Mailhot et 29572773 Québec inc. (Fermée) |
2008 QCCLP 7257 |
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[1] Le 18 décembre 2007, Claude Mailhot (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 1er novembre 2007, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 10 juillet 2007 et déclare qu’il n’y a pas lieu de procéder à une correction de la base salariale servant au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu.
[3] L’audience s’est tenue le 22 septembre 2008 à Joliette en présence du travailleur qui n’était pas représenté. La compagnie 29572773 Québec inc. (l’employeur) est une entreprise fermée.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande la révision de la base salariale ayant servi au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 76 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LA PREUVE
[5] Le travailleur a subi, le 17 avril 1998, une lésion professionnelle grave lorsqu’au cours d’un braquage, il a été atteint d’une balle à la colonne vertébrale qui l’a laissé paraplégique. Il n’a jamais repris un emploi et la CSST lui verse toujours des indemnités de remplacement du revenu.
[6] La CSST a reconnu cet événement à titre d’accident du travail. Elle lui a donc versé des indemnités qui ont été calculées sur une base salariale de 35 717 $.
[7] Concernant plus spécifiquement la demande du travailleur, il témoigne qu’il a été embauché chez l’employeur qui était une entreprise d’installation de système de chauffage dans les années 1990. Il a commencé à travailler sur les chantiers de construction, mais peu à peu, il relate que l’employeur lui a octroyé des responsabilités accrues telles gérer le personnel, l’achat d’équipements, etc. C’est lors d’un déplacement pour effectuer un dépôt bancaire pour l’employeur que le travailleur a été blessé dans les circonstances qui ont été relatées plus haut.
[8] Le travailleur prétend que dès le mois de janvier 1998, soit quelques mois avant l’accident, il avait discuté avec l’employeur d’une hausse éventuelle de son salaire. À cet effet, il produit une lettre de Bernard Buongiorno datée du 9 septembre 2008, dans laquelle il est écrit ce qui suit :
M. Claude Mailhot était à notre emploi depuis 5 ans à titre de vendeur-estimateur. Il effectuait beaucoup de temps supplémentaire pour nous. Avec Monsieur, nous avions pris une entente de lui verser un montant de $350.00 net par semaine basé sur le pourcentage de ses ventes. Cette entente avait été discutée fin janvier 1998. M. Mailhot avait accepté celle-ci pour entrer en vigueur au mois de mai 1998.
Dû à l’accident que Monsieur à subit, cette entente n’a pu être concrétisée et ce dernier n’a pu touché au montant de celle-ci. (Notre soulignement)
[sic]
[9] Le travailleur a été interrogé sur les raisons pour lesquelles un délai de cinq mois avait été prévu pour l’entrée en vigueur de l’augmentation salariale. Il répond que monsieur Buongiorno a été hospitalisé au début de l’année 1998, mais il est incapable d’expliquer les raisons du délai.
[10] Également, le tribunal a pris connaissance d’une lettre datée du 26 octobre 2006, vraisemblablement adressée à la CSST par le travailleur, qui est déposée au dossier du tribunal. Le contenu de cette lettre a trait à une révision de la base salariale dans laquelle le travailleur mentionne que son employeur souhaitait augmenter son salaire. Pour appuyer ses dires, il évoque une lettre dudit employeur qui n’est toutefois pas au dossier.
[11] À l’audience, le travailleur n’a pas souhaité déposer la lettre en question. Par ailleurs, le tribunal note que la décision de la révision administrative de la CSST qui a été rendue le 1er novembre 2007 et qui fait l’objet du présent litige mentionne que la lettre en question était datée du 8 mai 2001. Il y est aussi fait mention que le travailleur serait possiblement un dirigeant associé dans l’entreprise de l’employeur et qu’il aurait un salaire pouvant dépasser 70 000 $ annuellement en plus d’autres avantages sociaux.
[12] Le travailleur a précisé à l’audience que cette lettre de l’employeur du mois de mai 2001 était destinée à appuyer un recours civil de plusieurs millions de dollars qu’il avait intenté contre l’institution financière où le braquage a eu lieu. Cette poursuite s’est réglée en 2003.
[13] Le travailleur a été interrogé sur les raisons pour lesquelles un délai de plusieurs années existe entre l’établissement de la base salariale en 1998 et sa contestation amorcée en 2006, soit huit années plus tard. Il répond que durant toutes ces années, il a consommé des médicaments contre la douleur et il a connu des problèmes dépressifs qui l’ont empêché de s’occuper de ce volet de son dossier.
[14] Toutefois, le tribunal constate que la Commission des lésions professionnelles a rendu deux décisions en 2000 et 2003 concernant des contestations du travailleur pour obtenir des mesures de réadaptation. De plus, le dossier contient une multitude de lettres qui ont été envoyées au fil des années par le travailleur à la CSST ou d’autres intervenants concernant différentes mesures de réadaptation.
[15] Dans tous les cas, le travailleur demande de reconnaître qu’il a droit à une révision de sa base salariale servant à établir l’indemnité de remplacement du revenu pour qu’elle soit augmentée d’une somme de 350 $ par semaine pour tenir compte du fait que n’eut été de sa lésion professionnelle, il aurait été en mesure de toucher cette somme.
L’AVIS DES MEMBRES
[16] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales ont un avis unanime, soit de rejeter la requête du travailleur. En effet, les circonstances particulières invoquées par le travailleur pour prétendre qu’il aurait pu gagner des revenus supérieurs résultent uniquement de la survenance de l’accident du travail. L’une des conditions prévues à l’article 76 de la loi n’est donc pas respectée.
[17] De plus, ils notent que les motifs invoqués pour avoir pris autant d’années à demander la révision de la base salariale ne sont pas sérieux. Ce fait affaiblit la crédibilité de son témoignage.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[18] Le travailleur invoque l’application de l’article 76 de la loi. Il convient donc de rapporter ce que cette disposition prévoit, soit :
[19]
76. Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières. (Notre soulignement)
Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.
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1985, c. 6, a. 76.
[20] La simple lecture de l’article 76 de la loi permet de voir que deux conditions s’y trouvent pour permettre son application :
· Le travailleur doit être incapable d’exercer son emploi pendant plus de deux ans en raison de sa lésion professionnelle
· Il doit être démontré que le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s’est manifestée sa lésion, n’eût été de circonstances particulières
[21] Concernant la première condition, le tribunal estime qu’elle est rencontrée. En effet, le travailleur est incapable d’exercer son emploi depuis bien plus que deux années. Le délai de deux ans prévu à l’article 76 de la loi n’est d’ailleurs pas un délai de réclamation. En effet, l’article 76 de la loi n’en prévoit aucun.[2]
[22] Toutefois, même en l’absence d’un tel délai, il reste que dans le présent dossier, le travailleur a pris plusieurs années avant de manifester son intention de demander une révision de sa base salariale. Les motifs qu’il allègue, telles la consommation de médicaments ou la survenance d’une dépression qui l’aurait empêché d’agir plus tôt, ne sont pas sérieux.
[23] En effet, le travailleur a été en mesure de mener à bien un recours civil de plusieurs milliers de dollars et de contester à deux reprises à la Commission des lésions professionnelles lorsqu’il a été insatisfait d’autres décisions. Ces contestations ne peuvent lui être reprochées, mais elles démontrent qu’il était capable d’agir pour faire valoir ses droits depuis plusieurs années. D’ailleurs, dès 2001, le travailleur discutait, dans le cadre du recours civil, d’un revenu hypothétique de 70 000 $. Il s’agissait donc d’un fait connu à cette époque pour lequel il n’a fait aucune démarche auprès de la CSST. Il y a donc lieu de constater un manque de diligence de la part du travailleur pour demander la révision de sa base salariale.
[24] Dans tous les cas, au-delà de cette question du délai, le tribunal considère que la deuxième condition prévue à l’article 76 de la loi n’est pas satisfaite pour les motifs suivants.
[25] En effet, selon la jurisprudence, les circonstances particulières mentionnées à l’article 76 de la loi doivent être présentes au moment de la survenance de la lésion professionnelle.[3]
[26] Dans le présent dossier, l’entrée en vigueur de l’entente était prévue postérieurement à la survenance de celle-ci. Le travailleur n’a fourni aucune explication sur les raisons d’un tel délai.
[27] Néanmoins, même en retenant que l’entente avait été conclue en janvier 1998, soit antérieurement à l’accident, les circonstances particulières auxquelles réfère le travailleur ont trait essentiellement à la survenance de la lésion professionnelle. À ce sujet, la lettre de l’employeur Buongiorno du 9 septembre 2008 est très claire : l’entente de hausse salariale n’a pu être réalisée en regard de la survenance de l’accident.
[28] Or, la jurisprudence du tribunal[4], à laquelle la soussignée concourt, a plus d’une fois indiqué que ces circonstances ne comprennent pas la survenance de la lésion professionnelle.
[29] À ce titre, le tribunal juge pertinent de rappeler quelques situations pour lesquelles la Commission des lésions professionnelles a reconnu l’existence de conditions particulières qui ont permis l’application de l’article 76 de la loi et une révision à la hausse de la base salariale.
[30] Ainsi, dans l’affaire Les Coffrages Thibodeau inc. et Beaudoin[5], un travailleur subit une lésion professionnelle alors qu’il occupe exceptionnellement un poste autre que celui qu’il occupait de manière habituelle en raison d’un manque de travail temporaire. Le tribunal a décidé dans un tel cas que la base du revenu annuel brut devait être celle de l’emploi qui avait toujours été exercé antérieurement par le travailleur.
[31] Également, dans l’affaire Chagnon et Aventure Électronique[6], le tribunal a conclu que n’eut été d’une tempête de verglas, un travailleur aurait occupé, au moment de sa lésion professionnelle, un emploi plus rémunérateur que celui qu’il occupait justement en raison de cette situation particulière.
[32] Dans le présent dossier, le travailleur n’a pas allégué et encore moins prouvé l’existence de circonstances particulières. En conséquence, sa requête doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Claude Mailhot, le travailleur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 1er novembre 2007, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’il n’y a pas lieu de retenir un revenu brut plus élevé que celui déterminé par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu.
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Luce Morissette |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Voir : Akkari et Les Entreprises Deland 2000 inc., C.L.P. 156435-62-0103, 18 juin 2001, S. Mathieu.
[3] Voir : Boudreault et Établissements de détention Québec et CSST, C.L.P. 152376-02-0012, 8 mai 2001, C. Bérubé.
[4] Provost et Roll Up Aluminium cie, C.A.L.P. 67194-05-9503, 30 janvier 1996, S. Di Pasquale (J8-01-23); Létourneau et Automobile Transport inc., C.L.P. 126297-61-9911, 26 février 2001, G. Morin; Racine et Les Couvertures Confort 2000 enr., C.L.P. 153826-64-0101, 15 juin 2001, R. Daniel; Leblanc et J.G. Boudreau Grande-Rivière inc., C.L.P. 90251-01B-9708, 28 février 2003, H. Thériault; Bédard et Hôpital général de Québec, C.L.P. 264020-31-0506, 30 novembre 2005, J.-L. Rivard.
[5] [1992] C.A.L.P. 1565 .
[6] C.L.P. 187312-71-0207, 6 février 2003, L. Couture, (02LP-178).
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