Leclerc c. Lévis (Ville de)

2016 QCCS 6328

JD 2869

 
 COUR SUPÉRIEURE

(Chambre criminelle et pénale)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-36-002235-158

 

 

 

DATE :

21 décembre 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LOUIS DIONNE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

ALBERTINE LECLERC

Défenderesse-APPELANTE

c.

VILLE DE LÉVIS

Poursuivante-INTIMÉE

Et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

Et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

          Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]          Albertine Leclerc en appelle de 14 condamnations prononcées contre elle par la juge Julie Vachon, j.c.m., le 10 septembre 2015.

[2]          Le 7 octobre 2013, l’intimée donne un constat[1] d’infraction à l’appelante pour « avoir effectué ou toléré que soient effectués des travaux de construction sans avoir obtenu le permis de construction exigé par ce type d’ouvrage », contrevenant à l’article 12 du Règlement RV-2011-11-28 sur les permis et certificats[2].

[3]          Entre le 18 mai et le 4 septembre 2014, l’intimée donne 12 constats[3] d’infraction à l’appelante pour « avoir exercé ou toléré que soit exécuté un usage non autorisé dans la zone A2940, soit le parachutisme ou le Centre de formation en parachutisme », contrevenant à l’article 15 du Règlement RV-2011-11-23 sur le zonage et le lotissement[4].

[4]          Le 9 juin 2014, l’intimée donne un constat[5] d’infraction à l’appelante pour « avoir laissé ou toléré que soit laissée une accumulation non nivelée de terre, de sable, de gravier, de cailloux ou de pierres ou un espace où le sol a été remanié sans le niveler », contrevenant à l’article 7(12) du Règlement RV-2010-09-41 sur les nuisances, la paix, le bon ordre, le bon gouvernement, le bien-être général, la sécurité et les animaux[6].

[5]          L’audition s’est déroulée en cour municipale de Lévis les 30 avril, 1er, 15, 22 et 28 mai 2015.

[6]          Le 20 octobre 2015 avaient lieu les représentations sur la peine.

[7]          Le 19 janvier 2015, la juge Vachon rendait sa décision sur la peine et condamnait l’appelante à une amende de 500 $, plus les frais, sur chacun des constats d’infraction.

 

CONTEXTE

[8]          La juge de première instance résume bien la preuve aux paragraphes 15 à 92 de son jugement. Voici ce que le Tribunal en retient pour l’essentiel.

[9]          Albertine Leclerc est propriétaire des trois lots[7] concernés par les infractions sur lesquels est exploité un aérodrome privé.

[10]        Ces trois lots font partie d’un immeuble dont l’adresse civique est le 438, chemin Ville-Marie, à Pintendre (ville de Lévis).

[11]        La zone occupée par les trois lots est identifiée comme étant la zone A2940 qui correspond à une zone de type agricole.

[12]        L’appelante est devenue propriétaire desdits lots pour en avoir hérité de son époux, Wilfrid Bernier, décédé le 23 septembre 2009. Monsieur Bernier était devenu propriétaire de ces lots pour une partie, le 11 décembre 1962, et pour l’autre partie, le 12 juillet 1973.

[13]        De 1972 à 1975, monsieur Bernier a construit une piste d’atterrissage sur ces lots ainsi que deux ou trois stationnements pour avions. En 2008, un hangar en toile (dôme 1) de 50 pieds X 84 pieds, pouvant contenir six avions, est construit. Selon l’inspecteur en bâtiment Gourde, l’aérodrome bénéficie de droits acquis.

[14]        En septembre 2011, selon Jacques Bernier, fils de l’appelante, ParaQuébec effectue des tests de sauts. Un lac artificiel (« swoop pond »), utilisé pour la pratique du parachutisme, est alors aménagé.

[15]        À l’hiver 2011, monsieur Bernier effectue des démarches auprès de Transports Canada afin que son aérodrome puisse être inclus dans la publication Canada Flight Supplement (CFS) de NAV Canada, un recueil accessible à tous les pilotes dans lequel on présente les aérodromes. Les zones de largage pour les parachutistes y sont entre autres indiquées.

[16]        Le 16 avril 2012, un bail[8] est conclu entre madame Leclerc et 9249-2552 Québec inc. La compagnie loue les lots 2 295 997 et 2 059 681 dans le but d’y opérer un centre de parachutisme et, par extension, tout ce qui y est accessoire. Le bail comporte l’autorisation d’utiliser la piste de décollage et d’atterrissage. Il prévoit la possibilité pour les parachutistes, en cas d’impossibilité d’atterrir sur les lots décrits (overshoot), de le faire sur un lot adjacent. Le bail prévoit en outre que le locataire pourra aménager un dôme de 50 pieds X 85 pieds (dôme 2), agrandir la piste d’atterrissage, drainer et niveler les lieux et aménager toute aire de repos ainsi qu’un « swoop pond ».

[17]        En 2012, la saison de parachutisme a cours sur les lieux loués de l’appelante.

[18]        En 2013, Jacques et Benoit Bernier, accompagnés de représentants de 9249-2552 Québec inc. et ParaQuébec inc., rencontrent l’inspecteur Dion et monsieur Therrien du Service de l’urbanisme de la Ville de Lévis. On les informe alors qu’aucun permis n’est requis pour la construction du dôme 2 puisque l’aérodrome est de juridiction fédérale, mais qu’ils doivent se conformer aux normes de construction propres à ce type de bâtiment.

[19]        En août 2013, Jacques Bernier remet à monsieur Therrien une copie des plans du dôme 2. Les travaux débutent ensuite.

[20]        En mai 2013, l’aérodrome de Pintendre apparaît dans le CFS pour la première fois sous le descriptif CPT9.

[21]        Le 16 septembre 2013, la Commission de protection du territoire agricole (ci-après CPTA) adresse un préavis, en vertu de l’article 14.1 - Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles[9] (ci-après LPTAA) à l’appelante et à Patrick Coupal, président de ParaQuébec inc., les informant qu’ils agissent en contravention de la LPTAA en exploitant une école de parachutisme et des activités de camping sur le lot 2 295 998.

[22]        Le 30 septembre 2013, un avis d’infractions[10] est signifié à l’appelante lui mentionnant que l’activité de parachutisme ainsi que l’usage de type « centre de formation en parachutisme » sont prohibés sur le lot 2 295 998. La Ville exige donc la cessation des travaux et des activités prohibées.

[23]        Les 4 et 7 octobre 2013, malgré l’avis d’infractions du 3 octobre, l’intimée constate que les travaux du dôme 2 progressent.

[24]        Le 7 octobre 2013, un constat d’infraction est remis considérant que les travaux de construction dudit dôme sont toujours en cours sur le lot 2 059 681 et que ce dernier est destiné, selon l’intimée, au centre de parachutisme.

[25]        Le 8 octobre 2013, Bastien Bernier, le fils de l’appelante, répond à l’intimée par lettre que leur famille bénéficie de droits acquis puisqu’ils résident depuis plus de 50 ans à cet endroit et que la législation en urbanisme ne s’applique que depuis 1980[11]. Il ajoute qu’il s’agit d’un terrain de juridiction fédérale, puisqu’une piste d’atterrissage y est située, sur laquelle il peut construire des hangars sans détenir de permis.

[26]        Le même jour, les travaux se poursuivent. La construction du dôme 2 sera complétée alors que l’intimée n’aura jamais reçu de demande de permis de l’appelante.

[27]        Sur le lot 2 295 997, on retrouve un petit lac (« swoop pond ») servant à effectuer des figures de style en parachute, et sur le lot 2 295 998, un espace de stationnement et une piste de décollage et d’atterrissage[12].

[28]        Le 3 avril 2014, l’intimée adresse une lettre à Patrick Coupal, actionnaire et administrateur de 9249-2552 Québec inc. et président de ParaQuébec inc., l’informant que le projet d’exploiter un centre de formation en parachutisme et d’offrir des activités de parachutisme à partir de l’aérodrome de Pintendre, à Lévis, va à l’encontre de la réglementation municipale puisqu’il s’agit d’usages prohibés. L’intimée y ajoute que depuis plusieurs années, elle reçoit de nombreuses plaintes relativement aux installations et activités qui s’y déroulent[13].

[29]        Le 12 mai 2014, une ordonnance de la CPTA[14] enjoint à l’appelante et à ParaQuébec inc. de cesser toute utilisation du lot 2 295 998 à des fins autres que  l’agriculture, soit d’y cesser les activités de parachutisme et d’école de parachutisme. C’est en ces termes que la Commission considère être en droit d’exercer sa compétence, indépendamment de la compétence fédérale en matière d’aéronautique :

[13]       Il est indéniable que l’aéronautique est de compétences fédérales, la question en litige est plutôt d’établir, si une école de parachutisme est une activité qui fait partie intégrante de l’aviation. La Commission est d’avis que non. Il ressort de la circulaire CI 300-009 que les quatre activités pouvant se dérouler sur un aérodrome sont les suivantes : l’arrivée d’un aéronef, le départ d’un aéronef, la circulation des aéronefs et l’entretien courant des aéronefs.  Conclusion, bien que le parachutisme nécessite l’utilisation d’un aéronef, cela ne fait pas en sorte qu’il s’agisse ici d’aviation.

[30]        Le 16 mai 2014, l’intimée visite les lieux, en présence de Jacques Bernier. Le dôme 1 contient deux ou trois avions, alors que trois ou quatre avions se retrouvent à l’extérieur. Dans le dôme 2, il reste un peu de finition intérieure à parfaire. Ce dernier comporte trois grandes portes permettant d’accueillir les avions pour l’entreposage hivernal. Il présente une structure rigide. On y retrouve un comptoir de paiement, un espace dévolu au pliage des parachutes, un espace de formation ainsi qu’un local de repos et un bureau. Une pancarte au sol présente les inscriptions « Centre de formation en parachutisme, ParaQc.com ». On peut y observer des équipements servant au parachutisme, vêtements et voilures[15].

[31]        Le 18 mai 2014, l’intimée documente pour la première fois les activités exercées sur les lots concernés. Des photographies des aéronefs en vol, la descente de parachutistes, leur arrivée au sol, de même que l’atterrissage des aéronefs sont prises[16].

[32]        Les 25 mai, 1er, 15, 19 et 27 juin 2014, des activités de parachutisme sur les lieux sont aussi documentées[17].

[33]        Les mêmes activités se poursuivent les 5, 17, 24 juillet et 4 août 2014[18].

[34]        Des activités de parachutisme se poursuivent également les 29 août et 4 septembre 2014[19].

[35]        Le 17 février 2015, la CPTA, dans une nouvelle ordonnance[20] adressée à l’appelante et à ParaQuébec inc., enjoint à ces derniers de cesser les activités d’école de parachutisme sur les lots 2 059 681, 2 295 997 et 2 295 998. La Commission renouvelle la légitimité de son intervention malgré la compétence fédérale en aéronautique ainsi :

[13]       Comme la Commission l'a déjà mentionné dans son ordonnance du 12 mai 2014, l'aéronautique est de compétence fédérale en vertu de la Loi sur l'aéronautique. La question en litige est plutôt d'établir, si en l'espèce l'application de la LPTAA entrave l'exercice de cette compétence fédérale. La Commission est d'avis que non.

[14]       La LPTAA est avant tout une loi de zonage qui interdit, à moins de détenir un droit acquis ou une autorisation, toutes activités autres que l'agriculture en zone agricole. Selon les arrêts de la Cour suprême du Canada, tant qu'elles n'entravent pas le cœur de la compétence fédérale, les lois provinciales s'appliquent aux activités de Paraquébec inc.

[15]       Restreindre les activités d'enseignement de l'intimée Paraquébec inc. qui peuvent s'exercer ailleurs qu'en zone agricole ou en zone agricole par suite d'une autorisation de la Commission ne constitue pas une entrave à l'exercice de la compétence fédérale.

[16]       Malgré les prétentions des intimées, la Commission ne peut en venir à la conclusion que l'enseignement et les accessoires précédemment nommés sont vitaux et essentiels aux activités de Paraquébec inc.

[36]        Selon l’intimée, la zone territoriale occupée par les trois lots visés est identifiée comme étant la zone A2940. Suivant la Grille des spécifications annexée à la réglementation RV-2011-11-23, les usages autorisés sont, dans cette zone, de la catégorie A1, agriculture sans élevage, et A2, agriculture avec élevage, à l’exclusion de l’élevage contraignant.

[37]        Toujours selon l’intimée, le classement des usages reliés à l’activité du parachutisme et à la formation en parachutisme doit s’effectuer par similitude, ainsi le parachutisme doit être classé parmi le groupe L4, dit « activité sportive extérieure avec contrainte », alors que le centre de formation en parachutisme doit, lui, être classé sous le groupe C112, soit « commerce au détail et service sans contrainte et sans entreposage extérieur ». C’est dire que les groupes d’usages exercés sur les lots de l’appelante ne correspondent pas aux usages permis dans la zone A2940 visée par les infractions en litige.

[38]        En ce qui concerne l’accumulation de terre non nivelée, c’est le 9 juin 2014 que l’intimée en fait le constat[21]. Jacques Bernier mentionne que le matériel provient d’un nouveau développement résidentiel. Il explique que la terre ne pouvait pas être étendue avant que l’eau accumulée ne se retire, elle est donc restée sur place jusqu’à la fin juillet et devait servir, entre autres, à la réalisation du stationnement[22].

 

QUESTIONS EN LITIGE

[39]        L’appelante bénéficiait-elle de droits acquis déjà à l’automne 2011 pour la pratique du parachutisme et la présence d’un centre de formation en parachutisme sur ces terrains?

[40]        Y a-t-il lieu d’acquitter l’appelante de l’infraction de nuisance du 9 juin 2014 au motif qu’il y aurait absence de preuve relative à la durée de l’infraction ou parce que l’exception prévue au règlement s’applique?

[41]        La juge de première instance a-t-elle erré en concluant que la doctrine de l’exclusivité des compétences ne permettait pas de rendre constitutionnellement inapplicables à l’appelante les dispositions réglementaires en litige?

 

PRÉTENTIONS DES PARTIES

[42]        L’appelante prétend que la juge de première instance a erré en fait et en droit en concluant à l’absence de droits acquis en sa faveur lui permettant d’utiliser son immeuble afin d’y opérer ou d’y tolérer des activités de parachutisme et un centre de formation en parachutisme.

[43]        Elle prétend également que la juge de première instance a erré en droit en concluant que l’avis de motion donné par l’intimée, le 12 décembre 2011, concernant l’adoption ultérieure de son Règlement sur le zonage, a eu pour effet de geler les usages en cours sur sa propriété.

[44]        L’appelante soutient que la juge de première instance a erré en droit en concluant que l’intimée a prouvé qu’en date de l’infraction, elle avait laissé ou toléré que soit laissée une accumulation de terre un certain temps.

[45]        L’appelante est également d’avis que la juge de première instance a erré en droit de façon manifeste et déterminante en n’appliquant pas la doctrine de l’exclusivité des compétences aux activités aéronautiques se déroulant sur sa propriété et en ne déclarant pas inapplicables les dispositions réglementaires en cause[23].

[46]        L’intimée prétend que la juge de première instance n’a pas fait d’erreur en appréciant la preuve quant à la date du début des activités de parachutisme et de centre de formation en parachutisme (mai 2012) ou en interprétant l’article 114 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[24] (LAU) voulant que l’avis de motion, du 12 décembre 2011, a eu pour effet de « geler » les usages.

[47]        Quant aux moyens d’appel constitutionnels, l’intimée plaide que le raisonnement juridique de la juge de première instance dans son application de la doctrine de l’exclusivité des compétences est irréprochable et s’en remet au mémoire déposé par la Procureure générale du Québec.

[48]        La Procureure générale du Québec prétend que les dispositions réglementaires en litige sont constitutionnellement applicables dans la mesure où, au regard de la jurisprudence et des faits, elles n’ont pas pour effet d’entraver un aspect vital et essentiel, ou le cœur de la compétence fédérale sur l’aéronautique dans ce qui constitue sa spécificité fédérale.

[49]        Le Procureur général du Canada est d’avis que la conclusion de la juge de première instance voulant que le parachutisme ne serait pas une activité au cœur de la compétence fédérale exclusive en aéronautique est erronée. Il soutient qu’aux termes de la doctrine de l’exclusivité des compétences, la réglementation municipale en litige[25] entrave l’activité aéronautique et est constitutionnellement inapplicable.

 

L’APPEL

[50]        C’est l’article 286 C.p.p. qui doit guider le Tribunal siégeant en appel dans la présente affaire.

[51]        L’article 286 C.p.p. se lit comme suit :

Le juge accueille l’appel sur dossier s’il est convaincu par l’appelant que le jugement rendu en première instance est déraisonnable eu égard à la preuve, qu’une erreur de droit a été commise ou que justice n’a pas été rendue.

[...]

[52]        Le Tribunal ne doit donc pas procéder à la réévaluation de la preuve entendue en première instance pour y substituer sa propre évaluation considérant qu’il doit faire preuve de déférence sur les questions reliées à l’évaluation de la preuve et n’intervenir seulement qu’en présence d’une erreur manifeste et dominante rendant le jugement déraisonnable.

 

ANALYSE ET DISCUSSION

1.   Les moyens d’appel non constitutionnels

[53]        Ces moyens d’appel visent les deux premières questions en litige :

1)    L’appelante bénéficiait-elle des droits acquis déjà à l’automne 2011 pour la pratique du parachutisme et la présence d’un centre de formation en parachutisme sur ces terrains?

2)    Y a-t-il lieu d’acquitter l’appelante de l’infraction de nuisance du 9 juin 2014 au motif qu’il y aurait absence de preuve relative à la durée de l’infraction ou parce que l’exception prévue au règlement s’applique?

            a)    Les infractions de zonage pour usage non conforme

[54]        L’appelante plaide que la juge de première instance a erré en droit en concluant que l’avis de motion du 12 décembre 2011 concernant l’adoption ultérieure du Règlement sur le zonage a « gelé » les usages en cours sur sa propriété et n’en permettant ainsi pas d’autres.

[55]        L’article 114 LAU énonce que :

114.  Lorsqu'un avis de motion a été donné en vue d'adopter ou de modifier un règlement de zonage, aucun plan de construction ne peut être approuvé ni aucun permis ou certificat accordé pour l'exécution de travaux ou l'utilisation d'un immeuble qui, advenant l'adoption du règlement faisant l'objet de l'avis de motion, seront prohibés dans la zone concernée.

Le premier alinéa cesse d'être applicable aux travaux ou à l'utilisation en question le jour qui suit de deux mois la présentation de l'avis de motion si le règlement n'est pas adopté à cette date ou, dans le cas contraire, le jour qui suit de quatre mois celui de son adoption s'il n'est pas en vigueur à cette date.

Toutefois, lorsque, dans les deux mois qui suivent la présentation de l'avis de motion, le règlement de modification fait l'objet, en vertu de l'article 128, d'un second projet de règlement, le premier alinéa cesse d'être applicable aux travaux ou à l'utilisation en question le jour qui suit de quatre mois la présentation de l'avis de motion si le règlement n'est pas adopté à cette date ou, dans le cas contraire, le jour qui suit de quatre mois celui de son adoption s'il n'est pas en vigueur à cette date.

[56]        Le Tribunal est d’avis que cet article ne trouve pas application en l’espèce puisque son premier alinéa ne peut être opposé à l’appelante après le 19 avril 2012 considérant que l’avis de motion de l’intimée, donné le 12 décembre 2011, est adopté sept jours plus tard, soit le 19 décembre 2011, alors que ledit règlement[26] n’est pas entré en vigueur le jour qui suit de quatre mois celui de son adoption, soit le 19 avril 2012, mais plutôt le 26 juin 2012.

[57]        C’est dire que la juge de première instance fait ici erreur lorsqu’elle affirme que l’avis de motion a eu pour effet, le 12 décembre 2011, de « geler » les usages[27]. Il faut donc maintenant déterminer si l’appelante bénéficiait de droits acquis en 2011 pour l’activité de parachutisme et son centre de formation.

[58]        L’appelante prétend qu’elle devrait être acquittée des 12 constats d’infraction lui reprochant d’avoir exercé ou toléré des activités de parachutisme et de centre de formation en parachutisme puisque, selon elle, lors de l’entrée en vigueur du Règlement sur le zonage de l’intimée, le 26 juin 2012, sa propriété bénéficiait déjà, depuis l’automne 2011, de droits acquis pour les opérations d’un centre de parachutisme.

[59]        D’entrée de jeu, la juge de première instance mentionne qu’elle doit déterminer à quel moment ont débuté les activités de parachutisme et de formation[28]. Pour ce faire, elle retient que le dôme 1 a été construit en 2008 avec l’autorisation de la Ville pour de l’entreposage et la réparation d’avions, que l’instructeur Hallé confirme avoir commencé à exercer ses fonctions à temps partiel en 2012, que le bail intervenu entre 9249-2552 Québec inc. et l’appelante fut conclu en avril 2012, que la première entente avec le centre régional de Montréal et ParaQuébec régissant la zone de largage fut établie en mai 2012, qu’une communication des procureurs de ParaQuébec, en date du 1er mai 2012, confirme à l’intimée que l’aérodrome de l’appelante sera utilisé pour des activités de parachutisme à compter du début du mois de mai 2012 et que ParaQuébec inc. ne fut immatriculée que le 16 novembre 2011.

[60]        Abordant le témoignage de Jacques Bernier, elle retient ceci[29] :

M. Jacques Bernier évoque que des tests furent effectués par ParaQuébec inc. en septembre 2011. [...]

[61]        Finalement, sur cette question, elle conclut comme suit[30] :

Incidemment, les activités de parachutisme et de formation n’ont débuté dans leur forme commerciale qu’au mois de mai 2012. On se situe donc avant l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation mais après l’avis de motion et l’adoption du règlement.

[62]        Le Règlement sur le zonage[31] de l’intimée a fait l’objet d’un avis de motion donné le 12 décembre 2011. Il a été adopté le 19 décembre 2011 et est entré en vigueur le 26 juin 2012, soit plus de sept mois après son adoption.

[63]        Ce règlement prévoit, entre autres, ce qui suit[32] :

15.   Usage principal

Une grille des spécifications permet d’identifier dans chaque zone un usage autorisé. De plus, un usage peut être spécifiquement permis ou prohibé dans une zone, peu importe si la classe d’usage à laquelle il appartient est permise ou prohibée.

[...]

Une norme particulière à un usage peut être inscrite dans une note à cet effet.

Plusieurs usages autorisés peuvent être exercés dans un même bâtiment principal. Toutefois, on ne peut y retrouver plusieurs classes d’usages Habitation.

Certains usages, constructions ou infrastructures sont autorisés partout sur le territoire de la Ville, tel que spécifié au présent règlement.

543.      Infraction et pénalités

Quiconque contrevient ou permet que l’on contrevienne au présent règlement commet une infraction. Si une contravention dure plus d’un jour, chaque jour ou partie de jour constitue une infraction distincte.

Quiconque commet une infraction est passible, s’il s’agit d’une personne physique, d’une amende minimale de 500 $ et maximale de 1 000 $ et, s’il s’agit d’une personne morale, d’une amende minimale de 1 000 $ et maximale de 2 000 $. En cas de récidive, ces montants sont doublés.

Toutefois, l’abattage d’arbres fait en contravention d’une disposition du présent règlement adoptée en vertu de l’un des paragraphes 12° et 12.1° du deuxième alinéa de l’article 113 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (L.R.Q.,c.A-19.1) constitue une infraction sanctionnée par une amende prévue à cette loi.

La Ville peut aussi exercer tout autre recours civil ou pénal afin d’assurer le respect du présent règlement.

[64]        L’appelante plaide que certains travaux d’aménagement effectués à l’aérodrome l’ont été à l’automne 2011 exclusivement dans le but d’y tenir les opérations du centre de parachutisme. Le 1er mai 2015, Jacques Bernier, opérateur de l’aérodrome, témoigne[33]. Il mentionne qu’en 2011, il a ajouté deux réservoirs de carburant sur l’aérodrome, dont un réservoir de « jet fuel », pour l’avion des parachutistes qui fonctionne avec une turbine[34]. Il ajoute :

R.            Non, non. Euh, en premier je m’en servais juste pour moé. Quand on a installé là le réservoir ben PARAQUÉBEC mettait leur propre « fuel » dans le réservoir. 

[65]        Monsieur Bernier mentionne aussi qu’en 2011, ParaQuébec a fait des tests et qu’ils ont sauté, pendant trois semaines en septembre et octobre, ajoutant que le parachutisme a débuté en septembre 2011[35]. Il ajoute que lorsque Pierre-Luc Therrien, directeur de l’urbanisme de la Ville, l’appelle pour une visite d’inspection, ParaQuébec est vraiment installée[36].

[66]        Monsieur Bernier situe la première saison de parachutisme en 2012, ajoutant que c’était la suite de « l’année d’avant », la suite du mois de septembre 2011, précise-t-il[37].

[67]        Contre-interrogé, il dit avoir fait des travaux sur le dôme 1[38] quand ils ont commencé le parachutisme en 2011. Ils ont « fini » le hangar pour accueillir le parachutisme en y ajoutant un mur et une mezzanine. Il se ravise pour situer les travaux en avril 2012 plutôt qu’en 2011[39]. Ils ont creusé le « swoop pond » en octobre 2011, dit-il, pour y faire « des choses de parachutisme au-dessus du lac »[40].

[68]        Étienne Hallé a agi comme instructeur pour ParaQuébec. Il y a débuté en 2012 à temps partiel[41]. Il a aussi agi comme responsable des opérations. Contre-interrogé, il précise être arrivé chez ParaQuébec en mai ou juin 2012[42] comme membre du club de parachutisme. En juillet 2012, il commence à faire de la supervision sur une base occasionnelle[43]. Il donne, pour la première fois, un cours de « premier saut » en mai 2013[44]. Lorsqu’il commence à fréquenter ParaQuébec, il y a une salle de classe et une aire de pliage dans le dôme 1, dit-il[45].

[69]        C’est dire que bien que la juge de première instance situe le début des activités de parachutisme, dans leur forme commerciale, en mai 2012, force est de constater que la preuve révèle que certaines activités, directement reliées au parachutisme, ont eu lieu en 2011, soit l’ajout de réservoirs de type « jet fuel », des tests de sauts, le creusage du « swoop pond » et des travaux dans le dôme 1 en avril 2012 pour y recevoir les parachutistes, dans le but de préparer la saison de parachutisme 2012, d’où la prétention de l’appelante à des droits acquis.

[70]        La Cour suprême, dans l’arrêt Saint-Romuald c. Olivier[46], traitant de la portée de la théorie des droits acquis et de la question des limitations aux droits acquis, s’exprime comme suit :

39.    [...]   

4.      Dans la mesure où des activités sont ajoutées ou modifiées dans les limites des fins originales (c.-à-d. des activités accessoires ou étroitement liées aux activités préexistantes), notre Cour doit soupeser l’intérêt du propriétaire foncier en regard de l’intérêt de la collectivité en tenant compte de la nature de l’usage préexistant (p. ex. la mesure dans laquelle celui-ci est incompatible avec l’usage des terrains voisins), du degré de proximité (plus la nouvelle activité se rapproche de l’activité originale, moins le droit acquis est contestable) et des nouveaux effets ou de l’aggravation des effets sur le voisinage (p. ex. l’ajout d’un concasseur de pierres dans un quartier résidentiel risque de déranger davantage le voisinage que l’ajout d’un télécopieur).  Plus la perturbation est grande, plus la définition de l’usage préexistant ou du droit acquis sera restrictive. Cette démarche ne prive le propriétaire foncier d’aucun droit.  Par définition, la limitation ne s’applique qu’aux activités ajoutées ou modifiées.

[...] 

6.     La qualification résultante du droit acquis (ou de l’usage dérogatoire légal) ne doit pas être générale au point de libérer le propriétaire des contraintes découlant de ce qu’il a fait réellement, ni être restrictive au point de le priver d’une certaine souplesse dans l’évolution raisonnable de ses activités antérieures.  Le degré de souplesse peut varier selon le type d’usage.  En l’espèce, par exemple, l’usage préexistant est l’exploitation d’un cabaret qui, de par sa nature, requiert du renouveau et du changement.  Dans des limites raisonnables, il faut permettre ce changement.

[71]        Comme le rappelle notre Cour d’appel, le fardeau de prouver l’existence de droits acquis repose sur la partie qui en invoque le bénéfice. L’usage invoqué doit avoir un caractère public et posséder une notoriété suffisante, spécialement s’il s’agit d’un usage commercial. Il faut faire la preuve d’une mise en œuvre réelle des activités alléguées et non seulement d’un usage occasionnel, exercé en catimini[47].

[72]        Dans l’affaire Huot[48], la Cour d’appel retient que les « droits acquis » reposent sur un compromis nécessaire restreignant d’une part l’aménagement rationnel du territoire, mais protégeant d’autre part l’équité quant aux propriétaires d’immeubles et même d’autres personnes qui ont exercé un usage dérogatoire, mais légal et légitime, antérieurement aux dispositions d’une loi ou d’un règlement.

[73]        Dans Huot[49], la Cour d’appel traitant des principales conditions d’existence des droits acquis s’exprime comme suit :

Les principales conditions d'existence des droits acquis sont bien connues, maintes fois exposées en doctrine et en jurisprudence.

a)         Les droits acquis n'existent que lorsque l'usage dérogatoire antérieur à                     l'entrée en vigueur des dispositions prohibant un tel usage était légal.

b)         L'usage existait en réalité puisque la seule intention du propriétaire ou de                  l'usager ne suffit pas.

c)         Le même usage existe toujours ayant été continué sans interruption                          significative.

d)         Les droits acquis avantagent l'immeuble qui en tire profit.  De tels droits                    ne sont pas personnels mais cessibles, suivant l'immeuble dont ils sont                    l'accessoire. 

e)         Ils ne peuvent être modifiés quant à leur nature et parfois quant à leur                       étendue bien que les activités dérogatoires peuvent être intensifiées en                       certains cas. 

f)          La seule qualité de propriétaire ne suffit pas quant aux droits acquis.

(Le Tribunal souligne)

[74]        C’est donc dire que l’application de la théorie des droits acquis implique l’existence d’un usage dérogatoire antérieur légal.

[75]        La preuve révèle que dès 2011, on prépare la venue de ParaQuébec à Pintendre pour la saison de parachutisme 2012, saison qui a débuté près de deux mois avant l’entrée en vigueur du Règlement sur le zonage[50].

[76]        À première vue, l’on peut donc penser qu’il existe des droits acquis en faveur de l’appelante puisque, comme elle le prétend, ses activités économiques reliées au parachutisme ont débuté sur sa propriété à compter de la mi-septembre 2011, soit avant l’entrée en vigueur du Règlement sur le zonage de l’intimée.

[77]        Cependant, cela n’est pas suffisant pour déterminer que l’appelante avait effectivement des droits acquis en l’espèce puisque lesdits droits n’existent que lorsque l’usage dérogatoire antérieur (parachutisme et centre de formation en parachutisme) à l’entrée en vigueur des dispositions prohibant un tel usage était légal en vertu de l’ancien Règlement sur le zonage. Or, le Tribunal ne retrouve pas une telle preuve dans la présente affaire.

[78]        Comme le mentionne le juge Gaétan Pelletier, j.c.s., dans l’affaire Ville de Baie-St-Paul c. Cie Tremblay[51], reprenant les propos du professeur Lorne Giroux, aujourd’hui juge à la Cour d’appel du Québec, l’on ne peut prétendre à des droits acquis à l'encontre d'une modification si l'usage était illégal sous l'ancien règlement. Un droit acquis ne saurait naître d'une dérogation basée sur une infraction à une loi ou à un règlement, que cette infraction ait été sanctionnée ou non par une pénalité. C’est pourquoi il conclut comme suit :

[24]       En conséquence, considérant qu'une personne désirant invoquer des droits acquis doit en faire la preuve, et que l'exercice légal du droit en question avant son interdiction est un élément essentiel du fardeau de preuve [...]

[79]        En l’espèce, l’appelante n’a pas, de l’avis du Tribunal, rempli l’une des conditions essentielles et nécessaires pour se prévaloir de la défense de droit acquis, soit la démonstration de la légalité antérieure de l’usage dérogatoire. Il faut donc répondre à la première question en litige par la négative.

      b)   L’infraction de nuisance

[80]        Le 9 juin 2014, l’inspecteur Gourde, dans le dossier 14-03286-9 (constat numéro 1869464) reproche à l’appelante d’avoir laissé ou toléré que soit laissée une accumulation non nivelée de terre, de sable, de gravier, de cailloux ou de pierres ou un espace où le sol a été remanié sans le niveler sur le lot 2 059 681, en contravention de l’article 7(12) du Règlement sur les nuisances[52].

[81]        Relativement aux nuisances et à l’accumulation de terre, l’article 7(12) dudit règlement[53] prévoit ce qui suit :

7.    Salubrité des immeubles privés

Constitue une nuisance et est interdit le fait par le propriétaire, le locataire ou l’occupant d’un immeuble :

[...]

12.   d’y laisser une accumulation non nivelée de terre, de sable, de gravier, de cailloux ou de pierres ou un espace où le sol a été remanié sans le niveler, sauf lors de travaux de construction ou de rénovation pour la durée de ces travaux;

[82]        Dans sa décision du 10 septembre 2015, la juge de première instance retient du témoignage de monsieur Bernier que l’amoncellement de terre est du matériel gratuit provenant d’un nouveau développement résidentiel qu’il ne pouvait pas étendre avant que l’eau qui s’y est accumulée ne s’en soit retirée[54].

[83]        Dans son analyse de cette portion du litige, elle mentionne ce qui suit[55] :

             [128] Elle allègue que le fait « d'y laisser » un amoncellement de terre implique la preuve de la durée pendant laquelle cet amoncellement a été présent, ce qui ferait défaut. Par ailleurs, elle soumet qu'elle doit bénéficier de l'exception prévue par la réglementation, selon laquelle il est possible de laisser une telle accumulation « lors de travaux de construction ou de rénovation, pour la durée des travaux ».

[129] Il est exact que la preuve en poursuite démontre la présence d'un amoncellement de terre en date spécifique du 09 juin 2014. Toutefois, M. Jacques Bernier a confirmé que cette accumulation de terre résultait de nombreux voyages de terre provenant de nouveaux développements résidentiels. La terre est demeurée jusqu'à la fin juillet car elle ne pouvait être immédiatement étendue en raison de l'humidité. Elle a donc été « laissée » en place un temps donné.

[130]  M. Bernier confirme que cette terre fut utile étant donné la consistance du sol à prédominance glaiseuse. L'inspecteur Gourde confirme bien des travaux en cours relatifs à la mise en place d'un puits d'eau potable. Toutefois, ce genre de travaux semble bien étranger à la présence de toute cette quantité de terre. En surcroît, aucune demande de permis n'a légitimé des activités de construction ou de rénovation au sens de la réglementation.

[84]        Selon l’appelante, la juge de première instance a erré en droit, car la preuve que l’amoncellement de terre ait été « laissé » sur place depuis un certain temps, suite au constat, n’a pas été faite.

[85]        Subsidiairement, l’appelante invoque l’exception prévue au règlement puisqu’à la date de l’infraction, elle effectuait des travaux de construction sur son immeuble, dit-elle.

[86]        Le 9 juin 2014, l’inspecteur Gourde dit avoir constaté la présence de plusieurs chargements de ce qui lui semble être du « tuf » déchargé en plusieurs voyages sur la propriété de l’appelante[56]. À ce sujet, il s’exprime ainsi[57] :

R.         Donc à P-52 Madame la Juge vous voyez les photographies en question. Donc le neuf (9) juin j’me déplace sur les lieux, à ce moment-là j’prends connaissance que y’a beaucoup de chargement de, de, je sais pas si on peut dire de la terre là ça me semble être plus du, ce qu’on appelle du tuf là, j’ai, le, le terme exact vous m’excuserez ma, mon ignorance là, mais c’est une pierre un peu effritée là.

[...]

R.         [...] J’vous dirais une bonne quantité de, de voyages là qui avaient été amenés là, c’est de toute évidence des, des camions lourds là qui ont amené ça là c’est pas, c’est pas à la brouette ou autrement que ça a été déchargé là, là.

[87]        Interrogé le 1er mai 2015 à propos des amoncellements de schiste trouvés sur la propriété de l’appelante le 9 juin 2014, Jacques Bernier mentionne ce qui suit[58] :

                         Neuf (9) juin deux-mille-quatorze (2014), P-52, alors je vous exhibe les                      photos. Alors, la première photo...

R.         Je reconnais.

Q.         ... c’est du matériel qui provient de où ça?

R.         Ça y’a quelqu’un qui creusait des caves dans le secteur du golf que                          j’sais à peu près pas oussque c’est, y’avait des nouveaux                                          développements là pis là ben, y’dit :

                                     « J’paye rien que le truckage ».

                         J’payais pas la gravelle, faque j’y ai dit :

                                     « Amènes-en tant que tu peux. »

Q.            Donc, vous vous êtes fait livrer ce matériel-là?

R.            Ouin.

Q.            Okay. C’est pas du matériel qui provenait de chez vous ça venait d’ailleurs?

R.            Ça venait d’ailleurs.

Q.            Bon. Et c’est quel genre de matériel?

R.            C’est du tuf là, c’est comme de la roche là, c’est comme de la terre glaise cuite par des volcans des affaires de même, c’est ça qu’y appelle du tuf.

[88]        Questionné par le Tribunal sur le nombre de « tas », monsieur Bernier précise qu’il « y’avait comme quatre-vingt-dix (90) voyages de " truck " »[59].

[89]        Toujours selon Jacques Bernier, les voyages de tuf devaient servir à élargir le chemin menant au dôme 2 et à faire un stationnement. Il ajoute que la construction du stationnement s’est échelonnée de juin à la fin juillet, que par la suite ils ont continué à empiler le matériel pour l’étendre autour du garage, ce qui n’était pas encore terminé lors de son témoignage, a-t-il dit[60].

[90]        Quant aux travaux en cours lors de la visite de l’inspecteur Gourde le 9 juin 2014[61], monsieur Bernier mentionne qu’ils étaient à creuser un puits artésien pour amener l’eau dans le hangar (dôme 2). Ils ont creusé un canal qu’ils ont terminé de remblayer avec le tuf, précisant qu’il en restait encore à étendre à l’arrière[62].

[91]        Lors de son témoignage, l’inspecteur Gourde explique que le 9 juin 2014, il était chez l’appelante avec son directeur, monsieur Therrien, et que vu la quantité de tuf, ils ont jugé bon de donner une contravention[63].

[92]        Le Tribunal est d’avis que l’interprétation donnée par l’appelante à l’article 7(12) du Règlement sur les nuisances[64], voulant que la poursuite doit faire la preuve de la présence des amoncellements de schiste dans les jours précédant le 9 juin 2014, ne peut pas être retenue, car il ne s’agit pas là d’un élément essentiel de ladite infraction.

[93]        L’article 7(12) du Règlement sur les nuisances[65] prévoit une infraction pour « avoir laissé ou toléré que soit laissée une accumulation non nivelée de terre, de sable, de gravier, de cailloux ou de pierres ou un espace où le sol a été remanié sans le niveler », il n’y est nullement question d’avoir laissé l’amoncellement pendant un certain temps avant la constatation de l’infraction. L’infraction est consommée si preuve est faite qu’on a « laissé » sur place l’amoncellement.

[94]        Le Petit Robert 2014 définit, entre autres, le verbe « laisser » comme suit :

Maintenir (qqn, qqch) dans un état, un lieu, une situation; ne rien faire pour qu’il change.

[95]        En l’espèce, la preuve démontre, sans l’ombre d’un doute, que le 9 juin 2014, une accumulation importante de schiste non nivelée a été laissée sur l’immeuble de l’appelante, et ce, jusqu’en juillet selon Jacques Bernier, ce qui est suffisant pour constituer l’infraction reprochée. La juge de première instance n’a donc pas commis l’erreur de droit que l’appelante lui reproche.

[96]        Subsidiairement, l’appelante prétend que le 9 juin 2014, elle effectuait des travaux de construction sur son immeuble et qu’elle aurait dû bénéficier de l’exception prévue à l’article 7(12) du Règlement sur les nuisances[66] qui prévoit qu’une accumulation de terre non nivelée peut être laissée au sol, et ce, lors de travaux de construction ou de rénovation pour la durée de ces travaux ».

[97]        Le Tribunal retient qu’il est surprenant que l’appelante plaide qu’au 9 juin 2014, elle était en cours d’aménagement d’ouvrage, tel un chemin d’accès et un stationnement, alors que l’inspecteur Gourde n’a constaté que des travaux en cours relatifs au creusage d’un puits artésien ce jour.

[98]        L’appelante invite ici le Tribunal à procéder à la réévaluation des témoignages rendus par Jacques Bernier et l’inspecteur Gourde, ce qui n’est pas son rôle et ce qu’il n’a pas l’intention de faire par déférence pour la juge de première instance qui a eu le loisir d’entendre les témoins.

[99]        Il n’y a pas lieu de modifier la décision de la juge de première instance en regard de cette infraction. Il faut donc répondre à la seconde question en litige par la négative.

2.   Les moyens d’appel constitutionnels

[100]     Il s’agit ici de répondre à la troisième question en litige, à savoir :

La juge de première instance a-t-elle erré en concluant que la doctrine de l’exclusivité des compétences ne permettait pas de rendre constitutionnellement inapplicables à l’appelante les dispositions réglementaires en litige?

[101]     En première instance, comme en appel, l’appelante plaide que les dispositions créant les infractions qui lui sont reprochées lui sont constitutionnellement inapplicables en regard des activités aéronautiques que ParaQuébec inc. exploitait sur sa propriété, et ce, en raison de l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences.

[102]     Après l’analyse de cette question constitutionnelle, la juge de première instance conclut ainsi :

[166]     Incidemment, bien que le parachute, élément essentiel à l'exercice du parachutisme, puisse être assimilé à un aéronef et que le parachutisme découle de la compétence fédérale, rien n'est moins sûr qu'il fasse partie du cœur de la compétence en aéronautique.

[...]

[172]     Le tribunal n'a pas à se pencher sur la question puisqu'il considère que l'activité du parachutisme ne constitue par le cœur de la compétence fédérale en aéronautique[67].

[103]     L’intimée prétend, contrairement à la juge de première instance, que le parachute n’est pas un aéronef au sens de la Loi sur l’aéronautique[68]. Elle est cependant d’accord lorsque cette dernière conclut que le parachutisme, bien qu’en faisant partie, n’est certainement pas au cœur de la compétence fédérale en aéronautique ainsi que la formation théorique ou pratique au sol ou dans les airs, ajoutant qu’il en est de même pour la construction du centre de formation en parachutisme (dôme 2) qui vise essentiellement et principalement à centraliser les opérations de parachutisme et non exclusivement à entreposer des avions.

[104]     Selon le Procureur général du Canada, le parachutisme est une activité aéronautique impliquant deux aéronefs, se pratiquant dans un aérodrome et faisant partie intégrante de la compétence fédérale exclusive en aéronautique. Il se situe au cœur de cette compétence. C’est donc dire que la réglementation municipale qui vient entraver cette activité aéronautique est constitutionnellement inapplicable.

[105]     La Procureure générale du Québec prétend que les dispositions réglementaires en litige sont constitutionnellement applicables dans la mesure où elles n’ont pas pour effet d’entraver un aspect vital et essentiel ou le cœur de la compétence fédérale sur l’aéronautique en ce qui constitue sa spécificité fédérale.

[106]     La Cour suprême enseigne que la première étape d’analyse d’un litige mettant en cause la validité constitutionnelle d’une disposition eu égard au partage des compétences est la détermination du « caractère véritable de la législation contestée », c’est-à-dire la recherche de la nature véritable de la loi afin d’identifier la matière sur laquelle elle porte essentiellement[69].

[107]     Dans Banque canadienne de l’Ouest[70], la Cour suprême rappelle qu’une législation dont le caractère véritable relève de la compétence du législateur qui l’a adoptée pourra, au moins dans une certaine mesure, toucher des matières qui ne sont pas de sa compétence sans nécessairement toucher sa validité constitutionnelle, car il est reconnu qu’il est en pratique impossible pour un ordre de gouvernement d’exercer efficacement ses compétences sans que ses interventions ne touchent incidemment à des matières relevant par ailleurs des chefs de compétence de l’autre ordre de gouvernement.

[108]     Il est ainsi tout à fait normal et habituel qu’une personne, une entreprise ou une activité soit assujettie à des normes fédérales et à des normes provinciales, les ouvrages, entreprises et affaires fédérales n’étant pas des « enclaves » soustraites de l’application de toute loi provinciale valide[71].

[109]     Des enseignements de la Cour suprême dans Banque canadienne de l’Ouest[72], il faut aussi retenir que la doctrine de l’exclusivité des compétences est d’application restreinte dans le cadre d’un fédéralisme souple visant à promouvoir les doctrines constitutionnelles du caractère véritable, du double aspect et de la prépondérance fédérale.

[110]     Bien que la Cour suprême ait affirmé que, dans la mesure du possible, les tribunaux devaient privilégier l’application régulière des lois édictées par les deux ordres de gouvernement, elle a aussi reconnu que dans certaines circonstances, les compétences d’un ordre de gouvernement doivent être protégées contre les empiètements, même accessoires, de l’autre ordre de gouvernement, soit via la doctrine de l’exclusivité des compétences et celle de la prépondérance fédérale[73].

[111]     En l’espèce, il n’est pas contesté que les dispositions législatives à l’origine des constats d’infraction délivrés à l’appelante ont été validement promulguées en vertu de la compétence provinciale en matière d’aménagement et d’urbanisme selon les paragraphes 92(13) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[112]     À ce sujet, le Procureur général du Canada, aux paragraphes 34 et 35 de son argumentation écrite, s’exprime comme suit :

34.       Pour les fins de la présente analyse, mais sans par ailleurs concéder la validité constitutionnelle des règlements en question, le PGC accepte comme prémisse que, dans la mesure où ces dispositions prétendent réglementer l’aménagement de territoire, elles auraient été validement promulguées en vertu des compétences attribuées aux provinces.

35.       Par ailleurs, même en présumant que les dispositions sont valides, elles peuvent néanmoins être jugées « inapplicables » en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences (ou « immunité interjuridictionnelle »).

[113]     Quant à elle, l’appelante admet que les dispositions réglementaires contestées ont été adoptées validement par la Ville de Lévis.

[114]     En l’espèce, la doctrine de l’exclusivité des compétences est donc le seul moyen soulevé par l’appelante au soutien de sa prétention voulant que les dispositions créant les infractions qui lui sont reprochées lui soient constitutionnellement inapplicables en regard des activités aéronautiques que ParaQuébec exploitait sur sa propriété.

a)    La doctrine de l’exclusivité des compétences

[115]     Cette doctrine offre une protection à l’encontre de l’application des lois provinciales que le Parlement fédéral ait ou non réglementé, en tout ou en partie, l’activité en question, en l’espèce, le parachutisme.

[116]     Dans Banque canadienne de l’Ouest[74], la Cour suprême enseigne que cette doctrine devrait, en général, être limitée aux situations déjà traitées dans la jurisprudence et principalement destinées aux chefs de compétence qui concernent les choses, personnes ou entreprises fédérales, ou aux cas où son application a déjà été jugée absolument nécessaire pour permettre au Parlement fédéral ou à une province de réaliser l’objectif pour lequel la compétence législative exclusive a été attribuée selon ce qui ressort du partage constitutionnel des compétences ou à ce qui est absolument nécessaire pour permettre à une entreprise d’accomplir son mandat dans ce qui constitue justement sa spécificité fédérale.

[117]     La doctrine de l’exclusivité des compétences prévoit qu’un ordre de gouvernement ne peut empiéter sur le contenu essentiel d’un champ de compétence de l’autre ordre de gouvernement. Si une disposition autrement valide entrave le contenu essentiel d’un champ attribué à l’autre palier gouvernemental, le Tribunal peut la déclarer inapplicable en vertu de cette doctrine[75]. Il est pertinent de rappeler que cette doctrine fait encore partie du droit canadien, mais qu’elle est encadrée aujourd’hui par des considérations de principe et des précédents[76].

[118]     La Cour suprême est revenue sur le sujet de la doctrine de l’exclusivité des compétences dans l’arrêt Rogers Communications[77] en rappelant que cette dernière doit être appliquée avec retenue et qu’en l’occurrence, elle doit donc généralement être limitée à des situations déjà traitées par les tribunaux dans le passé.

[119]     La compétence fédérale soulevée en l’espèce est celle de l’aéronautique. Or, il est reconnu que le Parlement fédéral a compétence exclusive en matière d’aéronautique aux termes de son pouvoir de « faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement »[78].

[120]      Afin de déterminer si la doctrine de l’exclusivité des compétences trouve application, il faut se poser les questions suivantes :

1)    La législation provinciale empiète-t-elle sur le contenu essentiel (le cœur) d’une compétence fédérale?

2)    La législation provinciale a-t-elle un effet suffisamment grave ou important sur la  compétence fédérale en cause de manière à constituer une entrave?

i)     Le cœur

[121]     La réglementation de la Ville de Lévis empiète-t-elle sur le cœur de la compétence fédérale en aéronautique?

[122]     Selon la Cour suprême, le cœur d’une compétence constitutionnelle est ce « contenu minimum, élémentaire et irréductible » qui échappe à l’application de la législation édictée par l’autre ordre de gouvernement[79].

[123]     En matière d’aéronautique, il a été reconnu, notamment, par la jurisprudence comme faisant partie du « cœur » l’utilisation ou l’interdiction d’utilisation de la propriété pour les besoins d’un aérodrome[80], l’emplacement des installations aéronautiques[81] et les plans du futur aéroport, ses dimensions, les matériaux qui devront entrer dans la construction des différents bâtiments, pistes et structures[82].

[124]     Depuis l’arrêt Johannesson[83], le Parlement canadien a la compétence exclusive de réglementer le domaine de l’aéronautique puisque la navigation aérienne est une question d’importance et d’intérêt national. À ce sujet, la Cour suprême s’exprime ainsi :

[...] "aeronautics" as a subject matter of legislation is clearly one that from its inherent nature is of national concern Re Canada Temperance Act 10. Control and regulation of the use of the air for transportation and control of the earth's surface for the use of the air for transportation is indivisible. [...]

[...]

In my opinion, just as it is impossible to separate intra-provincial flying from inter-provincial flying, the location and regulation of airports cannot be identified with either or separated from aerial navigation as a whole. [...]

[...]

[...] Indeed, in any practical consideration it is impossible to separate the flying in the air from the taking off and landing on the ground and it is, therefore, wholly impractical, particularly when considering the matter of jurisdiction, to treat them as independent one from the other.

[125]     Cinquante-huit ans après l’arrêt Johannesson[84], la Cour suprême mentionne de nouveau que la portée de la compétence fédérale sur l’aéronautique s’étend aux installations terrestres qui facilitent le vol et englobent le vol et la durée du vol à compter du moment où l’appareil quitte le sol jusqu’au moment où il s’y pose en toute sécurité[85].

[126]     À la lumière de cette jurisprudence et considérant qu’en vertu de l’article 4.2 de la Loi sur l’aéronautique[86], le ministre est chargé du développement et de la réglementation de l’aéronautique, ainsi que du contrôle de tous les secteurs liés à ce domaine dont entre autres la construction, l’entretien et l’exploitation des aérodromes, la mise en œuvre de tous autres services et installations liées à l’aéronautique, la responsabilité et la gestion des aéronefs, l’établissement des routes aériennes, l’offre de son concours financier ou autre, aux personnes et aux administrations ou organismes dans les domaines liés à l’aéronautique, la fourniture de services météorologiques nécessaires à la sécurité, à la régularité et à l’efficacité de l’utilisation des aéronefs, la réalisation d’enquêtes sur tout aspect intéressant la sécurité aéronautique et la possibilité d’entreprendre, à son initiative ou sur les instructions du gouverneur en conseil, toute autre activité liée à l’aéronautique, le Tribunal est d’avis que la compétence fédérale en aéronautique ne se limite pas qu’au transport de passagers ou de marchandises, mais qu’elle englobe tout ce qui est nécessaire à ce champ d’activités.

[127]     Ainsi, l’aérodrome, son emplacement, son exploitation, l’aéronef, l’exploitation de l’aéronef, le vol, incluant le décollage et l’atterrissage, les installations aéronautiques afférentes telles que des hangars ou réservoirs de carburants, la gestion sécuritaire de l’espace aérien, ainsi que la formation théorique ou pratique au sol ou dans les airs de ceux qui utilisent l’espace aérien font tous partie du cœur de la compétence en matière d’aéronautique et sont tous des maillons essentiels et indivisibles de l’aéronautique et de la navigation aérienne. Il devient alors impossible de dissocier les activités aéronautiques des aérodromes où elles se déroulent et il n’est pas justifié de les distinguer entre elles.

[128]     Dans l’arrêt COPA[87], la  Cour suprême établit que le cœur d’un pouvoir fédéral réside dans l’autorité qui est absolument nécessaire pour permettre au Parlement « de réaliser l’objectif pour lequel la compétence législative exclusive est attribuée »,  or il va sans dire que la gestion sécuritaire de l’espace aérien et des aéronefs qui s’y trouvent ne peut pas relever à la fois de deux ordres de gouvernement.

[129]     L’article 3(1) de la Loi sur l’aéronautique[88] définit un « aéronef » comme suit :

a)    jusqu’à l’entrée en vigueur de l’alinéa b), tout appareil qui peut se soutenir dans l’atmosphère grâce aux réactions de l’air, ainsi qu’une fusée.

[130]      Le dictionnaire Larousse définit ainsi le terme « appareil » :

Objet, machine, dispositif électrique, mécanique, etc., formé d’un assemblage de pièces destinées à fonctionner ensemble.

[131]     Un parachute est certes un objet formé d’un assemblage de pièces destinées à fonctionner ensemble.

[132]     Dans l’affaire Webber[89], le juge Prowse devant se prononcer sur la définition à apporter au terme « aircraft », dans le cadre d’un litige en matière d’assurance, s’en remet à la définition de l’article 3(1) de la Loi sur l’aéronautique[90] :

« 58    Although this section clarifies that an aircraft includes different types of aircraft and various types of equipment that may be attached to the aircraft, it does not provide a definition as to the meaning of aircraft itself. Rather, that definition is found in s. 3(1) of the Aeronautics Act., R.S.C. 1985, c.A-2 - namely:

 

“aircraft” means

 

(a)           until the day on which paragraph (b) comes into force, any machine capable of deriving support in the atmosphere from reactions in the air, and includes a rocket, and

 

(b)           [Not in force]

 

59    Therefore, a machine is not aircraft unless it is “capable of deriving support in the atmosphere from reactions in the air…”. In other words, in order for a machine to be an aircraft it must be operable as an aircraft. »

[133]     C’est dire, considérant de surcroît le témoignage de l’expert Bozkurt Eralp[91], rendu en première instance, que le parachute est un appareil qui, comme l’avion, a la capacité de se soutenir dans l’atmosphère grâce aux réactions de l’air et d’y évoluer.

[134]     Le parachute est donc un aéronef et il fait partie intégrante de la compétence fédérale exclusive en matière d’aéronautique, comme l’a retenu le juge de première instance.

[135]     Dans l’affaire Mercier[92], la Cour d’appel de l’Alberta reconnaît que le Parlement fédéral a juridiction sur l’aéronautique et le parachutisme en ces termes :

[4]    The parties concede that the federal government has jurisdiction over aviation and that parachuting is an incident of that jurisdiction. Authority for this mainly comes from the Supreme Court of Canada’s decision in Johannesson et al. v. Rural Municipality of West St. Paul et al., 1951 CanLII 55 (SCC), [1952] 1 S.C.R. 292, where it was held that aeronautics is a matter of federal jurisdiction under the “peace, order and good government” clause of s. 91 of the Constitution Act, 1867. This includes jurisdiction over “aerial navigation” (at p. 311), “aeronautics” (at p. 315), and “ ‘aeronautics’ in all its branches” (at p. 325).

[5]    The chambers judge extended the application of Johannesson, to include parachuting. There were three reasons for this. First, a parachutist, to some extent, navigates his or her fall and controls the motion and direction of the fall and thus, he or she is involved in “aerial navigation” or “aeronautics”. Secondly, the federal government has already occupied the field of parachuting by including parachuting in the regulations of the Aeronautics Act, R.S.C. 1927, c. 3 (Air Regulations, 1938, pt. VI, s. 3). These regulations forbid exits from planes during flight except for the purpose of making a parachute jump. Finally, the Court in Johannesson held that it would be impractical to divide the regulation of certain facets of aviation between two levels of government. The chambers judge said that this reasoning equally applies to the regulation of parachuting. As she said:

“… [u]nnecessary complexity and regulatory conflict are the only products of allowing both levels of government to regulate two activities that are essentially indivisible.”

(Le Tribunal souligne)

[136]     En première instance, dans l’affaire Mercier[93], le juge Rawlins s’exprime ainsi :

[15]      The federal jurisdiction over aviation was established in Johannesson v. West St. Paul (Rural Municipality) (1951), 1951 CanLII 55 (SCC), [1952] 1 S.C.R. 292, and although this question was not expressly addressed by the Court in Johannesson, it is my conclusion that Johannesson supports the conclusion that parachuting and parachuting accidents fall within federal jurisdiction.

[16]       In Johannesson, what has become known as the federal jurisdiction over "aviation" is described as a jurisdiction over "aerial navigation" (at p. 311), "aeronautics" (at p. 315), and "aeronautics in all its branches" (at p. 325). It seems to me that the meaning of these words also includes parachuting. A person who exits a plane and uses a parachute to stop her fall is, to some extent, controlling her motion in the air with that parachute - the parachute allows her to slow her fall and even control the direction of her motion. In this way, a parachutist engages in a form of "aerial navigation" and "aeronautics", and certainly participates in one of the branches of aeronautics. She does not have an independent source of power and she does not enjoy the same degree of control over her motion as an aircraft, but she is capable of some degree of "navigation" in the air.

[17]      There are two other reasons to apply Johannesson to include parachuting in the federal jurisdiction over aeronautics, one of which is that Johannesson may have already indirectly considered this question. Part of the rationale for the Johannesson decision was that the fact that the federal government had already occupied the field by enacting a body of law relating to aviation (at p. 303). That body of law included rudimentary regulation of parachuting (i.e. the Air Regulations, 1938, pt. VI, s. 3, which forbade exits from planes during flight except for the purpose of making a parachute jump). In some ways then, the scope of the jurisdiction that was at stake in Johannesson, and was ultimately awarded to the federal government, already included parachuting. What the Court meant by "aeronautics" can, in part, be decided by looking to the nature of the federal government's activity in that field at that time, which included these controls on parachuting, made under the Aeronautics Act, R.S.C. 1927, c. 3.

[18]      The other reason is that Johannesson adopts a pragmatic approach to proposals that the jurisdiction over aviation and its related activities should be divided between the federal and provincial governments. The Court rejected arguments that would have split, between two or more governments, the regulation of intra-provincial and inter-provincial aviation (at p. 314), landing and flight of an aircraft (p. 319), or departure and arrival of the same aircraft (at p. 327). In part then, the entire jurisdiction over aviation is given to the federal government because it would have been impractical to divide control over aircraft or any other related activity. In the same way, it would be impractical to apply Johannesson so as to give the provinces jurisdiction over parachuting, an activity that is inextricably bound-up with aviation. If Parliament is to have control over aircraft and other devices which allow flight, it follows that it must also have the power to regulate activities such as parachuting which depend upon the use of aircraft and may interfere with the safe operation of aircraft. Unnecessary complexity and regulatory conflict are the only products of allowing both levels of government to regulate two activities that are essentially indivisible.

(Le Tribunal souligne)

[137]     Aux yeux du Tribunal, il s’agit là de précédents utiles pour déterminer si la doctrine de l’exclusivité des compétences trouve application en l’espèce.

[138]     La Procureure générale du Québec plaide que l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences doit être limitée aux situations déjà traitées par la jurisprudence et que son application est restreinte au contenu essentiel, ou au cœur, de chaque chef de compétence législative que reconnaît déjà la jurisprudence. Ce faisant, de l’avis du Tribunal, elle restreint inutilement le champ d’application de ladite doctrine au point de la figer dans le temps et de la rendre inapplicable.

[139]     Les expressions « en général » ou « généralement » utilisées par la Cour suprême n’ont pas pour effet, comme le prétend la Procureure générale, d’obliger l’appelante à démontrer qu’il existe des précédents spécifiques quant à l’objet du litige voulant que l’aspect aéronautique en cause, le parachutisme, fasse partie du cœur de cette compétence. Une telle interprétation est beaucoup trop restrictive. Ainsi analysée, aussi bien dire que la doctrine de l’exclusivité des compétences est pratiquement vouée à devenir inopérante dans le futur faute de précédent spécifique dans le passé. Or, en l’espèce, comme déjà mentionné, le Tribunal est d’avis que les affaires Mercier ont force de précédent[94].

[140]     La juge de première instance a conclu que le parachutisme n’est pas au « cœur » de la compétence fédérale en aéronautique en choisissant de fractionner ladite compétence, ce qui, pour le Tribunal, est une erreur considérant que le parachutisme est une matière indivisible de l’aéronautique et de la navigation aérienne. Elle s’exprime ainsi :

[159]  Conséquemment, bien que la Cour suprême ne mentionne pas spécifiquement l'activité du parachutisme, elle conclut que la réglementation de l'exploitation des aéronefs est partie intégrante essentielle à la compétence en aéronautique. On l'a vu, un parachute constitue un aéronef. Ainsi, il y aurait là matière à conclure que la réglementation de l'activité du parachutisme se retrouve au cœur de la compétence en aéronautique.

[160]  Toutefois, ce syllogisme peut facilement être mis à l'épreuve et faire naître des questions incidentes, objet de débat. On ne peut conclure, des interrogations soulevées, que le parachutisme et son enseignement se révèlent absolument nécessaires pour permettre au Parlement de réaliser l'objectif pour lequel la compétence législative exclusive lui a été attribuée.

[161]  Ainsi, le fait que l'activité du parachutisme soit exercée, comme en l'espèce, à titre de sport ou de loisir, remet-il en question la position du parachutisme au cœur de la compétence? Autrement dit, le parachutisme à des fins récréatives occupe-t-il la même importance au sein de la compétence que le parachutisme à des fins de sécurité civile ou militaire?

 [162]  Le parachutisme permet la navigation aérienne. Il n'en constitue pas pour autant un moyen de transport. Le parachute n'est pas non plus muni d'un moteur lui permettant de se propulser en hauteur dans les airs. Cela lui confère-t-il alors un rôle second dans la compétence d'importance nationale que constitue l'aéronautique?

 [163]  L'aviation peut exister indépendamment du parachutisme mais la proposition inverse ne peut être soutenue. Il y a là motif à remettre en question la nécessité de cette activité dans l'exercice de la compétence en matière d'aéronautique.

[164]  Autre distinction. Dans la catégorie des aéronefs, il n'est pas requis d'immatriculer un parachute ou un deltaplane, spécifie M. Eralp. Il s'agit pourtant d'une exigence pour les avions qui eux ont le pouvoir de se déplacer, dans l’espace aérien, d'une province à l'autre.

[165]  La jurisprudence indique que l'intervention des tribunaux visant l'application de la doctrine de l'exclusivité des compétences ne doit généralement s'attarder qu'aux situations déjà jugées. En établissant simplement que la réglementation d'un aéronef, plus spécifiquement la réglementation de l'activité du parachutisme, constitue le cœur de la compétence en aéronautique, le présent tribunal s'avance en innovant, en décrétant une nouvelle matière élémentaire et irréductible essentielle à la réalisation de l'objectif de la compétence. On l'a vu, trop d'interrogations demeurent sans réponse pour que le tribunal puisse considérer que la question ait déjà été résolue par la jurisprudence.

 [166]  Incidemment, bien que le parachute, élément essentiel à l'exercice du parachutisme, puisse être assimilé à un aéronef et que le parachutisme découle de la compétence fédérale, rien n'est moins sûr qu'il fasse partie du cœur de la compétence en aéronautique.

(Référence omise)

[141]     Le Tribunal estime que la juge de première instance, en s’interrogeant afin de déterminer si le parachutisme et son enseignement se révèlent absolument nécessaires pour permettre au Parlement de réaliser l’objectif pour lequel la compétence législative exclusive en aéronautique lui a été attribuée, ne pose pas correctement le problème. Le parachutisme n’est peut-être pas toujours nécessaire à l’aéronef qu’est l’avion, cependant l’utilisation sécuritaire de l’espace aérien par l’aéronef qu’est le parachute est un aspect essentiel de la mission confiée au ministre qui est chargé, entre autres, du développement et de la réglementation de l’aéronautique.

[142]     Le Tribunal est d’avis que la juge de première instance n’avait pas à faire de distinction entre le parachutisme à des fins récréatives, comme en l’espèce, et à des fins de sécurité civile ou militaire pour l’exclure du cœur de la compétence fédérale exclusive en matière d’aéronautique puisque le législateur, lorsqu’il traite des différents aéronefs et des différentes activités aéronautiques dans la Loi sur l’aéronautique[95] ne fait pas de telles distinctions. La nature sportive de l’activité ne remet pas en question le caractère aéronautique de celle-ci.

[143]     Dans sa décision, la juge de première instance attribue un rôle second au parachute qu’elle ne considère pas comme un moyen de transport puisqu’il n’est pas muni d’un moteur lui permettant de se propulser en hauteur dans les airs. Ce faisant, elle occulte et ajoute en même temps à la définition d’aéronef se retrouvant dans la Loi sur l’aéronautique[96] et confond ainsi avion et aéronef. Rien dans la Loi n’indique qu’un aéronef doit être muni d’un moteur, il suffit qu’il puisse se soutenir dans l’atmosphère grâce aux réactions de l’air.

[144]     Au paragraphe 163 de sa décision, elle affirme que l’aviation peut exister indépendamment du parachutisme et que, de ce fait, il y a lieu de remettre en question la nécessité de cette activité dans l’exercice de la compétence fédérale en matière d’aéronautique. Le Tribunal est d’avis que la question n’est pas tant de savoir si l’aviation peut exister indépendamment du parachutisme, mais plutôt de déterminer si le parachutisme est l’une des activités aéronautiques relevant de la compétence exclusive du Parlement fédéral au même titre que l’aviation puisque le parachute tout comme l’avion sont des aéronefs relevant de la compétence exclusive du Parlement.

[145]     Au paragraphe 164 de sa décision, elle apporte une autre distinction entre l’avion et le parachute quant à l’obligation d’immatriculer le premier, mais pas le second, et retient la capacité de l’avion de se déplacer dans l’espace aérien, d’une province à l’autre, pour décider que le parachutisme n’est pas au cœur de la compétence fédérale en aéronautique. Malgré ces distinctions, force est de constater que le législateur n’a pas exclu les parachutes de sa définition du mot « aéronef » dans la Loi sur l’aéronautique[97] puisque la matière visée par la navigation aérienne est et doit être indivisible. Il ne faut pas perdre de vue que le parachute peut aussi se déplacer dans l’espace aérien.

[146]     La juge de première instance a scindé le champ de compétence fédérale en aéronautique selon le type d’aéronef utilisé et les particularités de l’activité aéronautique visée, ce qu’elle ne pouvait pas faire vu les définitions d’aérodrome et d’aéronef à l’article 3(1) de la Loi sur l’aéronautique[98]. Elle a cherché à distinguer les activités de parachutisme de l’aéronautique en précisant qu’en l’espèce il s’agit d’une activité sportive, que le parachutisme n’est pas un moyen de transport et que le parachute n’est pas muni d’un moteur et qu’il n’est pas nécessaire de l’immatriculer. Or, ces justifications ne sont pas pertinentes pour résoudre le litige, le parachute étant un aéronef et le parachutisme une activité aéronautique et non une simple question accessoire à l’aéronautique.

ii)    L’entrave

[147]     Il s’agit ici de déterminer si la réglementation en litige a, sur l’exercice de la compétence fédérale en aéronautique, un effet suffisamment grave ou important de manière à constituer une entrave.

[148]     Vu sa conclusion voulant que le parachutisme n’était pas au cœur de la compétence fédérale en matière d’aéronautique, la juge de première instance n’a pas analysé cette question[99].

[149]     Dans Banque canadienne de l’Ouest[100], les juges Binnie et LeBel précisent les limites de la portée de la doctrine de l’exclusivité des compétences en ces termes :

Même dans les cas où la doctrine de l’exclusivité des compétences peut être utilisée, nous devons examiner la mesure de l’empiétement sur le « contenu essentiel » de la compétence de l’autre ordre de gouvernement qui ferait intervenir l’application de cette doctrine. [...]

[...]

[...]  C’est lorsque l’effet préjudiciable d’une loi adoptée par un ordre de gouvernement s’intensifie en passant de « toucher » à « entraver » (sans nécessairement « stériliser » ou « paralyser ») que le « contenu essentiel » de la compétence de l’autre ordre de gouvernement (ou l’élément vital ou essentiel d’une entreprise établie par lui) est menacé, et pas avant.

[150]     C’est donc dire qu’en l’absence d’entrave ou de conséquences fâcheuses, la doctrine de l’exclusivité des compétences ne s’applique pas.

[151]     Il s’agit ici de déterminer si la législation attaquée entrave l’exercice, par le fédéral, d’une activité relevant du cœur de sa compétence en aéronautique, entre autres le maintien d’un système unifié de navigation aéronautique.

[152]     Il est bien établi que « l’entrave » ne veut pas dire « paralyser » ou « stériliser ». Il ne s’agit donc pas de savoir si l’empiètement ferait en sorte que la compétence fédérale ne puisse plus continuer d’opérer ou d’exister. Il suffit que l’empiètement porte une « atteinte grave ou importante » à la compétence fédérale[101].

[153]     Le Règlement sur le zonage[102] de la Ville de Lévis restreint l’usage des lots dans la zone visée, dont ceux de l’appelante, à des fins d’agriculture sans élevage et d’agriculture avec élevage à l’exclusion de l’élevage contraignant. Il a pour effet d’empêcher la tenue d’activités aéronautiques quelles qu’elles soient.

[154]     L’effet du Règlement est aussi d’empêcher l’exercice du pouvoir de décider où et comment la formation des pilotes d’aéronefs peut avoir lieu. Le pouvoir de contrôler les activités de formation des pilotes d’aéronefs est essentiel à la compétence en aéronautique afin d’assurer la sécurité des pilotes, des passagers et du public en général. La formation fait partie intégrante des différents types d’exploitation aérienne, le gouvernement fédéral en ayant réglementé plusieurs aspects dont son contenu, sa fréquence, sa durée et sa nature par le biais du Règlement de l’aviation canadien[103].

[155]     Le Tribunal est d’avis que le pouvoir de décider où un aéronef peut évoluer ou d’imposer des contraintes sur le type d’aéronef pouvant évoluer à un endroit donné ou sur la nature des activités aéronautiques qui peuvent s’y dérouler constitue une entrave importante à l’exercice du pouvoir fédéral en matière d’aéronautique.

[156]     Le Règlement sur les permis et certificats[104] de la Ville de Lévis empêche le Parlement de décider où et comment seront construits des aérodromes ainsi que les installations aéronautiques afférentes sur le territoire de la municipalité telles que des hangars.

[157]     Dans l’arrêt Neuville[105], le juge de Blois, J.C.S., a retenu que le fait d’exiger un permis pour des installations nécessaires aux activités aéronautiques constituait une entrave à la compétence fédérale, ce qui est le cas en l’espèce. Il s’exprime comme suit :

[61]      Le tribunal est en accord avec les conclusions du juge de première instance quant à l’empiètement sur le cœur même de la compétence fédérale en matière d’aéronautique, considérant l’exigence que la demande de certificat d’autorisation de l’Intimée soit conforme et respecte les règlements de zonage et de construction de l’Appelante pour que l’inspecteur en bâtiment émette le certificat d’autorisation demandé.

[158]     En l’espèce, considérant la lettre du 6 janvier 2012 adressée à Me Robert Baker par Me Julie Dumais de la Direction des affaires juridiques et du greffe de la Ville de Lévis[106] et le témoignage de l’inspecteur Gourde[107] à ce sujet, il est manifeste que la construction du deuxième dôme, destinée en partie au parachutisme, mais aussi à l’entreposage d’avions, n’aurait pas été autorisée considérant que le Règlement sur le zonage[108] ne permet que les usages suivants, soit : l’agriculture sans élevage et l’agriculture avec élevage, à l’exclusion de l’élevage contraignant. Il s’agit donc d’une interdiction totale de construire une installation aéronautique, ce qui, de toute évidence, est une entrave importante à l’exercice du pouvoir fédéral en matière d’aéronautique.

[159]     Si ces règlements devaient être applicables aux activités de parachutisme, cela obligerait le Parlement à choisir entre accepter que la municipalité puisse interdire le parachutisme et la construction d’installations utiles à la pratique de cette activité ou légiférer expressément de manière à écarter la réglementation. Cela entraverait sérieusement l’exercice de la compétence fédérale en matière d’aéronautique[109].

[160]     Quant au Règlement sur les nuisances[110], à l’origine du constat d’infraction pour une accumulation de terre non nivelée sur les terrains de l’appelante, force est de constater que cette dernière est peu loquace sur le sujet et qu’aucune preuve n’a été présentée, en première instance, concernant le caractère vital et essentiel de l’accumulation de terre en cause à l’égard d’une quelconque activité en matière d’aéronautique si ce n’est que le Procureur général du Canada a plaidé que « si la terre était pour la piste d’atterrissage, le constat d’infraction doit suivre le même sort », sans  plus développer.

[161]     La preuve présentée quant aux travaux de construction en cours sur l’immeuble de l’appelante, le 9 juin 2014, n’a pas été retenue par la juge de première instance. Elle s’exprime ainsi[111] :

M. Bernier confirme que cette terre fut utile étant donné la consistance du sol à prédominance glaiseuse. L'inspecteur Gourde confirme bien des travaux en cours relatifs à la mise en place d'un puits d'eau potable. Toutefois, ce genre de travaux semble bien étranger à la présence de toute cette quantité de terre. En surcroît, aucune demande de permis n'a légitimé des activités de construction ou de rénovation au sens de la réglementation.

[162]     Lors de son témoignage, Jacques Bernier a mentionné que les amoncellements de terre devaient servir à élargir le chemin menant au dôme 2 et à faire un stationnement, mais rien quant à la piste d’atterrissage[112].

[163]     Dans les circonstances, la juge de première instance n’avait pas d’autre choix que de rejeter la requête en inapplicabilité de l’article 7(12) du Règlement RV-2010-09-41[113]. En cela, il n’y a pas d’erreur permettant révision.

[164]     En ce qui concerne le Règlement sur les permis et certificats et le Règlement sur le zonage, il faut donc répondre à la troisième question en litige par l’affirmative. La doctrine de l’exclusivité des compétences rend, en l’espèce, constitutionnellement inapplicables à l’appelante ces dispositions réglementaires.

CONCLUSION

[165]     La juge de première instance a erré en droit en concluant que les activités de parachutisme en litige ne faisaient pas partie du cœur de la compétence fédérale en aéronautique, et conséquemment, en rejetant l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences.

[166]     Il y a également lieu de conclure que les règlements de la Ville de Lévis prohibant la tenue d’activités de parachutisme, incluant les installations liées aux activités de formation des parachutistes (le Règlement sur le zonage et le Règlement sur les permis et certificats), constituent une entrave au pouvoir fédéral en matière d’aéronautique. Conséquemment, ces règlements doivent être déclarés inapplicables à l’encontre de l’appelante.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[167]     ACCUEILLE  en partie l’appel;

[168]     REJETTE l’appel des condamnations reliées aux infractions d’usage non autorisé et de construction sans permis visant les causes : 14-02840-4, 14-02841-6, 14-03284-5, 14-03288-4, 14-03292-1, 14 03511-7, 14-03795-9, 14-04437-1, 14-04441-9, 14-04445-8, 14-04597-0, 14-05241-6 et 13-05819-2;

[169]     REJETTE l’appel de la condamnation relative à l’infraction de nuisance prévue à l’article 7(12) du Règlement RV-2010-09-41 sur les nuisances, la paix, le bon ordre, le bon gouvernement, le bien-être général, la sécurité et les animaux, cause : 14-03286-9;

[170]     DÉCLARE inapplicable constitutionnellement, à l’encontre de l’appelante, l’article 15 du Règlement RV-2011-11-23 sur le zonage et le lotissement, causes : 14-02840-4, 14-02841-6, 14-03284-5, 14-03288-4, 14-03292-1, 14 03511-7, 14-03795-9, 14-04437-1, 14-04441-9, 14-04445-8, 14-04597-0 et 14-05241-6;

[171]     DÉCLARE inapplicable constitutionnellement, à l’encontre de l’appelante, l’article 12 du Règlement RV-2011-11-28 sur les permis et certificats, cause : 13-05819 2;

[172]     REJETTE le moyen subsidiaire recherchant l’inapplicabilité constitutionnelle de l’article 7(12) du Règlement RV-2010-09-41 sur les nuisances, la paix, le bon ordre, le bon gouvernement, le bien-être général, la sécurité et les animaux.

 

 

__________________________________

LOUIS DIONNE, J.C.S.

 

 

 

Me Alain Dubé

Dubé Dion, Avocats senc

Procureurs de la défenderesse-APPELANTE;

 

Me Steve Cadrin

Dufresne Hébert Comeau inc.

Procureurs de la poursuivante-INTIMÉE

 

Me Patricia Blair

Justice Québec

Procureurs de la mise en cause

la Procureure générale du Québec

 

Me Linda Mercier

Me Michelle Kellam

Justice Canada

Procureurs du mis en cause

le Procureur général du Canada

 

Date d’audience :

12 et 13 septembre 2016

 



[1] Cause 13-05819-2.

[2] Règlement RV-2011-11-28 sur les permis et certificats (ci-après nommé « Règlement sur les permis et certificats ».

[3] Causes 14-02840-4, 14-02841-6, 14-03284-5, 14-03288-4, 14-03292-1, 14 03511-7, 14-03795-9, 14-04437-1, 14-04441-9, 14-04445-8, 14-04597-0, 14-05241-6.

[4] Règlement RV-2011-11-23 sur le zonage et le lotissement (ci-après nommé « Règlement sur le zonage »).

[5] Cause 14-03286-9.

[6] Règlement RV-2010-09-41 sur les nuisances, la paix, le bon ordre, le bon gouvernement, le bien-être général, la sécurité et les animaux (ci-après nommé « Règlement sur les nuisances »).

[7] Lots 2 059 681, 2 295 997 et 2 295 998, cadastre du Québec, circonscription foncière de Lévis.

[8] Pièce P-19.

[9] Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, L.R.Q. c. P-41.1.

[10] Pièce P-7.

[11] Pièce P-11.

[12] Pièce P-23.

[13] Pièce P-22.

[14] Pièce P-35B.

[15] Pièce P-24.

[16] Pièce P-29.

[17] Pièces P-39, P-43, P-45, P-49, P-60, P-68 et P-76.

[18] Pièces P-80, P-92, P-100 et P-108.

[19] Pièces P-112 et P-124.

[20] Pièce P-35C.

[21] Cause 14-03286-9.

[22] Notes sténographiques (ci-après « n.s. ») du 1er mai 2015, J. Bernier, p. 211 et suiv.

[23] Règlement sur le zonage, préc., note 4, art. 15, Règlement sur les permis et certificats, préc., note 2, art. 12 et Règlement sur les nuisances, préc., note 6, art. 7(12).

[24] Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, R.L.R.Q., c. A-19.1.

 

[25] Précité, note 23.

.

[26] Règlement sur le zonage, préc., note 4.

[27] Jugement dont appel, p. 18, paragr. 112.

[28] Jugement dont appel, p. 18, paragr. 105.

[29] Jugement dont appel, p. 18, paragr. 107.

[30] Jugement dont appel, p. 18, paragr. 111.

[31] Précité, note 4.

[32] Précité, note 4, art. 15 et 543.

[33] N.s. du 1er mai 2015, J. Bernier, p. 165 et suiv.

[34] N.s. du 1er mai 2015, J. Bernier, p. 192, l. 7 et suiv., p. 196, l. 8 et suiv.

[35] N.s. du 1er mai 2015, J. Bernier, p. 194, l. 24 et suiv.

[36] N.s. du 1er mai 2015, J. Bernier, p. 196, l. 22.

[37] N.s. du 1er mai 2015, J. Bernier, p. 200, l. 8.

[38] N.s. du 15 mai 2015, J. Bernier, p. 14, l. 4 et suiv.

[39] N.s. du 15 mai 2015, J. Bernier, p. 15, l. 16.

[40] N.s. du 15 mai 2015, J. Bernier, p. 17, l. 18 et suiv.

[41] N.s. du 1er mai 2015, E. Hallé, p. 6, l.1.

[42] N.s. du 1er mai 2015, E. Hallé, p. 77, l. 11.

[43] N.s. du 1er mai 2015, E. Hallé, p. 80, l. 2.

[44] N.s. du 1er mai 2015, E. Hallé, p. 82, l. 14.

[45] N.s. du 1er mai 2015, E. Hallé, p. 145, l. 4.

[46] Saint-Romuald c. Olivier, [2001] 2 R.C.S. 898, paragr. 39.

[47] Pépin c. Brissette, 2008 QCCA 829.

[48] Huot c. Municipalité de l’Ange-Gardien, 1992 CanLII 3267 (QC CA), p. 9 et 12.

[49] Ibid.

[50] Règlement sur le zonage, préc., note 4.

[51] Baie St-Paul (Ville) c. Cie Tremblay Ltée, 2004 CanLII 21495 (QC CS).

[52] Précité, note 6.

[53] Ibid.

[54] Jugement dont appel, p. 15, paragr. 85.

[55] Jugement dont appel, p. 21.

[56] Pièce P-52.

[57] N.s. du 30 avril 2015, E. Gourde, p. 179, l. 18 à 25 et 181, l. 18 à 22.

[58] N.s. du 1er mai 2015, J. Bernier, p. 211, l. 4 à 24.

[59] N.s. du 1er mai 2015, J. Bernier, p. 213, l. 5.

[60] N.s. du 1er mai 2015, J. Bernier, p. 214, l. 2 à 7.

[61] Pièce P-16, p. 3 de 15.

[62] N.s. du 1er mai 2015, J. Bernier, p. 214, l. 10 à 25.

[63] N.s. du 30 avril 2015, E. Gourde, p. 183, l. 1 à 3.

[64] Précité, note 6.

[65] Ibid.

[66] Ibid.

[67] Jugement dont appel, p. 27-28.

[68] Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), c. A-2.

[69] Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3 (ci-après : « Banque canadienne de l’Ouest »).

[70] Ibid.

[71] Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161, p. 1191.

[72] Précité, note 69.

[73] Précité, note 69, paragr. 32.

[74] Précité, note 69.

[75] Ibid, paragr. 34.

[76] Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association (ci-après « COPA »), [2010] 2 R.C.S. 536.

[77] Rogers Communications inc. c. Châteauguay (Ville de), 2016 CSC 23.

[78] Chalets St-Adolphe inc. c. St-Adolphe d’Howard (Municipalité de), 2011 QCCA 1491; Marcoux c. St-Charles-de-Bellechasse (Municipalité de), 2015 QCCS 4353.

[79] Bell Canada c. Québec (CSST), [1988] 1 R.C.S. 749, p. 839.

[80] Johannesson v. Rural Municipality of West St. Paul, [1952] 1 SCR 292, p. 311 (ci-après nommé « Johannesson »).

[81] Québec (Procureur général) c. Lacombe, [2010] 2 R.C.S. 453; voir aussi Johannesson, préc., note 80, p. 319 et COPA, préc., note 76, paragr. 34.

[82] Construction Montcalm inc. c. Com. Sal. Min.,  [1979] 1 R.C.S. 754, p. 771.

[83] Précité, note 80, p. 294.

[84] Ibid.

[85] Québec (Procureur général) c. Lacombe, préc., note 81.

[86] Précité, note 68.

[87] Précité, note 76, paragr. 35.

[88] Précité, note 68.

[89] Webber v. Canadian Aviation Insurance Managers Ltd., [2002] B.C.J. No 2272.

[90] Précité, note 68.

[91] N. s. du 15 mai 2015, p. 96.

[92] Mercier v. Alberta (Attorney General), 1997 ABCA 161.

[93] Mercier v. Alberta (Attorney General), 1996 CanLII 10359 (AB QB).

[94] Voir notes 92 et 93.

[95] Précité, note 68.

[96] Ibid.

[97] Ibid.

[98] Ibid.

[99] Jugement dont appel, paragr. 172.

[100] Précité, note 69, voir aussi Rogers Communications inc. c. Châteauguay (Ville de), préc. note 77.

[101] Banque de Montréal c. Marcotte, [2014] 2 R.C.S. 725, paragr. 64.

[102] Précité, note 4, art. 15.

[103] DORS/96-433, Partie IV - Délivrance des licences et formation du personnel, Partie V - Navigabilité 573.06, Partie VI - Règle générale d’utilisation et de vol des aéronefs, Section III - Parachutisme 603.36, Partie VII - Services aériens commerciaux, Section VIII - Formation 705.124, Programme de formation, Section IX - Exigences relatives au personnel 604.142.

[104] Précité, note 2, art. 12.

[105] Neuville (Ville de) c. 9247-9104 Québec inc., 2016 QCCS 113.

[106] Pièce P-5.

[107] N.s. du 30 avril 2015, E. Gourde, p. 24.

[108] Précité, note 4.

[109] Québec (P.G.) c. COPA, préc., note 76, paragr. 60, voir aussi Orangeville Airport Ltd and Town of Caledon et al.,  66 DLR (3d) 610 (ON CA).

[110] Précité, note 6, art. 7(12).

[111] Jugement dont appel, p. 22, paragr. 130.

[112] N.s. du 1er mars 2015, J. Bernier, p. 214, l. 2 à 7.

[113] Précité, note 6.

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