[1] Les appelantes se pourvoient contre un jugement rendu le 23 octobre 2013 par la Cour supérieure du Québec, district de Laval (l’honorable Steve J. Reimnitz), qui les a condamnées solidairement à verser aux intimés des dommages compensatoires et punitifs totalisant 3,95 M$, avec intérêt, indemnité additionnelle et dépens[1].
[2] Les intimés se pourvoient par appel incident. Ils reprochent au premier juge d’avoir erré en refusant à l’intimée Groupe Enico inc. le remboursement intégral des honoraires professionnels qu’elle a encourus dans le cadre du présent litige. Estimant que l’appel est dilatoire et abusif, ils demandent également l’octroi de dommages additionnels en faveur de M. Jean-Yves Archambault en vertu de l’article 524 du Code de procédure civile[2].
[3] Pour les motifs de la juge Bélanger auxquels souscrivent le juge Morissette et la juge Bich, LA COUR :
[4] ACCUEILLE partiellement l’appel, sans frais vu son sort mitigé, à la seule fin de modifier les paragraphes [1198], [1199], [1210] et [1211] du jugement entrepris, afin qu’ils soient libellés ainsi :
[1198] REJETTE la réclamation de 50 000 $ du demandeur M. Jean-Yves Archambault pour dommages moraux;
[1199] CONDAMNE solidairement les parties défenderesses à payer au demandeur M. Jean-Yves Archambault la somme de 50 000 $ pour dommages non pécuniaires et REJETTE sa demande formulée en vertu de l’article 1615 du Code civil du Québec;
[1210] REJETTE la réclamation de M. Jean Yves Archambault pour l’obtention de dommages-intérêts punitifs;
[1211] CONDAMNE l’Agence du revenu du Québec à payer à Le Groupe Enico inc. la somme de 1 000 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs;
[5] REJETTE les appels incidents et la demande d’octroi de dommages additionnels, sans frais, vu les circonstances.
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MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER |
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[6] Le pourvoi met en cause la responsabilité de l’Agence du revenu du Québec (« ARQ ») envers une entreprise et son principal actionnaire découlant d’une vérification fiscale, des mesures de perception qui s’en sont suivies, de même que de la retenue des crédits d’impôt dus à l’entreprise. Les principes d’abus de droit et du devoir d’agir équitablement envers un contribuable sont au cœur de l’affaire.
[7] Considérant que le jugement de première instance[3] relate longuement les faits de l’affaire, je vais les décrire à grands traits.
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[8] En 1990, Jean-Yves Archambault (« Archambault ») fonde Le Groupe Enico inc. (« Enico »), une société québécoise qui offre des services de consultation et d’intégration en automatisation. Au fil des ans, Enico prend de l’expansion et participe à des projets d’importance au Québec et à l’étranger. Entre 2001 et 2007, le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise est passé de 1,8 M$ à 5,6 M$. Pour la même période, le nombre d’employés de l’entreprise est passé de 22 à 38. L’automne 2007 est éprouvant en raison d’un manque de liquidités dû, entre autres choses, à une créance difficile à percevoir et, comme nous le verrons, aux problèmes survenus dans le cadre d’une vérification fiscale truffée d’erreurs, de retenues de crédits d’impôt dus à l’entreprise et du manque certain de collaboration entre les différents services de l’ARQ.
[9] L’histoire commence le 2 novembre 2005 lorsque l’ARQ reçoit une dénonciation anonyme selon laquelle Enico « fait de fausses déclarations mensuelles depuis plusieurs mois en ce qui attrait [sic] aux taxes à la consommation » et que l’entreprise doit plus de 80 000 $ de taxes à l’ARQ.
[10] L’ARQ décide donc d’entreprendre une vérification fiscale concernant les taxes (TPS et TVQ) touchant les exercices financiers des années 2003 à 2006. La vérification débute le 26 septembre 2006 lorsque l’inspecteur Guy Fournelle (« Fournelle ») se rend aux bureaux d’Enico en compagnie de François Boudrias (« Boudrias ») qu’il présente comme un « stagiaire en taxes ». Or, Boudrias est non seulement un « stagiaire en taxes », mais il est également un vérificateur d’impôt d’expérience. À cette époque, les représentants d’Enico ne savent pas que Boudrias est un vérificateur d’impôt ni que, en réalité, il effectue une vérification des impôts de la société. D’ailleurs, ce dernier a peu de contacts avec les représentants d’Enico, laissant à Fournelle le soin de requérir les documents.
[11] Boudrias commence donc sa vérification des impôts, sans en informer Enico et tout en appliquant, avec l’approbation de sa supérieure immédiate, la « méthode des dépôts bancaires » pour estimer les revenus de l’entreprise.
[12] Il s’agit d’une méthode de vérification fiscale indirecte qui consiste essentiellement à comparer les dépôts faits au compte bancaire d’un contribuable avec les revenus déclarés par ce dernier. En vertu de cette méthode, tout dépôt inexpliqué par le contribuable est considéré être un revenu imposable ou taxable[4]. Le choix de cette méthode de vérification place donc sur les épaules du contribuable le fardeau de démontrer que les dépôts effectués dans son compte bancaire ne constituent pas des revenus[5]. Cette démonstration peut parfois être difficile à faire, surtout si les livres du contribuable ne sont pas en ordre, comme ce fut le cas pour Enico.
[13] Les conséquences de l’utilisation de cette méthode de détermination des revenus ne sont pas banales. Elles sont de trois ordres. D’abord, tous les dépôts non justifiés sont considérés comme des revenus pour l’entreprise. Ensuite, les écarts sont systématiquement considérés comme des appropriations de fonds (du revenu non déclaré) par l’individu, ici par Archambault. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Archambault a reçu un projet d’avis de cotisation pour ses impôts personnels. Enfin, les écarts sont aussi considérés comme étant des ventes taxables pour lesquelles il n’y a eu aucune perception ni remise de taxes. L’utilisation de cette méthode se reflète donc sur les avis de cotisation pour les taxes. Ainsi donc, le projet d’avis de cotisation d’impôt préparé par Boudrias a eu un impact direct sur les avis de cotisation de taxes émis.
[14] Entre les mois d’octobre 2006 et de mars 2007, les inspecteurs se présenteront à une douzaine de reprises chez Enico. Durant cette période, Fournelle est l’interlocuteur principal pour l’ARQ et il se charge notamment de demander aux représentants de la société les documents justificatifs requis pour la vérification fiscale. Ces documents sont mis à la disposition des vérificateurs dans les locaux d’Enico.
[15] À compter de février 2007, les comptes de dépenses pour les années 2003, 2004 et 2005 sont examinés plus attentivement et les documents réclamés par Fournelle sont placés dans des boîtes qui sont déposées dans la salle de conférence d’Enico. Une de ces boîtes disparaîtra.
[16] À la même époque, Enico reçoit des avis de cotisation de pénalités et d’intérêts. Archambault ne sait pas à quoi se rapportent ces cotisations, mais puisqu’elles ne sont pas élevées, il les acquitte sans poser de questions. Toutefois, au fil du temps, les cotisations augmentent. Archambault contacte plusieurs représentants de l’ARQ pour tenter de comprendre de quoi il s’agit. Il apprend que l’ARQ reproche à Enico d’avoir omis de remettre ses retenues à la source (« RAS ») du mois d’octobre 2006 (10 962 $) et que le dossier de la société est désormais pris en charge par le Centre de la perception fiscale (« Centre de perception »). Archambault est surpris puisque, depuis plusieurs années, Enico confie à une entreprise de gestion de la paie la charge d’effectuer les remises gouvernementales à l’ARQ.
[17] Le 15 mai 2007, Fournelle et Boudrias rencontrent Archambault et son adjointe afin de leur remettre des projets de cotisation de taxes (pour la période du 31 août 2003 au 31 décembre 2006). Ces projets de cotisation font état d’un montant dû de 161 267 $ (TPS/TVH) et de 163 278 $ (TVQ). Archambault est interloqué par l’importance des montants, puisque Fournelle et lui avaient auparavant discuté d’une dette fiscale d’environ 79 000 $. C’est à ce moment qu’Archambault apprend que Boudrias prépare des projets de cotisation d’impôt et que son travail a eu un impact sur les projets de cotisation de taxes. Boudrias remet à Archambault une copie de ses feuilles de travail qui font état de sommes totalisant 1,2 M$ à titre de revenus non déclarés qu’il impute à Enico.
[18] Le 1er juin 2007, Archambault fait parvenir deux lettres de contestation à l’ARQ. Il soumet plusieurs questions relatives aux feuilles de calcul de Boudrias. Il met en doute la méthode employée par ce dernier pour calculer les revenus de l’entreprise et remet en question les montants établis par celui-ci. Il tente également d’expliquer les dépenses d’affaires d’Enico que Boudrias a refusées et soumet des documents au soutien de ses arguments. Bien qu’il admette certaines erreurs dans sa comptabilité, il fournit explications et documents justificatifs. Il pose des questions mais n’obtiendra pas de réponse. Après avoir révisé l’ensemble des tableaux de travail de Fournelle - et en excluant le travail de Boudrias en ce qui concerne les impôts -, il estime qu’Enico devrait à l’ARQ, en date du 1er juin 2007, une somme se situant entre 125 000 $ et 134 000 $. Archambault avise également les vérificateurs d’impôt que la boîte de documents contenant les comptes de dépenses de l’année 2005 a « disparu », ce qui lui cause des difficultés. De fait, le juge retient que Boudrias est responsable de la disparition de cette boîte. Les deux lettres demeureront sans réponse.
[19] Le 13 juin 2007, Fournelle et Boudrias se rendent aux bureaux d’Enico afin d’y récupérer des documents justificatifs, dont une boîte de photocopies des documents relatifs aux comptes de dépenses d’Enico pour l’année 2005. À la même époque, Enico fait une demande de crédits d’impôt pour recherche scientifique et développement expérimental (« RS&DE ») pour l’exercice financier de 2007.
[20] Le 6 juillet 2007, Fournelle avise Archambault que l’ARQ a besoin d’un délai pour examiner les documents justificatifs remis le 13 juin et qu’il fixera une rencontre avec Archambault au cours du mois de septembre 2007. Il réclame aussi quelques documents et demande à Enico de produire toutes les déclarations de TPS/TVQ manquantes à ce jour, la société ayant, selon ses dires, omis de faire ses déclarations depuis le 28 février 2007.
[21] Au début du mois d’août 2007, Manuel Honores (« Honores »), agent de gestion financière du Centre de perception de l’ARQ, intervient au dossier. Il explique l’avis final du 5 juillet 2007 à Archambault et l’avise que ce qui ne fait pas partie de la vérification doit être payé. Il informe ainsi Archambault qu’Enico doit effectuer ses remises courantes et produire ses rapports de taxes. Enico collabore.
[22] Le 9 août 2007, Honores découvre qu’Enico a effectivement remis ses RAS pour le mois d’octobre 2006. L’erreur relative aux RAS d’octobre 2006 ne sera toutefois corrigée que le 31 octobre 2007.
[23] Entre-temps, le 13 septembre 2007, Fournelle et Boudrias rencontrent Archambault pour lui remettre de nouveaux projets d’avis de cotisation de taxes et d’impôt pour la période du 1er septembre 2003 au 31 décembre 2006. Fournelle lui présente un nouveau projet de cotisation de taxes, qui fait état d’une cotisation de 155 652 $ pour la TVQ et de 154 649 $ pour les TPS/TVH. Boudrias lui remet son projet d’avis de cotisation d’impôt. Les montants établis par Boudrias ne diffèrent pas réellement de ceux énoncés dans ses feuilles de calculs de mai 2007. Boudrias lui explique qu’il a analysé son « profil fiscal » individuel et que ce profil ne lui permet pas de réinjecter des fonds dans l’entreprise à partir de sa marge de crédit personnelle. Bref, Boudrias ne croit pas Archambault lorsqu’il affirme que certains dépôts correspondent à un investissement personnel. Or, selon Archambault, les documents fournis le 13 juin 2007 démontrent qu’il a personnellement injecté de l’argent dans la société. Lorsque la réunion se termine, Archambault est en colère et il a l’impression qu’on le prend pour un voleur puisque l’on n’écoute pas ses explications. Avant son départ, Fournelle l’avise qu’il dispose de 21 jours pour contester les projets de cotisation. Ainsi donc, les sommes injectées personnellement par Archambault dans l’entreprise sont maintenant considérées comme des revenus non déclarés, avec les conséquences que nous avons vues auparavant.
[24] Le 14 septembre 2007, Archambault mandate Me Charles M. Leibovich et le comptable Louis Grossbaum pour intervenir auprès de l’ARQ.
[25] À partir de ce moment et jusqu’en février 2008, les professionnels engagés par Archambault entament de sérieuses discussions avec Antony Starnino (« Starnino »), directeur du Service de la vérification et supérieur de Fournelle et Boudrias, qui se montre ouvert à réduire de façon considérable le montant des avis de cotisation émis. Malgré les interventions de Starnino, qui tente de calmer les ardeurs du Centre de perception, la situation ne rentrera pas dans l’ordre.
[26] Le 24 septembre 2007, Boudrias et Fournelle envoient au Centre de la perception un formulaire de renseignements aux fins de recouvrement indiquant que le dossier d’Enico présente un risque de perte et doit recevoir un traitement urgent et immédiat.
[27] Le même jour, Boudrias émet une recommandation à l’encontre d’Enico visant l’imposition d’une pénalité pour « négligence flagrante » (en vertu de l’article 1049 de la Partie 9 de la Loi sur les impôts[6]). Cette recommandation, qui sera appuyée par sa chef d’équipe et par Starnino, indique que d’importants montants de ventes non déclarées ont été découverts par le biais de la « méthode des dépôts bancaires ». La pénalité recommandée pour la période du 31 août 2003 au 31 août 2005 est de 30 581 $.
[28] Le 27 septembre 2007, Me Leibovitch contacte Starnino pour l’informer qu’il détient plusieurs documents justificatifs qui pourraient réduire sensiblement les revenus d’Enico établis par la « méthode des dépôts bancaires ». Starnino l’avise que les avis de cotisation de taxes d’Enico et les projets de cotisation d’impôt d’Archambault ont déjà été approuvés et sont sur le point d’être émis, mais que, dans l’attente des documents justificatifs d’Enico, l’ARQ ne procédera pas à l’émission des avis de cotisation.
[29] Le 3 octobre 2007, Archambault reçoit des projets de cotisation d’impôt qui le visent personnellement. On propose d’augmenter son revenu personnel pour tenir compte d’une prétendue « appropriation de fonds » provenant d’Enico et d’un « avantage auto ». Seulement au chapitre des revenus provenant de l’application de la « méthode des dépôts bancaires », le projet d’avis de cotisation augmente les revenus d’Archambault de 61 051 $ (2003), 417 065 $ (2004) et 151 902 $ (2005)[7].
[30] Le 5 octobre 2007, Enico reçoit des avis de cotisation de taxes totalisant 224 347,18 $ pour la TVQ et 228 383,42 $ pour la TPS, pour la période allant de septembre 2003 à décembre 2006.
[31] Le 31 octobre 2007, Starnino demande à Fournelle et Boudrias d’obtenir des informations et des documents justificatifs supplémentaires d’Enico et d’Archambault. Il contacte également Honores du Centre de perception afin de l’informer « que les cotisations en impôt [d’Enico] pourraient être diminuées de 600 000$ à 50 000$ environ » et que, le cas échéant, « les cotisations en taxes seront proportionnellement diminuées aussi ».
[32] Le même jour, Honores transmet à Archambault un état de compte à jour pour Enico lui réclamant une somme de 12 479 $ pour actualiser son dossier. Ce montant sera payé par Enico sans délai. L’ARQ transmet également à Enico un nouvel avis de cotisation qui corrige l’erreur relativement aux RAS du mois d’octobre 2006.
[33] Au début du mois de décembre 2007, Archambault fait appel aux services de Me Alain Ménard, avocat-fiscaliste, pour l’aider à régler ses problèmes et ceux d’Enico avec l’ARQ.
[34] Le 6 décembre 2007, Starnino, bien conscient de la situation précaire d’Enico, demande à Honores si le Centre de perception peut faire quelque chose concernant le crédit fédéral en R&D appliqué sur la TPS. À ce sujet, Honores note :
[…] il faudra qu’il [M. Starnino] me revienne avec le montant des nouvelles cotisations pour que nous demandions à notre comptabilité de rembourser. Concernant le crédit provincial, il faudra attendre que la cotisation soit émise pour faire la même demande. M. Starnino m’explique que la compagnie est en péril selon les dires de son représentant, la Banque a déjà rappelé une partie de la marge de crédit et les crédits en R&D étaient destinés à rembourser des emprunts. Si la situation ne se redresse pas la compagnie pourrait tomber en faillite. Lui demande de m’envoyer un courriel par Outlook avec les détails de nouvelles cotisations possibles. Il n’a pas le montant exact en IC, mais la cotisation sera réduite substantiellement aux alentours de 30000$.[8]
[35] Avant les vacances de Noël, Enico produit des avis d’opposition aux avis de cotisation émis par l’ARQ[9]. Starnino accepte de continuer à discuter avec les représentants d’Enico malgré la production de ces avis d’opposition[10].
[36] Le 4 janvier 2008, la Banque Toronto-Dominion envoie à Enico un avis de défaut invoquant un dépassement de la marge de crédit de 49 000 $.
[37] Le 15 janvier 2008, Me Ménard discute avec Starnino. Ce dernier lui confirme que : 1) il est inhabituel qu’un vérificateur d’impôt se présente comme étant un « stagiaire en taxes »; 2) 70 % de l’écart établi par la « méthode de l’écart » ont été expliqués et d’autres documents doivent être envoyés par Me Leibovich; 3) les explications en matière de taxes ont été fournies et admises; 4) le compte de dépenses pour l’année 2005 représente des CTI-RTI refusés pour un montant totalisant 40 000 $ ou 45 000 $; 5) les crédits de recherche et développement retenus pour l’exercice financier 2006 sont suffisants pour payer les cotisations en matière de taxe de vente, lesquelles ont fait l’objet d’une réduction à la suite des représentations d’Enico; 6) pour cette raison, Starnino a passé le message au Centre de perception de ne pas retenir les crédits RS&DE pour l’année 2007; 7) en ce qui concerne la boîte de pièces justificatives disparue pour l’année 2005, il est prêt à tenir compte des « sondages » effectués à partir des documents retrouvés ou fournis par les employés, qui semblent indiquer que les inscriptions au grand livre étaient exactes; et 8) il est ouvert à une rencontre ayant pour but de réduire autant que possible les cotisations émises pour les TPS/TVQ.
[38] Au début du mois de février 2008, Honores constate qu’Enico fait défaut de produire ses rapports de taxes et de faire ses remises depuis le mois d’octobre 2007. Il estime que « [la] situation ne peut plus continuer » et décide, avec l’approbation de son supérieur Gaétan Vinette, de procéder à la saisie du compte bancaire d’Enico. Le seul avis final qui fut envoyé à Enico avant que l’ARQ décide de procéder à la saisie de son compte est celui du 5 juillet 2007, relatif aux RAS d’octobre 2006 qui, nous le savons, avaient été remises. Cette décision est prise sans aucune consultation avec Starnino et malgré ses mises en garde.
[39] Le 6 février 2008, Me Ménard et Me Leibovich rencontrent Starnino et Boudrias afin de faire le point. À la suite de cette réunion, Starnino accepte de transmettre à Archambault le tableau de travail de Boudrias concernant les comptes de dépenses qui totalisent, selon les calculs du vérificateur d’impôt, une somme de près de 505 000 $ pour les années 2004-2005. C’est après avoir reçu ce document qu’Archambault se rend compte que plusieurs comptes de dépenses ont été comptabilisés en double. Devant l’évidence, l’ARQ a reconnu l’erreur. Il aura toutefois fallu plusieurs mois pour que soit corrigé l’avis de cotisation qui, finalement, s’élèvera à 95 000 $. Cette erreur a eu pour effet de gonfler les revenus de l’entreprise, ce qui, combiné à l’utilisation de la « méthode des dépôts bancaires » (qui, à l’automne 2007, n’ont pas pu être tous justifiés) a engendré la production des projets d’avis de cotisation que l’on connaît.
[40] De façon parallèle et la même journée, Honores envoie à la Banque Canada Trust un avis de saisie visant le compte bancaire d’Enico, qui s’avérera être une marge de crédit, et une demande formelle de paiement de 395 217 $. Dans les faits, la saisie ne sera exécutée que le 19 février 2008. Le juge retient que le 12 février 2008, l’ARQ est bien au fait que la banque est sur le point de rappeler les prêts et qu’elle connaît le problème des « doublons » (dépenses comptabilisées en double et mentionnées au paragraphe précédent). Elle sait donc, à ce moment, que les avis de cotisation sont erronés. Il ajoute que, malgré les demandes de Starnino, le Centre de perception ne libère pas les crédits d’impôt à la recherche.
[41] Le 21 février 2008, l’ARQ donne mainlevée de la saisie en échange d’un versement de 10 000 $ et de l’engagement que, par la suite, 10 000 $ lui seront versés mensuellement, « au cas où les avis de cotisation augmenteraient ». Le juge retient aussi que, à ce moment, l’ARQ a reconnu que des crédits d’impôt à hauteur de 290 000 $ sont dus à l’entreprise.
[42] Le juge a déterminé que Boudrias a sciemment introduit des doublons dans ses calculs et qu’il a délibérément fait disparaître la boîte contenant les comptes de dépenses pour l’année 2005. L’ARQ soutient que ce constat de fait constitue une erreur manifeste et déterminante nécessitant l’intervention de la Cour. Or, l’ARQ ne me convainc pas que le juge a commis une erreur déterminante à ce sujet. Une chose est certaine, il n’y a aucun doute que l’erreur de Boudrias est, au minimum, une erreur grossière dont les conséquences ont été importantes et dévastatrices, car elle a eu un effet direct sur l’avis de cotisation de taxes.
[43] Comme un malheur n’arrive jamais seul, de façon concomitante, la Banque Toronto Dominion rappelle son prêt malgré le fait que l’ARQ a accordé mainlevée de la saisie deux jours après l’avoir effectuée.
[44] Le 29 février 2008, Enico dépose un avis d’intention de faire une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[11].
[45] Le 5 mai 2008, par l’entremise de l’agent de recouvrement Gilles Boucher (« Boucher »), l’ARQ transmet une preuve de réclamation de 350 000 $; une semaine plus tard, la réclamation baisse à 206 446 $. Lors de l’assemblée des créanciers, Boucher force Enico à modifier sa proposition de façon à offrir 100 sous dans le dollar, à défaut de quoi, il votera contre la proposition.
[46] Finalement, de nouveaux avis de cotisation sont émis le 30 mai 2008, encore une fois erronés. Ce n’est que le 12 juin 2008 que l’ARQ transmet de nouveaux avis de cotisation révisés à Enico. En vertu de ces nouveaux avis, Enico a un compte débiteur de 113 864 $ pour la TVQ et un compte créditeur de 103 749 $ pour les TPS/TVH.
[47] Le 27 juin 2008, l’ARQ transmet à Enico un nouvel avis de cotisation de taxes (TVQ) pour la période du 1er septembre 2003 au 31 décembre 2006. En vertu de cette nouvelle cotisation, Enico a désormais un compte créditeur de 133 975 $.
[48] Le 30 juin 2008, l’ARQ émet un avis de cotisation corrigé de TPS/TVH pour la période 2003-2006. Cet avis fait état d’un compte créditeur de 216 396 $ en faveur d’Enico[12]. Les nouvelles cotisations émises annulent celles du 4 octobre 2007 et, corollairement, rendent caducs les avis d’opposition déposés en décembre 2007 par Enico.
[49] Le 7 juillet 2008, Boucher communique avec le syndic de la faillite d’Enico pour lui demander de ne pas tenir compte de l’avis de réclamation de l’ARQ (réclamation qui s’élevait, rappelons-le, à 350 000 $ en date du 5 mai 2008).
[50] Le 10 juillet 2008, Boucher transmet à Enico un relevé de compte à jour qui fait état d’un solde débiteur de 137 384,71 $ et d’un solde créditeur de 427 650,81 $ pour les TPS/TVH pour la période 2006-2008. En matière de TVQ, le relevé de compte fait plutôt état d’un solde débiteur de 238 499,95 $ et d’un solde créditeur de 137 625,81 $[13] pour la même période.
[51] Le 14 juillet 2008, la Banque Toronto Dominion ferme définitivement le compte d’Enico, car cette dernière a acquitté le solde de sa marge de crédit.
[52] Le 15 juillet 2008, l’ARQ transmet à Enico un avis de cotisation relatif aux crédits d’impôt demandés pour l’exercice financier se terminant le 31 août 2007. Cet avis de cotisation fait état d’un solde créditeur de 290 025 $.
[53] On aurait pu penser que, à compter de ce moment, les déboires d’Enico avec l’ARQ connaîtraient une fin. Ce ne fut pas le cas.
[54] Archambault tente alors d’obtenir des informations et des explications sur les intérêts réclamés, pénalités et transferts de périodes. Enico a obtenu des crédits d’impôt RS&DS qui ont été saisis pour compensation et il ne peut retracer la totalité de ces montants qui s’élèvent à environ 980 000 $. Il demande donc des explications sur les compensations effectuées. Toutes ses questions demeureront sans réponse.
[55] Le 4 août 2008, la Direction de l’accès à l’information de l’ARQ répond à la demande d’accès d’Archambault. Elle l’avise que les documents dont il souhaite obtenir la communication représentent 4811 pages et que certains éléments ne peuvent lui être transmis.
[56] Le 8 août 2008, Enico produit des avis d’opposition contre les avis de cotisation (de TPS/TVH) datés du 30 mai et du 30 juin 2008, ainsi que contre l’avis de cotisation (de TVQ) daté du 12 juin 2008.
[57] Le 21 août 2008, Archambault se présente aux bureaux de l’ARQ, sans rendez-vous, pour rencontrer Boucher et obtenir des réponses à ses questions, en vain. Le lendemain, il envoie à ce dernier une nouvelle série de questions.
[58] Le 25 août 2008, Boucher transmet un nouveau relevé de compte à Enico. Ce relevé fait état d’un compte débiteur de 349 432 $ de TVQ et d’un compte créditeur de 427 650 $ de TPS/TVH.
[59] Le 15 septembre 2008, Archambault envoie une nouvelle lettre à Boucher afin de dénoncer « une grande quantité d’erreurs, d’anomalies ou de non-conformités avec les documents des vérificateurs » dans les documents et avis de cotisation révisés transmis à Enico par l’ARQ au cours des semaines précédentes. (soulignement dans l’original)
[60] Le 24 septembre 2008, les avocats des intimés font parvenir au ministre du Revenu, ainsi qu’à la sous-ministre et à l’ARQ, une mise en demeure leur enjoignant de mettre un terme à leur conduite fautive et malicieuse à leur égard, de cesser de violer leurs droits fondamentaux et de leur verser toutes les sommes qui leur sont dues et qui sont retenues illégalement.
[61] Une assemblée générale des créanciers d’Enico se tient le 29 septembre 2008. À cette date, Enico fait une nouvelle proposition concordataire à 80 sous dans le dollar aux créanciers ordinaires. Boucher, qui est présent, exhibe un avis de cotisation d’une somme de 14 000 $. Archambault, qui ne connaissait pas l’existence de cet avis de cotisation, exige des explications. Pour toute réponse, Boucher lui explique qu’un nouveau solde débiteur de 14 000 $ est apparu sur son écran d’ordinateur la veille.
[62] Le 28 novembre 2008, les représentants d’Enico rencontrent Starnino qui leur remet des documents expliquant les sommes dues à l’ARQ par Enico. Au bas d’un document intitulé « Sommaire des calculs sur les avantages imposables », la note suivante apparaît : « [f]rais d’intérêts et pénalités de 26 237,05$ [dus par Enico] devraient être annulés sur la base des inconvénients et oppressions » causés par l’ARQ. On constate que Starnino recommande l’annulation des intérêts et pénalités.
[63] Le 29 décembre 2008, les intimés intentent leur recours en dommages compensatoires et punitifs contre les appelantes.
[64] Le juge retient que, le 8 janvier 2009, Boucher menace Archambault de voter contre la nouvelle proposition concordataire d’Enico si cette dernière ne retire pas son nom des procédures judiciaires intentées contre les appelantes.
[65] Le 19 janvier 2009, Me Ménard transmet à la Direction générale de la législation de l’ARQ une lettre par laquelle il demande l’annulation des intérêts, des pénalités ou des frais de recouvrement imposés à Enico relativement aux périodes du 1er septembre 2003 au 31 décembre 2006 et du 1er novembre 2007 au 29 février 2008.
[66] Le 23 janvier 2009, Enico et l’ARQ déposent un consentement conditionnel à l’homologation de la proposition concordataire d’Enico. La proposition du 13 mai 2008 sera ratifiée le 4 février 2009, notamment en raison de la production par l’ARQ d’un certificat attestant qu’Enico a désormais remédié aux défauts qui lui étaient reprochés.
[67] Le 13 février 2009, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») envoie à Enico un avis de cotisation relatif aux crédits d’impôt réclamés pour l’année 2008. Le total des crédits accordés est de 173 210 $, tandis que la cotisation fait état d’un remboursement de 160 608 $.
[68] Le 30 septembre 2009, Desjardins, Centre financier aux entreprises avise Enico qu’elle procédera à la réduction progressive de sa marge de crédit. L’institution informe Enico qu’elle ne peut débourser le solde de financement accordé, puisque la société fait défaut de produire les certificats attestant que tout montant dû aux autorités fiscales est complètement acquitté.
[69] Au cours du mois de novembre 2009, Boudrias démissionne de son poste de vérificateur d’impôt conformément à une recommandation de son syndicat. À ce moment-là, il a un dossier disciplinaire à l’ARQ pour « consultations inappropriées » et transmission illégale de dossiers à sa conjointe qui est comptable. Les faits seraient survenus entre 2007 et 2009.
[70] Le 2 novembre 2010, les nouveaux avocats d’Enico demandent au Centre de perception de l’ARQ d’annuler et de rembourser les intérêts payés injustement. Cette demande sera réitérée à de nombreuses reprises et sera toujours refusée. Une réponse formelle obtenue le 2 mars 2012 indique que la décision est finale et sans appel et qu’il n’y a pas de révision possible. Quelques mois plus tard, l’ARC acceptera, quant à elle, d’annuler les intérêts, frais et pénalités imposés à Enico.
[71] Le 26 novembre 2010, Enico met à pied ses employés et cesse ses activités.
[72] Le 19 avril 2012, l’ARQ envoie à Enico un avis final de demande de paiement de 1 043 647,27 $ de TPS/TVQ comprenant les intérêts et les pénalités comptabilisés au 18 avril 2012. L’ARQ demande à Enico d’effectuer le paiement de cette somme avant le 4 mai 2012, sous peine de quoi elle pourrait prendre les « mesures nécessaires » pour récupérer la somme qui lui est due. Un état de compte est joint à l’avis final. Enico signifie son opposition.
[73] Le 18 mai 2012, Junior St-Urbain (« St-Urbain »), agent de recouvrement, prépare un certificat en vue de l’obtention d’un jugement en application de l’article 13 de la Loi sur l’administration fiscale[14]. Le 22 mai 2012, le greffier spécial de la Cour supérieure du Québec rend jugement en vertu de cette disposition et condamne Enico à payer à l’ARQ la somme de 1 048 792,18 $ (plus les intérêts capitalisés quotidiennement à compter du 19 mai 2012). Le même jour, St-Urbain envoie à Enico une demande formelle de paiement pour cette somme, de même qu’un tableau explicatif détaillant les montants réclamés par l’ARQ.
[74] Au cours de l’été 2012, Archambault et son nouvel avocat posent plusieurs questions à St-Urbain en vue de comprendre la somme de plus d’un million de dollars que l’ARQ réclame à Enico.
[75] Le 17 octobre 2012, l’honorable Gilles Lareau, j.c.q., rejette l’appel d’Enico quant aux cotisations pour les années 2008 et 2009, et ce, en l’absence de ses représentants. Selon ce qui est consigné au jugement entrepris, l’ARQ se serait opposée à ce qu’Archambault produise une défense pour Enico. Puisque cette dernière n’avait pas les moyens de se défendre, elle a donc été condamnée ex parte.
[76] Après avoir entendu les parties pendant quinze jours, le juge retient la responsabilité de l’ARQ dans un jugement de quelque 1226 paragraphes. Décrites à grands traits, les principales déterminations du juge se résument ainsi :
Ø L’ARQ a commis une faute en traitant la dénonciation anonyme sans aucun filtrage, sans vérifier les intérêts du dénonciateur et sans informer le contribuable de l’existence de cette dénonciation et du but réel de la vérification, portant ainsi atteinte à son droit à une défense pleine et entière pendant le processus de vérification;
Ø Boudrias s’est infiltré dans l’entreprise sous de faux prétextes, a eu recours dès le début de la vérification et de façon fautive à la « méthode des dépôts bancaires »; les conditions pour avoir recours à cette méthode arbitraire, qui constitue une solution de dernier recours, n’étaient pas satisfaites en l’espèce;
Ø Boudrias a introduit 153 entrées fausses et fictives en lien avec les comptes de dépenses pour l’année 2005. Le juge « […] n’a [eu] aucune hésitation à conclure en toute probabilité à la participation de M. Boudrias dans la disparition de la boîte de documents de 2005 »; la méthode utilisée par ce dernier pour comptabiliser les doublons, sans attirer l’attention du lecteur, étant volontaire et intentionnelle. L’explication avancée par les appelantes selon laquelle la comptabilisation de doublons résulterait d’une erreur est rejetée;
Ø L’existence d’objectifs de rendement est incompatible avec le rôle d’un vérificateur d’impôt, puisqu’un tel système exerce une pression directe sur celui-ci et est susceptible de conduire à des abus. Ce système explique en partie que la méthode de vérification retenue a permis de gonfler de 218 000 $ les cotisations d’impôt par la comptabilisation de « doublons »;
Ø Les responsables au sein de l’ARQ auraient dû, très tôt dans le processus de vérification, comprendre que les avis de cotisation issus d’un processus « vicié par un fonctionnaire à la réputation déontologique reprochable » ne pouvaient être valides. À l’époque où il travaillait dans le dossier à titre de « stagiaire » en taxes, Boudrias faisait l’objet d’une enquête interne de l’ARQ pour appropriation d’informations confidentielles sur un contribuable à des fins non autorisées. L’ARQ a commis une faute en omettant d’assurer une supervision suffisante de Boudrias, qu’elle savait pourtant être une personne « à risques »;
Ø L’ARQ a commis une faute en attendant neuf mois pour confirmer et corriger les erreurs contenues aux avis de cotisation du mois d’octobre 2007. Ce délai est déraisonnable et a causé d’énormes préjudices à Enico et à Archambault personnellement. L’ARQ est responsable du « cafouillis » qui s’est produit quant à la perte du paiement des retenues à la source d’octobre 2006;
Ø Les projets de cotisation et les avis de cotisation d’octobre 2007 n’auraient jamais dû être émis puisqu’ils étaient le fruit du travail « discutable » qui « finira par être presque totalement détruit […], passant de plus de 1 800 000 $ à moins de 200 000 $ ». Les cotisations d’impôt et de taxes émises par l’ARQ jouissent d’une présomption de validité et sont « lourdes de conséquences sur la capacité de financement d’une entreprise et, par le fait même, sur sa survie ». La présomption de validité, conjuguée à la priorité accordée aux créances de l’État par le paragraphe 2651(4) du Code civil du Québec, rend pratiquement impossible pour une entreprise d’obtenir un financement lorsqu’elle est visée par une cotisation substantielle;
Ø La retenue des crédits d’impôt de l’année 2006 pour compenser la dette créée par les avis de cotisation d’octobre 2007 était « erronée et abusive », puisque ces avis de cotisation étaient eux-mêmes abusifs. Le refus d’expliquer aux intimés la compensation des crédits d’impôt est aussi fautif;
Ø La saisie de la marge de crédit était abusive; le Centre de perception de l’ARQ n’a pas tenu compte des informations transmises par le directeur du Service de la vérification; les dommages subis devenaient hautement prévisibles. Le cloisonnement étanche entre le Service de la vérification et le Centre de perception est inexplicable. De plus, la saisie est contraire aux directives internes de l’ARQ qui prévoient que la démarche de perception doit être « fondée sur une application progressive et stratégique des mesures de recouvrement en favorisant d’abord le paiement volontaire et la prise d’entente avec le débiteur » et doit reposer sur une analyse de la situation financière du débiteur[15]. Les directives n’ont pas été suivies. Le fait de saisir une marge de crédit est lourd de conséquences pour le contribuable, mais ne produit aucun avantage pour un créancier. L’ARQ a omis de délivrer un avis final avant de procéder à la saisie, en contravention avec ses propres directives de recouvrement;
Ø Il existe un lien de causalité entre le comportement abusif de l’ARQ et la décision de la Banque Toronto Dominion de rappeler la marge de crédit;
Ø Le juge rejette l’expertise et le témoignage de l’expert Arthur Lavigne qu’il estime peu crédible;
Ø Le comportement de l’agent de recouvrement Boucher, responsable du dossier après la saisie, révèle un acharnement administratif fautif et injustifié. L’obtention d’un jugement en vertu de l’article 13 Laf « participe à établir la preuve d’un acharnement administratif peu commun », « acharnement qui en définitive constitue un comportement fautif qui engendre la responsabilité » de l’ARQ. La « stratégie » du contentieux de l’ARQ qui consiste à demander à un fonctionnaire d’obtenir un jugement en vertu de la Laf intervient alors que le litige est engagé devant le tribunal « et qu’on sait que le dossier viendra bientôt à procès et que le contribuable a de la difficulté à se payer des avocats pour faire valoir ses droits ». Ce comportement constitue un abus de pouvoir;
Ø Le degré d’indépendance et d’impartialité du mécanisme de traitement des plaintes de l’ARQ est discutable, étant donné que c’est la direction concernée par le travail du fonctionnaire visé par une plainte qui a le mandat de statuer sur celle-ci;
Ø Dans l’ensemble du dossier, l’ARQ a commis de nombreuses fautes et agi avec malveillance, et ce, en toute connaissance des conséquences inéluctables que sa conduite aurait sur l’entreprise;
Ø L’ARQ est assujettie aux règles relatives à la responsabilité civile extracontractuelle édictées aux articles 1376 et 1457 C.c.Q. Il y a faute caractérisée, agissements abusifs et malveillants, incurie grave équivalant à un abus de pouvoir et conduite téméraire équivalant à de la mauvaise foi. L’ARQ a fragilisé l’entreprise au plan financier.
[77] Qualifiant le jugement entrepris de « colosse au pied d’argile », les appelantes soutiennent que le juge de première instance a commis de nombreuses erreurs de fait et de droit qui justifient l’intervention de la Cour. Elles contestent pratiquement toutes les conclusions du juge relatives aux fautes qui leur sont reprochées. Elles remettent également en question les conclusions du juge relatives au lien de causalité et aux dommages octroyés en faveur des intimés. Au total, elles allèguent que le juge a commis plus de vingt erreurs qui constituent autant de questions soumises à la Cour.
[78] Malgré les prétentions des appelantes, ce pourvoi porte sur une problématique plus générale. Cette affaire met en cause l’addition d’une longue série de comportements suspects qui, par leur accumulation et, disons-le, l’acharnement de l’ARQ, ont causé des dommages à l’entreprise. Pour l’essentiel, il s’agit de voir si les déterminations de fait du juge sont manifestement erronées et s’il a commis des erreurs de droit.
[79] Le juge formule moult reproches à l’endroit de l’ARQ, reproches qu’il y a lieu de regrouper en trois catégories : 1) reproches quant aux façons de faire générales de l’ARQ; 2) reproches reliés à la vérification et à la perception; et 3) reproches quant à l’utilisation par l’ARQ de ses pouvoirs exorbitants, y compris les mesures postérieures aux procédures judiciaires.
[80] Je suis d’accord avec les appelantes que certaines déterminations du juge sont mal fondées. C’est le cas pour les reproches relatifs aux façons de faire générales de l’ARQ. Voici pourquoi.
[81] En principe, un procès entre un contribuable et une autorité administrative ne doit pas se transformer en commission d’enquête sur toutes les façons de faire de cette dernière. Le juge ne doit décider que ce qui est utile à la détermination des fautes reprochées. En l’espèce, le juge a remis en cause, au passage, certaines politiques de gestion interne de l’ARQ. À mon avis, il ne lui appartenait pas de donner son avis sur les incitatifs à la performance adoptés pour les employés de l’ARQ ou sur la façon dont l’ARQ gère son Service de traitement des plaintes (« Service des plaintes »). Ces questions relèvent du pouvoir exécutif et discrétionnaire de l’ARQ de mettre en place les politiques qu’elle estime appropriées pour le bon fonctionnement de sa régie interne. Ces décisions ne peuvent être remises en cause que si elles sont déraisonnables au point qu’elles nécessitent l’intervention judiciaire[16].
[82] Revoyons les reproches des appelantes.
[83] Le juge a conclu que l’ARQ a commis une faute en omettant de vérifier le bien-fondé de la dénonciation, d’informer les intimés de l’existence de cette dénonciation, de l’identité du dénonciateur et de s’assurer que la dénonciation n’a pas été faite dans un esprit de vengeance. Bref, selon lui, la dénonciation aurait dû faire l’objet d’une vérification préliminaire quant au bien-fondé des allégations y contenues. Je suis d’avis qu’il faut donner raison à l’ARQ sur ce point. Voici pourquoi.
[84] En 1990, dans l’arrêt McKinlay Transport[17], la Cour suprême a fait ressortir l’idée que le succès d’un régime fiscal, fondé sur les principes de l’autocotisation et de l’autodéclaration[18], repose avant tout sur la franchise du contribuable[19] et que, en conséquence, le ministre doit disposer de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables. La Cour affirmait alors que le ministre « doit être capable d’exercer ces pouvoirs, qu’il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu’un contribuable a violé la Loi »[20]. La Cour ajoute que « [l]es contrôles ponctuels ou un système de vérification au hasard peuvent constituer le seul moyen de préserver l’intégrité du régime fiscal »[21].
[85] Ces principes sont réitérés en 2001 dans l’affaire Jarvis[22] dans laquelle la Cour suprême énonce l’idée que le processus de vérification fiscale ne constitue pas une enquête nécessitant l’existence de motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne ou une entreprise fait défaut de se conformer à ses obligations fiscales. La distinction entre les pouvoirs de vérification (conduisant à établir les impôts à percevoir du contribuable) et les pouvoirs d’enquête (conduisant à établir la responsabilité pénale du contribuable) a été clairement établie.
[86] Le régime fiscal québécois n’est pas différent du régime fédéral dans ses principes. Il confère à l’ARQ des pouvoirs étendus ayant trait à l’application ou à l’exécution d’une loi fiscale[23]. Le ministre n’est pas lié par les déclarations, rapports et demandes fournis par un contribuable[24] et il détient le pouvoir de déterminer le montant des droits, intérêts et pénalités qu’un contribuable doit acquitter en vertu d’une loi fiscale[25].
[87] L’article 95.1 Laf permet au ministre de vérifier, de façon discrétionnaire, le dossier fiscal d'un contribuable sans qu'il soit préalablement obligé de constater des irrégularités remettant en cause la véracité des déclarations de ce dernier[26].
[88] L’ARQ peut donc, de son propre chef et en tout temps, entreprendre un processus de vérification fiscale auprès d’un contribuable. En conséquence, elle a aussi le pouvoir d’entreprendre un tel processus lorsqu’elle reçoit une dénonciation à l’encontre d’un contribuable.
[89] Afin de vérifier le bien-fondé d’une dénonciation, il faut nécessairement que l’ARQ puisse accéder aux documents et aux registres internes de l’entreprise. C’est dans le contexte d’une vérification que l’ARQ peut constater si un contribuable respecte ou non les obligations qui lui incombent en vertu des différentes lois fiscales applicables. Cette vérification, si elle est effectuée de bonne foi et en toute transparence, sans présumer de la mauvaise foi du contribuable, permet d’infirmer ou de valider les prétentions d’un dénonciateur.
[90] L’argument voulant que la dénonciation doive faire l’objet d’une forme de « préenquête » n’est donc pas fondé. D’ailleurs, s’il fallait imposer cette exigence et vérifier l’intention du dénonciateur, les dénonciations anonymes ou malveillantes devraient être rejetées d’emblée.
[91] Par ailleurs, la confidentialité assure l’efficacité du processus de dénonciation. Qui plus est, les renseignements recueillis dans le cadre d’une dénonciation sont protégés par la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[27].
[92] Le juge détermine que l’existence d’un système de quotas participe à expliquer les méthodes de vérification utilisées ici. Il conclut que ce système participe aussi à établir un comportement global de l’ARQ dont il retient la responsabilité. J’estime qu’il ne revenait pas au juge d’aborder cette problématique de la façon dont il l’a fait, dans le contexte du présent dossier, et en concluant que la mise en place d’un mécanisme d’objectifs de rendement constitue, en soi, une faute de l’ARQ.
[93] La preuve démontre que les objectifs de récupération ou de rendement sont établis par le gouvernement en fonction des résultats des années précédentes et que lorsque les employés de l’ARQ satisfont aux objectifs établis, ils peuvent obtenir une prime monétaire. Les primes monétaires sont octroyées à la fois selon la performance des employés (au point de vue quantitatif) et selon la qualité de leur travail[28].
[94] La question des objectifs de récupération est une question politique comme le reconnaît d’ailleurs le premier juge lorsqu’il écrit qu’il « n’appartient pas au tribunal de suggérer d’orientation de nature politique »[29]. Il conclut néanmoins que l’existence d’un mécanisme de rendement peut expliquer certains comportements inadéquats des représentants de l’ARQ, allant même jusqu’à suggérer qu’un tel mécanisme est susceptible de créer un conflit d’intérêts pour les vérificateurs d’impôt qui jouent également un rôle de « décideurs ».
[95] Il est vrai que les vérificateurs d’impôt jouent un rôle de premier plan dans l’établissement des avis de cotisation et que leurs gestes peuvent avoir des répercussions importantes sur les contribuables. Toutefois, ce sont les gestes posés par les vérificateurs d’impôt qui doivent être examinés plutôt que leurs motivations profondes. Ceci étant, cette erreur n’est pas déterminante quant à l’issue du litige.
[96] Finalement, il n’appartenait pas au juge non plus de faire la critique générale du Service des plaintes de l’ARQ. Il lui suffisait de déterminer, comme il l’a fait, que dans notre cas, ce service a été totalement inefficace et incapable d’assurer un traitement adéquat des plaintes formulées par Archambault. Le Service des plaintes n’a pas été en mesure non plus d’apporter des réponses aux questions posées dans un délai raisonnable.
[97] La responsabilité de l’ARQ et de ses employés dans le cadre d’une vérification fiscale et lors de la perception des créances est tributaire du respect des règles générales applicables aux employés de l’État et à une autorité administrative. Ces règles découlent de diverses sources qu’il est utile de revoir.
[98] L’examen de la responsabilité de l’administration publique part, en principe, du régime de responsabilité établi par l’article 1376 C.c.Q. qui prévoit que les règles du Code civil du Québec s’appliquent à elle, « sous réserve des autres dispositions qui [lui] sont applicables ».
[99] Comme le souligne le juge LeBel dans l’arrêt Finney, « [l]a prudence du législateur reflète la spécificité de l’administration publique, ainsi que la diversité et la complexité des tâches qui lui sont dévolues »[30]. Ainsi, il est possible que des règles de droit public spécifiques fassent obstacle à l’application du régime général de responsabilité civile. Toutefois, ces règles de droit public spécifiques ne peuvent être utilisées de façon abusive et sans discernement. En cela, cet énoncé rejoint parfaitement la règle de droit civil contenue à l’article 7 C.c.Q. :
[100] Depuis longtemps et même avant qu’il soit codifié avec autant de clarté au Code civil du Québec, l’exercice abusif et déraisonnable du pouvoir était reconnu au Québec comme source de responsabilité à l’encontre des autorités publiques, l’arrêt de principe en la matière étant bien sûr Roncarelli c. Duplessis[31].
[101] Un pouvoir discrétionnaire n’est donc jamais absolu.
[102] Par ailleurs et depuis 1998, le législateur québécois a établi des règles générales de procédure applicable aux décisions individuelles prises à l’égard d’un administré, règles différentes selon que la décision est prise dans l’exercice d’une fonction administrative ou juridictionnelle. Un grand principe ressort de la Loi sur la justice administrative[32] : dans l’exercice d’une fonction administrative, toute procédure menant à une décision individuelle doit être conduite dans le respect du devoir d’agir équitablement[33].
[103] Dans la même foulée, le ministre du Revenu du Québec a adopté une Déclaration de services aux citoyens et aux entreprises (« Déclaration de services ») contenant les engagements et les objectifs de son ministère. Cette déclaration de services vise à faciliter les rapports entre le gouvernement et les citoyens et sert de guide à son personnel, afin qu’il rende des services qui répondent aux attentes des citoyens, « dans un environnement de transparence, d’imputabilité et de respect pour la population ».
[104] Les principes régissant la Déclaration de services sont les suivants : 1) respecter le droit légitime du citoyen d’obtenir rapidement et facilement une information juste et fiable; et 2) assurer au citoyen un traitement juste, équitable et impartial.
[105] Les engagements de l’ARQ envers le citoyen consistent à :
Ø L’informer du moment, du but et de la portée d’une vérification, à moins que des circonstances particulières l’en empêchent;
Ø Établir l’identité des intervenants dans le dossier qui le concerne;
Ø Ne demander que les informations et les documents qui sont pertinents à la vérification;
Ø S’assurer qu’il comprend bien les modifications apportées à l’avis de cotisation et l’informer de ses droits et obligations fiscales;
Ø Effectuer les rajustements requis, s’il y a lieu.
[106] Aussi, en 2012, un Code d’éthique et de déontologie à l’intention des dirigeants et des employés de Revenu Québec est adopté. Il met en évidence certaines valeurs, telles la compétence, l’honnêteté, l’impartialité et la diligence dans l’exécution des tâches et des responsabilités qui leur sont confiées. Quoiqu’il ait été adopté après les faits qui nous concernent, le Code contient des règles de base qui relèvent du bon sens.
[107] Ainsi, si le vérificateur ou le percepteur d’impôt ne respecte pas les obligations professionnelles, déontologiques et éthiques qui lui incombent, dont l’obligation d’agir avec transparence et honnêteté, ne respecte pas le devoir qui impose à tout fonctionnaire d’agir équitablement ou s’il abuse de ses pouvoirs discrétionnaires, l’ARQ pourrait devoir indemniser le contribuable à qui ces agissements causent préjudice. C’est à ce niveau que se situent les enjeux du présent dossier.
[108] La mission première de l’ARQ est d’assurer la perception des impôts et des taxes, afin que chacun paie sa juste part du financement des services publics. L’ARQ administre aussi les programmes sociofiscaux et tout autre programme de perception et de redistribution de fonds que lui confie le gouvernement.
[109] L’ARQ bénéficie de pouvoirs que l’on peut sans peine qualifiés d’exorbitants et il y a certainement une justification raisonnable pour que de tels pouvoirs lui soient confiés. L’ampleur du phénomène du « travail au noir » et l’objectif visant l’atteinte de l’équité fiscale entre les citoyens justifient que le législateur confère de tels pouvoirs qui, rappelons-le, imposent un lourd fardeau au contribuable. Les lois fiscales lui imposent notamment : 1) l’autodéclaration et l’autocotisation; 2) l’obligation de donner aux vérificateurs accès à ses bureaux et ses livres, ainsi que celle de répondre à leurs questions; 3) le fardeau de contrer la présomption de validité des avis de cotisation; 4) le devoir d’acquitter sans délai, même en cas de contestation, les sommes réclamées par un avis de cotisation; 5) l’obligation de faire face au statut avantageux de l’ARQ en cas de faillite, ainsi qu’aux facilités de saisie; et 6) le devoir de s’incliner devant le pouvoir de l’ARQ d’utiliser la compensation à son avantage, pour ne nommer que ceux-là.
[110] En contrepartie, des responsabilités accrues s’imposent à l’ARQ, en proportion des pouvoirs ainsi délégués. Plus une agence gouvernementale possède de pouvoirs exorbitants, plus elle risque de causer un préjudice au contribuable si elle les exerce de façon abusive, déraisonnable ou sans considération pour les conséquences qui peuvent en découler.
[111] Un devoir de prudence et de bonne foi dans l’exercice de ces pouvoirs s’impose naturellement. Si elle se dérobe à ce devoir, l’ARQ ne doit pas s’étonner que les tribunaux, eux aussi soucieux du bien public, jugent avec sévérité son manque de rigueur. C’est ce qui s’est produit dans le présent dossier.
[112] On ne saurait nier que, au Québec, le phénomène du « travail au noir » et autre forme d’évasion fiscale puissent avoir des conséquences sur les méthodes d’enquête, de vérification ou même de perception de l’ARQ. On peut aisément comprendre que la mission première de l’ARQ entraîne la mise en place de méthodes visant à repérer le contribuable qui est en défaut de déclarer tous ses revenus.
[113] On pourrait comprendre la tentation pour les vérificateurs d’impôt, surtout en présence d’une dénonciation, de présumer de la mauvaise foi du contribuable.
[114] S’affrontent ici deux impératifs : d’un côté, l’efficacité dont l’ARQ doit faire preuve pour accomplir sa mission qui est de percevoir les impôts et taxes de chacun de façon à assurer l’équité fiscale entre les contribuables, et, de l’autre, le respect de ses propres règles et directives, son devoir d’agir équitablement et ne pas abuser des puissants instruments mis à sa disposition. On ne saurait nier que le mariage ou la mise en balance de ces deux impératifs puisse parfois être difficile.
[115] Dans le présent cas, le juge a déterminé avec raison, nous le verrons, que l’ARQ a agi en contravention avec toutes les règles qui lui sont applicables.
[116] Établissons d’abord que les appelantes ne démontrent aucune erreur manifeste et dominante dans les déterminations factuelles du juge relatives à ce qui s’est passé à l’étape de la vérification et de la perception. Rappelons que le juge a estimé que Boudrias n’est pas un témoin crédible et il s’en explique longuement.
[117] Boudrias aurait dû s’identifier comme étant un vérificateur d’impôt et informer les intimés qu’il menait une vérification en cette matière plutôt que de laisser croire qu’il assistait Fournelle dans sa vérification des taxes. Il devait dévoiler son véritable rôle à la première occasion et non en mai 2007. Il avait aussi le devoir d’informer l’entreprise de la méthode qu’il entendait appliquer pour mener à bien sa vérification et informer le contribuable du fardeau qu’une telle méthode place sur ses épaules. Son silence a constitué un piège pour le contribuable. Ce n’est pas tellement le choix de la méthode appliquée pour évaluer les revenus de l’entreprise qui est fautif, mais le fait de ne pas informer le contribuable des tenants et aboutissants de son utilisation et surtout, de ne pas l’avoir informé en temps utile. Cela a certainement contribué au marasme dans lequel l’entreprise s’est retrouvée.
[118] En outre, les agissements des vérificateurs entrent manifestement en contravention avec les principes qui fondent la Déclaration de services adoptée par l’ARQ et heurtent de plein fouet les engagements spécifiques de l’ARQ dans le cadre de ses activités de vérification.
[119] L’erreur ou la malveillance de Boudrias relativement aux doublons est grossière et constitue, au minimum, de l’incurie, de l’insouciance ou de l’incompétence grave équivalant à de la mauvaise foi. Un tel comportement peut équivaloir à de la mauvaise foi et engager la responsabilité civile d’un organisme public[34].
[120] La suite n’est guère plus reluisante et constitue un enchaînement d’erreurs et de fautes qui ont entraîné les dommages subis par les intimés. L’envoi de l’alerte au Service de perception portant les mentions « urgent et risque de perte », en septembre 2007; les avis de cotisation grossièrement exagérés et erronés émis en octobre 2007, avec un empressement injustifié compte tenu des circonstances; la saisie abusive du compte bancaire; le temps mis à corriger les avis de cotisation; le fait que les départements de vérification et de perception ne coordonnent pas leurs actions et travaillent en vase clos; ainsi que le défaut de répondre aux questions des intimés sont autant de déterminations factuelles pour lesquelles les appelantes ne démontrent aucune erreur déterminante.
[121] En 2005, Archambault découvre un programme qui permet aux entreprises d’obtenir des crédits d’impôt à l’investissement pour la RS&DE. Il révise son plan d’affaires en conséquence de cette nouvelle opportunité. Le programme prévoit que l’ARC procède à la vérification financière et scientifique du projet et établit le remboursement qu’elle consent au contribuable. Par la suite, le gouvernement provincial verse aussi sa contribution, sur la foi de la vérification menue par l’ARC.
[122] Au mois d’octobre 2006, Enico dépose sa première demande de crédits d’impôt de RS&DE pour les années 2004-2005. Enico contracte un prêt auprès de R&D Capital, afin d’assurer le financement de ses crédits d’impôt. Pour les années 2004-2005, Enico obtient la totalité des crédits d’impôt qu’elle a réclamés, soit 725 000 $[35]. Le juge retient que, à partir de ce moment, les crédits d’impôt de RS&DE représentent environ 9 % du chiffre d’affaires d’Enico.
[123] Le 28 novembre 2007, l’ARC émet un avis de cotisation relatif aux crédits d’impôt d’Enico pour l’année 2006. La somme des crédits approuvés totalise 162 640 $. Quelques mois plus tard, en février 2008, l’ARQ émettra à son tour un avis de cotisation faisant état des crédits d’impôt accordés pour l’année 2006 pour un montant de 130 862 $. Enico ne recevra toutefois jamais ces sommes, puisque l’ARQ décidera de retenir les crédits d’impôt de la société (tant fédéraux que provinciaux) pour compenser la dette fiscale créée par les avis de cotisation datés du 4 octobre 2007[36] que nous savons être erronés.
[124] La Loi sur l’administration fiscale[37] accorde à l’ARQ le droit de retenir les crédits de RS&DE. Là n’est pas la question. La véritable question est celle de savoir si l’ARQ a abusé ici de son droit de retenir ces sommes. Comme nous venons de le voir, au moment où elle retient les sommes, l’ARQ sait deux choses : 1) que ses avis de cotisation sont erronés de façon importante; et 2) que la compagnie risque de faire faillite.
[125] Un fait brutal demeure : les employés du Centre de perception ont décidé de retenir les sommes malgré les demandes du directeur du Service de vérification et en toute connaissance des conséquences prévisibles de leur geste. Ce faisant, ils ont agi sans aucun discernement.
[126] Le juge ne commet aucune erreur lorsqu’il affirme que l’accaparement des crédits d’impôt est abusif. Il s’agit là, dans les circonstances du dossier, d’un abus de pouvoir constitutif d’une faute civile. Un abus de pouvoir peut prendre plusieurs formes, il peut viser un but étranger à la loi ou constituer un geste excessif dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire[38].
[127] En l’espèce, l’ARQ a utilisé ses pouvoirs extraordinaires pour conserver dans ses coffres les crédits d’impôt RS&DE, tout comme elle les a utilisés pour saisir un compte bancaire (sans autorisation judiciaire), imposer ses vues lors d’assemblées des créanciers et obtenir un jugement en vertu de l’article 13 Laf.
[128] Les déterminations du juge sur le comportement du Centre de perception lors de la saisie du compte bancaire, qui s’est avéré être une marge de crédit, ainsi que sur celui de Boucher, lors des assemblées des créanciers, sont exemptes d’erreur. Il s’agit essentiellement de constats de fait.
[129] Il n’y a pas d’erreur non plus dans la détermination du juge selon laquelle l’obtention par l’ARQ d’un jugement en vertu de l’article 13 Laf relevait de l’acharnement.
[130] L’article 13 Laf permet au ministre d’émettre un certificat attestant de l’exigibilité d’une dette à son égard. Le certificat peut être délivré dès que la dette devient exigible, sans même que le contribuable en soit informé. Lorsque le certificat est déposé au greffe du tribunal compétent, le greffier rend jugement en faveur de l’ARQ. Quoique le contribuable puisse faire valoir ses droits lors de la contestation de la cotisation, nul doute que l’obtention d’un jugement en vertu de l’article 13 Laf peut entraîner des conséquences négatives pour le débiteur.
[131] Il est exact que, à cette époque, Enico était en défaut d’effectuer ses remises courantes. Par contre, il n’est pas exact d’affirmer qu’Enico avait une dette de plus d’un million de dollars à la même époque. Plus de 60 % de la somme réclamée représentaient des intérêts et des pénalités que l’ARQ a toujours refusé d’annuler. Le juge souligne par ailleurs que le fonctionnaire qui a préparé la réclamation ne peut en garantir la fiabilité. Dans le contexte où cette procédure a été utilisée non pas pour obtenir les sommes dues, mais plutôt à la faveur de la présente action en justice, la conclusion du juge n’est pas entachée d’une erreur manifeste et déterminante. En effet, c’est le contexte global de l’affaire qu’il faut examiner et l’enchaînement des gestes entrepris un à un.
[132] C’est la gestion globale de l’affaire par l’ARQ qui est fautive. Nul doute qu’elle avait le pouvoir de procéder comme elle l’a fait. Le juge a toutefois décidé que, dans le cadre du présent dossier, l’ARQ a usé de ses droits de manière abusive.
[133] L’argument des appelantes consiste à dire que la situation financière d’Enico préoccupait au plus haut point son banquier depuis plusieurs mois avant la saisie. Le juge aurait omis de tenir compte de la preuve à cet égard. Or, la preuve permettait au juge d’établir le lien entre les fautes de l’ARQ et les problèmes financiers d’Enico, dont le rappel de sa marge de crédit. La preuve permettait de conclure que la banque a rappelé son prêt de façon concomitante à la saisie.
[134] La preuve permet aussi de conclure que, à l’automne 2007, les représentants de la banque étaient inquiets du fait qu’Enico avait reçu de substantiels avis de cotisation et qu’elle manquait de liquidités. Par ailleurs, ce n’est pas uniquement le rappel de la marge de crédit survenu en février 2008 qui a causé ce manque de liquidités. Rappelons que d’importants crédits d’impôt ont été retenus. Affirmer que la délivrance d’avis de cotisation erronés est arrivée à un bien mauvais moment est un euphémisme! À l’automne 2007, l’entreprise éprouvait des problèmes de liquidités et rien ne démontre qu’elle ne se serait pas sortie de ce mauvais pas n’eût été tous ses démêlés avec le fisc.
[135] C’est dans ce contexte que le juge affirme que l’ARQ connaissait l’état de fragilité d’Enico et qu’elle a participé à la fragiliser davantage, ce qui accentue sa responsabilité qu’il situe dans le domaine de la faute intentionnelle.
[136] Le juge a décortiqué l’ensemble de la preuve et il n’y a aucune erreur manifeste et déterminante qui permettrait à la Cour d’intervenir sur ses déterminations factuelles quant au lien de causalité entre les fautes de l’ARQ et les dommages subis par les intimés, que le juge qualifie de hautement prévisibles.
[137] Les appelantes remettent en cause chacun des chapitres de dommages octroyés par le juge. Les voici :
ARCHAMBAULT |
|
Dommages moraux : |
50 000 $ |
Dommages physiques : (atteinte à son intégrité psychologique) |
50 000 $ |
Dommages exemplaires : |
1 000 000 $ |
|
|
ENICO |
|
Perte de valeur de l’entreprise : |
1 400 000 $ |
Dommages exemplaires : |
1 000 000 $ |
Honoraires extrajudiciaires : |
350 000 $ |
Honoraires spéciaux : (aux avocats) |
100 000 $
|
[138] Le juge a évalué les dommages non pécuniaires selon deux catégories différentes : les dommages moraux et les dommages psychologiques. Il considère que ces derniers font partie des dommages physiques.
[139] Le droit québécois prévoit que le préjudice est : corporel, matériel ou moral. L’affaire Cinar[39] rappelle l’importance de rechercher la nature de l’atteinte première, car c’est la violation initiale plutôt que les conséquences de cette violation qui doit être examinée pour qualifier le préjudice. Les trois catégories de préjudice peuvent entraîner à la fois des dommages pécuniaires et non pécuniaires.
[140] À titre d’exemple, le préjudice corporel peut engendrer des dommages pécuniaires (perte de salaire) et des dommages non pécuniaires (souffrances). Rappelons que le préjudice corporel peut découler d’un acte qui constitue une atteinte à l’intégrité physique ou psychologique de la victime.
[141] Le préjudice matériel (la perte d’une entreprise) peut engendrer des dommages pécuniaires (valeur de l’entreprise) et non pécuniaires (souffrances en découlant).
[142] Pour reprendre les propos tenus par le juge Taschereau il y a plus de 60 ans, le préjudice moral comporte « toute atteinte aux droits extrapatrimoniaux, comme le droit à la liberté, à l’honneur, au nom, à la liberté de conscience ou de parole »[40]. Par exemple, l’atteinte à la réputation constitue un préjudice moral qui peut engendrer des dommages pécuniaires (perte de revenus) et des dommages non pécuniaires (souffrances psychologiques).
[143] Dans l’état actuel du droit québécois[41], ce ne sont que les pertes non pécuniaires découlant d’un préjudice corporel qui sont soumises au plafond établi par la Cour suprême dans la trilogie de 1978[42].
[144] Je propose donc de revoir le jugement de première instance à la lumière de ces déterminations qui ont été reprises dans l’affaire Cinar.
[145] Soulignons d’abord que, pour différents motifs, le juge a rejeté la réclamation d’Archambault de 1 M$ pour atteinte à son honneur et à sa réputation, entre autres, parce que ces dommages doivent être réclamés dans l’année de l’événement. Il a fait de même avec sa réclamation découlant du préjudice matériel, dont le fait qu’il a dû encaisser ses REER, hypothéquer sa résidence, etc.
[146] En ce qui concerne les dommages moraux, le juge indique qu’Archambault réclame également 1 M$ à ce chapitre et il réfère aux paragraphes 441 à 463.2 de la requête introductive d’instance ré-ré-ré-ré-réamendée du 22 octobre 2012 qui, eux-mêmes, réfèrent à L’atteinte à la santé et à l’intégrité physique et psychologique de M. Archambault, points qui seront traités au chapitre des dommages physiques.
[147] On peut s’interroger sur le fondement exact de cette réclamation, sachant que le juge a refusé la réclamation pour atteinte à sa réputation et à son honneur et sachant qu’il traitera des dommages non pécuniaires reliés à l’atteinte psychologique au chapitre suivant. Bref, cette réclamation fait double emploi avec la suivante.
[148] Une intervention est donc nécessaire quant au paragraphe [1198] du jugement.
[149] À ce chapitre, le juge a tenté de déterminer le montant des dommages psychologiques subis par Archambault en les assimilant à des dommages physiques.
[150] Nous l’avons vu, dans l’affaire Cinar[43] rendue après le jugement entrepris, la Cour suprême rappelle que la qualification du préjudice doit être établie en fonction de l’atteinte et non en fonction de la nature du préjudice subi. Retenant la position du professeur Gardner, elle estime que « [p]our qualifier le préjudice, il importe de déterminer si l’acte qui a causé le préjudice était en soi une atteinte à l’intégrité physique de la victime, plutôt que de déterminer si l’acte a eu une incidence sur la santé physique de la victime[44] ».
[151] Ici, l’acte ne consistait pas en une atteinte à l’intégrité physique ou psychologique, mais bien en une atteinte aux biens, avec une incidence de nature psychologique, de telle sorte que toute référence au plafond établi dans la trilogie était erronée.
[152] Par contre, le juge a retenu le fait qu’Archambault a subi un préjudice psychologique réel et direct lié au litige et découlant des fautes commises par l’ARQ. En quelque sorte, son préjudice psychologique découle du préjudice matériel qu’il a subi à titre d’alter ego de l’entreprise.
[153] Le juge estime qu’Archambault doit être indemnisé pour les douleurs et souffrances qu’il a vécues. Il s’en explique d’ailleurs longuement. Il retient que les deux experts entendus ont été incapables de déterminer quand sa situation sera consolidée ou stabilisée. Il retient par contre que la fixation d’une perte non pécuniaire comprend également la considération des dommages, souffrances et inconvénients qu’il a subis.
[154] Malgré l’erreur du juge, il n’y a pas matière à intervention à ce chapitre quant au montant octroyé. Toutefois, il faut intervenir quant à l’application de l’article 1615 C.c.Q. qui ne s’applique qu’au préjudice corporel.
[155] Au terme d’une analyse méticuleuse de la preuve, le juge a retenu le témoignage de Jean Legault, expert-comptable, quant à la valeur de l’entreprise. Il estime que, avant les déboires avec l’ARQ, Enico était une entreprise rentable. L’expert Legault a évalué l’entreprise, avant les événements en cause, à une valeur se situant entre 1,2 M$ et 1,6 M$. Le juge a retenu une valeur médiane de 1,4 M$. Au 31 août 2009, cette valeur était rendue nulle.
[156] Aussi, le juge a estimé l’expertise présentée par les appelantes peu crédible et complaisante et il s’en explique clairement. Les motifs qu’il invoque au soutien de cette conclusion sont nombreux. Entre autres choses, il retient que l’expert des appelantes : 1) a systématiquement rejeté tous les éléments favorisant la thèse d’Enico, y compris les éléments qu’il a admis être pertinents (par exemple, les crédits d’impôt dus à la société); 2) s’est montré réticent à admettre que les avis de cotisation d’octobre 2007 ont eu un impact direct sur la disponibilité des crédits d’impôt et sur le financement d’Enico; 3) a complètement omis de traiter l’impact possible que la saisie pratiquée par l’ARQ a eu sur la situation financière d’Enico et qu’il s’est montré réticent à admettre cet impact lors de son interrogatoire; et 4) n’a traité que des faiblesses d’Enico dans son rapport.
[157] Il appartenait au juge de première instance d’évaluer les témoignages des deux experts et de leur accorder une valeur probante[45]. En l’absence d’une erreur manifeste et déterminante, ses déterminations sont à l’abri de toute intervention.
[158] Le juge condamne solidairement les appelantes à verser à Archambault et Enico une somme de 1 M$ chacun, à titre de dommages exemplaires.
[159] Selon lui, le comportement de l’ARQ constitue une atteinte illicite au droit de toute personne à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, au sens de l’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne[46], car les crédits d’impôt étaient dus à Enico et ne devaient pas être assimilés à une simple créance.
[160] Le juge affirme que, lorsqu’un individu réussit, malgré de nombreuses embûches, à démontrer le comportement fautif de l’État, il faut viser les objectifs de punition, de dissuasion et de dénonciation prévus à l’article 1621 C.c.Q. Il souligne qu’il est anormal qu’un contribuable doive s’adresser aux tribunaux pour obtenir l’information que l’ARQ avait le devoir de lui transmettre. Il détermine que l’atteinte aux droits fondamentaux d’Archambault et d’Enico était intentionnelle et volontaire au sens de l’article 49 de la Charte. Sur ce point, il retient que l’atteinte intentionnelle et volontaire inclut « les cas où l’auteur a agi en toute connaissance des conséquences immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables que sa conduite engendrera ».
[161] Le juge souligne l’inégalité flagrante du rapport de force entre les appelantes et les intimés qui ont subi un réel problème d’accès à la justice en raison des coûts reliés au procès. Sur la question du quantum, il conclut que tous les facteurs applicables militent en faveur d’une condamnation importante, susceptible d’avoir une certaine portée sociale et des conséquences réelles. Il explique que cette condamnation doit être prononcée au bénéfice des deux intimés qui ont tous deux été victimes de la faute intentionnelle de l’ARQ, compte tenu qu’Archambault est l’alter ego d’Enico.
* * * * *
[162] L’article 1621 C.c.Q. énonce les conditions d’octroi des dommages-intérêts punitifs :
1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive. Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. |
1621. Where the awarding of punitive damages is provided for by law, the amount of such damages may not exceed what is sufficient to fulfil their preventive purpose. Punitive damages are assessed in the light of all the appropriate circumstances, in particular the gravity of the debtor's fault, his patrimonial situation, the extent of the reparation for which he is already liable to the creditor and, where such is the case, the fact that the payment of the damages is wholly or partly assumed by a third person.
|
[163] L’article 49 de la Charte prévoit que des dommages-intérêts punitifs peuvent être octroyés en cas d’atteinte illicite et intentionnelle à un droit ou à une liberté reconnus par la Charte.
[164] L’article 6 de la Charte prévoit le droit pour toute personne à la « jouissance paisible et à la libre disposition » de ses biens :
6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi. |
6. Every person has a right to the peaceful enjoyment and free disposition of his property, except to the extent provided by law. |
[165] Le juge ne se trompe pas lorsqu’il décide que, dans les circonstances de la présente affaire, les crédits d’impôt constituent des « biens » au sens de l’article 6 de la Charte. L’article 6 vise autant les biens d’une personne physique que ceux d’une personne morale[47]. Il est incontestable que les crédits d’impôt étaient dus à Enico et l’ARQ a d’ailleurs émis des avis de cotisation pour le confirmer. Que l’ARQ se soit approprié ces crédits d’impôt de la manière dont elle l’a fait enfreint l'article 6. Mais il y a plus : la saisie indue du compte bancaire d'Enico, le nombre excessif d'avis de cotisation pour des sommes exorbitantes et qui ont causé la déconfiture de l’entreprise et l'obtention même du jugement de 2013 (bien que, à cette date, les dommages d'Enico aient déjà été consommés), toutes ces manœuvres ont porté atteinte au patrimoine d'Enico et mis fin à toute perspective de reprise, dans des circonstances qui enfreignent également l'article 6 de la Charte. Ces agissements abusifs et délibérés ont en effet ruiné Enico, ce qui constitue une atteinte directe à ses biens en ce qu'ils ont directement affecté le droit de la société à la jouissance paisible de ceux-ci.
[166] L’atteinte intentionnelle a été bien définie par la Cour suprême. D’abord, dans Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Ferdinand[48] où la Cour précise qu’il ne faut pas confondre le fait de vouloir commettre un acte fautif avec celui de vouloir les conséquences de cet acte. La Cour précise ensuite ce qui suit :
121. En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.
[167] Plus récemment, dans l’arrêt Cinar, la Cour suprême a repris le même principe[49].
[168] Il y a lieu de reprendre les motifs du premier juge quant à la survenance d’une atteinte intentionnelle qu’il relie à l’abus de droit et à la connaissance des conséquences immédiates et extrêmement probables des dommages que peut subir un contribuable que l’on sait vulnérable :
[1083] Comme dans Markarian c. Marchés mondiaux CIBC Inc., en utilisant son pouvoir de procéder à l’accaparement des crédits d’impôt de la manière expliquée dans le présent jugement, RQ s’est fait justice à elle-même. Elle détenait une arme puissante et cette arme devait être exercée de manière raisonnable sans abus. Devant la connaissance que RQ avait de la fragilité du résultat du travail de la vérification, une élémentaire prudence devait être exercée. Le fait de l’accaparement et le délai durant lequel cet accaparement a duré impliquaient que RQ avait connaissance des conséquences immédiates et naturelles ou du moins extrêmement probables des dommages qui allaient être occasionnés.
[…]
[1098] Le tribunal doit aussi considérer le niveau hiérarchique d’où l’ensemble de ces décisions a été pris. Les plus hauts responsables au niveau des directions concernées ont été mis au courant de la situation. Ils ont tous agi comme s’ils avaient un pouvoir limité sur une partie du dossier et ainsi, personne ne pouvait rediriger le dossier, avec la connaissance des fautes et des conséquences de ces fautes. Cet aspect du dossier inquiète. RQ et ses dirigeants étaient pleinement au courant du dossier Énico. Il s’agissait pour eux d’un dossier qui devait être pris en charge par un responsable qui détenait le pouvoir d’intervenir rapidement.
[1099] Dans un domaine où le temps d’intervention est d’une importance fondamentale, il ne convenait pas de se rejeter la balle comme ce fut le cas dans ce dossier.
[1100] Tenant compte de la fonction dissuasive et préventive, il faut au plus haut niveau prendre en considération le fait que des centaines, voire des milliers de contribuables peuvent avoir des droits à revendiquer auprès de RQ.
[…]
[1102] Le tribunal doit aussi considérer la vulnérabilité des contribuables en cause. À partir du moment où on leur impose des avis de cotisation et projets comme dans le présent dossier, il fallait être conséquent. Si dès octobre, soit un mois après ces avis, on savait qu’ils allaient être révisés, on ne pouvait pas agir comme si on ne le savait pas. […] La vulnérabilité d’Énico et de JYA était amplement connue de RQ et a été haussée considérablement lorsque, ne se contentant pas de laisser dormir les cotisations gonflées, on a pris la décision de procéder à l’accaparement des crédits dans le contexte de révision évidente des avis. La vulnérabilité d’Énico devenait d’une évidence qu’il est difficile de nier. Cette vulnérabilité a un impact direct sur le caractère hautement prévisible du comportement adopté par RQ.
[1103] Il est anormal qu’un contribuable doive présenter des requêtes et s’adresser aux tribunaux pour obtenir l’information que RQ devait transmettre. Le fait d’agir de la sorte était totalement volontaire et les conséquences de cette façon d’agir portaient atteinte au droit d’Énico prévu aux articles 6 et 49 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, portant sur le fait que toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens.
[1104] Cette atteinte est intentionnelle dans le sens où elle dénote une volonté de garder le contribuable dans cette noirceur informationnelle, et ce, en toute connaissance des conséquences immédiates que sa conduite engendrera.
[1105] Il en est de même de tout ce qui concerne la saisie, le tribunal a analysé en détail cet aspect du dossier et tout ce qui concerne le rôle de M. Boucher lors de la proposition concordataire.
(Accentué dans l’original)
[169] Ces conclusions trouvent amplement appui dans la preuve et ne sont entachées d’aucune erreur manifeste et déterminante justifiant l’intervention de la Cour.
[170] Finalement, l’argument des appelantes voulant que certaines dispositions législatives permettent à l’ARQ de retenir les crédits d’impôt doit être rejeté. Dans la mesure où il a été décidé que l’ARQ a abusé des droits que lui confèrent les articles 31 et 31.1 Laf, elle ne peut plus prétendre que l’atteinte qui découle de cette conduite était « permise par la loi ».
[171] Les conditions d’octroi des dommages punitifs en faveur d’Enico sont donc remplies.
[172] Le juge a aussi octroyé des dommages-intérêts punitifs en faveur d’Archambault, sans trop s’en expliquer. Comme le soulignent les appelantes, les crédits d’impôt retenus par l’ARQ appartenaient à Enico. Le fait qu’Archambault ait été l’alter ego d’Enico ne lui donne pas le droit de se voir accorder des dommages-intérêts punitifs pour la violation d’un droit fondamental appartenant à son entreprise. Je propose donc une intervention à cet égard.
[173] Par ailleurs, le juge de première instance a commis une erreur de droit en condamnant solidairement les appelantes au paiement de dommages punitifs. Dans l’arrêt Cinar, la Cour suprême a établi que la Charte « ne permet pas d’attribuer des dommages-intérêts punitifs sur une base solidaire »[50]. Par ailleurs, rien ne démontre que l’appelante, procureure générale du Québec, ou l’un de ses employés a participé, de quelque façon que ce soit, aux actes que le juge attribue exclusivement à l’ARQ ou à ses employés. La condamnation aux dommages exemplaires devra donc viser uniquement l’ARQ qui, d’ailleurs, est maintenant aux droits du ministère du Revenu[51].
[174] L’article 1621 C.c.Q., énonce un principe clair : les dommages-intérêts punitifs « ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive ». Il s’agit vraisemblablement de la raison pour laquelle la Cour suprême, dans Cinar, a rappelé que les dommages punitifs doivent en principe être accordés avec retenue. Les professeurs Baudouin, Deslauriers et Moore expliquent bien l’idée qu’il existe un principe général de modération selon lequel le juge doit se tourner vers l’avenir plutôt que vers le passé, tout en reconnaissant qu’il peut arriver que la gravité de la faute fasse en sorte qu’il faille accorder une importance accrue à ce critère et accepter que des dommages importants soient accordés[52].
[175] Dans l’affaire Times[53], les juges LeBel et Cromwell établissent que le montant octroyé à titre de dommages exemplaires ne doit jamais dépasser la somme nécessaire pour remplir leur fonction préventive, tout en reconnaissant que la détermination du montant doit tenir compte de la myriade d’éléments qui peuvent constituer les circonstances de l’affaire. Les juges mettent l’accent sur le fait que la gravité de la faute constitue sans aucun doute le facteur le plus important et que le niveau de gravité s’apprécie sous deux angles : la conduite fautive de l’auteur et l’importance de l’atteinte aux droits de la victime. Ils ajoutent que plus le patrimoine du débiteur est important, plus la condamnation doit être élevée. L’étendue de la condamnation déjà prononcée doit être prise en compte, notamment le fait que les dommages compensatoires ne soient pas suffisants pour décourager la récidive[54]. Finalement, le montant octroyé doit être ajusté pour tenir compte du fait que le débiteur assume personnellement ou non l’obligation. Le juge doit aussi tenir compte de divers facteurs, tels l’identité et le profil d’une personne morale, les profits engrangés, la présence d’antécédents civils, disciplinaires et criminels et tout autre facteur considéré pertinent, dont l’impact de la faute sur le créancier de l’obligation[55].
[176] Plus récemment, dans l’affaire Savoie, notre Cour a réitéré que « la détermination du quantum de dommages punitifs est tributaire de la gravité de l’abus »[56].
[177] La quantification des dommages punitifs est donc nécessairement fondée sur un examen de l’ensemble des faits et relève, par le fait même, du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance[57]. En conséquence, une cour d’appel doit faire preuve de beaucoup de retenue avant de modifier le quantum des dommages punitifs établi par un juge de première instance[58].
[178] Dans l’arrêt Cinar, la Cour suprême a rappelé « qu’une cour d’appel ne peut modifier le montant des dommages-intérêts punitifs établi par le juge de première instance (1) qu’en présence d’une erreur de droit; ou (2) lorsque ce montant n’a pas de lien rationnel avec les objectifs de l’attribution de dommages-intérêts punitifs, soit la prévention, la dissuasion (particulière et générale) et la dénonciation »[59].
[179] En l’espèce, le premier juge a considéré que plusieurs facteurs militaient en faveur de l’octroi de dommages punitifs élevés :
Ø le nombre de fautes commises par l’ARQ;
Ø la gravité et l’importance de ces fautes;
Ø le refus illégitime de l’ARQ de fournir, en temps opportun, des explications quant à la compensation des crédits d’impôt[60];
Ø la situation patrimoniale de l’ARQ;
Ø le pouvoir économique et social de l’ARQ;
Ø le fardeau procédural supporté par les intimés;
Ø la nécessité que la condamnation ait une portée sociale et des conséquences réelles;
Ø le fait que l’ARQ « n’a rien reconnu et a fourni peu d’explications sur le comportement global envers Énico et son président »[61];
Ø le défaut de l’ARQ de tenir compte des mises en garde des intimés; et
Ø la vulnérabilité des intimés vis-à-vis des appelantes[62].
[180] Quoique chaque cas en soit un d’espèce et que la situation patrimoniale du débiteur diffère d’un dossier à l’autre, examinons quelques condamnations déjà prononcées.
[181] L’affaire Chiasson — Dans cette affaire, la demanderesse a été victime d’atteinte à sa réputation et à sa vie privée pendant plusieurs mois au cours d’émissions radiophoniques. La Cour supérieure lui a octroyé 200 000 $ à titre de dommages punitifs, lesquels ont été maintenus par la Cour[63].
[182] L’affaire Cinar — Dans cette affaire, le juge de première instance a octroyé 1 M$ à titre de dommages exemplaires à la suite de la violation du droit d’auteur du demandeur, atteinte à ses droits personnels, à son intégrité et à sa dignité concernant une œuvre lui appartenant. La Cour d’appel a réduit ce montant à 250 000 $ et la Cour suprême l’a fixé à 500 000 $.
[183] L’affaire Savoie — Dans celle-ci, il s’agit d’une poursuite-bâillon qui a été rejetée pour cause d’abus. Des dommages punitifs de 200 000 $ ont été accordés en première instance et confirmés par la Cour. La défenderesse a dû faire face à une poursuite après avoir tenu publiquement des propos qui ont déplu à un homme d’affaires propriétaire de résidences pour personnes âgées[64].
[184] L’affaire Markarian — Quant à celle-ci, il s’agit d’une action en responsabilité contre un courtier en valeurs mobilières qui, par des manœuvres mensongères et frauduleuses, a fait perdre à des clients près de 1,4 M$. Il a été décidé que son employeur a failli à son obligation de surveillance des activités de son courtier et de protection des intérêts de ses clients. Des dommages exemplaires de 1,5 M$ ont été octroyés, soit approximativement la somme que la défenderesse a tenté de s’approprier sans droit[65].
[185] L’affaire Whitten — Elle a été rendue dans une province régie par la common law. Dans cette affaire, la Cour suprême a rétabli une condamnation de 1 M$ dans un dossier où une compagnie d’assurances avait eu une conduite particulièrement répréhensible en refusant d’indemniser son assuré à la suite d’un incendie à sa résidence, exploitant ainsi sa situation de dépendance et de vulnérabilité[66].
[186] À la lumière de ces affaires, on conçoit que l’abus de droit commis par l’ARQ engendre la nécessité d’insister sur les fonctions préventive et dissuasive des dommages exemplaires. Le présent dossier se situe à un niveau semblable à ceux des affaires Cinar, Markarian et Whitten.
[187] D’un point de vue matériel, il est difficile de concevoir une faute qui conduit à des résultats plus dramatiques que ceux décrits dans ces affaires. La fermeture d’une entreprise et la déconfiture de son propriétaire sont du même ordre.
[188] À la lumière des faits du présent dossier et de la jurisprudence, j’estime que le montant octroyé dans le présent cas a un lien tout à fait rationnel avec les objectifs d’attribution des dommages-intérêts punitifs, soit la prévention, la dissuasion (particulière et générale) et la dénonciation. La somme de 1 M$ est certes élevée, mais la gravité des fautes, dont l’abus de pouvoirs exorbitants et la situation de vulnérabilité dans laquelle se retrouve Enico, justifie qu’un montant d’une telle importance soit accordé. Il n’y a donc pas matière à intervention concernant l’octroi de dommages punitifs à Enico.
[189] Le juge a utilisé son pouvoir discrétionnaire pour accorder des honoraires spéciaux de 100 000 $ en vertu de l’article 15 du Tarif des honoraires judicaires des avocats[67] qui prévoit que le tribunal peut accorder de tels honoraires dans une cause importante. Les critères et facteurs d’appréciation développés dans l’affaire Aztec[68] et repris par la Cour suprême dans l’affaire Nguyen[69] lui permettaient d’accorder de tels honoraires. Ce moyen d’appel est sans fondement.
[190] Les appelantes remettent en cause la condamnation à payer la somme de 350 000 $ à titre d’honoraires extrajudiciaires. Il convient de souligner que le premier juge a accordé cette somme, estimant être en présence de circonstances exceptionnelles et malgré le fait qu’il ait décidé que les appelantes n’ont pas abusé de leur droit d’ester en justice au sens de l’arrêt Viel[70].
[191] Archambault et Enico ont formé un appel incident. Ils estiment que le juge a erré en refusant leur réclamation 840 685 $ représentant les honoraires professionnels de comptables, avocats et autres experts encourus à la suite de la saisie et des agissements des appelantes.
[192] Le juge motive le rejet de cette réclamation par le manque de preuve et de précisions apportées à l’audience et par le fait qu’une grande partie de ces honoraires ont été engendrés à cause de la procédure civile intentée. Il ajoute que les comptes sont en partie prescrits.
[193] Le juge a coupé un peu court dans ses explications, tant sur la réclamation de 840 685 $ que sur celle de 500 000 $.
[194] Les intimés demandent à la Cour de condamner les appelantes à leur verser la somme de 840 685 $, sauf à distraire la somme de 350 000 $ déjà octroyés. Voilà bien qui démontre à quel point les deux réclamations sont interreliées.
[195] Le juge a octroyé 350 000 $ sur une réclamation de 500 000 $ représentant les honoraires d’avocats découlant des procédures d’opposition et du recours judiciaire.
[196] Force est de constater que les réclamations de 840 685 $ et de 500 000 $ concernent à la fois les honoraires de divers professionnels pour des services rendus, dont ceux des avocats, tant pour débattre des oppositions, de la saisie, des avis de cotisation et pour l’obtention d’un nouveau financement que pour intenter un procès et représenter les appelants incidents dans le cadre des présentes procédures judiciaires. Dans ce contexte et malgré une motivation pour le moins boiteuse, car la réclamation de 500 000 $ ne concernait pas que des honoraires d’avocats liés à l’action, l’octroi d’une somme de 350 000 $ sur une réclamation de 1 340 685 $ est justifié. Plusieurs des dépenses encourues l’ont été dans le but de parer aux conséquences des fautes de l’ARQ, et ce, avant même que les procédures dans le cadre de la présente action ne soient intentées. Je propose donc le maintien de la condamnation de 350 000 $ et le rejet de l’appel incident.
[197] Par ailleurs, l’appel n’est pas abusif, de telle sorte qu’aucun montant ne sera octroyé en vertu de l’article 524 C.p.c.
[198] Il convient de souligner que l’exécution partielle des paragraphes [1198], [1199] et [1209] du jugement entrepris a été ordonnée afin de permettre à Archambault d’éviter une faillite immédiate et de permettre à Enico de mandater des avocats pour occuper en appel[71], de telle sorte qu’une somme de 450 000 $ a déjà été versée aux intimés.
[199] Dans leur mémoire, les appelantes demandent à la Cour d’ordonner à Archambault de leur remettre uniquement le solde non utilisé de la somme de 450 000 $ « pour mandater des avocats en appel ». Comme je propose que les conclusions contenues aux paragraphes [1199] et [1209] soient confirmées, il ne sera pas nécessaire de rendre l’ordonnance demandée.
[200] Je propose donc d’accueillir partiellement l’appel, sans frais, vu son sort mitigé, à la seule fin de modifier les paragraphes [1198], [1199], [1210] et [1211] du jugement entrepris, afin qu’ils soient libellés ainsi :
[1198] REJETTE la réclamation de 50 000 $ du demandeur M. Jean-Yves Archambault pour dommages moraux;
[1199] CONDAMNE solidairement les parties défenderesses à payer au demandeur M. Jean-Yves Archambault la somme de 50 000 $ pour dommages non pécuniaires et REJETTE sa demande formulée en vertu de l’article 1615 du Code civil du Québec;
[1210] REJETTE la réclamation de M. Jean Yves Archambault pour l’obtention de dommages-intérêts punitifs;
[1211] CONDAMNE l’Agence du revenu du Québec à payer à Le Groupe Enico inc. la somme de 1 000 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs;
[201] Je propose aussi de rejeter les appels incidents, sans frais, vu les circonstances.
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DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A. |
[1] Groupe Énico inc. c. Agence du revenu du Québec, [2013] R.J.Q. 1781 (C.S.), 2013 QCCS 5189.
[2] Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25, correspondant maintenant à l’article 51 C.p.c., RLRQ, c. C - 25.01.
[3] Groupe Enico inc. c. Agence du revenu du Québec, [2013] R.J.Q. 1781 (C.S.), 2013 QCCS 5189 (« jugement entrepris »).
[4] Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Valentini, [2007] R.D.F.Q. 29 (C.A.), 2007 QCCA 886, paragr. 3.
[5] Ibid., paragr. 24.
[6] Loi sur les impôts, RLRQ, c. I-3.
[7] Il ajoutera à ces montants les sommes de 12 896 $ (2003), 12 896 $ (2004) et 13 256 $ (2006) pour des avantages relatifs à son automobile.
[8] Registre des interventions du Centre de perception fiscale dans le dossier de Groupe Enico inc. pour la période du 12 février 2007 au 10 mars 2008.
[9] Témoignage de Me Alain Ménard, 13 février 2013; Témoignage d’Archambault, 6 février 2013.
[10] Témoignage de Me Alain Ménard, 13 février 2013.
[11] Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), c. B-3.
[12] Avis de cotisation du 30 juin 2008, émis à la suite de corrections.
[13] Lettre et relevés de compte du 10 juillet 2008.
[14] Loi sur l’administration fiscale, RLRQ, c. A-6.002 (« Laf »).
[15] Cf. Directive de Revenu Québec portant sur la « Démarche de perception » (c. 1, 2, 3 et 4).
[16] Montambault c. Hôpital Maisonneuve-Rosemont, [2001] R.J.Q. 893 (C.A.), [2001] R.R.A. 325 (rés.), paragr. 76 et 77.
[17] R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627 (CSC), J.E. 90-576, p. 648, citée dans : R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757 (CSC), [2002] CSC 73, p. 788.
[18] Cf. Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Chenel, [2005] R.J.Q. 2292 (C.A.), 2005 QCCA 794, paragr. 26.
[19] R. c. Jarvis, précité, note 15; Knox Contracting Ltd. c. Canada, [1990] 2 R.C.S. 338, J.E. 90-1159 (CSC).
[20] R. c. McKinlay, précité, note 15, p. 648.
[21] Ibid., p. 648, principe qui est aussi repris dans R. c. Jarvis, précité, note 15.
[22] R. c. Jarvis, précité, note 15.
[23] Laf, supra, note 12, art. 38.
[24] Ibid., art. 95.1.
[25] Ibid., art. 25.
[26] Voir à titre d’illustration de ce principe : Lauriault c. Agence du revenu du Québec, 2014 QCCQ 3686, J.E. 2014-1019 (C.Q.), paragr. 30.
[28] Voir notamment : Témoignage de Starnino, 19 mars 2013.
[29] Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 651.
[30] Finney c. Barreau du Québec, [2004] 2 R.C.S. 17, 2004 CSC 36, paragr. 27.
[31] Franck Roncarelli et The Honourable Maurice Duplessis, [1959] R.C.S. 121.
[32] Loi sur la justice administrative, RLRQ, c. J-3.
[33] Ibid., art. 2-8.
[34] Finney c. Barreau du Québec, supra, note 28, paragr. 42.
[35] Archambault estime que, au fil des années, Enico obtenait généralement 95 % des montants qu’elle réclamait à titre de crédits d’impôt.
[36] Voir notamment : En liasse, avis de cotisation des crédits d’impôt RS&DE de 2006 à 2010 de Groupe Enico inc. (avis du 7 octobre 2008) (avis du 20 octobre 2008).
[37] Laf, supra, note 12, art. 31 et 31.1.
[38] Pierre Lemieux, Droit administratif Doctrine et jurisprudence, 5e éd. (revue et augmentée), Sherbrooke, Les Éditions Revue de Droit, Université de Sherbrooke, 2011, p. 728-729.
[39] Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, [2013] 3 R.C.S. 1168 (« Cinar »).
[40] Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834, p. 841.
[41] Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, J.E. 95-1495 (CSC) et Botiuk c. Toronto Free Press Publications Ltd., [1995] 3 R.C.S. 3, J.E. 95-1800 (CSC) (arrêts provenant d’autres provinces canadiennes); Au Québec, la question de la disparité de traitement dans les cas de diffamation fait l’objet de critiques : Patrice Deslauriers, « L’indemnisation résultant d’un préjudice moral », dans Collection de droit 2015-2016, École du Barreau du Québec, vol. 4, Responsabilité, p. 179.
[42] Andrews c. Grand Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229, AZ-78111098 (CSC); Thornton c. Board of School Trustees of School District No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267, AZ-78111099 (CSC); Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287, AZ-78111100 (CSC).
[43] Cinar, supra, note 37, paragr. 100-102.
[44] Daniel Gardner, L’évaluation du préjudice corporel, 3e éd., Cowansville, Éditions Y. Blais, 2009, p. 17.
[45] SNC-Lavalin inc. c. Société québécoise des infrastructures (Société immobilière du Québec), 2015 QCCA 1153, J.E. 2015-1189 (C.A.), paragr. 42; cf. N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co., [1987] 1 R.C.S. 1247, J.E. 87-796 (CSC).
[46] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 (« Charte »).
[47] Investissements Historia inc. c. Gervais Harding et Associés Design inc., 2006 QCCA 560, [2006] R.D.I. 243 (C.A.).
[48] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, J.E. 96-2256 (CSC), paragr. 117 et 121.
[50] Ibid., paragr. 120 à 132.
[51] Laf, supra, note 12, art. 93.
[52] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers & Benoît Moore, La responsabilité civile, vol. 1 : Principes généraux, 8e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, paragr. 1-394-1-396, p. 444-449.
[53] Richard c. Times inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265, paragr. 200.
[54] Ibid., paragr. 201 et 202.
[55] Ibid., paragr. 204-211.
[57] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Ferdinand, supra, note 46, paragr. 122.
[58] Richard c. Time Inc., supra, note 51, paragr. 189.
[59] Cinar, supra, note 37, paragr. 134 et Richard c. Time Inc., supra, note 51, paragr. 190.
[60] Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 1026-1032.
[61] Ibid., supra, note 1, paragr. 1114.
[62] Ibid., supra, note 1, paragr. 1107 et s.
[63] Fillion c. Chiasson, [2007] R.J.Q. 867 (C.A.), 2007 QCCA 570.
[64] Savoie c. Thériault-Martel, supra, note 54.
[65] Markarian c. Marchés mondiaux CIBC inc., [2006] R.J.Q. 2851, 2006 QCCS 3314. Règlement hors cour (C.A., 2006-07-26), 500-09-016891-061.
[66] Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595.
[67] Tarif des honoraires judiciaires des avocats, RLRQ, c. B-1, r.22 (désormais abrogé).
[68] Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Aztec Iron Corp., [1978] C.S. 266, J.E. 78-94 (C.S.).
[70] Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, [2002], R.J.Q. 1262, J.E. 2002-937 (C.A.).
[71] Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Archambault, 2014 QCCA 23, J.E. 2014-159 (C.A.).
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