Décision

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Lemelin et RTC Garage

2010 QCCLP 9317

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec :

21 décembre 2010

 

Région :

Québec

 

Dossier :

404197-31-1003

 

Dossier CSST :

134429919

 

Commissaire :

Guylaine Tardif, juge administratif

 

Membres :

Jean-Guy Verreault, associations d’employeurs

 

Sydney Bilodeau, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Serge Lemelin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

R.T.C. Garage

 

Partie intéressée

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 12 mars 2009, monsieur Serge Lemelin (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue par la conciliatrice décideuse de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 1er mars 2009.

[2]           Par cette décision, la conciliatrice décideuse déclare irrecevable la plainte logée par le travailleur à l’égard de la décision de R.T.C. Garage (l’employeur) de ne pas lui offrir du travail en temps supplémentaire.

[3]           L’audience s’est tenue à Québec le 16 avril 2010 en présence du travailleur, de son procureur, du représentant de l’employeur et du procureur de l’employeur.

[4]           La cause est mise en délibéré le même jour. La prolongation de la durée du délibéré est attribuable à l’absence de la soussignée pour cause de maladie.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[5]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir sa plainte et d’ordonner à l’employeur de lui verser le salaire qu’il aurait pu gagner si l’employeur lui avait offert de travailler en temps supplémentaire.

[6]           Le travailleur demande au tribunal de réserver sa compétence sur le quantum de sa réclamation pour une période de 30 jours pour le cas où les parties n’arriveraient pas à s’entendre.

L’AVIS DES MEMBRES

[7]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la plainte doit être accueillie en partie pour les motifs exprimés par la soussignée. Il n’a été possible pour la soussignée d’obtenir l’avis du membre issu des associations d’employeurs.

[8]           Vu le long délai écoulé depuis la mise en délibéré, il est nécessaire que la décision soit rendue sans plus attendre.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[9]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la décision contestée est bien fondée. Après avoir écouté l’enregistrement de l’audience et revu le dossier, le tribunal en vient à la conclusion qu’il y a lieu d’accueillir la plainte en partie.

[10]        La plainte repose sur l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi) qui se lit comme suit :

32.  L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.

 

Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253 .

__________

1985, c. 6, a. 32.

 

 

[11]        Le travailleur se plaint de la décision de l’employeur de ne pas lui offrir de travailler en temps supplémentaire pendant la période de son retour progressif au travail.

[12]        Le travailleur plaide que le retour progressif au travail correspond à une assignation temporaire au sens de l’article 179 de la loi d’une part, et d’autre part, que la convention collective oblige l’employeur à lui offrir de travailler en temps supplémentaire pendant cette période, ou à défaut qu’il doit lui verser le salaire et les autres avantages visés à l’article 180 de la loi.

[13]        De façon subsidiaire, le travailleur prétend que le retour progressif au travail est une réintégration dans son emploi au sens de l’article 242 de la loi et qu’il a droit en conséquence d’exiger d’être appelé à travailler s’il manifeste sa disponibilité pour le faire.

[14]        L’employeur plaide quant à lui que le travailleur n’était pas assigné temporairement au sens de l’article 179 de la loi et de l’article 4.01 de la Lettre d’entente numéro 11 qui fait partie intégrante de la convention collective applicable entre les parties.

[15]        En conséquence, il prétend que le travailleur ne peut exiger de l’employeur qu’il lui offre de travailler en temps supplémentaire pendant la période de son retour au travail progressif. Il argumente en dernier lieu que le travailleur n’avait pas la capacité d’exécuter le travail disponible en temps supplémentaire.

[16]        Quant à l’argument subsidiaire du travailleur, l’employeur prétend que les particularités du retour progressif sont telles qu’on ne peut conclure que le travailleur a réintégré son emploi au sens de l’article 242 de la loi.

[17]        Les parties admettent :

-       que le travailleur est un travailleur au sens de la loi;

-       qu’il a exercé un droit prévu par la loi;

-       qu’il n’y a pas cumul de recours;

-       que la plainte a été déposée dans le délai imparti par l’article 32 de la loi;

-       que le travailleur a été victime d’un accident du travail le 22 décembre 2008;

-       qu’un retour progressif au travail est entrepris à compter du 16 février 2009;

-       que la lésion professionnelle n’est pas consolidée à ce jour;

-       que l’employeur paie son plein salaire au travailleur depuis le retour progressif et que la CSST ne lui verse aucune indemnité de remplacement du revenu.

[18]        Vu les admissions des parties, la plainte est recevable et la présomption de mesure illégale prévue à l’article 255 de la loi s’applique. Cette disposition se lit comme suit :

255.  S'il est établi à la satisfaction de la Commission que le travailleur a été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans l'article 32 dans les six mois de la date où il a été victime d'une lésion professionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la présente loi, il y a présomption en faveur du travailleur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice de ce droit.

 

Dans ce cas, il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanction ou cette mesure à l'égard du travailleur pour une autre cause juste et suffisante.

__________

1985, c. 6, a. 255.

 

 

[19]        Au stade de l’application de la présomption, le tribunal ne doit pas se demander si la décision de l’employeur est illégale de manière à pouvoir conclure qu’il s’agit d’une «mesure» au sens de l’article 32 de la loi. Exiger du travailleur qu’il démontre l’illégalité de la mesure dont il se plaint aurait pour effet de stériliser la présomption de l’article 255 de la loi.

[20]        L’employeur doit en conséquence démontrer que la mesure qu’on lui reproche est motivée par une autre cause juste et suffisante qui ne soit pas un prétexte, soit que la mesure est étrangère à l’exercice d’un droit conféré par la loi ou au fait que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle.

[21]        L’employeur plaide essentiellement que le travailleur ne dispose pas du droit de travailler en temps supplémentaire parce que le retour progressif au travail n’est ni une assignation temporaire ni une réintégration dans son emploi. Il plaide par surcroît que le médecin du travailleur n’a pas autorisé le travail en temps supplémentaire d’une part, et d’autre part, que le travail d’inspection à l’exclusion du travail de mécanique était autorisé. Il en tire la conclusion que le travailleur n’avait pas en réalité la capacité d’effectuer le travail disponible en temps supplémentaire.

[22]        Pour bien apprécier la question en litige, il convient de préciser le contexte factuel qui est plutôt inusité.

[23]        Le travailleur occupe un poste de mécanicien chez l’employeur. Il est assigné à la tâche d’inspection depuis 2002. Cette tâche consiste à faire l’inspection visuelle et auditive des véhicules selon le calendrier imposé par la législation pertinente. Il occupe cette fonction à raison de 40 heures par semaine, du lundi au vendredi.

[24]        Le travail de réparation mécanique est divisé chez l’employeur selon la nature des travaux à réaliser. Il existe un département de grosse mécanique et un département de petite mécanique (aussi appelé réparation mineure). Le travail d’inspection fait partie du département de petite mécanique.

[25]        Selon le témoignage du travailleur, il ne lui est jamais arrivé d’effectuer des réparations mineures dans le cadre de sa fonction d’inspecteur. Il admet que s’il n’y avait pas de travail d’inspection à faire, l’employeur pourrait l’assigner à des réparations dites mineures afin de ne pas le payer à ne rien faire.

[26]        Par ailleurs, le travailleur offre régulièrement sa disponibilité pour travailler en temps supplémentaire les soirs et fins de semaine. Selon la preuve, le travail en temps supplémentaire se fait sur une base volontaire, selon la disponibilité exprimée par les employés. L’ancienneté ne joue aucun rôle dans l’offre de temps supplémentaire mais elle permet à l’employé de choisir le travail qu’on lui assigne.

[27]        Le travailleur affirme qu’il acceptait régulièrement de travailler en temps supplémentaire comme inspecteur, mécanicien aux réparations mineures, commis à la planification et mécanicien à la « rotation » (il s’agit dans ce dernier cas de faire l’inspection du véhicule à la suite de plaintes formulées par les chauffeurs et de procéder aux réparations mineures qui ne prennent que quelques minutes, de manière à remettre le véhicule en opération le plus rapidement possible; lorsque les réparations sont plus longues à réaliser, le véhicule est pris en charge par un mécanicien de réparations mineures).

[28]        Selon la preuve, le travailleur a exprimé sa disponibilité pour travailler en temps supplémentaire dès le début de son retour progressif au travail le 16 février 2009. L’employeur lui a indiqué sur le champ qu’il ne pouvait être inscrit sur la liste des volontaires, puisqu’il était en accident du travail. Par ailleurs, l’employeur a requis des précisions sur les jours de travail autorisés par le médecin du travailleur.

[29]        L’employeur plaide que le travailleur n’était autorisé qu’à travailler à l’inspection, alors que le travailleur affirme que son médecin lui a dit qu’il devait seulement éviter de faire de la grosse mécanique. À l’évidence, cette partie du témoignage du travailleur constitue du ouï-dire.

[30]        Comme rien n’empêchait le travailleur de faire entendre son médecin ou de déposer un document signé par lui à tout le moins, le tribunal considère qu’il y a lieu de s’en remettre aux rapports médicaux au dossier s’il s’avère qu’il y a contradiction entre ce dont témoignent le travailleur et les documents qui émanent du médecin.

[31]        Tel est le cas. Le 12 février 2009, le médecin du travailleur autorise nommément un retour au travail progressif à l’inspection et il exclut spécifiquement le travail de mécanique. Il indique que le travailleur peut travailler deux jours dans la semaine du 16 février et trois jours dans les semaines des 23 février, 2 et 9 mars 2009. Il ajoute que les traitements de physiothérapie doivent continuer dans l’intervalle.

[32]        Le 17 février 2009, le travailleur revoit son médecin qui précise que le travailleur peut travailler les 17, 19, 23 et 25 février ainsi que les 2, 4, 6, 9, 11 et 13 mars. Il ajoute que les traitements de physiothérapie doivent avoir lieu en fin de journée de travail.

[33]        Le 11 mars 2009, le médecin produit un rapport qui énonce que le travail allégé est permis quatre jours par semaine, soit tous les jours sauf le mercredi, et que les traitements de physiothérapie doivent continuer.

[34]        Le 7 avril 2009, le médecin autorise le travail à l’inspection cinq jours par semaine. Il prescrit des traitements de physiothérapie les lundi, mercredi et vendredi.

[35]        Le travailleur est suspendu par l’employeur du 18 avril au 29 mai 2009.

[36]        Le 15 mai 2009, le médecin autorise le « travail normal ». À compter du 30 mai 2009, le travailleur reprend le travail. Depuis, l’employeur lui offre du travail en temps supplémentaire.

[37]        La période en litige s’étend donc du 16 février au 17 avril 2009.

[38]        De l’avis de la soussignée, il est clair que le médecin est conscient du fait que le travailleur réalise différentes tâches chez l’employeur, qu’il distingue le travail d’inspection et les tâches réalisées en temps supplémentaire et que le seul travail autorisé du 16 février au 15 mai 2009 est le travail à l’inspection. C’est ce qu’il faut comprendre dans le contexte par l’emploi du mot « normal » à son rapport.

[39]        Cependant l’autorisation de reprendre le travail à l’inspection cinq jours par semaine à compter du 7 avril 2009 inclut en elle-même vu la nature allégée de cette tâche l’autorisation de travailler en temps supplémentaire dans cette fonction, sauf preuve contraire inexistante ici.

[40]        Par ailleurs, vu l’usage du mot « normal », le 15 mai 2009, le tribunal considère que le travail en temps supplémentaire dans d’autres tâches n’est autorisé par le médecin qu’à compter du 15 mai 2009. Nous en verrons plus loin l’incidence sur les droits du travailleur.

 

[41]        Le tribunal comprend que le travailleur revendique deux droits différents, soit :

-       le droit d’être payé pour le travail en temps supplémentaire disponible dans l’emploi d’inspecteur, le tout en vertu de l’article 180 de la loi;

-       le droit d’être compensé pour le travail en temps supplémentaire disponible dans les postes de commis à la planification et de mécanicien de réparations mineures, le tout en vertu de sa convention collective.

[42]        Comme le prétend l’employeur, la soussignée retient que l’article 32 ne confère pas en lui-même le droit de travailler en temps supplémentaire ni celui de recevoir la rémunération afférente. Il s’agit d’une disposition attributive de recours pour le travailleur à qui l’employeur impose une mesure prohibée[1].

[43]        Les droits substantifs que revendique le travailleur sont prévus ailleurs, soit aux articles 179, 180 et 242 de la loi ainsi qu’à l’article 4.01 de la Lettre d’entente numéro 11 de la convention collective applicable. Ces dispositions se lisent comme suit :

179.  L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :

 

1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

 

2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

 

3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.

 

Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

__________

1985, c. 6, a. 179.

 

 

180.  L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.

__________

1985, c. 6, a. 180.

 

 

242.  Le travailleur qui réintègre son emploi ou un emploi équivalent a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.

 

Le travailleur qui occupe un emploi convenable a droit de recevoir le salaire et les avantages liés à cet emploi, en tenant compte de l'ancienneté et du service continu qu'il a accumulés.

__________

1985, c. 6, a. 242.

 

 

4.01  Relativement au travailleur couvert par l’article 179, l’employeur offre au travailleur de travailler en temps supplémentaire, s’il y a du temps supplémentaire à effectuer sur le poste de travail qu’il occuperait n’eut été de sa lésion professionnelle.

 

 

[44]        L’expression « son emploi » est centrale dans la loi. Elle est utilisée à plusieurs dispositions fondamentales qui définissent les droits que le travailleur victime d’une lésion professionnelle peut revendiquer.

[45]        Cette expression est nécessairement distincte d’autres expressions qui concernent également le retour au travail, comme par exemple celles relatives à l’assignation temporaire, à l’ « emploi convenable » et à un « nouvel emploi ». C’est ce que révèle la lecture combinée des articles 44, 47, 52, 57, 179, 180 et 242 :

44.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.

 

Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.

__________

1985, c. 6, a. 44.

 

 

47.  Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.

__________

1985, c. 6, a. 47.

 

 

52.  Malgré les articles 46 à 48 et le deuxième alinéa de l'article 49, si un travailleur occupe un nouvel emploi, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il tire de son nouvel emploi.

__________

1985, c. 6, a. 52.

 

 

57.  Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :

 

1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48 ;

 

2° au décès du travailleur; ou

 

3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.

__________

1985, c. 6, a. 57.

 

 

179.  L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :

 

1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

 

2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

 

3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.

 

Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

__________

1985, c. 6, a. 179.

 

180.  L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.

__________

1985, c. 6, a. 180.

 

 

242.  Le travailleur qui réintègre son emploi ou un emploi équivalent a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.

 

Le travailleur qui occupe un emploi convenable a droit de recevoir le salaire et les avantages liés à cet emploi, en tenant compte de l'ancienneté et du service continu qu'il a accumulés.

__________

1985, c. 6, a. 242.

 

 

[46]        La notion d’emploi convenable ne peut s’appliquer ici, puisque la lésion professionnelle n’est pas consolidée à l’époque pertinente.

[47]        Il s’agit donc pour le tribunal de déterminer si le travailleur a été assigné temporairement à un travail au sens de l’article 179 de la loi, s’il a réintégré son emploi ou s’il a plutôt exercé un nouvel emploi du 7 au 17 avril 2009.

[48]        En premier lieu, il convient de retenir que l’expression « son emploi » doit recevoir le même sens partout où elle est utilisée dans la loi.

[49]        En deuxième lieu, le tribunal doit rechercher une interprétation qui  donne effet à la volonté du législateur et qui conduit à une cohérence interne de la loi.

[50]        En troisième lieu, il convient de retenir une interprétation large et libérale, tout en respectant les limites de la loi elle-même qui a pour objet de réparer les conséquences d’une lésion professionnelle dans la mesure qui y est prévue[2]. C’est ce que prévoit l’article 1 de la loi qui se lit comme suit :

1.  La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[51]        Selon la jurisprudence, l’emploi visé par l’expression « son emploi » est l’emploi occupé concrètement[3] par le travailleur par opposition au travail que l’employeur aurait pu lui confier sur une base théorique.

[52]        De l’avis de la soussignée, il faut donc considérer toutes ses particularités concrètes et réelles de temps, de lieu, de durée[4] et de tâches.

[53]        La durée de la prestation de travail permise par le médecin ne correspond pas à la semaine régulière de travail pendant la période du 16 février au 15 mai 2009. Pour ce motif, le tribunal conclut que le travailleur n’a pas réintégré son emploi pendant cette période au sens de l’article 242 de la loi.

[54]        Par ailleurs, selon la preuve, le travailleur a pour habitude d’offrir sa disponibilité pour effectuer un travail de mécanicien de réparations mineures (ce qui inclut la tâche désignée par le mot « rotation ») ou de commis à la planification en temps supplémentaire. Cette faculté est toutefois purement volontaire.

[55]        Le tribunal considère que les tâches réalisées sur une base volontaire[5] ne font pas partie de « son emploi ». Ainsi, elles ne doivent pas être considérées pour déterminer les avantages liés à son emploi (article 180) ainsi que pour décider si le travailleur est incapable d’exercer son emploi (article 44), s’il est redevenu capable de l’exercer (articles 47 et 57), ou s’il a réintégré son emploi (article 242).

[56]        Autrement, il faudrait conclure que le travailleur incapable de faire certaines tâches purement facultatives mais qui conserve sa capacité de faire son travail régulier serait incapable d’exercer « son emploi » au sens des articles 44 et 47 de la loi et qu’il aurait droit à l’indemnité de remplacement du revenu, ce qui est un non sens.

[57]        Et, à l’inverse, il faudrait également conclure que ce travailleur ne peut revendiquer le droit de retour au travail prévu à l’article 236 de la loi, ce qui est également un non sens.

[58]        En somme, le tribunal conclut que l’emploi exercé par le travailleur est un emploi de mécanicien à l’inspection à raison de 40 heures par semaines réparties sur le quart de jour du lundi au vendredi.

[59]        Il s’agit maintenant de déterminer si le travailleur a été assigné temporairement par l’employeur au sens de l’article 179 de la loi et s’il a droit de recevoir le salaire et les autres avantages reliés à son emploi selon ce que prévoit l’article 180 de la loi, ce qui inclut selon la jurisprudence bien établie le salaire correspondant au travail en temps supplémentaire disponible à son emploi même si le travailleur ne l’a pas effectué.

[60]        Si le tribunal en venait à la conclusion que le travailleur a travaillé en assignation temporaire, l’employeur reconnaît devoir lui payer le salaire qu’il aurait pu gagner en temps supplémentaire dans son emploi.

[61]        Certaines décisions déposées par l’employeur retiennent que l’exercice à temps partiel de son emploi ne correspond pas à une assignation temporaire[6]. Ces décisions concernent le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu ou la revendication d’une pleine indemnité de remplacement du revenu ou du plein salaire afférent à son emploi. Les travailleurs en cause souhaitaient en somme obtenir une double indemnisation pendant la période de leur retour progressif au travail.

[62]        La Commission des lésions professionnelles a rejeté les demandes en concluant que le retour au travail à temps partiel dans son emploi n’est ni une réintégration dans son emploi ni une assignation temporaire et que l’article 52 de la loi doit recevoir application. Il faut souligner que ces décisions ne concernent pas l’application de l’article 180 de la loi.

[63]        En application de ces décisions, l’employeur prétend néanmoins qu’il faudrait conclure ici que le travailleur ne peut bénéficier de l’article 180 de la loi lorsqu’il reprend son emploi à temps partiel et qu’il n’appartient pas au tribunal de combler un vide législatif.

[64]        La prétention de l’employeur doit être rejetée, puisqu’elle est contraire à l’intention du législateur, qu’elle conduit à une incohérence interne de la loi et qu’elle implique une interprétation étroite plutôt que large et libérale de ses dispositions.

[65]        Le tribunal constate en premier lieu que l’argument de l’employeur a pour effet de créer une absence de continuum à l’égard de la protection accordée par la loi relativement à la capacité de gains associée au travail en temps supplémentaire.

[66]        Ces gains sont pourtant inclus dans le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu qui est payable tant que le travailleur demeure incapable d’exercer son emploi (voir l’article 67 de la loi).

[67]        Par surcroît, dès le moment où un travailleur victime d’une lésion professionnelle reprend le travail chez l’employeur, que ce soit en assignation temporaire ou à la suite d’une réintégration dans son emploi, les articles 180 et 242 de la loi protègent sa capacité de gains associée au travail en temps supplémentaire disponible dans son emploi.

[68]        Rien ne s’oppose sur le plan logique ou terminologique à ce qu’un « nouvel emploi » au sens de l’article 52 de la loi inclut le travail auquel le travailleur est temporairement assigné au sens de l’article 179 de la loi. L’expression est bien assez large pour couvrir le retour progressif à son emploi. La double indemnisation que souhaite éviter le législateur par l’adoption de l’article 52 de la loi se trouve ainsi réalisée[7]. Pour autant, le travailleur assigné à temps partiel à son emploi ne pourrait revendiquer le droit de recevoir son salaire comme s’il travaillait à temps plein[8]; il ne pourrait revendiquer ce droit que pour les périodes où il travaille réellement en assignation temporaire.

[69]        Il n’est pas donc pas nécessaire d’interpréter la notion d’assignation temporaire de manière à exclure le travail à temps partiel dans son emploi pour éviter la double indemnisation ou l’enrichissement indu du travailleur.

[70]        En somme, si on devait conclure que le retour progressif à son emploi est un nouvel emploi au sens de l’article 52 de la loi, un travailleur pourrait revendiquer le droit de recevoir le salaire qu’il aurait pu tirer du travail en temps supplémentaire à son emploi, tel que l’employeur le reconnaît vu la jurisprudence bien établie du tribunal[9], mais en proportion du temps de travail réellement effectué pendant le retour progressif.

[71]        En contrepartie, l’indemnité de remplacement du revenu qu’il reçoit devrait être réduite du revenu net retenu qu’il tire du nouvel emploi[10] en vertu de l’article 52 de la loi. Ainsi interprétée de façon large et libérale, la loi est cohérente sur le plan interne.

[72]        C’est l’interprétation que retient la soussignée. La notion d’assignation temporaire couvre donc toutes les situations de retour au travail chez l’employeur autres que le retour au travail à « son emploi » selon l’interprétation de cette expression retenue aux paragraphes [44] à [51]. Notons incidemment que le retour au travail chez un autre employeur est également à un « nouvel emploi »[11] au sens de l’article 52 de la loi sans pour autant constituer une assignation temporaire au sens de l’article 179 de la loi, ce qui est également conforme à l’intention du législateur de permettre à l’employeur à qui les coûts sont imputés de les réduire en proposant une assignation temporaire qui limite le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu. Cette faculté n’intéresse évidemment pas le nouvel employeur puisqu’il n’est pas imputé du coût de la lésion professionnelle.

[73]        Par ailleurs, le tribunal doit rejeter la prétention de l’employeur selon laquelle le retour progressif n’était pas une assignation temporaire parce que ce n’est pas l’employeur qui a initié le retour progressif au travail, parce qu’aucun formulaire n’a été rempli et parce que le médecin du travailleur ne s’est pas spécifiquement prononcé sur les trois conditions apparaissant à l’article 179 de la loi.

[74]        Selon la jurisprudence la plus récente[12] avec laquelle la soussignée est en accord,  le formalisme n’est pas de mise en matière d’assignation temporaire. Il s’agit d’apprécier la preuve pour déterminer si le médecin du travailleur a donné son accord au retour au travail à l’égard de tâches précises qui favorisent la réadaptation du travailleur. Tel est bien le cas en l’espèce.

[75]        Bref, le retour progressif au travail du travailleur doit être considéré comme une assignation temporaire[13] et il a droit aux avantages liés à son emploi, soit celui de mécanicien à l’inspection, ce qui inclut le salaire afférent au temps supplémentaire disponible dans son emploi même s’il ne l’a pas fait, le tout en vertu de l’article 180 de la loi, pour les périodes où il a effectivement travaillé en assignation temporaire.

[76]        La convention collective pourrait cependant lui accorder plus de droits - par exemple celui d’exiger de l’employeur qu’il lui offre de travailler en temps supplémentaire comme commis à la planification ou comme mécanicien de réparations mineures, -  tel que le prévoit l’article 4 de la loi qui se lit comme suit :

4. La présente loi est d'ordre public.

 

Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.

__________

1985, c. 6, a. 4.

 

 

[77]        Pour déterminer si tel est le cas, il convient de reproduire à nouveau l’article 4.01 de la Lettre d’entente numéro 11 de la convention collective :

 

 

4.01    Relativement au travailleur couvert par l’article 179, l’employeur offre au travailleur de travailler en temps supplémentaire, s’il y a du temps supplémentaire à effectuer sur le poste de travail qu’il occuperait n’eut été de sa lésion professionnelle.

 

 

[78]        Dans les paragraphes qui suivent, le tribunal ne considère que le travail disponible en temps supplémentaire à l’exclusion du travail à l’inspection dont il a déjà été décidé en vertu de l’article 180 de la loi.

[79]        La convention collective oblige l’employeur à offrir au travailleur de travailler en temps supplémentaire. Au contraire de l’article 180 de la loi, elle n’oblige pas l’employeur à payer le travailleur pour du travail non effectué ou qu’il n’aurait pu effectuer.

[80]        Si le travailleur ne se prévaut pas de sa libre faculté de travailler en temps supplémentaire, il ne sera pas payé. Si l’employeur ne lui offre pas de travailler en temps supplémentaire alors que le travail est disponible, le travailleur peut se plaindre d’avoir été privé d’un droit que lui reconnaît la convention collective.

[81]        Cependant pour obtenir réparation et c’est bien ce qu’il demande au tribunal, encore faut-il que le travailleur démontre qu’il subit un préjudice. Si le travailleur est incapable de travailler en temps supplémentaire, il ne subit aucun préjudice et il ne peut exiger d’être payé. C’est le cas puisque le médecin n’autorise pas le travail en temps supplémentaire avant le 15 mai 2009.

[82]        Pour ces motifs, le tribunal conclut que l’employeur a renversé la présomption de l’article 255 de la loi et que la plainte du travailleur doit être rejetée sur ce deuxième aspect.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Serge Lemelin, le travailleur;

ACCUEILLE en partie la plainte de monsieur Serge Lemelin;

DÉCLARE que monsieur Serge Lemelin a droit à la rémunération afférente au travail de mécanicien à l’inspection disponible, le cas échéant, en temps supplémentaire pour la période du 7 au 17 avril 2009 pour les jours où il a travaillé en assignation temporaire;

RÉSERVE sa compétence pour statuer sur le quantum de cette rémunération pour une période de 30 jours.

 

 

 

 

Guylaine Tardif

 

 

 

Me Georges-Étienne Tremblay

C.S.N.

Procureur de la partie requérante

 

 

Me Serge Belleau

Gagné Letarte & ASSOCIÉS

Procureur de la partie intéressée

 

 

 



[1]          Purolator Courrier ltée et Hamelin, [2002] R.J.Q. 310 (C.A.); Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, [2001] C.L.P. 880 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 5 décembre 2002, (29117).

[2]          Gillam et Centre Molson inc., [1999] C.L.P. 940 ; Bastien et Société des alcools du Québec, 310504-31-0702, 11 septembre 2007, G. Tardif.

[3]          Martin et Olymel St-Simon, C.L.P. 310875-62B-0702, 14 juillet 2008, Alain Vaillancourt; Brouard et Compagnie d'assurance Combined d'Amérique, C.L.P. 291388-03B-0606, 31 octobre 2007, G. Marquis, (07LP-187); Ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs et Gagnon, C.L.P. 210674-01A-0306, 13 avril 2005, J.-F. Clément, (05LP-11).

[4]          Voir au même effet Provigo Québec inc., C.L.P. 374187-61-0904, 13 avril 2010, G. Morin.

[5]          Voir par analogie Côté et Fujitsu conseil (Canada) inc., C.L.P. 213493-62C-0308, 4 mai 2004, R. Hudon, (04LP-18) où le temps de transport pour se rendre au travail choisi librement par la travailleuse n’est pas considéré comme faisant partie de « son emploi ».

[6]          Hamel et Sobeys Québec, C.L.P. 146946-61-0009, 27 mars 2004, L. Nadeau; Lebrasseur et Construction Charles Quesnel inc., C.L.P. 250387-08-0412, 15 juin 2005, P. Prégent; Laporte et Brake Parts Canada inc., C.L.P.195097-72-0211-R, 18 mars 2004, A. Suicco (sur requête en révision).

[7]          Moreau et Compagnie Systèmes Allied (Canada), C.L.P. 201581-64-0303, M. Montplaisir; Morin et Service correctionnel du Canada, C.L.P. 245171-64-0410, 24 mai 2005, R. Daniel; Cardinal et Canbro inc., C.L.P. 169224-62C-0109, 3 juin 2002, V. Bergeron.

[8]          Laporte et Brake Parts Canada inc., précitée, note 6; Walmart Canada inc. et Légaré, C.L.P. 171964-32-0110, 2 octobre 2002, G. Tardif.

[9]          Voir par exemple Girard et Sico inc., [1998] C.A.L.P. 86 , révision rejetée, 88518-03-9705; Crown Cork & Seal Canada inc., C.L.P. 150073-63-0011, 17 juillet 2001, D. Beauregard; Giroux et Les Aliments Lesters ltée, [2004] C.L.P. 985 ; Métro-Richelieu et Smart, C.L.P. 307648-63-0701, 11 mars 2009, M. Juteau.

[10]         Voir à cet effet Moreau et Compagnie Systèmes Allied (Canada), C.L.P. 201581-64-0303, 27 octobre 2004, M. Montplaisir; Morin et Service Correctionnel du Canada, C.L.P. 245171-64-0410, 24 mai 2005, R. Daniel.

[11]         Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Jeca, C.S., Montréal, 500-63-000001-95, 10 avril 1995, j. Saint-Arnaud ( D.T.E. 95T-978 ) (T.T.).

[12]         Brisebois et Volailles Grenville inc., C.L.P. 157910-64-0103, 29 novembre 2002, J.-F. Martel.

[13]         Voir au même effet Hydro-Québec et Godin, C.L.P. 344086-62C-0804, 2 mars 2010, R. L. Beaudoin.

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