Turcotte et Commission de la santé et de la sécurité du travail |
2009 QCCLP 6833 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 11 juin 2008, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête en révision ou révocation à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 30 avril 2008.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles infirme la décision rendue par la CSST, le 15 mars 2007, à la suite d’une révision administrative et déclare recevable la réclamation de monsieur Wellie Turcotte (le travailleur). Elle déclare également que le travailleur a subi une aggravation de sa maladie pulmonaire, ce qui constitue une récidive, rechute ou aggravation.
[3] L’audience sur la requête en révision ou révocation a lieu devant la Commission des lésions professionnelles à ville de Saguenay, le 17 mars 2009, en présence du travailleur, qui est assisté de son avocat et de l’avocate de la CSST.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Dépendamment des motifs retenus, la CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser ou révoquer la décision rendue le 30 avril 2008 et soit de rendre la décision qui aurait dû être rendue ou de convoquer de nouveau les parties pour une nouvelle audience portant sur le fond de la contestation du travailleur.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont tous les deux d’avis que la requête en révocation de la CSST doit être accueillie. Ils retiennent que le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et déterminante en déclarant que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation d’une maladie pulmonaire, alors qu’il devait être préalablement référé au comité des maladies professionnelles pulmonaires par la CSST, conformément à l’article 226 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] Le tribunal siégeant en révision doit déterminer s’il y a lieu de réviser ou de révoquer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 30 avril 2008.
[7] L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu’une affaire est entendue par plus d’un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l’ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] Le recours en révision et en révocation est prévu à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendue :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] Le recours en révision et en révocation s’inscrit dans le contexte de l’article 429.49 de la loi, qui prévoit qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs prévus par l’article 429.56 est établi.
[10] Dans le présent cas, la CSST invoque que la décision du premier juge administratif comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider. La notion de « vice de fond » a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles[2] comme étant une erreur manifeste, de droit ou de fait, ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.
[11] Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi.
[12] Dans l’affaire C.S.S.T. et Fontaine[3], la Cour d’appel a été appelée à se prononcer sur la notion de « vice de fond ». Elle réitère que la révision n’est pas l’occasion pour le tribunal de substituer son appréciation de la preuve à celle déjà faite par la première formation ou encore d’interpréter différemment le droit. Elle établit également que la décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. Dans l’affaire Fontaine[4], comme elle l’avait déjà fait dans la cause TAQ c. Godin[5], la Cour d’appel invite et incite la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une très grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision.
[13] Ainsi, un juge administratif saisi d'une requête en révision ne peut pas écarter la conclusion à laquelle en vient le premier juge administratif qui a rendu la décision attaquée et y substituer sa propre conclusion au motif qu'il n'apprécie pas la preuve de la même manière que celui-ci.
[14] Sans reprendre tous les éléments de preuve au dossier, il y a lieu de rapporter brièvement les faits suivants.
[15] Le 8 août 2006, le travailleur soumet une réclamation à la CSST pour faire reconnaître une maladie professionnelle. Il décrit qu’il est maintenant à la retraite et qu’en 1984, il était atteint d’une maladie appelée « poumon du fermier ». Il précise que cette maladie a progressé et que maintenant, il est obligé d’avoir de l’oxygène 24 heures sur 24. Afin de compléter sa réclamation, il remplit également un formulaire d’« Annexe à la réclamation du travailleur » sur lequel il décrit son historique d’emplois depuis 1987 et énumère les différents employeurs chez qui il a travaillé depuis ce temps.
[16] Cette réclamation est accompagnée de deux rapports médicaux du docteur Laforte datés des 8 mai et 7 août 2006 sur lesquels il retient le diagnostic de « poumon du fermier » avec fibrose et indique que le travailleur a besoin d’oxygène puisqu’il y a « désaturation » majeure à l’effort.
[17] Dans des lettres datées du 1er septembre 2006, le travailleur écrit à la CSST et lui indique qu’il n’était pas au courant qu’il avait des délais pour déposer une réclamation. Il raconte également qu’il a été hospitalisé au mois de mars 1984 et que c’est à ce moment qu’il a appris qu’il avait un « poumon du fermier ». Au début, il a eu un employé pour l’aider à faire son travail, mais il a fini par vendre sa ferme au mois de janvier 1986.
[18] Le 12 octobre 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la réclamation du travailleur pour la maladie de « poumon du fermier ». D’abord, elle retient que l’analyse de son dossier révèle qu’il était propriétaire de sa ferme et qu’il n’avait pas de protection personnelle lui permettant d’avoir droit aux prestations prévues à la loi. De plus, la CSST retient que, même s’il avait bénéficié d’une protection personnelle, sa réclamation est déposée en dehors du délai prévu à la loi. Cette décision est confirmée par la CSST, le 15 mars 2007, à la suite d’une révision administrative, pour les mêmes motifs.
[19] Le travailleur conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles. Selon la note évolutive au dossier datée du 9 mai 2007, le travailleur envoie sa contestation à la CSST au lieu de l’envoyer à la Commission des lésions professionnelles. Le 11 mai 2007, la CSST fait suivre la contestation du travailleur à la Commission des lésions professionnelles par courrier.
[20] Le travailleur et la CSST sont convoqués à une audience devant la Commission des lésions professionnelles qui se tient le 20 septembre 2007 en présence du travailleur uniquement. Selon le procès-verbal de l’audience, celle-ci n’a duré que cinq minutes.
[21] En outre, à l’audience, le premier juge administratif accorde au travailleur un délai afin qu’il produise des rapports médicaux antérieurs ainsi qu’un rapport de son médecin établissant la relation entre sa maladie et son travail. Tel que le rapporte l’avocate de la CSST dans sa requête, le premier juge administratif demande ce qui suit au travailleur :
« Compte tenu que vous allez le voir le 24 octobre, est-ce que vous pouvez demander au docteur de se prononcer, amenez-y votre dossier, de lui expliquer votre situation lorsque vous étiez fermier, le travail que vous avez fait depuis et lui demander s’il peut faire une relation entre le travail que vous avez fait depuis 1994 et l’augmentation de votre problème pulmonaire et lui demander de nous émettre un rapport et de nous envoyer ça et si le rapport est relativement concluant, il est possible qu’on vous convoque et il est possible aussi qu’on rende une décision directement sur le dossier. »
[22] Le 11 février 2008, la Commission des lésions professionnelles accuse réception des rapports médicaux envoyés par le travailleur. Il dépose un rapport médical daté du 29 avril 1996 par lequel le pneumologue Cormier retient le diagnostic de séquelle pulmonaire d’alvéolite allergique extrinsèque probable. Il dépose également un rapport médical daté du 27 septembre 2007 du pneumologue Laforte. Celui-ci relate brièvement les expériences de travail du travailleur et retient qu’il est possible que le fait d’avoir travaillé comme soudeur et dans les produits chimiques, après 1984, ait pu amener une aggravation de sa condition pulmonaire jusqu’à avoir besoin d’oxygène à l’effort minime.
[23] Dans le cadre de sa décision du 30 avril 2008, le premier juge administratif résume d’abord brièvement les différents emplois occupés par le travailleur depuis 1989. Il précise également que, en 1983, les médecins ont posé le diagnostic de « poumon du fermier » pour lequel le travailleur n’avait pas présenté de réclamation, à l’époque, puisqu’il était alors son propre employeur et qu’il n’avait pas de protection personnelle auprès de la CSST.
[24] Puis, il examine la question de la recevabilité de la réclamation du travailleur. Il retient qu’elle n’a pas été produite en dehors du délai prévu à la loi puisque le travailleur l’a déposée dès qu’il a été informé par son médecin qu’il présentait une aggravation de sa condition pulmonaire.
[25] Dans un deuxième temps, il se prononce sur la recevabilité de la contestation du travailleur à la Commission des lésions professionnelles. Il retient ce qui suit aux paragraphes [19] et [20] de sa décision :
« […]
[19] La révision administrative a rendu une décision le 15 mars 2007, décision contestée par le travailleur le 30 avril 2007, formulaire de contestation qui aurait été reçu à la Commission des lésions professionnelles le 11 mai 2007.
[20] Or, selon les notes évolutives de la CSST, la contestation aurait été reçue le 9 mai 2007. Comme il n’est pas possible de déterminer la date d’expédition de la décision de la révision administrative, ni la date de réception de cette décision par le travailleur, et que celui-ci prétend l’avoir reçue fin mars, il y a lieu de déclarer que le travailleur a valablement contesté la décision de la révision administrative.
[…] »
[26] Finalement, il se prononce comme suit sur le fond de la contestation du travailleur :
« […]
[21] Ne demeure que la question de l’aggravation de la maladie pulmonaire du travailleur.
[22] Le 29 avril 1996, le pneumologue Yvon Cormier émet un rapport de consultation dans lequel il indique :
« Il s’agit d’un patient de 58 ans qui a comme antécédents maladie poumon fermier entre 83 et 85. Il a vendu sa ferme en 85. Depuis cette date, il travaille de façon occasionnelle comme soudeur à gaz. Il a cessé de fumer il y a un an et demi. Auparavant, il fumait un paquet par jour. (…) Il consulte parce que depuis plusieurs années, il se dit dyspnéique, dyspnée qu’il grade de 2 à 3/5, constante et un essai thérapeutique avec du Flovent sans effet bénéfique.
(…) La radiographie pulmonaire est normale. La fonction respiratoire met en évidence une diminution isolée de la diffusion à 64%, le reste est dans les limites de la normale. Nous avons fait un test d’effort sur ergocycle. Le patient a fait 100% de sa valeur prédite aux dépens d’une réponse cardiaque et pulmonaire normale, mais une chute de la P02 de 82 à 64 à l’effort.
En conclusion, séquelle pulmonaire d’alvéolite allergique extrinsèque probable. J’ai expliqué au patient qu’il n’y avait aucun espoir d’améliorer sa fonction avec des médicaments et qu’il était peu handicapé malgré les séquelles résiduelles. Je lui ai conseillé de maintenir un état physique adéquat, perdre un peu de poids. »
[23] Le 27 septembre 2007, le pneumologue Mario Laforte émet un rapport de consultation dans lequel indique :
« Le patient a déjà présenté un problème de poumon du fermier en 1984 pour lequel à ce moment-là il présentait une atteinte restrictive importante. Nous l'avions revu en 2005 pour une évaluation pour un besoin en 02 à l'effort. Un test de marche de 6 minutes avait révélé que le patient désaturait à l'air ambiant à tout près de 80% avec pas ralenti et que 3 L/minute semblait suffisant pour corriger l'hypoxémie d'effort.
En relevant son dossier nous nous sommes aperçus que M. Turcotte aurait travaillé entre 1984 et 1986 dans les produits chimiques. "Il faisait des poches de produits chimiques". Par la suite, il aurait travaillé comme soudeur de 1990 à 1996 et il aurait travaillé par la suite jusqu'en 2001 à la culture des patates. Il est possible, que le fait d'avoir travaillé comme soudeur et dans les produits chimiques après 1984, ait pu amené une aggravation de sa condition pulmonaire jusqu'à avoir besoin d'oxygène à l'effort minime. »
[24] Cette preuve n’est pas contredite, la loi en matière de maladie pulmonaire précise à la section II du chapitre IV, à l’article 226, que lors d’une réclamation pour maladie pulmonaire, le dossier doit être référé dans les dix jours à un comité de maladies professionnelles pulmonaires. En effet, nous pouvons lire :
226. Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.
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1985, c. 6, a. 226.
[25] La CSST a négligé cette étape et n’a pas transféré le dossier au comité des maladies professionnelles pulmonaires, alors qu’elle avait en sa possession tous les éléments pour donner suite à la réclamation du travailleur, en respectant les dispositions de l’article 226. La CSST n’a pas fait de représentation concernant cet aspect du dossier.
[26] En vertu des dispositions de l’article 377, il y a lieu de se prononcer sur le fond du litige et de rendre la décision qui aurait dû être rendue. Cet article stipule :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
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1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[27] La preuve démontre que le travailleur est porteur de la maladie respiratoire du « poumon du fermier », qu’il a quitté sa ferme en 1985 et a occupé des emplois qui l’ont mis en présence de produits chimiques et de produits que l’on retrouve sur une ferme, poussières, semences, etc.
[28] Le docteur Mario Laforte est d’avis que ces différents emplois ont aggravé la maladie que le travailleur présente depuis 1984. Aucune autre preuve n’a été présentée à l’audience, le travailleur était porteur d’une maladie respiratoire dite « poumon du fermier », il a été mis en contact avec des produits chimiques et naturels que l’on retrouve sur une ferme, en plus d’être exposé à la fumée émanant du coupage et du soudage de métal. L’état du travailleur, au niveau respiratoire, s’est aggravé. Il y a donc lieu de faire droit à la requête du travailleur et de déclarer qu’il présente une lésion professionnelle en raison de l’aggravation de sa maladie pulmonaire respiratoire du « poumon du fermier ».
[29] Il n’est pas utile de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle procède selon la section II du chapitre IV, en raison du délai que cela occasionnera pour le travailleur. Tout ce cheminement est inutile, car le tribunal a compétence pour répondre à la question qui est devant lui et rend la décision qui aurait dû être rendue.
[…] »
[27] La CSST invoque d’abord que le premier juge administratif commet une erreur flagrante lorsqu’il se prononce sur la recevabilité de la requête du travailleur qui a été déposée à la Commission des lésions professionnelles en dehors du délai prévu à la loi. En outre, elle soutient qu’il y a absence totale de preuve au regard de la date de réception, par le travailleur, de la décision de la CSST faisant suite à la révision administrative. Pourtant, le premier juge administratif retient, dans sa décision, que le travailleur prétend avoir reçu la décision contestée à la fin mars. Or, l’avocate de la CSST indique avoir écouté l’enregistrement de l’audience et précise que le travailleur n’a jamais témoigné ni été appelé à se faire entendre sur la question du hors-délai de la requête ni, plus spécifiquement, sur la date de réception de la décision qu’il conteste.
[28] Le tribunal siégeant en révision constate que la preuve documentaire est muette sur le sujet. Par ailleurs, tel que le soutient l’avocate de la CSST, à l’écoute de l’enregistrement, il est vrai qu’aucune preuve n’a été administrée sur la question des délais. Cependant, l’écoute attentive de cet enregistrement démontre que celui-ci a manifestement été démarré alors que l’audience et le témoignage du travailleur étaient déjà commencés. Dans ces circonstances, il est impossible de vérifier l’allégation de l’avocate de la CSST qui n’était, par ailleurs, pas présente à l’audience devant le premier juge administratif.
[29] De toute façon, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision retient qu’au moins un autre motif invoqué par la CSST donne ouverture à la révision de la décision.
[30] En outre, l’avocate de la CSST invoque que le premier juge administratif s’est prononcé sur l’admissibilité d’une maladie professionnelle pulmonaire en omettant l’application de l’article 226 de la loi. Plus précisément, elle soutient qu’il commet une erreur manifeste et déterminante lorsqu’il écrit que la CSST a négligé de référer le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires. Selon elle, la CSST n’avait pas à le faire puisqu’elle avait refusé la réclamation au motif que le réclamant n’était pas un travailleur au sens de la loi et que, par ailleurs, sa réclamation avait été déposée hors délai.
[31] La CSST ne s’était, en effet, prononcée que sur la question du statut de travailleur du réclamant et sur le délai de la réclamation. À ce stade-là, elle n’avait donc pas à référer le réclamant au comité des maladies professionnelles pulmonaires, puisqu’elle ne le considérait pas comme un travailleur. Elle n’a donc pas négligé de le faire.
[32] De toute façon, même si, comme l’écrit le premier juge administratif, la CSST avait été effectivement négligente à cet égard, cela ne justifie pas d’omettre d’appliquer des dispositions de la loi.
[33] Dans le présent dossier, après avoir disposé de la recevabilité de la contestation du travailleur et de sa réclamation, le premier juge administratif invoque l’article 377 de la loi afin de se prononcer sur le fond du litige. Cependant, même si cette disposition permet à la Commission des lésions professionnelles de rendre la décision qui aurait dû être rendue, elle ne lui permet pas de le faire en contournant l’application de la loi.
[34] Or, en édictant des dispositions particulières aux maladies professionnelles pulmonaires, soit les articles 226 à 233 de la loi, le législateur a clairement voulu confier les questions relatives aux maladies pulmonaires à des spécialistes. Tel que le rappelait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Espert et Centre de Jeunesse Bas St-Laurent[6], le fait de référer le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires ne constitue pas une simple question de procédure, mais bien une question de fond dans le cadre d’une loi d’ordre public. Il s’agit d’une dérogation à la procédure d’évaluation médicale normale prévue aux articles 199 et suivants que le législateur a pris la peine de mettre sur pied parce qu’il jugeait que les questions ayant trait aux maladies pulmonaires nécessitaient une expertise particulière dans ce domaine.
[35] Ainsi, contrairement à ce qu’affirme le premier juge administratif, le fait de référer le travailleur au comité des maladies professionnelles pulmonaires ne constitue pas un « cheminement inutile », mais bien un processus impératif que le législateur a prévu.
[36] Par conséquent, en omettant de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle réfère le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires, la Commission des lésions professionnelles a commis une erreur manifeste et déterminante qui donne ouverture à la révision de la décision.
[37] La Cour supérieure a décidé en ce sens dans l’affaire Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. C.A.L.P.[7] alors qu’elle était saisie d’une question similaire à la nôtre. À l’origine, dans cette affaire, le travailleur a soumis des réclamations à la CSST pour faire reconnaître des récidives, rechutes ou aggravations d’une maladie professionnelle pulmonaire. La CSST a refusé les réclamations du travailleur au motif que ses problèmes étaient plutôt en relation avec une condition personnelle. Le Bureau de révision paritaire a infirmé cette décision et a déclaré que le travailleur était atteint d’une lésion professionnelle. L’employeur a contesté devant la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel). Il a soulevé l’irrégularité de la procédure suivie et demandé que le dossier soit retourné à la CSST afin qu’il soit acheminé au comité des maladies professionnelles pulmonaires, conformément à l’article 226 de la loi. La Commission d’appel a rejeté l’objection préliminaire de l’employeur et déclaré que la procédure retenue par la CSST était régulière.
[38] Or, la Cour supérieure a accueilli la requête en révocation de l’employeur. Elle rappelle que, face à une réclamation alléguant une maladie professionnelle pulmonaire, la CSST a l’obligation de référer le travailleur à un comité des maladies professionnelles pulmonaires. En reprenant des passages de la célèbre affaire Communauté Urbaine de Montréal c. C.A.L.P.[8], elle rappelle, en somme, que l’article 400 de la loi (qui a été remplacé par l’actuel article 377 de la loi), qui permettait à la Commission d’appel de rendre la décision qui aurait dû être rendue, ne lui permettait pas de court-circuiter le processus mis en place par le législateur. Ainsi, conclut-elle, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles ne doit pas se substituer aux fonctions des comités médicaux.
[39] Or, c’est exactement ce que fait le premier juge administratif, dans le présent cas. Il commet une erreur manifeste et déterminante lorsqu’il se prononce sur l’admissibilité de l’aggravation d’une maladie professionnelle pulmonaire, sans que le travailleur n’ait été référé au comité des maladies professionnelles pulmonaires tel que le requiert la loi. Il aurait dû retourner le dossier à la CSST afin qu’elle applique l’article 226 de la loi.
[40] Par ailleurs, la CSST invoque qu’il y a un manquement aux règles de justice naturelle en ce que le premier juge administratif a déterminé que l’aggravation de la maladie pulmonaire du travailleur est attribuable aux emplois qu’il a occupés chez différents employeurs énumérés au dossier alors que ceux-ci n’on pu faire valoir leur point de vue à cet égard. Elle soumet qu’elle peut soulever ce moyen en tant que fiduciaire du régime d’indemnisation des victimes de lésions professionnelles.
[41] Or, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision ne peut retenir cet argument. La CSST n’invoque pas qu’elle a été lésée dans son droit d’être entendue, mais bien que d’autres parties l’ont été. Il ne lui suffit pas d’alléguer qu’elle a un intérêt à le faire en tant que fiduciaire du régime, elle doit le démontrer.
[42] En outre, il y a lieu de distinguer le présent cas des affaires soumises par la CSST pour appuyer cet argument. D’abord, dans l’affaire Purolator Courrier ltée et Genfoot inc. (Kamik) et Samson[9], c’est l’employeur qui soumet la requête et invoque que son droit d’être entendu n’a pas été respecté, ce qui est très différent du présent cas.
[43] Puis, dans l’affaire Au Dragon forgé inc. et Boulay[10], la Commission des lésions professionnelles a retenu que l’omission de la part du tribunal de convoquer des employeurs constituait un manquement aux règles de justice naturelle et que ce moyen pouvait être soulevé par la CSST qui agit à titre de fiduciaire du régime.
[44] Cependant, cette décision concerne un cas très particulier, où le premier juge administratif avait rendu sa décision à partir d’admissions entre un seul employeur et le travailleur pour conclure à la survenance d’une maladie professionnelle, mais pas chez cet employeur. Or, en l’absence totale de preuve, il concluait que la maladie professionnelle était plutôt reliée au travail de bûcheron exercé par le travailleur chez d’autres employeurs, ce qui permettait à l’employeur ayant fait les admissions d’éluder tout impact financier de cette lésion. C’est dans ce contexte très particulier que la Commission des lésions professionnelles retient en obiter que la CSST pouvait, à titre de fiduciaire du régime, soulever que l’omission de convoquer ces employeurs à l’audience constituait un manquement aux règles de justice naturelle.
[45] Or, dans le présent cas, le tribunal siégeant en révision estime que ce motif invoqué par la CSST ne peut être retenu pour révoquer la décision du 30 avril 2008.
[46] Pour toutes ces raisons, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il y a lieu de réviser la décision rendue le 30 avril 2008, puisqu’elle est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider et il y a lieu de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle réfère le travailleur au comité des maladies professionnelles pulmonaires, conformément aux articles 226 à 233 de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
RÉVISE la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 30 avril 2008;
ACCUEILLE en partie la contestation de monsieur Wellie Turcotte, le travailleur;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 mars 2007, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE recevable la réclamation du travailleur;
RETOURNE le dossier à la CSST afin qu’elle réfère le travailleur au comité des maladies professionnelles pulmonaires, conformément aux articles 226 à 233 de la loi.
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Monique Lamarre |
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Me Louis Tremblay |
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Simard, Boivin, Lemieux. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Sonia Grenier |
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Panneton Lessard |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Voir notamment Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[3] [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[4] Précitée, note 3.
[5] Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).
[6] [2003] C.L.P., 764.
[7] 500-05-006308-926, 3 décembre 1992, Juge T. H. Tingley (CS); voir également Massy et Ministère du Développement des ressources humaines [1996] C.A.L.P., 801.
[8] [1989] C.A.L.P., 255
[9] 150992-62-0011, 27 mars 2003, M. Zigby.
[10] 228122-62B-0402, 10 novembre 2006, M. Carignan.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.