Lessard et Directeur général des élections du Québec

2018 QCCFP 22

 

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER No :

1301900

 

DATE :

18 juin 2018

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Caroline Gagnon

______________________________________________________________________

 

 

COLETTE LESSARD

Partie demanderesse

 

et

 

DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU QUÉBEC

Partie défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

(Article 33, Loi sur la fonction publique RLRQ, c. F-3.1.1.)

______________________________________________________________________

 

[1]          Le 24 mai 2018, Mme Colette Lessard dépose un appel à la Commission de la fonction publique (Commission) en vertu de l’article 33 de la Loi sur la fonction publique[1] (Loi). Elle conteste un relevé provisoire imposé le 8 mai 2018 ainsi que son congédiement survenu le 14 mai 2018.

[2]          Mme Lessard est engagée à titre de vérificatrice par le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) pour un contrat à durée déterminée débutant le 5 février 2018 et se terminant le 20 juillet 2018. Ses services sont retenus conformément à l’article 497 de la Loi électorale[2], en raison d’un surcroit temporaire de travail.

 

[3]          Le 31 mai 2018, la Commission soulève d’office qu’elle ne détient pas la compétence juridictionnelle requise pour trancher l’appel puisque Mme Lessard n’a pas été nommée en vertu de la Loi. Elle demande aux parties de lui transmettre leurs commentaires à cet égard et les avise qu’elle rendra une décision sur dossier. Elle les informe également que l’appel sera pris en délibéré le 7 juin 2018, et ce, même en l’absence de commentaires de leur part.

[4]          Le 5 juin 2018, Mme Lessard soumet ses commentaires à la Commission :

Madame la juge

Je suis surprise et à la fois sous le choc de votre lettre. On m’avait dit que je devais passer par la CFP pour contester les injustices auxquelles j’ai été soumise.  Le DGEQ relève du Conseil du trésor et offre les mêmes conditions que le personnel de la fonction publique. Je  comptais donc sur la Commission pour faire valoir mes droits et réparer les torts qui m’ont été causés.

Deux personnes du DGEQ qui ne me connaissent à peu près pas se sont liguées pour m’accuser du jour au lendemain de vol, ce que je conteste catégoriquement. Ces 2 personnes, M. Yuen et Mad. Pelletier, se sont montées des scénarios tordus à mon endroit sans que j’aie eu la moindre chance de m’expliquer. Il y a eu suspension et une semaine après, congédiement. Je me retrouve donc sans emploi et privée d’un contrat qui avait toutes les chances de se prolonger pour les élections provinciales de 2018.

Vous savez mieux que moi, madame la juge, si la CFP est compétente à traiter le dossier mais chose certaine, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour laver ma réputation acquise honnêtement avec les années. Mes valeurs les plus profondes ont été attaquées, l’essence même de ma personne a été ébranlée. Je compte donc sur la Commission pour rétablir la situation.

[5]          Le 6 juin 2018, la Commission reçoit un avis de représentation de la part des avocats de Mme Lessard. Ils soumettent au même moment leurs commentaires relativement à la compétence de la Commission :

1.          L’appelante fut nommée en vertu de l’article 497 de la Loi Électorale par le Directeur général des élections du Québec (ci-après « DGE »), jugeant nécessaire sa nomination;

2.          L’article 495 de la Loi Électorale prévoit que le personnel nécessaire au DGE est nommé suivant la Loi sur la fonction publique;

3.          La nomination est un acte relevant des pouvoirs transmis au DGE par la Loi sur la fonction publique;

4.          Le pouvoir de nommer conféré au DGE par l’article 497 de la Loi Électorale n’exclut aucunement que cette nomination ne se fasse selon en appliquant la Loi sur la fonction publique;

 

5.          La forme de l’acte de nomination de l’appelante, produit comme ANNEXE 6 au soutien de son appel, présente toutes les caractéristiques d’une nomination faite en vertu de la Loi sur la fonction publique;

6.          L’appelante relevait du Conseil du Trésor pour toute question relative à ses conditions d’emploi et au paiement de son salaire;

7.          L’employeur de l’appelante s’avérait donc le Conseil du Trésor, faisant de l’appelante une fonctionnaire de l’État;

8.          La fonction de vérificatrice de l’appelante est d’ailleurs attribuable à l’article 495.1 de la Loi Électorale;

9.          Les fonctions déléguées à l’appelante par le DGE, soit celles de vérification des caisses électorales, doivent donc lui être attribuées suivant l’application de la Loi sur la fonction publique;

10.       Ainsi, même si la nomination de l’appelante s’est faite en vertu de l’article 497 de la Loi Électorale, celle-ci doit, par le truchement de l’article 495 de cette même loi, être considérée comme une fonctionnaire au sens de l’article 1 de la Loi sur la fonction publique;

11.       De plus, la CNESST semble considérer l’appelante comme une fonctionnaire, affirmant que son recours doit être fait devant la Commission;

12.       La Commission est donc compétente pour entendre le recours de l’appelante;

[Reproduction textuelle]

[6]          Le DGEQ ne transmet aucun commentaire à la Commission.

[7]          La Commission doit déterminer si elle détient la compétence juridictionnelle pour trancher un appel déposé, en vertu de l’article 33 de la Loi, par une personne dont les services ont été retenus conformément à l’article 497 de la Loi électorale.

[8]          La Commission juge qu’elle ne détient pas cette compétence.

ANALYSE

[9]          L’article 33 de la Loi prévoit qu’un fonctionnaire peut interjeter appel devant la Commission pour différents motifs, notamment en raison d’un congédiement et d’un relevé provisoire.

 

[10]        L’article 1 de la Loi précise la notion de fonctionnaire :

1. La présente loi s’applique aux personnes qui sont nommées suivant celle-ci.

[…]

Toute personne visée dans le présent article est un fonctionnaire.

[Soulignements de la Commission]

[11]        Ainsi, pour bénéficier du droit d’appel prévu à l’article 33 de la Loi, la personne doit être nommée suivant celle-ci.

[12]       Or, l’acte de nomination de Mme Lessard indique que ses services sont retenus conformément à l’article 497 de la Loi électorale, qui prévoit :

497. Le directeur général des élections peut requérir, à titre temporaire, les services de toute personne qu’il juge nécessaire et fixer sa rémunération et ses frais.

[Soulignements de la Commission]

[13]        Au DGEQ, il est possible que certains employés soient nommés suivant la Loi[3] et que d’autres soient embauchés en vertu de l’article 497 de la Loi électorale. Cette particularité peut amener une confusion quant aux recours possibles.

[14]        Les embauches en vertu de l’article 497 de la Loi électorale se distinguent des nominations faites conformément à la Loi sur différents aspects.

[15]        D’abord, le directeur général des élections peut requérir, à titre temporaire, les services de « toute personne » qu’il juge nécessaire. Cela signifie qu’il n’a pas l’obligation de recourir aux banques de personnes qualifiées pour répondre à ce besoin temporaire de main-d’œuvre, contrairement aux nominations faites en vertu de la Loi[4] pour lesquelles l’utilisation de ces banques est incontournable.

[16]        Ensuite, il est mentionné que le directeur général des élections fixe la rémunération et les frais auxquels a droit une personne embauchée conformément à l’article 497 de la Loi électorale. Il bénéficie ainsi d’une discrétion à cet égard qu’il ne détient pas pour les personnes nommées en vertu de la Loi. Pour elles, la rémunération[5] et les frais[6] octroyés sont déterminés par le cadre normatif auquel aucune dérogation n’est permise.

[17]        En considérant ces antinomies, il n’est pas possible d’assimiler, par le biais de l’article 495 de la Loi électorale, les embauches faites suivant l’article 497 de cette même loi à des nominations effectuées en vertu de la Loi.

[18]        En fait, les embauches réalisées en vertu de l’article 497 de la Loi électorale répondent spécifiquement à un besoin temporaire de main-d’œuvre qui peut être satisfait rapidement sans avoir à se soumettre aux formalités de la Loi concernant la dotation.

[19]        Le législateur a manifestement donné la possibilité au directeur général des élections d’utiliser deux voies légales pour répondre à ses besoins de main-d’œuvre. Conclure autrement retirerait toute utilité à l’article 497 de la Loi électorale. La Commission rappelle que le législateur ne parle pas pour ne rien dire.

[20]        La Commission conclut donc que Mme Lessard n’est pas assujettie à la Loi et qu’elle ne peut exercer les recours qui y sont prévus.

[21]        Par ailleurs, dans l’hypothèse où Mme Lessard avait était nommée suivant la Loi, la Commission tient à préciser qu’elle n’aurait pas davantage eu la compétence juridictionnelle pour trancher l’appel déposé.

[22]        En effet, l’article 3 de la Directive concernant les emplois occasionnels de la fonction publique[7] mentionne que l’appel en matière de congédiement[8] ne s’applique pas à un emploi occasionnel et que l’appel pour contester un relevé provisoire[9] ne s’applique pas à un emploi occasionnel sur lequel est embauché un employé occasionnel pour une durée inférieure à un an, si cette personne ne cumule pas 12 mois de service.

[23]        Conséquemment, puisque Mme Lessard a été embauchée à titre temporaire pour une durée inférieure à un an et qu’elle n’avait pas 12 mois de service continu, elle n’aurait pas pu, même si elle était considérée fonctionnaire, se prévaloir de l’appel prévu à l’article 33 de la Loi.

[24]        La Commission n’étant pas le forum approprié, Mme Lessard bénéficie d’un délai supplémentaire[10] pour déposer, s’il y a lieu, son recours auprès d’une autre instance.


 

POUR CES MOTIFS, la Commission de la fonction publique :

DÉCLARE qu’elle n’a pas compétence pour entendre l’appel de Mme Colette Lessard.

 

 

 

                                  Original signé par :

 

______________________________

Caroline Gagnon

 

Me Christopher Côté

Procureur de Mme Colette Lessard

Partie demanderesse

 

 

Me Rémi Côté-Nolette

Procureur du Directeur général des élections du Québec

Partie défenderesse

 

Date de la prise en délibéré : 7 juin 2018

 



[1]     RLRQ, c. F-3.1.1.

[2]     RLRQ, c. E-3.3.

[3]     Article 495 de la Loi électorale.

[4]     Articles 42 à 54 de la Loi sur la fonction publique.

[5]     Directive concernant l’attribution de la rémunération des fonctionnaires, C.T.211312 du 3 avril 2012 et ses modifications.

[6]     Par exemple : la Directive sur les frais remboursables lors d’un déplacement et d’autres frais inhérents, C.T.194603 du 30 mars 2000 et ses modifications.

[7]     C.T. 195279 du 13 septembre 2000 et ses modifications.

[8]     Article 33, al. 1, par. 3° de la Loi sur la fonction publique.

[9]     Article 33, al. 1, par. 5° de la Loi sur la fonction publique.

[10]    Article 2895 du Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.