Décision

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Sifonios et Circul-Aire inc.

2007 QCCLP 4440

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

25 juillet 2007

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

284622-71-0603

 

Dossier CSST :

126371863

 

Commissaire :

Lina Crochetière

 

Membres :

Jean-Marie Trudel, associations d’employeurs

 

Robert Côté, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Marinos Sifonios

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Circul-Aire inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 16 mars 2006, monsieur Marinos Sifonios (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 10 mars 2006, à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 8 septembre 2005 et déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi à compter du 6 avril 2005.

[3]                L’audience est tenue à Montréal le 6 septembre 2006. Les parties sont présentes et représentées. Un délai est accordé pour compléter la preuve et produire une argumentation écrite complémentaire. Sur réception des documents, la cause est prise en délibéré le 16 octobre 2006.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                Le travailleur demande de déclarer prématurée la décision portant sur sa capacité d’exercer son emploi.

MOYEN PRÉALABLE

[5]                Le travailleur demande de déclarer irrégulière la procédure suivie par la CSST pour l’obtention du rapport complémentaire auprès du docteur Sevan Gregory Ortaaslan, chirurgien orthopédiste.

[6]                Le travailleur prétend que le médecin qui a charge de lui est plutôt la docteure Sylvie Marier.

[7]                Le travailleur demande, en conséquence, de déclarer prématurée la décision portant sur sa capacité d’exercer son emploi.

[8]                Le travailleur demande de retourner le dossier à la CSST afin de reprendre le processus en demandant à la docteure Marier de se prononcer à savoir si la lésion est consolidée et si elle laisse une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique (atteinte permanente) et des limitations fonctionnelles.

L’AVIS DES MEMBRES

[9]                Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis de rejeter le moyen préalable et la requête au motif que le docteur Ortaaslan est devenu le médecin qui a charge du travailleur : il a effectué le suivi clinique de ce dernier et l’a même opéré. Les explications du docteur Ortaaslan au rapport complémentaire sont claires quant à son opinion sur le diagnostic et sur l’absence d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique (atteinte permanente) et de limitation fonctionnelle.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur est capable d’exercer son emploi le 6 avril 2005 et s’il a droit à l’indemnité de remplacement du revenu.

[11]           Au préalable, la Commission des lésions professionnelles doit disposer des moyens portant sur l’identification du médecin qui a charge du travailleur et, le cas échéant, sur la portée du rapport complémentaire produit par le docteur Ortaaslan.

[12]           Le travailleur est soudeur assembleur chez Circul-Aire inc. (l’employeur) lorsqu’il subit, le 9 juillet 2004, une lésion professionnelle au niveau de l’épaule droite.

[13]           Le 28 juillet 2004, la CSST accepte l’admissibilité de la réclamation en retenant le diagnostic de tendinite traumatique de l’épaule droite. Le 18 novembre 2004, la CSST reconnaît que le travailleur a subi, le 4 octobre 2004, une récidive, rechute ou aggravation en retenant le diagnostic de tendinite de l’épaule droite. Ces décisions sont rendues, à l’époque, en fonction du diagnostic posé et ne sont pas contestées.

[14]           Au début de la période de consolidation, le travailleur consulte principalement son médecin de famille, la docteure Sylvie Marier. Cette dernière pose le diagnostic de tendinite de l’épaule droite, prescrit de la médication, des infiltrations et demande une échographie. Elle réfère le travailleur en orthopédie sans toutefois le diriger vers un médecin en particulier.

[15]           Le travailleur témoigne que la docteure Marier lui remet simplement un formulaire de référence. Il présente ensuite ce formulaire à la clinique de physiothérapie où il reçoit ses traitements et, le 11 janvier 2005, il y rencontre le docteur Ortaaslan, chirurgien orthopédiste, qui pose les diagnostics de contusion à l’épaule droite et syndrome d’accrochage.

[16]           La preuve démontre que le diagnostic de tendinite de l’épaule, d’abord posé par la docteure Marier, n’est pas retenu par le docteur Ortaaslan qui est un médecin spécialiste. Au fil des consultations, ce dernier confirme que le diagnostic principal est un syndrome d’accrochage.

[17]           Le docteur Ortaaslan établit un plan de traitements, prévoit la possibilité d’une chirurgie, procède à des infiltrations, supervise les traitements de physiothérapie et finalement procède à la chirurgie et au suivi post-opératoire. Cette prise en charge s’est effectuée entre le 11 janvier 2005, date de la première consultation, et le 28 juin 2005, date du rapport final avec rapport complémentaire le 20 juillet 2005.

[18]           Rappelons qu’après le 7 décembre 2004, date où elle réfère le travailleur en orthopédie, la docteure Marier ne produit aucun autre rapport avant  le 18 juillet 2005. À cette date la lésion est déjà consolidée par le docteur Ortaaslan mais la docteure Marier recommande la poursuite des traitements de physiothérapie et demande une deuxième opinion en orthopédie.

[19]           Entre-temps, l’employeur demande que le dossier soit transmis au Bureau d’évaluation médicale et soumet l’opinion du docteur Jacques Toueg, chirurgien orthopédiste. Puis, il se désiste de sa demande. La CSST retient l’avis du docteur Ortaaslan, dans son rapport complémentaire, pour rendre la décision en litige. Dans ce rapport, le docteur Orstaalan se dit en accord avec l’opinion du docteur Toueg.

[20]           Reprenons une chronologie plus détaillée concernant l’évolution de l’opinion du docteur Ortaaslan et l’implication de la docteure Marier.

[21]           Le 22 février 2005, le docteur Ortaaslan écrit qu’il a traité par injections l’articulation acromioclaviculaire et sous-acromiale et que le problème principal est un syndrome d’accrochage provoqué par un accident du travail.

[22]           Le 6 avril 2005, le travailleur est examiné, à la demande de l’employeur par le docteur Jacques Toueg, chirurgien orthopédiste. Il émet l’opinion que le seul diagnostic qui est en relation avec l’événement est celui de contusion de l’épaule droite et que cette lésion est consolidée avec suffisance de soins ou traitements, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle. De plus, il émet l’opinion que le syndrome d’accrochage que présente le travailleur à l’épaule droite est une condition personnelle.

[23]           Le 2 mai 2005, le docteur Ortaaslan procède à une acromioplastie droite.

[24]           Le 28 juin 2005, le docteur Ortaaslan produit un rapport médical final. Il écrit que la contusion à l’épaule droite est résolue. Il écrit aussi que le status post acromioplastie, en raison d’un syndrome d’accrochage, est une condition personnelle aggravée par l’événement. Il consolide cette lésion et atteste de l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.

[25]           Le docteur Ortaaslan ne coche pas les cases, prévues au formulaire, indiquant s’il fera un rapport d’évaluation médicale et qu’il réfère le travailleur à un autre médecin. Il écrit une petite phrase indéchiffrable contenant le terme « APIPP ».

[26]           Le 18 juillet 2005, la docteure Marier produit un rapport médical où elle écrit : « Post op tendinite chronique Epaule d. Physio à Poursuivre 6 semaines ». Elle mentionne qu’elle demande une deuxième opinion en orthopédie. Dans ses notes cliniques, elle écrit : « CAS COMPLIQUE L’ORTHOPEDISTE DR ORTAASLAN A FAIT RAPPORT FINAL ET A CESSE PHYSIO EVAL DES LIMIT NON ENCORE FAITE ON LE REFUSE AU TRAVAIL RE : TROP LIMIT ».

[27]           La CSST fait parvenir le rapport d’expertise médicale du docteur Toueg au docteur Orstaaslan qui écrit ce qui suit au rapport complémentaire du 20 juillet 2005:

I agree that the only plausible diagnosis in relation to his work accident is contusion of the R shoulder, wich is consolidated without APIPP nor « lim. Fonctionelles ».

The only active diagnosis that I have been treeting is R shoulder impigment and he is now S/P acromioplasty, wich the patient insists is due to his work injury. I agree with Dr Toueg that there is no correlation between his symtoms and the work injury. He is consolidated. In reflection, I agree that there is no indication for sequelae nor functionnal limitations in relation to this shoulder contusion.

(nos soulignements)

[28]           Le 1er septembre 2005, la docteure Marier produit un rapport où elle recommande la poursuite des traitements de physiothérapie et mentionne que le travailleur est en attente d’une consultation auprès d’un autre orthopédiste.

[29]           Le 8 septembre 2005, la CSST rend sa décision initiale qui sera confirmée en révision. Cette décision porte sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi depuis le 6 avril 2005. La CSST interprète que, dans son rapport complémentaire, le docteur Ortaaslan se dit d’accord avec le docteur Toueg qui considère que le seul diagnostic en relation avec l’événement est celui de contusion de l’épaule droite et que cette lésion est consolidée le 6 avril 2005, sans atteinte permanente, ni limitation fonctionnelle. La CSST considère que cette opinion devient celle du médecin qui a charge du travailleur, opinion qui la lie en l’absence de procédure d’évaluation médicale.

[30]           Deux questions - implicites à la prise de décision de la CSST concernant la capacité d’exercer l’emploi et la fin de l’indemnité de remplacement du revenu - sont soumises à la Commission des lésions professionnelles :

o       Qui est le médecin qui a charge du travailleur ?

o       Si le médecin qui a charge du travailleur est le docteur Ortaaslan, quelle est la portée de son rapport complémentaire?

Le médecin qui a charge du travailleur

[31]           L’article 192 de la loi prévoit que le travailleur a le droit de choisir son médecin :

192. Le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix.

__________

1985, c. 6, a. 192.

 

 

[32]           La notion de médecin qui a charge du travailleur est mentionnée à l’article 199 de la loi sans réellement être définie :

199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:

 

1°   s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou

 

2°   s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.

 

Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.

__________

1985, c. 6, a. 199.

 

 

[33]           Les critères établis par la jurisprudence[1], pour l’identification du médecin qui a charge du travailleur sont :

o       celui qui est choisi par le travailleur;

o       celui qui examine le travailleur;

o       celui qui établit un plan de traitement;

o       celui qui assure le suivi du dossier.

[34]           Pour une lésion comportant plusieurs volets, il peut y avoir plus d’un médecin qui a charge du travailleur, selon la spécialité[2]. Cependant pour une lésion unique, il ne peut y avoir qu’un seul médecin qui a charge du travailleur à la fois[3]. Différents médecins peuvent successivement exercer ce rôle[4]. Si plus d’un médecin suivent le travailleur, pour une même lésion, le critère de la plus grande implication dans l’évolution du suivi, demeure un critère utile pour identifier le médecin qui a charge du travailleur au sens de la loi[5].

[35]           En l’espèce, la preuve révèle que deux médecins ont successivement exercé le rôle de médecin qui a charge du travailleur. La docteure Marier a d’abord exercé ce rôle mais, après la référence en orthopédie le 7 décembre 2004, elle ne l’a plus exercé. Elle n’a produit aucun rapport et n’a effectué aucun suivi jusqu’à ce qu’elle soit consultée de nouveau, le 18 juillet 2005, après la consolidation de la lésion effectuée le 28 juin 2005 par le docteur Ortaslaan.

[36]           La situation remplit tous les critères jurisprudentiels pour reconnaître que le docteur Ortaaslan est devenu le médecin qui a charge du travailleur à compter du 11 janvier 2005.

[37]           Il s’agit du médecin choisi par le travailleur. Ce dernier témoigne qu’à l’issue de ses démarches pour consulter un orthopédiste, il a consulté le docteur Ortaaslan. Tout indique que le travailleur s’est librement soumis aux recommandations et traitements prescrits et dispensés par le docteur Ortaaslan.

[38]           Le docteur Ortaaslan remplit les trois autres critères.

[39]            Il a examiné le travailleur à plusieurs reprises. Non seulement, il a établi le plan de traitements mais il a lui-même dispensé certains traitements dont les infiltrations et l’intervention chirurgicale. Durant toute la période en cause, il a assuré le suivi du dossier et a produit les rapports médicaux à la CSST.

[40]           Le docteur Ortaaslan est le médecin qui a eu la plus grande implication dans l’évolution du suivi médical.

[41]           Le docteur Ortaaslan a exercé son rôle de médecin qui a charge du travailleur jusqu’à la fin de la période de consolidation en produisant, le 28 juin 2005, un rapport final qui mentionne les diagnostics en cause, la date de consolidation avec suffisance de soins ou traitements et qui atteste de l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.

[42]           La docteure Marier a abandonné son rôle de médecin qui a charge durant toute cette période et son intervention subséquente ne peut être prise en compte.

Le rapport complémentaire

[43]            Lorsque la lésion professionnelle est consolidée, le médecin qui a charge du travailleur doit produire le rapport final et éventuellement le rapport d’évaluation médicale sur les formulaires prescrits par la CSST, selon l’article 203 de la loi :

203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

 

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:

 

1°   le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2°   la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

3°   l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[44]           Si aucune procédure d’évaluation médicale n’est faite, à l’initiative de l’employeur ou de la CSST, l’avis du médecin qui a charge - concernant les cinq questions d’ordre médical énumérées à l’article 212 de la loi - lie la CSST aux fins de rendre sa décision, conformément à l’article 224 de la loi :

212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:

 

1°   le diagnostic;

 

2°   la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 

3°   la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 

4°   l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 

5°   l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

 

224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

[45]           L’employeur peut se prévaloir de la procédure d’évaluation médicale et demander à la CSST que le dossier soit soumis au Bureau d’évaluation médicale en vertu de l’article 209 de la loi :

209. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut exiger que celui-ci se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'il désigne, à chaque fois que le médecin qui a charge de ce travailleur fournit à la Commission un rapport qu'il doit fournir et portant sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

 

L'employeur qui se prévaut des dispositions du premier alinéa peut demander au professionnel de la santé son opinion sur la relation entre la blessure ou la maladie du travailleur d'une part, et d'autre part, l'accident du travail que celui-ci a subi ou le travail qu'il exerce ou qu'il a exercé.

_________

1985, c. 6, a. 209; 1992, c. 11, a. 14.

 

 

[46]           Lorsque le Bureau d’évaluation médicale est saisi d’une demande et se prononce sur les questions d’ordre médical prévues à l’article 212 de la loi, c’est désormais son avis qui lie la CSST conformément à l’article 224.1 de la loi :

224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

 

Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.

 

Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.

 

La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.

__________

1992, c. 11, a. 27.

 

 

[47]           Par ailleurs, avant que le dossier ne soit transmis au Bureau d’évaluation médicale, le rapport du médecin mandaté par l’employeur - lequel infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur - doit être transmis à ce dernier qui dispose alors d’un délai de 30 jours pour produire un rapport complémentaire en vue d’étayer ses conclusions et y joindre, le cas échéant un rapport de consultation motivé, le tout conformément à l’article 212.1 de la loi :

212.1. Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.

__________

1997, c. 27, a. 5.

 

 

[48]           L’article 205.1  de la loi est au même effet et s’applique lorsque la procédure d’évaluation médicale est initiée par la CSST. La jurisprudence développée en application de l’article 205.1 de la loi est donc applicable aux cas qui relèvent de l’article 212.1 de la loi.

[49]           L’article 212.1 de la loi prévoit que le rapport complémentaire est complété par le médecin qui a charge du travailleur en vue d’étayer ses conclusions.

[50]           « Étayer ses conclusions » implique que le médecin énonce les éléments sur lesquels il appuie ses conclusions et donne des explications. Cette étape est d’autant plus importante lorsqu’il change  son opinion pour se rallier à celle du médecin mandaté par la CSST ou par l’employeur. Cette nouvelle opinion peut alors revêtir le caractère liant qui laisse le travailleur sans recours concernant les questions d’ordre médical.

[51]           La jurisprudence[6] reconnaît que les articles 212.1 et 205.1 de la loi n’ont pas pour effet d’empêcher le médecin qui a charge du travailleur de modifier son opinion dans un rapport complémentaire. Cependant, en raison des conséquences juridiques importantes que ce geste peut entraîner, le médecin qui a charge du travailleur doit étayer ses conclusions. Son opinion doit être claire, non ambiguë et ne doit pas porter à interprétation. Le lecteur doit comprendre pourquoi le médecin qui a charge du travailleur  modifie son opinion.

[52]           Durant toute la période où il a pris charge du travailleur, le docteur Ortaaslan a toujours soutenu, comme principal diagnostic, celui de syndrome d’accrochage en raison duquel il a pratiqué une chirurgie. C’est le principal diagnostic qu’il retient dans son rapport final et pour lequel il atteste que le travailleur conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[53]           Après lecture du rapport du docteur Toueg, le docteur Ortaaslan change complètement son opinion dans son rapport complémentaire. Il ne retient plus que le diagnostic initial de contusion de l’épaule droite qu’il juge consolidé sans atteinte permanente, ni limitation fonctionnelle.

[54]           Le docteur Ortaaslan écarte complètement le diagnostic de syndrome d’accrochage non pas en raison de données médicales qui justifient une clarification ou une modification de diagnostic.

[55]           D’un point de vue médical, il reconnaît que le diagnostic actif qu’il a traité est bien celui de syndrome d’accrochage (status post acromioplastie) mais il l’écarte en adoptant la position du docteur Toueg quant à l’absence de relation causale entre ce diagnostic et l’événement.

[56]           Ce faisant, le docteur Ortaaslan adopte une position contraire à celle soutenue dans son rapport du 22 février 2005, où il écrit que le syndrome d’accrochage a été provoqué par l’accident de travail, et surtout dans son rapport final du 28 juin 2005 où il écrit que le status post acromioplastie, en raison d’un syndrome d’accrochage, est une condition personnelle aggravée par l’événement et qui laisse une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[57]           Un tel changement d’opinion commande davantage d’explications que les seules allégations à l’effet qu’il est d’accord avec l’opinion du docteur Toueg et que le travailleur a insisté sur le fait que sa condition était reliée à son accident.

[58]           La Commission des lésions professionnelles estime donc que les conclusions du docteur Ortaaslan, émises dans son rapport complémentaire du 20 juillet 2005, modifiant celles émises dans son rapport final du 28 juin 2005, ne sont pas étayées au sens de l’article 212.1 de la loi. Ce rapport complémentaire est irrégulier.

[59]           En conséquence, la CSST n’était pas liée par les conclusions émises par le docteur Ortaaslan dans son rapport complémentaire et n’aurait pas dû rendre la décision initiale du 8 septembre 2005, laquelle doit être annulée, de même que la décision de l’instance de révision du 10 mars 2006.

[60]           En cas d’annulation d’une décision, les parties doivent être replacées dans l’état où elles étaient au moment de cette décision.

[61]           La Commission des lésions professionnelles peut, par voie de conséquence, conclure que le rapport final émis par le docteur Ortaaslan du 28 juin 2005 est rétabli.

[62]           Par contre, la Commission des lésions professionnelles ne peut pas ordonner à la CSST de diriger le dossier au Bureau d’évaluation médicale puisque, le 5 juillet 2005, l’employeur s’est désisté de sa demande à cet effet.

[63]           Il appartient donc à l’employeur de s’adresser à la CSST pour demander l’annulation de son désistement auprès d’elle. Au surplus, la Commission des lésions professionnelles ne peut se saisir de cette question, les parties n’ayant soumis aucune preuve non plus qu’aucune argumentation à ce sujet.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête du travailleur, monsieur Marinos Sifonios;

DÉCLARE irrégulier le rapport complémentaire émis le 20 juillet 2005 par le médecin qui avait charge du travailleur le docteur Sevan Gregory Ortaaslan;

ANNULE la décision initiale de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 8 septembre 2005;

ANNULE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 10 mars 2006, à la suite d’une révision administrative;

RÉTABLIT la rapport médical final émis le 28 juin 2005 par le docteur Ortaaslan.

 

 

 

__________________________________

 

Me Lina Crochetière

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Lucie lefebvre

TURBIDE LEFEBRE

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Linda Lauzon

GROUPE AST INC.

Représentant de la partie intéressée

 

 

 



[1]           Marceau et Gouttière Rive-Sud Fabrication inc., C.L.P. 91084-62-9709, 22 octobre 1999, H. Marchand (99LP-151).

[2]           Blais et Michel Leblanc Construction, CL.P. 224812-01B-0401, 20 février 2007, J.-P. Arsenault.

[3]           Fortin et Société Groupe Emb Pepsi Canada, [2004] C.L.P. 168 .

[4]           Guillaume c. C.L.P., C.S. 500-17-024444-054, 14 décembre 2005, M.A. Caron, j.c.s.

[5]           Brown et Commission de transport de la communauté régionale de l’Outaouais, C.A.L.P. 07894-07-8806, 16 novembre 1990, G. Lavoie (J2-21-35).

[6]           Ouellet et Métallurgie Noranda inc., C.L.P. 190453-08-0209, 9 septembre 2003, M. Lamarre; McQuinn et Étiquettes Mail-Well, C.L.P. 201087-62A-0303, 31 janvier 2005, N. Tremblay, rectifiée le 15 février 2005 ( CLPE 2004LP-240 ); Saint-Arnaud et Ville de Trois-Rivières, C.L.P. 256038-04-0502, 20 décembre 2005, D. Lajoie; Kafshdaran et Immeubles Sternthal inc., C.L.P. 282236-71-0602, 13 octobre 2006, S. Di Pasquale ( CLPE 2006LP-145 ).

AVIS :
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