DÉCISION
[1] Le 15 mai 2002, monsieur Jean-Yves Brizard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 22 avril 2002, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 9 octobre 2001 et déclare que la réclamation produite par monsieur Brizard, suite à un événement qui serait survenu le 15 septembre 2001, est irrecevable parce que déposée hors délai.
[3] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience le 19 décembre 2002, à laquelle assistaient le travailleur ainsi que son représentant. La CSST, partie intervenante au dossier, était également représentée.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la réclamation qu’il a soumise pour un événement survenu le 15 septembre 1999 est recevable et qu’il a subi une lésion professionnelle.
LES FAITS
[5] La Commission des lésions professionnelles a entendu le témoignage de monsieur Brizard et a analysé le dossier. Elle retient les faits suivants.
[6] Monsieur Brizard travaille pour la compagnie Pétrole Provinciale inc. depuis 1972 et en est le seul actionnaire depuis 1987; il dispose d’une protection personnelle qui le rend apte à recevoir des prestations de la CSST. Il effectue la livraison des produits pétroliers en plus de gérer l’entreprise.
[7] Le travailleur allègue qu’il a été victime d’une lésion professionnelle le 15 septembre 1999. Il se trouvait au dépôt pétrolier situé au 430, Route 138 à Berthierville. Alors qu’il était débout sur un camion citerne pour procéder à son remplissage, il a perdu pied, a tenté de reprendre son équilibre et de se redresser mais il est tombé sur la plate-forme située autour du camion; il s’est alors blessé au membre supérieur droit en tentant de se protéger. Il a immédiatement ressenti une douleur vive, sous forme de brûlure, au biceps droit.
[8] Monsieur Brizard indique qu’il n’a pas constaté de bosse lors de la survenance de l’événement mais celle-ci est apparue quelques jours plus tard. En raison de la persistance des douleurs et de l’apparition de la bosse, il est allé consulter le docteur Yves Bellemare, chiropraticien, le 24 septembre 1999.
[9] Dans une note de consultation rédigée par le docteur Bellemare, il est indiqué que le travailleur a présenté une douleur aiguë au bras droit suite à une chute survenue le 15 septembre 1999. Le docteur Bellemare pouvait distinguer nettement une masse palpable et visible à l’insertion du biceps droit. Il a alors posé le diagnostic d’entorse sévère avec déchirement probable du biceps droit et a avisé le travailleur de consulter son médecin.
[10] Parce qu’il travaille pour son compte et ne pouvant se permettre un arrêt de travail, monsieur Brizard a continué à travailler et exécuter ses fonctions habituelles, malgré la persistance de la douleur et la perte graduelle de ses capacités.
[11] Il consulte pour la première fois le 24 avril 2000. Il est noté qu’une bosse est visible au niveau du biceps droit, apparue suite à une chute qui serait survenue cinq mois auparavant. Le travailleur n’éprouve pas de douleur importante mais constate une certaine perte de force musculaire. À l’examen du bras, il est noté une importante déchirure du biceps droit et le travailleur est référé au docteur Jean-Noël Casaubon.
[12] Le 22 juin 2000, monsieur Brizard se présente au Centre hospitalier régional Lanaudière à Joliette, afin de consulter à nouveau un médecin. Aux notes de consultation, il est noté que le travailleur a présenté un traumatisme en septembre 1999 et que depuis il présente une déformation du biceps droit. Une douleur est persistante depuis. Il est référé en orthopédie.
[13] Le travailleur rencontre le docteur Guy Le Bouthillier, chirurgien-orthopédiste, le 28 juillet 2000. Ce dernier prescrit alors des traitements de physiothérapie afin de favoriser le renforcement de son biceps. Aucun arrêt de travail n’est alors prescrit.
[14] Le travailleur rencontre également le docteur Bessette à l’Hôpital Général de Montréal. Aux notes de consultation, il est rapporté que le travailleur se serait blessé alors qu’il soulevait des poids. À cette assertion, monsieur Brizard indique qu’il a effectivement rencontré le docteur Bessette mais que lui-même ainsi que le médecin ont eu beaucoup de difficulté à se comprendre car le médecin était anglophone et qu’il ne parle pas l’anglais. Il n’a jamais mentionné que l’événement dont il a été victime était survenu alors qu’il soulevait un poids.
[15] Le 20 octobre 2000, le travailleur revoit le docteur Le Bouthillier. Il veut absolument être opéré. Le médecin procède donc à une demande d’admission pour qu’une reconstruction du biceps distal droit puisse être pratiquée.
[16] Monsieur Brizard mentionne qu’en prévision de la chirurgie qui devait être réalisée en mars 2001, il a cessé de travailler le 5 février 2001 et a embauché un travailleur pour qu’il effectue le travail de livraison. Quant à lui, il n’effectuait que le travail administratif. La chirurgie a finalement eu lieu le 17 octobre 2001 et il a pu reprendre son travail régulier le 6 mai 2002.
[17] Monsieur Brizard a soumis une réclamation auprès de la CSST le 14 juin 2001 après avoir parlé à son comptable qui l’a informé qu’il avait le droit de soumettre une réclamation en prévision de la chirurgie à venir et du fait qu’il avait cessé de travailler en février 2001.
L'AVIS DES MEMBRES
[18] Conformément à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1](la loi)la commissaire soussignée a recueilli l’avis des membres issus des associations syndicales et d’employeurs sur l’objet du litige.
[19] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis que la requête de monsieur Brizard devrait être accueillie.
[20] Tout d’abord, ces derniers sont d’avis que le travailleur n’avait pas à déposer de réclamation suite à la survenance de la lésion professionnelle le 15 septembre 1999, puisque cet événement n’a pas causé de perte de temps ni occasionné de coûts particuliers. Son intérêt à déposer une réclamation est devenu réel et actuel à compter du 5 février 2001, alors qu’il a dû cesser de travailler en prévision de la chirurgie qui devait être réalisée initialement en mars 2001. C’est donc à compter de ce moment que la computation du délai à déposer la réclamation devrait débuter. Sur le fond du litige, les membres sont également d’avis que monsieur Brizard a incontestablement été victime d’une lésion professionnelle le 15 septembre 1999, lorsque ce dernier a chuté d’un camion citerne et qu’il s’est infligé une blessure au biceps droit.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[21] La Commission des lésions professionnelles doit, en premier lieu, déterminer si la réclamation soumise le 14 juin 2001 par le travailleur, suite à la survenance d’un événement au travail le 15 septembre 2000, a été produite à l’intérieur du délai prévu à la loi. Si tel n’est pas le cas, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a fait la preuve d’un motif raisonnable permettant de prolonger ce délai ou de le relever de son défaut de le respecter.
[22] Si la réclamation du travailleur est jugée recevable, la Commission des lésions professionnelles doit ensuite décider si le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle le 15 septembre 1999.
[23] La Commission des lésions professionnelles a examiné attentivement le dossier et soupesé les motifs soulevés par le représentant du travailleur. Elle rend en conséquence la décision suivante.
[24] Le tribunal tient tout d’abord à préciser que monsieur Brizard peut bénéficier des dispositions prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles car au moment de la survenance de l’événement allégué il était livreur de produits pétroliers, et non un administrateur et, de plus, bénéficiait d’une protection personnelle.
[25] Dans le présent cas, ce sont les articles 270 et 271 de la loi qui sont pertinents à la solution du litige :
270. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.
L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.
Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.
________
1985, c. 6, a. 270.
271. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi au - delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion ou celui à qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60, quelle que soit la durée de son incapacité, produit sa réclamation à la Commission, s'il y a lieu, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de sa lésion.
________
1985, c. 6, a. 271.
[26] Dans le présent dossier, il a été mis en preuve que, suite à la survenance de l’événement, le travailleur n’a pas eu à s’absenter du travail avant le 5 février 2001, alors qu’il devait subir une chirurgie pour réparer son biceps droit et qui était initialement prévue en mars 2001.
[27] Une lecture attentive de l’article 271 de la loi permet de constater qu’un travailleur n’a pas à produire de réclamation si une blessure n’implique pas un retrait immédiat du travail. La jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles a encadré juridiquement cette notion en concluant que la réclamation ne devrait pas être déposée tant et aussi longtemps qu’un travailleur n’avait pas un intérêt précis de le faire :
L’article 271 n’impose pas une obligation d’ordre préventif, de sorte qu’un travailleur doit dénoncer un événement au cas où l’aggravation de sa lésion lui occasionnerait un arrêt de travail. Le travailleur doit plutôt réclamer dans les six mois du moment où il devient conscient « d’éléments susceptibles de générer des droits en sa faveur ».[2]
[28] De plus, selon la Commission des lésions professionnelles, l’usage de l’expression « sil y a lieu » permet d’affirmer que l’article 271 vise des situations où il y a nécessairement un quelconque avantage à produire une réclamation. Dans un tel cas, cette disposition prescrit qu’une demande d’indemnisation devra être produite dans les six mois de la lésion.
[29] Il a été démontré que monsieur Brizard n’a pas subi de perte de revenu ou contracté des dépenses dans les mois qui ont suivi l’événement qu’il allègue avoir subi. Dans le présent dossier, c’est à compter du 5 février 2001 que l’intérêt du travailleur est né pour déposer une réclamation car c’est à partir de ce moment qu’il a cessé de travailler à la livraison de produits pétroliers. Comme la réclamation a été soumise à la CSST le 14 juin 2001, celle-ci respecte donc le délai de six mois prévu à la loi.
[30] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que monsieur Brizard a soumis sa réclamation dans les délais prévus à la loi.
[31] Il devient nécessaire d’analyser la question qui caractérise le fond du litige, soit de déterminer si monsieur Brizard a été victime ou non d’une lésion professionnelle le 15 septembre 1999.
[32] Après avoir analysé attentivement le dossier et soupesé les témoignages rendus devant elle, la Commission des lésions professionnelles rend la décision suivante.
[33] La loi définit la lésion professionnelle de la façon suivante :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation ;
[34] Le législateur a prévu une présomption en faveur de la reconnaissance d’une lésion professionnelle à l’article 28 de la loi. L’article 28 se lit comme suit :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
________
1985, c. 6, a. 28.
[35] Il ressort du libellé de l’article 28 que trois éléments doivent être démontrés pour que la présomption de l’article 28 puisse trouver application, soit :
1. le travailleur doit avoir subi une blessure;
2. la blessure doit survenir sur les lieux du travail;
3. le travailleur doit être à son travail.
[36] Ces trois éléments doivent être établis par une preuve prépondérante.
[37] Si cette présomption ne peut s’appliquer ou si encore elle est renversée par une preuve d’absence de relation causale par l’employeur, le travailleur devra démontrer qu’il est survenu un accident du travail, tel qu’énoncé à l’article 2 de la loi :
«accident du travail» : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
[38] Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur ne peut bénéficier de l’application de la présomption prévue à l’article 28 de la loi car le diagnostic a été posé dans ce dossier plusieurs mois après la survenance de l’événement. Il faut donc que le travailleur fasse la démonstration de la survenance d’un accident de travail s’il veut voir sa réclamation acceptée à titre de lésion professionnelle.
[39] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur a été indubitablement victime d’une lésion professionnelle le 15 septembre 1999 alors qu’il a chuté d’un camion citerne qu’il remplissait de produits pétroliers. Le travailleur a apporté un témoignage très crédible et sa version est corroborée de façon prépondérante par les déclarations qu’il a données à tous les intervenants dans son dossier.
[40] Au surplus, des notes de consultation du docteur Le Bouthilier, la preuve médicale prépondérante est à l’effet que c’est cette chute qui est à l’origine de la déchirure du biceps droit.
[41] Compte tenu de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles fait droit à la requête de monsieur Brizard.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Jean-Yves Brizard, le travailleur;
INFIRME la décision rendue le 22 avril 2002, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE recevable la réclamation soumise par monsieur Jean-Yves Brizard, le travailleur;
DÉCLARE que monsieur Jean-Yves Brizard, le travailleur, a subi une lésion professionnelle le 15 septembre 2000; et
DÉCLARE que monsieur Jean-Yves Brizard, le travailleur, a le droit de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu et tous les bénéfices prévus à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
|
|
|
Me Manon Gauthier |
|
Commissaire |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me André Laporte |
|
|
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
|
|
Me Myriam Sauviat |
|
|
|
Représentante de la partie intervenante |
|
|
|
|
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.