Fortin c. Mercier |
2013 QCCS 5890 |
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JD 2521 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT |
DE QUÉBEC |
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N° : |
200-17-017576-125 |
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DATE : |
21 novembre 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ROBERT DUFRESNE, J.C.S. |
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JEAN-FRANÇOIS FORTIN, |
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et |
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SANDRA BOLDUC, |
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Demandeurs |
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c. |
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JEAN-GUY MERCIER, |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] Les demandeurs soumettent être victimes d’un dol commis par le défendeur au moment de l’achat d’une maison. Ils demandent notamment la nullité de la vente et réclament des dommages car s’ils avaient su ce que le défendeur savait, ils n’auraient pas acheté la maison. Ils n’ont jamais consenti à acheter une maison dans de telles circonstances.
[2] Le défendeur a fait consigner au procès-verbal d’audience du 15 octobre 2013 les admissions suivantes :
9h40 |
Admissions : |
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1. Tel qu’énoncé au procès-verbal du 11 avril 2013 devant le juge Marc Paradis, le défendeur admet qu’il était informé de la survenance des évènements (pacte de suicide) survenu à l’été 2010, et ce, au moment de mettre en vente sa propriété sise au […] à Québec, vers le début de l’année 2012. |
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2. Le défendeur admet qu’il n’a pas divulgué ces informations (pacte de suicide) aux demandeurs ni avant ni au moment de conclure la vente de sa propriété sise au […] à Québec.
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[3] Le défendeur affirme qu’il n’avait pas à déclarer ces événements préalablement à la vente de la maison aux demandeurs, qu’aucune question à ce sujet ne lui a été adressée et qu’il n’avait pas à deviner que les demandeurs étaient aussi sensibles à de tels événements.
[4] Les événements dont il s’agit sont la mort violente de deux personnes à l’intérieur de la maison. Les détails macabres et imprégnés d’une grande tristesse n’ont pas ici à être énoncés. Ils sont consignés au rapport du coroner produit au dossier de la Cour.
[5] Le 1er février 2011, le défendeur acquiert la maison en l’espèce de la succession. Le prix demandé est de 224 500 $, mais l’achat est conclu au prix de 200 000 $. Cette vente est faite sans garantie légale.
[6] À l’acte d’achat du 1er février 2011[1], le défendeur se déclare marié et séparé de fait depuis mai 2010. Lors du procès, le défendeur affirme plutôt s’être séparé en juillet 2010, puis avoir repris vie commune à une date incertaine.
[7] Le défendeur affirme à procès avoir acquis cette maison pour y demeurer avec son épouse et leur enfant puisque sa maison était trop petite.
[8] Le défendeur aurait refait la maison dans son ensemble. Il aurait tout enlevé l’intérieur jusqu’à la structure puis recommencé à neuf. Il aurait consacré plus de 3 000 heures à ce travail. Il aurait de plus reçu l’aide d’un ami durant quatre mois. Il aurait également retenu les services de professionnels dans les domaines où lui-même n’était pas compétent. Il affirme avoir acheté pour 50 000 $ de matériaux qu’il a incorporés dans la maison.
[9] Avant de s’inscrire aux services des Forces armées canadiennes, le défendeur a œuvré dans le domaine de la pose de portes et fenêtres durant 12 années.
[10] En janvier 2011, le défendeur est libéré des Forces armées canadiennes. Cela du fait de sa condition médicale.
[11] Au début de l’année 2012, le défendeur met la maison en vente. Il ne l’a jamais habitée. Il se justifie à procès du fait que son salaire qu’il reçoit des Forces armées canadiennes tire à sa fin. Il a droit à deux ans de salaire à compter de sa libération de janvier 2011. Le défendeur est prioritaire sur une liste de rappel des Forces armées canadiennes.
[12] Madame Sonia Lafrance est courtier immobilier. Elle contacte le défendeur qui a mis la maison en vente sous la bannière duProprio. Quelques jours après la signature d’un mandat de courtage, Mme Lafrance reçoit un appel au sujet du double suicide survenu dans cette maison. Madame Lafrance indique alors au défendeur qu’il est nécessaire de compléter le formulaire intitulé « Déclaration du vendeur ».
[13] Ce formulaire « Déclaration du vendeur » comprend notamment la question suivante : « Y a-t-il déjà eu suicide ou mort violente dans la propriété ? » Madame Lafrance affirme que le défendeur refuse de compléter ce formulaire et de dévoiler la vérité au sujet des événements tragiques. Le défendeur affirme plutôt qu’il était insatisfait des services de Mme Lafrance, et ce, à deux égards : 1) Elle avait refusé d’assister à une visite le dimanche matin; 2) les photographies affichées de son immeuble étaient déplorables.
[14] Madame Lafrance nie que ce soit là les véritables raisons de la fin de son mandat. Elle n’avait pas à être présente lors de la visite de la maison le dimanche matin puisque les personnes intéressées étaient assistées d’un courtier professionnel. Elle n’avait pas les clés pour entrer dans la maison puisque seul le défendeur les avait. Quant à la qualité des photographies, elles ont été prises par une agence de photographes professionnels. Ainsi, pour Mme Lafrance, vu son obligation déontologique de dévoiler toute information susceptible d’influer sur la transaction et le refus du défendeur de s’y conformer, sont les véritables causes de la fin de son mandat après six jours de sa signature.
[15] Le Tribunal constate que la prétendue piètre qualité des photographies n’a pas découragé des acheteurs à visiter la maison puisqu’à l’intérieur d’un délai de six jours, il y a eu une visite. Par ailleurs, le défendeur n’a pas produit lesdites photographies pour démontrer le sérieux de son reproche. Quant à l’absence de Mme Lafrance lors de la visite du dimanche matin, le Tribunal prend acte qu’elle n’avait pas les clés de la maison. Ce reproche n’est en conséquence pas sérieux puisque le défendeur aurait pu lui même refuser cette visite. Personne n’est entré dans la maison sans son consentement.
[16] Le défendeur soulève également le fait qu’il était d’opinion que l’évaluation de Mme Lafrance de la valeur de la maison était exagérée à 345 000 $. Le Tribunal ne comprend pas davantage ce reproche puisque le mandat est signé à une valeur satisfaisante pour le défendeur, soit un peu moins de 300 000 $.
[17] Ainsi, après la fin du premier mandat confié à une agence, le défendeur affiche à nouveau la maison à vendre sous la bannière duProprio.
[18] Monsieur Beaudoin est nouvellement dans le domaine du courtage immobilier. Il cherche des mandats de courtage notamment auprès des personnes qui affichent sous la bannière duProprio. La fiche descriptive de la maison du défendeur ne fait aucune mention des événements tragiques s’y étant produits.
[19] Monsieur Beaudoin, accompagné de son mentor, M. Mingui, rencontrent le défendeur pour signer un contrat de courtage. Par réflexe, vu l’absence de divulgation sur la fiche, M. Mingui coche la case « non » à la question du formulaire « Déclaration du vendeur » relative au suicide ou à une mort violente. Le défendeur l’informe alors des faits. Il est donc ajouté de manière manuscrite au formulaire : « les propriétaires précédents se sont suicidés dans le garage »[2] Cette mention porte les initiales du défendeur.
[20] Or, cette affirmation reliée au suicide des propriétaires précédents dans le garage est fausse selon le rapport du coroner. D’ailleurs, le voisin de cette résidence, M. Robert Comeau, est témoin que c’est dans la résidence que les policiers et les ambulanciers interviennent lors de la découverte du tragique événement.
[21] Le représentant de la succession n’a pas témoigné. Il n’est pas vraisemblable qu’il ait affirmé au défendeur que les tragiques événements se soient produits dans le garage puisqu’ils se sont déroulés à l’intérieur de la maison.
[22] Le défendeur n’a fait entendre aucun témoin qui lui aurait donné cette information. Le Tribunal conclut que le défendeur a inventé ce fait afin de favoriser la vente de la maison.
[23] Lors des trois visites de la maison, M. Beaudoin indique aux visiteurs l’endroit, dans le garage, où le drame se serait produit et cela, en présence du défendeur.
[24] La durée du mandat de courtage de messieurs Beaudoin / Mingui est de trois mois. Sept appels téléphoniques sont logés à l’agence de courtage en regard de la maison. Monsieur Beaudoin constate que dès qu’il informe les personnes intéressées du tragique événement, tous sont refroidis. Seulement trois personnes désirent tout de même visiter la maison et quatre personnes coupent presque immédiatement la conversation. Il s’agit pour eux une fin de non recevoir.
[25] Messieurs Beaudoin et Mingui témoignent ainsi dans le même sens que Mme Lafrance. La question relative au suicide ou mort violente est obligatoire pour un courtier immobilier, et ce, depuis l’été 2012. Antérieurement, cette question était optionnelle bien que toute circonstance de nature à influencer la transaction devait obligatoirement être dénoncée.
[26] Pour M. Mingui, la raison est claire. Pareils événements créent une désuétude économique qui affecte l’immeuble. De nombreuses personnes ne peuvent envisager habiter une résidence témoin de pareils événements.
[27] Pour les trois courtiers immobiliers entendus, répondre à toutes les questions du formulaire « Déclaration du propriétaire » est une bonne pratique professionnelle, et ce, jusqu’à ce qu’elle ne devienne obligatoire. Madame Lafrance s’était d’ailleurs fait indiquer par son directeur d’agence qu’elle était déontologiquement dans le devoir de dévoiler l’information aux acheteurs potentiels. Cela découle de l’expérience professionnelle acquise au fil du temps par l’ensemble des courtiers immobiliers. La question du suicide ou mort violente est de nature à influencer une transaction.
[28] À l’expiration du délai de trois mois du contrat de courtage de messieurs Beaudoin / Mingui, le défendeur affiche à nouveau la maison sous la bannière duProprio.
[29] Le 15 septembre 2012, les demandeurs visitent la maison durant une heure environ. Le défendeur parle abondamment des travaux qu’il a effectués dans la maison.
[30] Les demandeurs désirent obtenir les factures pour les achats des matériaux installés dans la maison afin de bénéficier de la garantie du manufacturier. Le défendeur n’en fourni aucune. Il affirme que seules les portes et fenêtres étaient garanties et qu’il n’a pas retrouvé les factures.
[31] Pourtant, si comme le prétend le défendeur, il a tout enlevé la finition intérieure et tout refait à partir du gypse, l’ensemble des matériaux incorporés bénéficie de la garantie du manufacturier. Il s’agit ici de songer aux : couvre-planchers, luminaires, éléments de chauffage / électricité, les éléments de plomberie (douche, bain, évier, robinetterie, etc.). Les services des professionnels engagés par le défendeur font également l’objet d’une garantie.
[32] Monsieur Comeau, voisin immédiat de la maison, reconnaît le défendeur à procès. Il ignore toutefois son nom. Il a constaté que le défendeur a effectué des travaux, mais il n’a nullement affirmé l’avoir vu là quotidiennement durant une année. Pourtant, M. Comeau a rendu un témoignage franc, spontané et honnête, sans se faire prier pour fournir tous les détails qu’il connaît en regard de toutes les questions qui lui furent adressées.
[33] Le défendeur n’a, à l’égard de l’ampleur des travaux qu’il prétend avoir effectués, que peu de crédibilité. N’ayant jamais habité cette maison, il s’agit pour lui de la réalisation d’un gain en capital imposable qu’il doit déclarer aux différents ministères du revenu. Il est peu vraisemblable dans les circonstances qu’il n’ait conservé aucune facture ou qu’il ait effectué des travaux de cette ampleur.
[34] Monsieur Comeau demande au défendeur ce qu’il allait dire aux éventuels acheteurs au sujet du double suicide. Le défendeur lui affirme alors qu’il n’en dirait rien, qu’il n’a pas à parler de cela. Monsieur Comeau est surpris.
[35] C’est ainsi que lors de cette première visite, le défendeur n’a pas parlé aux demandeurs des tragiques événements. Les demandeurs ont questionné le défendeur sur l’apparent long délai depuis la mise en vente de cette belle maison toute rénovée. Le défendeur avait alors l’occasion d’en expliquer du moins la cause. Il a préféré parler du ralentissement dans l’immobilier et de la qualité des services des courtiers.
[36] Le défendeur ajoute que l’activité dans le domaine de l’immobilier reprend, et ce, notamment grâce à la bannière duProprio. Il affirme alors avoir trois offres d’achat conditionnelles, dont une sujette à une expropriation. Le défendeur indique qu’il doit donner 72 heures de délai à ces trois offrants pour qu’ils renoncent à leurs conditions ou à leur offre. Le défendeur n’a fait la preuve d’aucune offre alors sujette à conditions. Celle relative à une expropriation était abandonnée depuis avant la fin du mandat de courtage de messieurs Beaudoin / Mingui lesquels avaient obtenu cette offre de la part d’un des visiteurs.
[37] Le défendeur accepte l’offre d’achat des demandeurs en peu de temps. Le défendeur se justifie du fait que les trois offrants ont verbalement et sans hésité renoncé à leur offre d’achat conditionnelle.
[38] Lors de la visite des demandeurs, le défendeur se fait questionner sur les motifs de la vente. Il déclare alors avoir acheté cette maison pour y vivre avec sa famille. Cependant, il s’était depuis séparé et il était question de divorce. Cette maison était trop grande pour lui seul.
[39] À l’acte de vente du 19 octobre 2012, le défendeur déclare être séparé de fait depuis mars 2011. Il a acheté la maison le mois précédent. Le défendeur n’a pas expliqué autrement l’ampleur des travaux qu’il dit avoir effectués qu’en affirmant que c’était pour y vivre avec son épouse et leur enfant. La crédibilité du défendeur à cet égard est fortement affectée.
[40] Le défendeur affirme d’ailleurs être sans moyens financiers, lui qui doit, du fait de sa séparation, payer une pension alimentaire avec ses maigres revenus de 1 600 $ par mois.
[41] Les demandeurs ont une amie qui est courtier immobilier. Cette amie les conseille. Les demandeurs interrogent le défendeur au sujet du document « Déclaration du vendeur ». Sur leur document « Offre d’achat - propriété résidentielle […] »[3], se trouve la section 5 s’intitulant « Déclarations et obligations du vendeur »
5.1 DÉCLARATION : Le Vendeur déclare, à moins de stipulations contraires ci-après :
a) Il n’a connaissance d’aucun facteur se rapportant à l’immeuble susceptible, de façon significative, d’en diminuer la valeur ou les revenus ou d’augmenter les dépenses de l’immeuble, sauf (voir également le formulaire « Déclaration du vendeur ») : non
(Dernier soulignement ajouté)
[42] Le défendeur affirme qu’avec la bannière duProprio, le document contractuel « Déclaration du vendeur » n’existe pas. Toute l’information est indiquée à la fiche d’inscription.
[43] Le demandeur a trouvé, sur le site de la bannière duProprio, le formulaire « Déclaration du vendeur »[4], et ce, grâce au moteur de recherche Google. Trouvé quelque temps avant le procès, ce document porte la mention « Dernière modification : 2011-10-31 ». La question 10.4 à la page 4 se lit ainsi :
10.4 Y a-t-il eu un suicide ou une mort violente dans la propriété?
[44] Vu les dispositions des articles 2837 et suivants du Code civil du Québec et l’absence de contestation adéquate, il y a lieu d’admettre en preuve la pièce P-6.1 à titre de document technologique.
[45] À la signature, chez le notaire, le défendeur informe les demandeurs que la vente est faite sans garantie. Il explique avoir lui-même acheté cette maison sans garantie d’une succession et, n’ayant pas habité la résidence - comme ses propres vendeurs, la succession - il ne peut donner de garantie légale.
[46] Les demandeurs ne questionnent pas le défendeur sur les circonstances d’ouverture de la succession. Le défendeur n’informe pas les demandeurs du double suicide.
[47] Le défendeur n’a pas nié, lors de son témoignage, avoir menti aux demandeurs quant à l’inexistence du formulaire « Déclaration du vendeur » sous la bannière duProprio.
[48] Quelques jours après la prise de possession, la demanderesse se rend à la maison pour y poursuivre des travaux d’aménagement.
[49] La demanderesse profite de sa présence sur place pour aller chercher son courrier. Elle aperçoit son nouveau voisin, M. Comeau. Elle le salue. Dès le premier contact, M. Comeau l’interroge : « - Ça ne vous fait pas peur ? » La demanderesse n’en croit pas ses oreilles. Elle appelle son conjoint, le demandeur, en pleurs.
[50] Les émotions d’alors refont surface au procès. La demanderesse n’aurait jamais acheté cette maison si elle avait été au courant du tragique événement.
[51] Les demandeurs alors âgés de 24 ans et 28 ans, aspirent à fonder une famille. Pour eux, cette maison représente le malheur, la mort et la tristesse. Ils souhaitent fonder leur famille dans un milieu de joie et de bonheur.
[52] Les demandeurs n’ont jamais habité la maison. Ils y entreposent des meubles et autres effets personnels. Ils se sont résolus à habiter le sous-sol des parents du demandeur. De fait, il s’agit de l’appartement de la tante du demandeur qui, heureusement, passe l’hiver en Floride, mais pas l’été, alors qu’ils doivent cohabiter avec elle.
[53] Sans moyens financiers suffisants pour entretenir deux logements, la maison achetée du défendeur et un second adéquat pour y demeurer, c’est là leur seule solution.
[54] Les demandeurs ont choisi de reporter à plus tard leur projet de fonder une famille.
[55] Les demandeurs réclament du défendeur le remboursement de la somme payée de 275 000 $ pour l’achat de la maison. Ils réclament également 23 025,60 $[5] somme qu’ils ont dû débourser depuis une année, incluant notamment les droits de mutation et les frais de notaire. Ils réclament également des dommages moraux de 20 000 $ et des dommages punitifs de 10 000 $.
[56] Quant aux dommages compensatoires, le défendeur invoque l’obligation des demandeurs de les diminuer. Ils auraient ainsi dû vendre la maison et ne réclamer que la perte subie. Également, le défendeur invoque le manque de connexité avec certains postes de réclamation, tels : l’assurance-hypothèque ou les intérêts sur l’hypothèque. De plus, si la maison avait été vendue plus tôt, les dommages compensatoires auraient été réduits d’autant.
[57] Il y a lieu de reproduire ici certaines dispositions du Code civil du Québec, notamment les articles 6, 1375 et 1401 C.c.Q :
6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.
1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction.
1401. L'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.
Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence.
[58] Il est à propos de reproduire certains passages des auteurs Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin dans l’ouvrage Les obligations[6] :
2. Le dol
a) Notion
233 - Rapports entre dol et erreur - La protection de la loi contre le dol est en fait l’affirmation de la notion de bonne foi dans la conclusion et la négociation des conventions. Cependant, des siècles avant le développement de la doctrine de la bonne foi, le dol était sanctionné : le droit romain connaissait la fraus, faut-il le rappeler. La répression de la fraude est sans doute la mise en œuvre, figurant au premier rang, de toute politique de moralité et de justice contractuelle.
Le dol est le fait de provoquer volontairement une erreur dans l’esprit d’autrui pour le pousser à conclure le contrat ou à le conclure à des conditions différentes. C’est donc l’acte, l’agissement qui provoque l’erreur. Le vice de consentement reste bien toutefois l’erreur ainsi provoquée. Puisqu’il y a erreur, on peut se demander si l’erreur provoquée par le dol ne fait pas double emploi avec l’erreur simple, puisque celle-ci, provoquée ou non, a une influence sur le consentement. On sépare cependant, avec raison, l’erreur provoquée par le dol de l’erreur simple.
D’une part, la première a un caractère fautif, même délictuel et, tout en accordant l’annulation du contrat, le droit cherche aussi à sanctionner la malhonnêteté. S’il y a dol, il n’est donc pas nécessaire que l’erreur engendrée soit l’une de celles que la loi reconnaît (erreur sur l’objet de la prestation, sur la nature du contrat ou sur un élément essentiel déterminant) pour entraîner l’annulation du contrat; il suffit que le dol soit déterminant, voire incident, quel que soit son objet. Une erreur provoquée par le dol et portant sur les simples motifs ou sur la valeur économique suffit, en principe, à justifier l’annulation. D’autre part, le dol donne ouverture à un recours en dommages-intérêts dans tous les cas où un préjudice a été subi.
[…]
b) Formes de dol
i. La réticence et le silence
235 - Notion - La réticence est un dol négatif. Elle consiste à laisser le cocontractant croire une chose par erreur, sans le détromper, spécialement en ne lui dévoilant qu’une partie de la vérité. Le silence est le fait de s’abstenir de révéler au cocontractant un fait important qui changerait sa volonté de contracter. C’est une déloyauté par dissimulation. En pratique, cependant, on emploie « réticence » tantôt dans son sens propre, tantôt comme signifiant le silence. La doctrine classique enseignait autrefois que ni la simple réticence ni le silence ne pouvaient être constitutifs de dol.
[…]
237 - Réforme du Code civil - L’article 1401 du Code civil, en incluant expressément la règle que la réticence ou le simple silence peuvent constituer un dol, consacre l’évolution jurisprudentielle antérieure et introduit peut-être, dans le droit contemporain, un certain élargissement du champ classique d’admissibilité de l’erreur provoquée par le dol. Ainsi, dans certaines circonstances, un contractant doit prendre l’initiative de révéler une chose importante à l’autre partie (par exemple silence coupable sur la nature du contrat ou réticence sur le défaut de l’immeuble vendu). L’obligation d’information, au stade de la formation du contrat, est consacrée. Toutefois, fonder l’obligation de renseignement sur le silence dolosif, strictement parlant, n’est pas toujours approprié, quand le débiteur de l’obligation d’information agit sans intention malicieuse. Aussi un autre fondement, discuté plus haut, peut être mis de d’avant.
ii. Le mensonge
238 - Notion - Le mensonge est une tromperie directe et positive qui consiste à affirmer au cocontractant une chose qui n’existe pas, dans le but de le pousser à contracter. Il est constitutif de dol à condition qu’eu égard aux circonstances de la cause, il ait été sérieux et ait eu une influence déterminante sur la volonté du contractant. Ainsi en est-il du médecin qui, pour se faire consentir une cession d’immeuble moyennant une rente viagère, déclare à sa patiente qu’elle a encore de nombreuses année à vivre, alors qu’elle est en fait atteinte d’un mal incurable. De même, le vendeur qui induit l’acheteur à acquérir un commerce en le trompant sur la situation financière de l’établissement.
239 - Bon dol - Dans certains cas, la jurisprudence tolère une certaine forme de tromperie et ferme les yeux sur certains mensonges atténués, que les juristes romains appelaient le dolus bonus. C’est le cas des exagérations normal d’un vendeur vantant les qualités de sa marchandise. Il est impossible, en effet, pour la nécessité des affaires de commerce, d’aller jusqu’à protéger la naïveté des acheteurs. Si le droit pardonne donc les exagérations que le cocontractant peut soupçonner facilement, c’est toutefois à condition qu’elles ne s’accompagnent pas de moyens frauduleux ou d’affirmations susceptibles de tromper un contractant normalement prudent. Ainsi en est-il de celui qui, sur représentation d’un agent de voyage, contracte pour une croisière de luxe et se retrouve sur un navire sale, désuet et délabré, de celui qui vante trop ses mérites dans un curriculum vitae. Autrement dit, il y a dol et non bon dol lorsqu’un cocontractant normalement prudent et diligent, dans les circonstances de l’espèce, n’aurait pas pu soupçonner ou déceler la tromperie.
[…]
c) Conditions de l’annulation
i. Le dol doit être déterminant ou incident
241 - Dols principal et incident - La première condition nécessaire pour que l’erreur provoquée par le dol soit cause de nullité est qu’elle ait été déterminante (article 1401 du Code civil). La partie trompée a donc la charge de démontrer qu’elle n’aurait pas contracté si elle avait connu la vérité. Le dol qui entraîne l’adhésion du consentement au contrat est appelé dol principal; sans dol principal, la victime n’aurait pas contracté du tout. Cependant le législateur a codifié la jurisprudence et maintenant il ne fait plus aucun doute que même le dol incident constitue un vice de consentement. Le dol incident est celui qui a poussé la partie, non pas à s’engager en tant que tel, mais à s’engager à des conditions plus onéreuses que celles dans lesquelles elle l’eût fait si elle avait connu la vérité (article 1401). […]
(Soulignement ajouté)
[59] La demande adressée à la Cour ne se fonde pas sur le vice caché. L’immeuble est exempt de vice. Ce n’est pas l’immeuble qui est vicié, c’est le consentement des demandeurs. Les autorités soumises par le défendeur doivent ainsi être écartées puisqu’elles abordent la question du suicide dans une résidence sous son aspect de vice caché.
[60] Le défendeur avait-il à déclarer aux demandeurs le double suicide s’étant produit immédiatement avant qu’il n’achète lui-même la résidence de la succession ? Il faut répondre à cette question par l’affirmative. Subjectivement, il ne fait pas de doute que les demandeurs ont été, dès qu’ils ont su, fortement affectés par cette information.
[61] Sur le plan objectif, le témoignage des trois courtiers immobiliers de même que l’ensemble des autres éléments de preuve convainquent le Tribunal que cette information est de nature à influencer une transaction immobilière.
[62] Le défendeur savait pertinemment ce fait. Il a menti en tentant de situer le double suicide dans le garage. Il a mis fin au mandat de courtage de Mme Lafrance dès qu’elle a exigé de lui qu’il dénonce cette situation.
[63] Le défendeur a menti aux demandeurs en affirmant faussement que le formulaire de « Déclaration du vendeur » n’existait pas auprès de la bannière duProprio.
[64] Cette question est devenue obligatoire dans le domaine du courtage. Ceci se fonde sur la nature humaine et l’expérience de ces gens de métier.
[65] Le Tribunal conclut que cette information sur le double suicide dans la maison doit être dévoilée afin que le consentement du cocontractant soit libre et éclairé.
[66] Les dommages compensatoires tels que réclamés sont directement reliés au fait que les demandeurs ont acheté la maison du défendeur. Le défendeur ne peut ignorer qu’une institution financière exigera de ses cocontractants qu’ils souscrivent une assurance hypothèque. Le défendeur ne peut ignorer que des gens de l’âge des demandeurs n’ont d’autre choix que de recourir à un emprunt hypothécaire pour acheter une résidence au prix de 275 000 $. Les intérêts découlent directement à titre de dommages du dol commis par le défendeur.
[67] Les demandeurs réclament 20 000 $ à titre de dommages moraux. Le défendeur n’a présenté aucune défense à l’encontre de ce poste de réclamation.
[68] Depuis une année, les demandeurs vivent une situation fort difficile. Diplômés universitaires, les demandeurs ne s’attendaient pas, rendus sur le marché du travail, à devoir cohabiter dans un logement situé dans le sous-sol de la maison de l’un de leurs parents.
[69] Le Tribunal constate cependant l’évidence que le demandeur, solidaire de sa conjointe, a tout de même moins souffert des événements que sa conjointe. Cette créance n’étant pas solidaire, la condamnation ne saurait l’être. Le Tribunal accordera ainsi à la demanderesse des dommages moraux de 10 000 $ et au demandeur, de 5 000 $.
[70] Quant aux dommages punitifs, le défendeur a fait une preuve de son faible niveau de vie. Sur ce point, le défendeur souffre d’un manque de crédibilité qui découle de l’ensemble de son témoignage.
[71] Les dommages punitifs doivent répondre aux critères de l’article 1621 C.c.Q. qui stipule:
1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.
[72] CONSIDÉRANT les lacunes de la preuve du patrimoine du défendeur et de l’ampleur de la réparation à laquelle il est déjà tenu, le Tribunal n’accordera aucun montant pour cette réclamation.
[73] Pour ces motifs, le Tribunal :
[74] PRONONCE la nullité de la vente intervenue entre les parties le 19 octobre 2012 devant Me Valérie Poulin, notaire à Québec, à savoir :
DÉSIGNATION
Un immeuble connu et désigné comme étant le lot numéro […] ([…]) du CADASTRE DU QUÉBÉC, dans la circonscription foncière de Québec.
Avec bâtisse dessus construite portant le numéro […], Québec, Québec, […], circonstances et dépendances.
[75] CONDAMNE le défendeur à rembourser aux demandeurs la somme de 275 000 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. depuis le 22 novembre 2012, date de la signification de la mise en demeure, à titre de remboursement du prix de vente payé par les demandeurs pour l’achat de l’immeuble précédemment décrit, dans les trente (30) jours du présent jugement;
[76] DONNE ACTE aux demandeur de l’offre de remettre l’immeuble précédemment décrit libre de tout droit hypothécaire dans les dix (10) jours du versement par le défendeur de la somme précédemment mentionnée en capital, intérêts et frais;
[77] À DÉFAUT pour le défendeur de s’exécuter dans les trente (30) jours du présent jugement, PREND ACTE de la renonciation du défendeur à se voir restituer l’immeuble précédemment décrit;
[78] AUTORISE les demandeurs à procéder à la vente de l’immeuble précédemment décrit à sa juste valeur marchande, établie par un évaluateur professionnel aux frais du défendeur;
[79] OPÈRE compensation entre la totalité des sommes dues aux demandeurs par le défendeur en vertu du présent jugement et le produit de la vente obtenu par les demandeurs, déduction faite des frais engagés pour la mise en vente (commission de courtage, frais de notaire, etc.);
[80] CONDAMNE le défendeur à verser aux demandeurs la somme 15 000 $ à titre de dommages moraux, soit 10 000 $ à la demanderesse et 5 000 $ au demandeur;
[81] REJETTE la réclamation des demandeurs à titre de dommages punitifs;
[82] CONDAMNE le défendeur à verser aux demandeurs la somme de 23 025,60 $ à titre de dommages et de remise en état pour les frais engagés pour l’achat, l’entretien et l’amélioration de la propriété;
[83] ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement, nonobstant appel et sans caution;
[84] LE TOUT, avec les entiers dépens.
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__________________________________ ROBERT DUFRESNE, J.C.S. |
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Me Alexandre Brousseau |
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Joli-Coeur, Lacasse (casier 6) |
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Procureurs des demandeurs |
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Me Patrick R. Quessy |
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Quessy, Henry, St-Hilaire (casier 68) |
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Procureurs du défendeur |
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Date d’audience : |
15 et 16 octobre 2013 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.