Décision

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Poirier c. Lemaire

2017 QCCQ 14907

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEDFORD

LOCALITÉ DE

COWANSVILLE

« Chambre civile »

N° :

455-22-004667-168

 

 

DATE :

21 décembre 2017

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MARTIN TÉTREAULT J.C.Q.

 

______________________________________________________________________

 

Mathieu POIRIER

et

Ina WESTOVER

Demandeurs

c.

 

Vincent LEMAIRE

et

Christian LEMAIRE

et

Josée FORTIN

Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFIÉ

______________________________________________________________________

 

ATTENDU que le jugement daté de ce jour omet de préciser dans ses conclusions le rejet du recours contre les défendeurs M. Christian Lemaire et Mme Josée Fortin ;

ATTENDU que la date du jugement doit être corrigée pour ajouter la conclusion suivante après le paragraphe 95 du jugement non rectifié :

REJETTE la Requête introductive d’instance en responsabilité civile modifiée en date du 25 mai 2016;

POUR CES MOTIFS, les conclusions du jugement rectifié se lisent comme suit :

[90]      ACCUEILLE en partie la Requête introductive d’instance en responsabilité civile modifiée en date du 25 mai 2016;

[91]      CONDAMNE M. Vincent Lemaire à payer à Mme Ina Westover la somme de 8 000$ avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec calculée à compter de la signification de la Demande, soit le 9 juin 2014;

[92]      CONDAMNE M. Vincent Lemaire à payer à Mme Ina Westover en sa qualité de tutrice de Meghean Poirier, la somme de 1 500 $ avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec calculée à compter de la signification de la Demande, soit le 9 juin 2014;

[93]      CONDAMNE M. Vincent Lemaire à payer à Mme Ina Westover en sa qualité de tutrice de Mattina Poirier, la somme de 1 500 $ avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec calculée à compter de la signification de la Demande, soit le 9 juin 2014;

[94]      CONDAMNE M. Vincent Lemaire à payer à Mme Ina Westover en sa qualité de tutrice de Maddie Poirier, la somme de 1 500 $ avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec calculée à compter de la signification de la Demande, soit le 9 juin 2014;

[95]      CONDAMNE M. Vincent Lemaire à payer à M. Mathieu Poirier la somme de 1 500 $ avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec calculée à compter de la signification de la Demande, soit le 9 juin 2014;

[96]      REJETTE la Requête introductive d’instance en responsabilité civile modifiée en date du 25 mai 2016;

[97]      AVEC LES FRAIS DE JUSTICE en faveur des demandeurs.

 

 

__________________________________

MARTIN TÉTREAULT J.C.Q.

 

Me Robert Jodoin

Jodoin & Associés, Avocats

Avocat de la partie demanderesse

 

Me Francine Morin

Centre communautaire juridique de la Rive-Sud

Avocate pour le défendeur Vincent Lemaire

 

Me Charles Guay

Pasquin Viens S.E.N.C.R.L.

Avocat pour les défendeurs Christian Lemaire et Josée Fortin

 


Poirier c. Lemaire

2017 QCCQ 14907

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEDFORD

LOCALITÉ DE

COWANSVILLE

« Chambre civile »

N° :

455-22-004667-168

 

 

DATE :

21 décembre 2017

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MARTIN TÉTREAULT J.C.Q.

 

______________________________________________________________________

 

Mathieu POIRIER

et

Ina WESTOVER

Demandeurs

c.

 

Vincent LEMAIRE

et

Christian LEMAIRE

et

Josée FORTIN

Défendeurs

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]         Le 21 avril 2014, quelques jours avant ses 18 ans, M. Vincent Lemaire (« V.L. ») blesse gravement le chien (le « Chien ») des demandeurs en tirant en sa direction avec l’aide d’une carabine de chasse appartenant à son père, M. Christian Lemaire (« C.L. ») (l’« Événement »).

[2]         Les demandeurs, personnellement et/ou à titre de tuteurs pour leurs trois enfants mineurs, réclament des dommages de V.L. et de ses parents, C.L. et Mme Josée Fortin (« J.F. »).

QUESTIONS EN LITIGE

1)    V.L. est-il responsable du préjudice découlant de l’Événement?

2)    C.L. et J.F. sont-ils responsables du préjudice découlant de l’Événement, que ce soit à titre personnel ou comme parents de V.L.?

3)    En cas de responsabilité, quel est le montant des dommages subis?

LES FAITS

[3]         Le 24 avril 2014, V.L. quitte la maison familiale avec son camion.

[4]         Avant de quitter, il dit à son père qu’il va vérifier des pièges à castors sur le terrain de son oncle situé près de Bromont.

[5]         À l’insu de ses parents, V.L. apporte avec lui une carabine semi-automatique de calibre 30-06 (l’« Arme ») avec plusieurs cartouches. L’Arme appartient à C.L. L’Arme était alors dans une armoire verrouillée dont les clés étaient cachées dans le tiroir d’une table de chevet située près du lit dans la chambre de ses parents.

[6]         Après avoir été vérifier les pièges, plutôt que de retourner directement à la maison familiale, V.L. passe par le chemin où habitent ses grands-parents. Ceux-ci sont voisins de l’immeuble (l’« Immeuble ») où habitent les demandeurs, M. Mathieu Poirier (« M.P. ») et ses trois enfants, Mattina, Meghean et Maddie, respectivement alors âgées de 13, 10 et 8 ans.

[7]         En passant devant l’Immeuble, un des chiens des demandeurs nommé « Wilson », un labrador âgé de 4 ans et pesant plus de 51 kg[1], court vers le camion de V.L.

[8]         V.L. s’arrête; sort de son véhicule; prend l’Arme qui était dans le coffre et tire vers le Chien. Celui-ci est gravement blessé à la patte avant gauche.

[9]         Pris de panique, V.L. rembarque dans son camion et part rapidement. Le demandeur, qui a entendu le coup de feu, sort de la maison et voit le Chien blessé.

[10]        Comme un voisin l’avait avisé qu’un autre chien avait été tiré un mois plus tôt, M.P. appelle un autre voisin, M. Piette, qui habite plus loin sur le chemin pour qu’il suive le véhicule.

[11]        Pourchassé, V.L. perd le contrôle de son camion et quitte la route. Il sort du camion avec l’Arme et va se cacher dans un bois tout près. M. Piette appelle la police pour l’informer de l’accident.

[12]        Lors de l’arrivée des policiers, ceux-ci constatent l’accident et le fait que ni V.L. ni l’Arme ne sont dans le véhicule. Peu de temps après, V.L. se rend et les policiers trouvent 30 cartouches dans ses poches.

[13]        V.L. est alors arrêté et sera accusé de : 1) cruauté envers un animal, 2) avoir braqué un animal et 3) conduite dangereuse. Selon la preuve, il sera condamné à faire un don de 500 $ à la Fondation MIRA et à effectuer 50 heures de travaux communautaires. La preuve ne révèle toutefois pas à quelle accusation est liée cette peine.

[14]        Pendant ce temps, Mme Ina Westover (« I.W. ») est contactée par les enfants qui l’informent de l’Événement.

[15]        I.W., qui ne vivait plus alors avec M.P., se rend alors avec son conjoint à l’Immeuble pour rassurer les enfants et s’occuper du Chien.

[16]        Vu l’heure (environ 19h00) et le fait qu’I.W. demeure désormais à St-Jean-sur-Richelieu, il est décidé de se rendre à Brossard à une clinique vétérinaire ouverte 24 heures sur 24.

[17]        Après l’avoir examiné, le vétérinaire indique à I.W. que le Chien peut être sauvé, mais qu’il devra être amputé d’une patte. On estime les coûts entre 4 000 $ et 8 000 $ pour procéder à l’opération.

[18]        Après avoir discuté avec M.P., il est décidé de ne pas faire euthanasier le Chien, mais plutôt de le faire opérer. Il en coûtera 7 135,81 $ pour l’opération et les frais de séjour postopératoires[2].

[19]        Le Chien restera en convalescence chez I.W. pendant un mois avant de retourner à l’Immeuble avec les enfants et M.P. Il continuera sa réhabilitation pendant quelques mois, mais finira par se rétablir malgré son handicap. Il décède en novembre 2016 d’une cause non liée à l’Événement.

[20]        Le 9 juin 2014, sans mise en demeure préalable, les demandeurs signifient leur recours. 


 

ANALYSE

1.             Quant à la responsabilité civile de V.L.

Le droit

[21]        Pour que la responsabilité civile extracontractuelle d’une personne soit engagée, il faut que la victime fasse la preuve, sur la balance des probabilités[3], que les conditions énoncées à l’article 1457 C.c.Q. sont remplies :

Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde.

[22]        Dans le cas d’une arme à feu, les tribunaux se sont montrés exigeants quant au comportement attendu de la personne qui la manie. Les arrêts suivants, bien que rendus en matière de chasse, en sont des exemples.

[23]        Dans l’arrêt Beaulac c. Hamel[4], le juge Bissonnette décrivait ainsi le devoir de prudence qui s’impose aux chasseurs :

Il n’échappe à personne que l’usage d’une arme à feu, surtout à gros calibre, constitue, en pleine forêt, un grave danger. Un chasseur plus que quiconque sait qu’il ne doit décharger son arme que si, compte tenu de la prudence qui s’impose, il est normalement assuré que sa balle n’atteindra que le gibier qu’il pourchasse. Et pour se décharger de ce devoir de prudence et de diligence, on lui impose comme première règle de voir l’animal qu’il entend abattre, plus que cela, de s’assurer qu’il s’agit bien d’un animal.[5]

[nos soulignements] 

[24]        Dans l’arrêt Dubeau v. Rule[6], la Cour du Banc du Roi, siégeant en appel d’une décision[7] qui avait exonéré des personnes qui avaient abattu, sans permis, un orignal femelle apprivoisé alors qu’ils croyaient qu’il s’agissait d’un animal sauvage, infirme le jugement de 1ère instance notamment pour le motif suivant :

CONSIDÉRANT l’erreur dans le dit jugement d’exiger que dans un fait de chasse la même règle de prévisibilité des droits qu’il peut léser et des dommages qu’il peut causer doive être appliquée comme dans un délit ou un quasi-délit ordinaire, la faculté de faire des actes de chasse étant sujette aux droits légalement acquis déjà sur ce qui peut être gibier et le chasseur devant assumer le risque de son erreur s’il poursuit une bête apprivoisée, et devant être présumé en faute de ce seul fait; […][8]

[nos soulignements]

[25]        Plus récemment, dans une affaire de négligence criminelle, la Cour d’appel écrivait ce qui suit à l’égard du comportement attendu des chasseurs :

[34]        La réalité des choses fait voir que le risque de préjudice lié à l’usage d’une arme à feu est très grand. On s’attend de la personne raisonnable s’adonnant à une activité de chasse de faire montre d’un niveau d’anticipation élevé. La jurisprudence nous donne plusieurs exemples de comportement blâmable en matière de négligence criminelle avec une arme à feu (art. 220 et 221 C.cr.)[20] dont les enseignements, tout en tenant compte de la norme appropriée (écart marqué), peuvent être importés aux fins de trancher la responsabilité criminelle de celui accusé d’usage négligent d’une arme à feu.[9]

[nos soulignements]

APPLICATION DU DROIT EN L’ESPÈCE

[26]        V.l. ne nie pas avoir tiré sur le Chien. Il dit ne pas avoir voulu l’atteindre, mais seulement lui faire peur en raison du fait qu’il avait été pourchassé dans le passé par les chiens des demandeurs alors qu’il se promenait à vélo.

[27]        À l’audience, il transmet ses excuses et se dit prêt à rembourser pour les frais de vétérinaire encourus.

[28]        Les explications et les regrets exprimés par V.L. n’enlèvent pas le caractère fautif des gestes posés lors de l’Événement.

[29]        En effet, une personne raisonnable n’aurait pas subtilisé une arme appartenant à son père et n’aurait pas tiré en direction d’un animal domestique, même si ce n’est que pour lui faire peur.

[30]        En agissant comme il l’a fait, V.L. a contrevenu à plusieurs dispositions de la Loi sur les armes à feu[10] et au Règlement sur l’entreposage, l’exposition, le transport et le maniement des armes à feu par des particuliers[11], notamment quant au permis[12] et au maniement d’une arme à feu[13].

[31]        Au surplus, V.L. n’était pas dans une situation d’urgence où il aurait été attaqué par le Chien[14]. Il était dans son camion lorsque le Chien a couru vers lui. Il s’est arrêté. Il a sorti l’Arme. Il a tiré.

[32]        Personne ne remet en question le fait que V.L. était « doué de raison » lors de l’Événement.

[33]        Les gestes fautifs de V.L. ayant causé un préjudice aux demandeurs et à leurs enfants, sa responsabilité civile est engagée.

2.            Quant à la responsabilité civile des parents

Le droit

[34]        L’article 1459 C.c.Q. énonce les conditions pour que le titulaire de l’autorité parentale soit tenu responsable du préjudice causé par le fait ou la faute du mineur à l’égard de qui il exerce son autorité :

Le titulaire de l’autorité parentale est tenu de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute du mineur à l’égard de qui il exerce cette autorité, à moins de prouver qu’il n’a lui-même commis aucune faute dans la garde, la surveillance ou l’éducation du mineur.

Celui qui a été déchu de l’autorité parentale est tenu de la même façon, si le fait ou la faute du mineur est lié à l’éducation qu’il lui a donnée.

[35]        Cet article crée une présomption de faute qui s’applique lorsque les conditions suivantes sont prouvées :

1.    Lien de filiation entre l’enfant et le titulaire de l’autorité parentale;

2.    Minorité de l’enfant i.e. avoir moins de 18 ans (art. 153 C.c.Q.);

3.    Fait dommageable ou faute de l’enfant;

4.    Préjudice à la victime;

5.    Lien de causalité entre le fait dommageable (ou la faute) et le préjudice subi[15].

[36]        Une fois ces conditions prouvées, le titulaire de l’autorité parentale ne pourra s’exonérer qu’en démontrant une absence de faute dans 1) la garde et la surveillance du mineur ou 2) dans son éducation[16]. Un auteur ajoute la force majeure, la faute de la victime ou l’intervention d’un tiers comme moyens de défense[17].

[37]        Les obligations de garde, de surveillance et d’éducation sont des obligations de moyen et non de résultat[18].

Application du droit en l’espèce

[38]        Ici, les demandeurs ont démontré que les six conditions énoncées précédemment étaient remplies :

1.    C.L. et J.F. sont les parents de V.L.;

2.    V.L. n’avait pas 18 ans lors de l’Événement;

3.    V.L. a commis une faute;

4.    Les demandeurs ont subi un préjudice;

5.    Ce préjudice a été causé par la faute de V.L.

[39]        La présomption de faute de l’article 1459 C.c.Q. est donc applicable et il revenait à C.L. et à J. F. de faire la preuve d’une des causes d’exonération.

[40]        N’étant pas en présence d’une force majeure, d’une faute de la victime ou de l’intervention d’un tiers, seules les questions de la surveillance adéquate et de la bonne éducation pouvaient s’appliquer.

a)    Surveillance adéquate

[41]        Les demandeurs prétendent que les parents n’ont pas exercé une surveillance adéquate de V.L. du fait que ce dernier a pu quitter leur domicile en emportant avec lui l’Arme. Ils leur reprochent également d’avoir laissé les clés de l’armoire à carabines dans un endroit facilement accessible à V.L.

[42]        À l’audience, V.L. a admis avoir pris l’Arme à l’insu de ses parents. Il désirait aller tirer des marmottes chez son oncle où son père avait installé des pièges à castors. Comme il savait que son père refuserait, il ne lui a pas demandé la permission.

[43]        En outre, ses parents ne lui avaient pas dit où étaient cachées les clés pour déverrouiller l’armoire où étaient entreposées les armes de son père. Il a dû fouiller dans la chambre de ses parents pour les trouver[19].

[44]        C.L. confirme qu’il ne savait pas que son fils avait pris l’Arme le jour de l’Événement. V.L. lui a simplement dit qu’il prenait le camion pour aller vérifier les pièges installés chez son oncle.

[45]        L’Arme était dans une armoire verrouillée à clé comportant deux serrures. Les clés étaient cachées dans le tiroir d’une table de chevet dans sa chambre. Il était le seul à savoir où elles étaient.

[46]        Avant l’Événement, V.L. n’avait jamais posé des gestes ou eu des paroles pouvant laisser croire qu’il pourrait se comporter comme il l’a fait le jour de l’Événement.

[47]        Quant à J.F., elle n’a pas eu connaissance lorsque V.L. a quitté le domicile. Elle explique à l’audience que, bien que V.L. ait des difficultés à l’école et qu’il souffre d’un trouble de déficit de l’attention, il respectait sa médication et est un garçon travaillant.

[48]        À la lumière de ces témoignages, le Tribunal conclut que les parents n’ont pas manqué à leur obligation de garde et de surveillance à l’égard de V.L. le jour de l’Événement.

[49]        Il faut se rappeler qu’au moment de l’Événement, V.L. était presque majeur. L’Arme était dans une armoire verrouillée qui respectait la Loi et le Règlement. Les clés y donnant accès avaient été placées dans un endroit caché auquel V.L. n’avait pas facilement accès.

[50]        De plus, V.L. a admis avoir agi à l’insu de ses parents, car il savait que son père ne lui permettrait pas de prendre et utiliser l’Arme.

[51]        La personnalité de V.L. ne pouvait laisser croire à ses parents qu’il pourrait poser un tel geste.

[52]        Dans ces circonstances, on ne peut affirmer que les parents ont toléré l’utilisation d’un objet dangereux de la part de leur enfant[20].

b)   La bonne éducation

[53]        Au moment de l’Événement, V.L. vivait avec ses deux parents et ses trois sœurs.

[54]        Vers l’âge de 12 ou 13 ans, après avoir suivi une formation, V.L. est initié à la chasse par son père qui est trappeur dans ses temps libres[21].

[55]        C.L. lui a donné des consignes de sécurité et lui a expliqué de ne pas pointer en direction de personnes ou de maisons[22].

[56]        À l’audience, C.L. et J.F. témoignent sur certaines valeurs qu’ils ont inculquées à V.L. : le respect (de lui-même, des autres et des consignes) et l’entraide.

[57]        Ils ont élevé V.L. en imposant des conséquences lorsqu’il ne respectait pas les consignes.

[58]        V.L. est travaillant. Il aide notamment son grand-père à la boucherie depuis trois ou quatre ans.

[59]        En résumé, la preuve ne permet pas de conclure que les parents n’auraient pas fourni une bonne éducation à V.L.

[60]        Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que les parents ont repoussé la présomption de faute prévue à l’article 1459 C.c.Q. et que leur responsabilité ne doit pas être retenue.

3.            LES DOMMAGES

[61]        Dans la Requête introductive d’instance en responsabilité civile modifiée en date du 25 mai 2016 (« RII modifiée »), les demandeurs réclament les dommages suivants :

a)    Honoraires de vétérinaire : 7 135,81 $;

b)    Troubles et inconvénients liés à l’intervention chirurgicale : 864,19 $;

c)    Perte d’expectative de vie du Chien : 2 000 $;

d)    Choc émotif au moment de l’Événement (2 500 $/personne présente) : 10 000 $;

e)    Choc post-traumatique pour les enfants (5 000 $ chacun) : 15 000 $;

f)     Dommages exemplaires (10 000 $/ personne présente) : 40 000 $;

g)    Remboursement des honoraires extrajudiciaires (pièce P-7) : 13 817,49 $.

a)         Honoraires de vétérinaire (7 135,81 $)

[62]        Une facture est produite pour soutenir cette réclamation[23]. I.W. a assumé et payé ces frais.

[63]        Comme V.L. a admis devoir rembourser ceux-ci, il devra les payer à I.W.

b)           Troubles et inconvénients liés à l’intervention chirurgicale (864,19 $)

[64]        Cet aspect de la réclamation correspond à des dommages non pécuniaires que I.W. a subis suite à l’Événement lorsqu’elle a dû se rendre chez le vétérinaire d’urgence et prendre soin du Chien durant un mois pendant sa réhabilitation.

[65]        Vu la nature et la gravité de la blessure, le Tribunal considère que cette somme est adéquate pour compenser I.W. des troubles et inconvénients liés à la prise en charge du Chien.

c)            Perte d’expectative de vie du Chien (2 000 $)

[66]        Tel qu’admis par le procureur des demandeurs lors de sa plaidoirie, aucune preuve n’a été faite sur cet aspect de la réclamation ni sur un lien quelconque entre le décès du Chien en 2016 et l’Événement.

[67]        Cette partie de la réclamation est donc rejetée.

d)           Choc émotif au moment de l’Événement (10 000 $)

[68]        Bien que les enfants étaient présents de la salle d’audience à l’instruction, ils n’ont pas témoigné. M. P. et I.W. ont cependant expliqué l’état dans lequel ceux-ci étaient au moment de l’Événement.

[69]        I.W. dit qu’ils étaient paniqués et hystériques de voir leur Chien couvert de sang  avec la patte presque arrachée.

[70]        M. P. déclare avoir trouvé cet épisode très difficile.

[71]        Le rapport prédécisionnel daté du 13 mars 2015 fait également état du choc subi par M.P. et ses enfants lors de l’Événement[24].

[72]        Le Tribunal n’a pas de difficulté à conclure que cet épisode a été éprouvant pour les enfants et M.P.

[73]        Selon les décisions soumises par les parties[25], dans le cas de blessures ou de mort de chat ou de chien domestique, les tribunaux accordent entre 1 000 $ et 2 000 $ pour le préjudice non pécuniaire lié à la perte subie.

[74]        Ici, aucune preuve médicale n’a été produite pour démontrer l’ampleur du traumatisme subi par M.P. et les enfants.

[75]        Usant de sa discrétion, le Tribunal accorde un montant de 1 500 $ par personne présente lors de l’Événement, soit M.P. et les trois enfants.

e)            Choc post-traumatique des enfants (15 000 $)

[76]        Aucune preuve médicale de choc post-traumatique aux enfants n’a été faite. À l’audience, M.P. affirme que les enfants sont aujourd’hui « comme d’habitude ». Cette version est conforme à ce qu’il avait affirmé à la travailleuse sociale dans le cadre de la préparation du rapport prédécisionnel visant V.L., à savoir que « l’ensemble de la famille se serait bien remis de cet incident et n’aurait pas eu de séquelles psychologiques particulières en lien avec cet événement » [26].

[77]        Dans ces circonstances, aucun montant n’est accordé pour cet aspect de la réclamation.

f)             Dommages exemplaires (40 000 $)

[78]        Des dommages punitifs ne peuvent être octroyés que lorsqu’un texte législatif précis l’autorise et que les conditions de l’article 1621 C.c.Q. sont remplies[27]. Le droit à des dommages exemplaires conféré par la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte »)[28] a un caractère autonome de celui applicable aux dommages visés par le régime de responsabilité civile[29]. Pour avoir droit d’obtenir des dommages punitifs en vertu de l’article 49 de la Charte, la victime doit prouver les éléments suivants :

·        Atteinte à un droit protégé par la Charte;

·        Illicéité de l’atteinte;

·        Caractère intentionnel de l’atteinte[30].

[79]        Dans sa RII modifiée, les demandeurs décrivent cette réclamation comme suit :

42.        À titre de dommages punitifs et exemplaires, les demandeurs réclament des défendeurs la somme de 40 000,00 $ pour avoir mis en danger leur vie et leur sécurité, soit la somme de 10 000,00 $ chacun des demandeurs présents sur les lieux au moment des événements.

[Nos soulignements]

[80]        Les demandeurs prétendent donc que le droit auquel il aurait été porté atteinte serait celui énoncé à l’article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne[31] :

Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne.

Il possède également la personnalité juridique.

[81]        À l’audience, le procureur des demandeurs a tenté de démontrer que V.L. avait visé vers la maison lorsqu’il a tiré le Chien.

[82]        Or, le policier entendu, M. Guillaume Pariseau, a déclaré en contre-interrogatoire ne pas s’être rendu sur place et ne pas avoir d’information sur l’endroit du tir.

[83]        Quant à I.W., elle n’était pas présente à l’Immeuble au moment de l’Événement.

[84]        Quant à M.P., il ne dit pas dans son témoignage que lui ou ses enfants auraient craint pour leur vie ou leur sécurité. C’est plutôt le Chien pour qui ceux-ci ont eu des craintes[32].

[85]        M.P. ne dit pas non plus qu’ils s’étaient sentis menacés ou qu’ils étaient dans l’angle de tir de V.L.

[86]        Les demandeurs n’ayant pas démontré le bien-fondé de leur réclamation fondée sur l’article 1 de la Charte, celle-ci doit être rejetée sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres éléments pour l’octroi de dommages exemplaires.

[87]        De plus, le Tribunal souligne que V.L. a déjà fait l’objet d’une condamnation pénale en lien avec l’Événement, ce qui aurait eu une influence sur la décision d’octroyer ou non des dommages exemplaires[33].


 

g)           Remboursement des honoraires extrajudiciaires (13 817,49 $)

[88]        Comme les critères prévus à l’article 51 C.p.c. et les circonstances exceptionnelles de son application ne sont pas rencontrés[34] et vu le rejet d’une partie importante de la RII modifiée, cette réclamation doit être rejetée.

[89]        RÉSUMÉ DES MONTANTS ACCORDÉS :

I.W. personnellement

8 000 $

I.W. en sa qualité de tutrice aux enfants

4 500 $ (1 500 $/enfant)

M.P. personnellement

1 500 $

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[90]        ACCUEILLE en partie la Requête introductive d’instance en responsabilité civile modifiée en date du 25 mai 2016;

[91]        CONDAMNE M. Vincent Lemaire à payer à Mme Ina Westover la somme de 8 000$ avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec calculée à compter de la signification de la Demande, soit le 9 juin 2014;

[92]        CONDAMNE M. Vincent Lemaire à payer à Mme Ina Westover en sa qualité de tutrice de Meghean Poirier, la somme de 1 500 $ avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec calculée à compter de la signification de la Demande, soit le 9 juin 2014;

[93]        CONDAMNE M. Vincent Lemaire à payer à Mme Ina Westover en sa qualité de tutrice de Mattina Poirier, la somme de 1 500 $ avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec calculée à compter de la signification de la Demande, soit le 9 juin 2014;

[94]        CONDAMNE M. Vincent Lemaire à payer à Mme Ina Westover en sa qualité de tutrice de Maddie Poirier, la somme de 1 500 $ avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec calculée à compter de la signification de la Demande, soit le 9 juin 2014;

[95]        CONDAMNE M. Vincent Lemaire à payer à M. Mathieu Poirier la somme de 1 500 $ avec intérêt au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec calculée à compter de la signification de la Demande, soit le 9 juin 2014;

[96]        AVEC LES FRAIS DE JUSTICE en faveur des demandeurs.

 

 

__________________________________

MARTIN TÉTREAULT J.C.Q.

 

Me Robert Jodoin

Jodoin & Associés, Avocats

Avocat de la partie demanderesse

 

Me Francine Morin

Centre communautaire juridique de la Rive-Sud

Avocate pour le défendeur Vincent Lemaire

 

Me Charles Guay

Pasquin Viens S.E.N.C.R.L.

Avocat pour les défendeurs Christian Lemaire et Josée Fortin

 

 

 



[1]    Pièce P-1.

[2]    Pièce P-1.

[3]    Art. 2803 et 2804 C.c.Q.

[4]    [1958] B.R. 365.

[5]    Idem, p. 368.

[6]    Dubeau v. Rule et al, B.R. Montréal, no 2468, 29 juin 1944, jj. St-Germain, Barclay, Marchand, Bissonnette et Mc Dougall.

[7]    Dubeau v. Rule, [1943] RL 273; 1943 CanLII 229 (C.S.).

[8]    Dubeau v. Rule et al, B.R. Montréal, no 2468, 29 juin 1944, jj. St-Germain, Barclay, Marchand., Bissonnette et Mc Dougall, p. 4. Il est à noter que dans l’affaire Jumelle c. Côté, [1973] RL 187; 1973 CanLII 1030 (C.P.), le juge se fonde sur la décision Dubeau rendue en 1ère instance en précisant que celle-ci aurait simplement été modifiée (et non infirmée) en appel sans que l’on ait écarté les règles de droit énoncées (par. 41 du jugement). Ce passage de l’arrêt rendu en appel démontre que cette affirmation est inexacte.

[9]    Gendreau c. R., 2015 QCCA 1910, par. 34.

[10]    LC 1995, c. 39 (la « Loi »).

[11]    DORS/98-209 (le « Règlement »).

[12]    Art. 8(1) de la Loi.

[13]    Art. 15 du Règlement.

[14]    Voir Papazian c. Blanchet, 2013 QCCS 1558.

[15]    Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 8e éd., Vol. 1 : Principes généraux, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, par. 1-749.

[16]    Id., par. 1-757.

[17]    Frédéric LEVESQUE, Précis de droit québécois des obligations, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, par. 507.

[18]    Murphy c. Constantineau, 2015 QCCS 1093, par. 189 (Appel rejeté pour défaut de comparaître : 2015 QCCA 1591).

[19]    Notes sténographiques de l’interrogatoire de V.L. du 8 décembre 2014, pp. 8 et 9.

[20]    Gaudet c. Lagacé, 1998 CanLII 12753, p. 20 (pdf) (C.A.)

[21]    Notes sténographiques de l’interrogatoire de C.L. du 8 décembre 2014, pp. 15 et 16.

[22]    Id., pp. 16 et 17.

[23]    Pièce P-1.

[24]    Pièce D-1 (V.L.) p. 8.

[25]    Choquette c. Gagnon, 2005 CanLII 44082; Boulay-Leduc c. Dupuis, 2006 QCCQ 12481; Chalifoux c. Major, 2006 QCCQ 6906; Baron c. Kociolek, 2012 QCCQ 497; Bouffard c. Kennedy, 2013 QCCQ 1388; Crouzier-Roux c. Rubin, 2014 QCCQ 7228; Côté c. Lachance, 2014 QCCQ 597; Lachapelle-Blais c. Boisclair, 2015 QCCQ 12664; Tremblay c. Caouette, 2016 QCCQ 11057.

[26]    Pièce D-1 (V.L.), p. 8.

[27]    Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, Baudouin : La responsabilité civile : Principes généraux, Vol. 1, 8e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., 2014, par. 1-375.

[28]    RLRQ, c. C-12.

[29]    De Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, par. 45 et 46; Richard c. Time inc., 2012 CSC 8, par. 146.

[30]    Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, Baudouin : La responsabilité civile : Principes généraux, Vol. 1, 8e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., 2014, par. 1-384.

[31]    RLRQ, c. C-12.

[32]    Rapport prédécisionnel, pièce D-1 (V.L.), p. 8.

[33]    Vincent KARIM, Les obligations, vol. 1, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, par. 2905.

[34]    Viel c. Entreprise immobilière Du Terroir ltée, 2002 CanLII 41120, par. 77-79 (C.A.); Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, par. 168.

 

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