’alinéa 1003 c), amène le juge d’autorisation à apprécier la composition du groupe proposé et à vérifier si celle-ci rend difficile ou peu pratique l’application des articles 59 ou 67 C.p.c.
[40] Ces deux dispositions permettent à plusieurs personnes, à certaines conditions, de joindre leurs demandes en justice analogues et même de donner mandat à l’une d’elles d’ester pour les autres.
[41] Le troisième critère présuppose qu’il existe un groupe, dont le juge d’autorisation soit en mesure d’apprécier l’ampleur et les caractéristiques essentielles.
[42] Il ne suffit pas que plusieurs personnes aient été exposées à un même péril. Il faut qu’un nombre suffisant d’entre elles aient subi un préjudice[20]. Un cas isolé ne suffit pas[21].
[43] Il ne suffit pas d’alléguer généralement qu’il existe des membres constituant un groupe. Aux yeux de la Cour d’appel, il s’agit là bien plus d’une opinion qu’une véritable allégation de faits dont le juge d’autorisation soit en mesure d’apprécier la suffisance[22].
[44] Le quatrième critère vise la représentation adéquate des membres du groupe qui, rappelons-le, seront liés par le sort de la demande en justice bien qu’ils n’aient pris aucune initiative de mandater quiconque d’agir en leur nom, au sens de l’article 59 C.p.c.
[45] Dans l’arrêt Infineon, la Cour suprême dicte une interprétation libérale :
Aucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement.[23]
[46] Même la démonstration d’un conflit d’intérêts (par rapport à d’autres membres du groupe) ne suffit pas[24].
[47] Le juge d’autorisation ne doit pas se mettre à la recherche du « best possible representative »[25].
[48] Il suffit que le représentant proposé allègue être lui-même victime de la faute ayant causé le préjudice commun. Il doit avoir un « recours personnel valable »[26].
[49] Le représentant proposé est soumis à un seuil de compétence peu élevé. Mais il doit tout de même démontrer avoir fait une enquête raisonnable, fournir une estimation du nombre de personnes comprises dans le groupe proposé, autrement dit établir son leadership à « diriger les démarches requises pour l’exercice du recours »[27].
[50] Dans l’arrêt Bouchard c. Agropur Coopérative[28], la Cour d’appel résume comme suit :
[98] En somme, lorsque le tribunal peut présumer que d’autres personnes que le requérant ont une réclamation à faire valoir, le seul fait que le requérant n’ait identifié qu’un nombre limité de membres du groupe ne justifie pas que lui soit refusé le statut de représentant. Il en va toutefois autrement lorsque le tribunal ne peut raisonnablement tenir pour avérée l’insatisfaction générale des membres du groupe.
C. LE DEUXIÈME CRITÈRE : APPARENCE SÉRIEUSE DE DROIT
[51] Ramené à son expression fondamentale le syllogisme juridique de la requérante Thérèse Martel s’énonce comme suit :
a) Mme Martel fait partie d’un groupe de consommateurs québécois qui ont acquis, depuis le 19 mars 2010, divers modèles d’automobiles du manufacturier Kia;
b) ce groupe a été victime de pratiques commerciales trompeuses, de fausses représentations et de fausses déclarations de la part de Kia Canada;
c) à la recherche d’un véhicule économique, les membres du groupe ont, avant d’acheter, vérifié les intervalles d’entretien de diverses composantes du véhicule, étant donné que l’entretien périodique est source de dépenses durant la vie utile du véhicule;
d) les membres du groupe ont été induits en erreur par le manuel du propriétaire de chaque modèle, document disponible sur Internet, donc avant même d’acheter;
e) chaque manuel du propriétaire décrit longuement le programme d’entretien normal;
f) cependant, une fois le véhicule acheté, des concessionnaires Kia font état du climat rigoureux au Québec, insistent sur le programme d’entretien intensif et évoquent la menace de ne pas honorer la garantie du manufacturier si l’entretien préventif ne s’effectue pas selon des intervalles plus courts que ceux du programme d’entretien normal;
g) Kia Canada laisse ses concessionnaires agir de la sorte;
h) ainsi, Kia Canada paraît valider la position des concessionnaires en permettant l’utilisation de la marque de commerce et du logo Kia sur la documentation des concessionnaires promouvant le programme d’entretien intensif;
i) de la sorte, Kia Canada transgresse les articles 219 et 228 de la Loi sur la protection du consommateur, qui prohibent les représentations fausses et trompeuses par un commerçant et qui lui interdisent de passer sous silence un fait important au moment de faire des représentations au sujet du bien offert au consommateur;
j) les membres du groupe sont justifiés de réclamer, tel que prévu à l’article 272 de la Loi sur la protection du consommateur, des dommages-intérêts compensatoires et des dommages-intérêts punitifs.
[52] Tel que ce syllogisme est élaboré, les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées.
[53] Chaque manuel du propriétaire comporte mention d’un programme d’entretien intensif semblable à celui de la page 7/21 du manuel R-6, ce que la requête introductive d’instance passe sous silence. Cependant, il y a matière à débat judiciaire au moment d’apprécier si le manuel du propriétaire est agencé de façon ambiguë et si Kia Canada et ses concessionnaires en imposent ensuite une application illégale.
[54] Au stade de l’autorisation du recours collectif, la requérante se conforme au critère de l’alinéa 1003 b) C.p.c.
D. LE TROISIÈME CRITÈRE : L’OPPORTUNITÉ DU RECOURS COLLECTIF EN FONCTION DE LA COMPOSITION DU GROUPE
[55] Mme Martel ne démontre pas qu’il existe un groupe qui serait affecté par le recours collectif qu’elle souhaite faire autoriser.
[56] Dans le cadre de son interrogatoire hors cour, Mme Martel reconnaît qu’elle ne connaît personnellement personne d’autre qui fasse partie du groupe[29]. On lui demande alors des précisions :
Q- O.K. Est-ce que vous avez fait des démarches auprès d’autres membres par rapport à cette question?
R- J’ai vérifié dans mon entourage. J’habite à Orford, dont c’est un petit peu isolé et mes voisins ils n’ont pas de Kia. Alors, dans les gens que je connais autour, nous, ça fait pas longtemps qu’on habite en Estrie, donc je connais pas beaucoup de monde. Alors, j’ai pas …
Q- O.K. Alors je vais réviser…
[57] Pourtant, Mme Martel entend être désignée représentante de « tous les consommateurs résidant au Québec qui ont acheté un véhicule de marque Kia énuméré (etc.) … ».
[58] Le syllogisme juridique de Mme Martel est spécifique. Elle veut regrouper tous les acquéreurs québécois d’automobiles Kia qui ont été victimes d’une pratique trompeuse au sens de la Loi sur la protection du consommateur[30]. Cette pratique trompeuse consiste à publier des manuels du propriétaire qui induisent en erreur un éventuel acquéreur quant aux intervalles d’entretien requis pour le véhicule qu’il envisage d’acheter.
[59] Dans cette optique, il ne suffit pas de produire un tableau de ventes indiquant que 21 972 véhicules Kia ont été vendus en 2009-2010 au Québec[31].
[60] Passons outre qu’une telle donnée brute ne détaille pas en fonction des six différents modèles mentionnées à la requête (Rio, Forte, etc.) et que la période de ventes en cause s’étendrait de 2010 à 2013.
[61] Là où le bât blesse, c’est que rien ne permet de vérifier combien d’acquéreurs s’estiment lésés par la rédaction boiteuse du manuel du propriétaire, qu’ils l’aient lu avant de signer le contrat d’achat (ce qui est essentiel au syllogisme juridique), ou bien même à la rigueur qu’ils l’aient lu (selon l’ordre normal des choses) après avoir pris livraison du véhicule.
[62] On se serait attendu à ce que la requérante et ses avocats membres du groupe créent un site Internet et recueillent les doléances d’autres consommateurs se considérant lésés de façon analogue. La preuve est muette à cet égard.
[63] Il est inacceptable que Mme Martel se soit résignée à ne faire aucune investigation parce qu’elle venait d’emménager à Orford et que ses voisins immédiats ne possèdent pas de Kia.
[64] Même si la Cour suprême (dans les arrêts Infineon et Vivendi, précités) requiert beaucoup de souplesse de la part du juge d’autorisation, la présente étape doit tout de même servir de filtre. Or, laisser passer tout le fluide sans retenir les corps étrangers, ce n’est pas filtrer.
[65] La présente situation est analogue à celle qu’analyse le jugement albertain Buelow c. Morrissey[32], rendu par le juge en chef associé Rooke de la Cour du Banc de la Reine d’Alberta.
[66] On demandait du juge Rooke de certifier un recours collectif regroupant les personnes âgées vivant en centre d’accueil et ayant subi préjudice de la prescription négligente des anti-psychotiques Seroquel et Zyprexa.
[67] La seule « victime » connue était Mme Pifko, décédée des suites d’une réaction allergique au Zyprexa, d’après le rapport d’autopsie.
[68] Les demandeurs se disaient incapables d’identifier une autre « victime » mais estimaient qu’il y en avait sûrement plusieurs, considérant que l’un ou l’autre médicament avait, au cours des quatre années précédentes, été administré à près du tiers des 1200 à 1300 patients chroniques de la défenderesse Capital Care (exploitante d’un réseau de centres d’hébergement).
[69] Le juge en chef associé Rooke a refusé de certifier le recours collectif pour les motifs suivants :
[32] The Plaintiffs also relied on my statement in a earlier decision that “the identifiable class requirement is a low threshold issue”: Windsor v Canadian Pacific Railway Ltd, 2006 ABQB 348 at para 91, 402 AR 162 (Windsor QB), aff’d (with minor amendment) 2007 ABCA 294, 417 AR 200. That statement is true and remains so. However, there must be some evidence of at least two actual class members, not only hypothetical members.
[70] Or, dans le cas ici sous étude, Mme Martel ne démontre que l’existence possible de membres hypothétiques, et non l’existence de membres réels.
[71] Le Tribunal statue que la requérante ne démontre pas qu’elle se conforme au critère de l’alinéa 1003 c) C.p.c.
E. LE QUATRIÈME CRITÈRE : LA REPRÉSENTATION ADÉQUATE DES MEMBRES
[72] Il y a plusieurs motifs pour lesquels Mme Martel ne se conforme pas au critère de l’alinéa 1003 d) C.p.c.
[73] Fondamentalement, on n’a pas à se demander si elle est en mesure de représenter adéquatement les membres, en l’absence de démonstration qu’il existe un groupe, et donc d’autres membres de ce groupe.
[74] Aussi, tel que déjà mentionné, Mme Martel ne semble s’être préoccupée que de son litige personnel, sans qu’elle et ses avocats aient déployé d’efforts susceptibles d’identifier d’autres consommateurs québécois susceptibles de revendiquer l’application à leur situation, du syllogisme énoncé à la section C du présent jugement.
[75] Mme Martel n’a pas encore accompli les démarches minimales que la Cour d’appel requis du représentant proposé dans l’arrêt Del Guidice (précité, au parag. [49] du présent jugement).
F. LE PREMIER CRITÈRE : L’EXISTENCE DE QUESTIONS IDENTIQUES, SIMILAIRES OU COMMUNES
[76] Kia Canada plaide que la requérante est incapable de satisfaire à ce premier critère car elle ne démontre pas que le groupe comporte plusieurs membres dont la situation commune soulèverait des questions identiques, similaires ou communes.
[77] Sur ce point, Kia a raison. Tout a déjà été écrit sur cet aspect du litige.
G. RÉCAPITULATION ET CONCLUSION
[78] La requérante Thérèse Martel démontre qu’elle se conforme au deuxième critère applicable, celui de l’alinéa 1003 b) C.p.c.
[79] Cependant, elle échoue quant aux trois autres critères, ceux des alinéas 1003 a), 1003 c) et 1003 d) C.p.c.
[80] Le recours collectif ne peut être autorisé que si tous les quatre critères sont établis à la fois.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[81] REJETTE la requête en autorisation;
[82] AVEC DÉPENS.
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_________________________________ L’Honorable Pierre-C. Gagnon, j.c.s. |
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Me Fredy Adams |
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Me Gilles Gareau |
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ADAMS GAREAU |
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Avocats de la requérante |
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Me Robert E. Charbonneau |
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Me Stéphane Pitre |
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Me Valérie Scott |
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BORDEN LADNER GERVAIS |
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Avocats de l'intimée |
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Dates d’audience : les 24 et 25 février 2014 |
[1] Pièces R-1 et R-2.
[2] Pièce R-4, p. 4.
[3] Pièce R-6.
[4] Interrogatoire hors cour de Mme Martel, p. 34.
[5] Interrogatoire hors cour de Mme Martel, p. 89.
[6] Infineon Technologies AG c. Option Consommateurs, 2013 CSC 59.
[7] Paragr. 59 et 60.
[8] 2014 CSC 1.
[9] Parag. 68.
[10] Parag. 67.
[11] Del Guidice c. Honda Canada inc., 2007 QCCA 922, parag. 24; Union des consommateurs c. Air Canada, 2014 QCCA 523, parag. 37..
[12] Arrêt Infineon, paragr. 66 et 67.
[13] Parag. 72.
[14] Id.
[15] Paragr. 73.
[16] Arrêt Vivendi, parag. 72.
[17] Arrêt Infineon, parag. 67.
[18] 2008 QCCA 1962, parag. 11.
[19] Idem, parag. 13.
[20] F.L. c. Astrazeneca Pharmaceuticals PLC, 2010 QCCS 470; MacMillan c. Abbott Laboratories, 2010 QCCS 470.
[21] Pagé c. Bell Mobilité, 2009 QCCS 377; confirmé par 2010 QCCA 31.
[22] Fortier c. Meubles Léon, 2014 QCCA 195, parag. 69.
[23] Parag. 149.
[24] Parag. 150.
[25] Contat c. General Motors du Canada ltée, 2009 QCCA 1699, parag. [33]; Western Canada Shoppina Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534, parag. 41.
[26] Option Consommateurs c. Bell Mobilité, 2008 QCCA 2201, parag. [54].
[27] Del Guidice c. Honda Canada inc., 2007 QCCA 922, parag. 38.
[28] 2006 QCCA 1342.
[29] Interrogatoire hors cour de Mme Martel, p. 89.
[30] RLRQ, c. P-4.01, arts. 219 et 228.
[31] Pièce R-14.
[32] 2013 ABQB 277.
AVIS :
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