COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
AM-1005-4403 |
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Cas : |
CM-2011-4527, CM-2012-1009, CM-2012-3642 et CM-2013-0187 |
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Référence : |
2013 QCCRT 0040 |
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Montréal, le |
29 janvier 2013 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
Pierre Flageole, juge administratif |
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Melissa Lemieux
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Plaignante |
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c. |
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Syndicat canadien de la fonction publique, Section locale 4512
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Intimé |
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Concordia Student Union Inc.
Mise en cause |
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DÉCISION |
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[1] Melissa Lemieux (la plaignante) est une employée de Concordia Student Union Inc. (l’employeur). Elle fait partie de l’unité de négociation détenue par Syndicat canadien de la fonction publique Section locale 4512 (le syndicat) chez l’employeur. Elle en a été élue vice-présidente le 9 février 2012.
[2] Il s’agit d’un syndicat qui groupe un petit nombre de personnes, soit plus ou moins 25 salariés, dont la plupart sont des employés à temps partiel.
[3]
Le 10 septembre 2011, la plaignante dépose une première plainte à la
Commission (cas CM-2011-4527). Cette plainte prend appui sur l’article
[4] Par cette plainte, la plaignante reproche au syndicat de ne pas avoir poursuivi le traitement d’un grief déposé en son nom afin de contester un avis administratif qui la concernait.
[5] Cet avis administratif daté du 23 mars 2011 porte la signature de la directrice générale de l’employeur, madame Michèle Dumais. En résumé, l’avis reproche à la plaignante d’avoir communiqué avec certaines personnes malgré une interdiction formelle de ce faire et lui intime l’ordre de cesser telles communications. Les trois paragraphes les plus pertinents de la mise en garde contenue dans l’avis administratif se lisent comme suit :
Until further notice, you are instructed to refrain from communicating with Counselling and Development Concordia, on behalf of the LIC or the CSU, for any reason whatsoever. Should the need to communicate with them arise in the context of your duties, you are to refer the matter to your coordinator.
Furthermore, you are instructed to generally limit the use of emails, voice mails and all other communications to anyone on behalf of the LIC and the CSU, to what is absolutely essential to carry out your responsabilities as LIC assistant, and to keep these messages short and to the point.
Additionnally, in reviewing the documents that you provided to me, in a number of rambling emails exchanges from you to a student and then from you to an employee of Counselling and Development Concordia as you intervened on his behalf, you have overstepped the limits of your mandate as the LIC assistant. It is not within your purview to intervene on behalf of any LIC client, for any reason whatsoever. Any such interventions remain the purview of the LIC Coordinator, or the law school volunteers to whom he delegates such tasks.
[6] Le 24 mars 2011, la plaignante s’adresse à monsieur Amir Al-Shoubarji, le président du syndicat à l’époque et à madame Lysa White, sa vice-présidente. Elle a préparé une longue lettre en réponse à l’avis administratif qu’elle a reçu. Elle accepte de ne pas envoyer cette lettre elle-même comme le président le lui a demandé.
[7] Quant à la possibilité de déposer un grief pour contester l’avis administratif, elle écrit : « …am leaving it up to the union to file a grievance. »
[8] Le 21 avril 2011, le syndicat dépose un grief au nom de la plaignante. Le grief indique que the employer wrongly gave an administrative notice to Melissa Lemieux et demande que the employer withdraw the administrative letter.
[9] Le syndicat abandonnera éventuellement ce grief, d’où ce premier volet de la première plainte.
[10] Monsieur Al-Shoubarji explique qu’il a pris connaissance de tous les documents que la plaignante lui a fournis et qu’après leur analyse, il était d’accord avec le contenu de l’avis administratif. Il a consulté madame Chantal Bourgeois, sa conseillère syndicale, évalué avec cette dernière les chances de succès en arbitrage et pris la décision de ne pas procéder.
[11] Toujours par cette première plainte, la plaignante mentionne qu’elle a posé sa candidature pour un poste de « student advocate », mais que sa candidature n’a pas été retenue. Elle a insisté pour que le syndicat conteste cette décision par voie de grief, ce qui fut fait.
[12] La preuve indique que le comité de sélection mis en place pour choisir parmi les candidats à un poste de « student advocate » est composé de deux représentants de l’employeur et de deux représentants du syndicat.
[13] Madame White siégeait sur ce comité de sélection et elle en a expliqué la façon de procéder. À la fin du processus, les quatre membres du comité étaient unanimes dans leur décision de ne pas retenir la candidature de la plaignante.
[14] Le syndicat a fait savoir à la plaignante que ce grief ne serait pas amené à l’arbitrage, d’où ce deuxième volet de sa première plainte.
[15] Le 29 février 2012, la plaignante dépose une seconde plainte contre le syndicat (cas CM-2012-1009), invoquant encore là un manquement de ce dernier à son devoir de représentation. Elle se plaint alors de la façon dont s’est déroulé le vote pour l’acceptation des offres patronales lors du renouvellement de la convention collective.
[16] Un premier vote, tenu le 9 février 2012, s’est soldé par une égalité de voix, sept contre sept, et la présidente du scrutin a voulu briser cette égalité en votant en faveur de l’acceptation des offres.
[17] Ayant reçu un avis indiquant que ce vote de la présidente du scrutin n’était pas valable, le syndicat est retourné en négociation, a obtenu de nouvelles concessions mineures de l’employeur et a convoqué une nouvelle assemblée de ses membres. Les offres ont été acceptées à treize votes contre deux, lors de l’assemblée générale tenue le 28 février 2012. La convention collective a par la suite été signée conformément à l’acceptation des membres.
[18] La plaignante demande à la Commission d’annuler la convention collective signée à la suite du scrutin du 28 février 2012.
[19] La conseillère syndicale, madame Bourgeois, a expliqué les raisons qui l’ont motivée à mettre de côté le vote d’acceptation des offres tenu le 9 février 2012. Elle doutait de la validité de ce vote puisque la présidente du scrutin avait ajouté sa voix afin de briser l’égalité de sept à sept.
[20] Elle a négocié quelques améliorations et tenu une deuxième assemblée où le vote a encore été en faveur de l’acceptation des offres, cette fois par une très forte majorité des membres présents.
[21] La Commission a commencé à entendre les deux premières plaintes le 20 avril 2012. Elle a fixé la suite de l’audience au 26 novembre 2012.
[22]
Entre-temps, le 19 juillet 2012, la plaignante dépose une troisième
plainte à la Commission, toujours en vertu de l’article
[23] Aussi, le 20 septembre 2012, la plaignante dépose une autre plainte contestant un avis verbal et le fait qu’elle n’ait, à nouveau, pas été choisie pour un poste de « student advocate » (cas CM-2013-0187).
[24] Étant donné qu’elle avait déjà commencé à entendre les deux premières plaintes, la Commission a décidé de ne pas joindre ces troisième et quatrième plaintes aux deux précédentes de sorte que la présente décision ne porte que sur les deux premières.
[25] Par requête déposée le 11 janvier 2012, la plaignante demandait à la Commission de l’autoriser à témoigner en anglais. Elle demandait aussi à la Commission de rendre sa décision en anglais.
[26] Dès le début de l’audience du 20 avril 2012, la Commission a demandé à la plaignante si elle voulait procéder en anglais, ce qui fut fait. La Commission a cependant avisé la plaignante que la décision serait écrite en français, mais qu’elle pourrait en obtenir une traduction en la demandant à la Commission après avoir reçu la décision en français.
[27]
Le même jour, la plaignante a demandé à la Commission de ne pas publier
son nom dans la décision. Pour les motifs énoncés par la Commission dans
l’affaire Ruscitti c. Conseillers Interinvest Corporation du Canada
ltée,
[28]
Enfin, le 21 avril 2012, le lendemain de la première journée d’audience,
la plaignante a déposé une requête intitulée « Motion for inclusion of testimony ». Elle voulait, par cette demande, être
autorisée à présenter, dans le cadre de l’audition de sa première plainte, une
preuve du harcèlement psychologique dont elle disait avoir été victime de la
part de la directrice générale. Cette question avait déjà été tranchée
verbalement par la Commission lors de l’audience du 20 avril 2012 et après avoir
entendu à nouveau les parties, la Commission a rejeté la « Motion for inclusion of testimony » au
début de l’audience du 26 novembre 2012 au motif qu’il n’était pas pertinent
d’entendre la preuve des gestes de harcèlement psychologique dont la plaignante
accusait la directrice générale pour décider du bien-fondé des plaintes en
vertu de l’article
[29] Les articles pertinents du Code se lisent comme suit :
47.2 Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.
47.3
Si un salarié qui a subi un renvoi ou une mesure disciplinaire, ou qui
croit avoir été victime de harcèlement psychologique, selon les articles
[30]
Dans la décision Barrouk c. L’Union des employés d’hôtels,
restaurants et commis de bars, local 31,
[55] Au sujet des contraventions alléguées par
les plaignants, la Cour suprême explique les quatre comportements interdits par
l’article 47.2 dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James
[56] Dans le cas de l’arbitraire et de la négligence grave, même sans intention malicieuse, les actes de l’association ne doivent pas dépasser « les limites de la discrétion raisonnablement exercée ». Au sujet de l’arbitraire, une association ne peut pas traiter une plainte d’un salarié « de façon superficielle ou inattentive ». L’association doit faire une enquête. Elle doit « examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation ». L’association jouit d’une discrétion importante au sujet de la forme et de l’intensité de ses démarches.
[57] La négligence grave comprend « [u]ne faute grossière dans le traitement d’un grief ». Cependant, l’article 47.2 n’impose pas une norme de perfection. L’analyse du comportement syndical peut tenir compte des facteurs suivants : les ressources disponibles; l’expérience et la formation des représentants syndicaux, le plus souvent des non-juristes; les priorités reliées au fonctionnement de l’unité de négociation; l’importance du grief pour le salarié; les chances de succès du grief; l’intérêt concurrent des autres salariés dans l’unité de négociation.
[31] Il n’y a pas lieu de revenir sur ces notions que la Commission applique avec constance depuis. C’est donc en fonction de ces critères que la présente décision est rendue.
[32] La plaignante considère que l’avis administratif qu’elle a reçu le 23 mars 2011 comporte des informations erronées et est susceptible de lui nuire. Elle a écrit un long projet de lettre en réponse à cet avis administratif. Par cette lettre, elle veut rétablir les faits et elle demande le retrait de l’avis administratif ou, à tout le moins, le dépôt de sa lettre dans son dossier.
[33] Le syndicat dépose un grief, mais décide de ne pas le porter à l’arbitrage.
[34] La Commission rejette la plainte de la plaignante contestant ce refus.
[35] Même s’il est vrai que l’avis administratif est susceptible de rester au dossier de la plaignante plus longtemps qu’un avis disciplinaire, elle est d’avis que le syndicat n’a pas manqué à son devoir de représentation en décidant de ne pas porter à l’arbitrage le grief qu’il avait déposé pour le contester.
[36] La Commission retient le témoignage du président du syndicat qui affirme avoir fait l’analyse de toute la documentation que la plaignante lui a fournie et avoir conclu que l’avis était bien fondé.
[37] Il a eu la prudence de consulter sa représentante syndicale au sujet des chances de succès d’un grief contestant cet avis avant de prendre la décision de ne pas le porter à l’arbitrage. Sa décision n’est ni empreinte de mauvaise foi ni discriminatoire ni arbitraire ni négligente. Au contraire, elle apparaît fort raisonnable compte tenu de la taille du syndicat et de l’enjeu en cause.
[38] La preuve indique que le comité de sélection mis en place pour choisir le ou la titulaire d’un poste de « student advocate » est composé de deux représentants de l’employeur et de deux représentants du syndicat.
[39] Madame Lysa White, vice-présidente et ensuite présidente du syndicat, siégeait sur ce comité de sélection et elle en a expliqué le fonctionnement que la Commission considère tout à fait approprié. À la fin du processus, les quatre membres du comité étaient unanimes dans leur décision de ne pas retenir la candidature de la plaignante.
[40] Le syndicat a estimé que les chances de succès en arbitrage ne justifiaient pas la démarche. Il s’agissait là d’une décision raisonnable de sa part, vu le caractère paritaire du comité et l’unanimité de la décision. La Commission rejette donc la plainte à cet égard.
[41] La plainte à ce sujet doit aussi être rejetée.
[42] La contestation de la plaignante porte en effet sur le déroulement d’un vote syndical d’acceptation des offres patronales. Il s’agit d’une question de régie interne du syndicat par opposition à une question mettant aussi en cause l’employeur et, comme la Commission en a décidé à plusieurs reprises, telle question n’est pas de son ressort.
[43]
Dans l’affaire Blair c. Syndicat des cols bleus regroupé de
Montréal (SCFP, 301),
[37] Cependant, rien ne permet de conclure que le législateur a décidé de confier à la Commission un pouvoir général de surveillance sur les affaires internes des associations, d’autant que cette compétence ne pourrait s’exercer que sur les seules associations de salariés détenant une accréditation, compte tenu du texte de l’article 47.2 alors que les autres seraient soumises à la compétence des tribunaux de droit commun.
d) La jurisprudence de la Commission
[38] C'est aussi ce qu'a déjà décidé la
Commission dans certaines décisions concernant des affaires débordant le cadre
strict de la relation entre l'employeur et ses salariés. Dans une première
affaire, Cusson c. Syndicat des employé(e)s de Soucy international
inc. (
[58] […] l'article 47.2 porte essentiellement sur la négociation, l'interprétation et l'application de la convention collective. Il n'est pas exclu qu'il puisse être invoqué dans les cas où, pour défendre les intérêts d'un salarié face à son employeur toujours, le syndicat ou le salarié lui-même opte ou se trouve dans l'obligation de s'adresser à un autre tribunal que l'arbitre, mais rien ne permet de conclure qu'il s'applique de façon générale aux rapports qu'entretient un syndicat avec ses membres.
[39] Cette décision a par la suite été suivie
dans plusieurs autres, notamment les affaires Mainville c. Section
locale 405 du syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier
(SCEP),
[44]
Plus récemment, dans l’affaire Yakobina c. Union des employés
et employées de service, section locale 800,
[11] Plus particulièrement, si les requérants
croient que la réunion n’a pas été convoquée ou tenue selon les règles internes
du Syndicat, leur recours n’est pas devant la Commission. Celle-ci a décidé à
maintes reprises que les articles
[4] La Commission a décidé que l’article
47.2 porte sur la négociation, l’interprétation et l’application de la
convention collective, qu’il ne peut être invoqué que pour un manquement de
l’association accréditée à son devoir de représentation des salariés vis-à-vis
l’employeur et qu’il ne s’applique pas aux décisions prises dans la gestion des
affaires internes du syndicat (voir Beausoleil c. Syndicat des
travailleurs(euses) du Centre d’accueil Éloria Lepage (CSN),
[45] La Commission se permet cependant d’ajouter que, dans le cas des deux votes, il y a eu majorité en faveur de l’acceptation des offres. Comment dans les circonstances pourrait-on justifier l’octroi de la demande de la plaignante d’annuler la convention collective sur laquelle les membres ont voté majoritairement deux fois plutôt qu’une, et de façon largement majoritaire lors du vote du 28 février 2012?
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE les plaintes de Melissa Lemieux dans les cas CM-2011-4527 et CM-2012-1009;
RÉSERVE sa compétence pour entendre ses deux autres plaintes (cas CM-2012-3642 et CM-2013-0187).
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__________________________________ Pierre Flageole |
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Me Laure Tastayre |
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SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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Représentante de l’intimée |
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Me Philippe-André Tessier |
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ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO S.E.N.C.R.L., L.L.P. |
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Représentant de la mise en cause |
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Date de la dernière audience : |
26 novembre 2012 |
|
/ga
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.