Saint-Pierre c. Mazda Canada inc. |
2019 QCCQ 6797 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-FRANÇOIS |
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LOCALITÉ DE |
SHERBROOKE |
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« Chambre civile » |
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N° : |
450-32-700769-185 |
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DATE : |
31 octobre 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
LA JUGE |
SOPHIE LAPIERRE |
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Paul SAINT-PIERRE, domicilié et résidant au [...], North Hatley (Québec) [...]
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Partie demanderesse |
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c. |
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MAZDA CANADA INC., ayant un établissement au 55 Vogell Road, Richmond Hill (Ontario) L4B 3K5
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Partie défenderesse |
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JUGEMENT
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[1] M. Paul Saint-Pierre réclame 4 972,43 $ à Mazda Canada inc. pour les dommages causés à sa voiture Mazda 3, modèle de l’année 2016. À deux reprises, sa voiture s’est déplacée d’elle-même dans la cour de sa résidence pour terminer sa course contre sa maison.
[2] M. Saint-Pierre prétend que le fait que l’automobile se mette en mouvement alors que la transmission manuelle est embrayée est inhabituel et probablement lié au système SkyActive. Selon lui, les propriétaires devraient en être informés adéquatement par le fabricant.
[3] Il ajoute que les recommandations pertinentes apparaissant au manuel du propriétaire sont inaccessibles et insuffisantes, vu les 600 pages que le manuel comporte.
[4] Mazda réplique qu’elle s’est déchargée de son obligation d’informer les propriétaires de voiture du risque qu’elles se mettent en mouvement sans l’utilisation du frein à main même lorsque la transmission manuelle est embrayée. Elle ajoute que la Loi sur la protection du consommateur et les dispositions du Code civil du Québec relativement aux vices cachés ne s’appliquent pas lorsque le dommage résulte d’un mauvais usage du bien, comme ce serait le cas en l’espèce.
[5] M. Saint-Pierre a été pleinement indemnisé par son assureur pour les dommages causés à sa voiture lors du premier incident. A-t-il le droit de réclamer le même montant à Mazda?
[6] La voiture de M. Saint-Pierre est-elle affectée d’un vice caché ou d’un défaut de sécurité qui a causé les dommages pour lesquels il réclame?
[7] M. Saint-Pierre était-il adéquatement informé du risque par le manuel du propriétaire?
[8] M. Saint-Pierre a été propriétaire successivement de plusieurs voitures à transmission manuelle. Les trois dernières voitures étaient des Mazda 3. Seul le modèle de l’année 2016, soit celui de la voiture en cause, est muni du système SkyActive.
[9] M. Saint-Pierre habite la même résidence depuis très longtemps. Son entrée de cour est pavée et comporte une légère pente descendante de la rue vers l’arrière de son terrain.
[10] Le 4 octobre 2017 en matinée, M. Saint-Pierre stationne sa voiture avec l’avant en direction du fond de sa cour. Au cours de la journée, elle se déplace d’elle-même et percute la maison.
[11] M. Saint-Pierre témoigne qu’il déduit des circonstances qu’il avait laissé la transmission au point mort. Il est certain de ne pas avoir mis le frein à main.
[12] Il présente une réclamation à son assureur automobile qui débourse le coût des réparations à la voiture, s’élevant à 3 623,70 $.
[13] Environ neuf mois plus tard[1], le 10 juillet 2018, la même chose se produit. Cette fois, M. Saint-Pierre remarque qu’il avait laissé la transmission embrayée en deuxième vitesse et n’avait pas mis le frein à main.
[14] Le coût des réparations de la voiture est estimé à 1 348,73 $. M. Saint-Pierre ne fait pas réparer la voiture, ni ne présente de réclamation à son assureur. Il veut éviter une augmentation de sa prime d’assurance.
[15] Le 20 juillet suivant, M. Saint-Pierre dénonce la problématique à Mazda qu’il présente comme étant de deux ordres possibles : soit il s’agit d’une défectuosité affectant toutes les voitures du même modèle et il aurait alors dû être mis en garde, soit ce n’est que sa voiture qui est défectueuse auquel cas il y a lieu de régler le problème.
[16] Dès le 27 juillet, Mazda lui répond en le référant au manuel du propriétaire qui indique que la voiture doit être stationnée avec le levier de transmission en position 1 ou R, avec le frein à main engagé. Autrement, le véhicule peut se mettre en mouvement et causer un accident.
[17] Insatisfait de la position prise par Mazda, M. Saint-Pierre la met en demeure de payer 4 972,43 $. Mazda répond en réitérant ses explications et en refusant de payer pour les dommages réclamés.
[18] Suite au premier incident, M. Saint-Pierre a présenté une réclamation à son assureur automobile qui l’a indemnisé pour ses dommages en payant le coût des réparations.
[19] La survenance d’un sinistre crée une subrogation en puissance en faveur de l’assureur, qui s’actualise avec le paiement de l’indemnité[2]. Cette subrogation légale s’opère sans le consentement de l’assuré[3]. L’assuré victime d’un sinistre a deux débiteurs : son assureur de biens et le responsable du dommage pour le solde de sa créance[4].
[20] Par l’effet de la subrogation légale en faveur de l’assureur de M. Saint-Pierre, seul cet assureur peut poursuivre Mazda pour recouvrer le montant de l’indemnité payée.
[21] La réclamation de M. Saint-Pierre pour ce montant est irrecevable.
La voiture de M. Saint-Pierre est-elle affectée d’un vice caché ou d’un défaut de sécurité qui a causé les dommages à sa voiture lors du deuxième incident? M. Saint-Pierre était-il adéquatement informé du risque par le manuel du propriétaire?
[22] Le fardeau de preuve repose sur les épaules de M. Saint-Pierre. Il lui revient d’établir les faits qui fondent son recours. Pour être suffisante, la preuve de ces faits doit satisfaire la balance des probabilités, c’est-à-dire que l’existence d’un fait doit être plus probable que son inexistence. Une simple hypothèse ou possibilité demeure insuffisante[5].
[23] En principe, l’acheteur d’un bien affecté d’un vice caché doit prouver l’existence du vice au moment de la vente, sa gravité, son caractère caché, et le fait que s’il en avait connu l’existence, il n’aurait pas conclu la vente ou n’aurait pas donné si haut prix[6].
[24] En matière de recours basé sur l’existence d’un vice caché affectant un bien vendu par un vendeur professionnel ou intenté contre un fabricant, la Cour d’appel rappelait récemment[7] :
[28] Rappelons qu’en cas de vente par un vendeur professionnel, l’acheteur bénéficie d’une triple présomption : (1) la présomption de l’existence du vice, (2) la présomption de l’antériorité du vice par rapport au contrat de vente, et (3) la présomption du lien de causalité unissant le vice à la détérioration ou au mauvais fonctionnement du bien[3]. Cet ensemble de présomptions s’apparente à une présomption de responsabilité[4].
[29] Pour jouir des effets de la présomption, il suffit que l’acheteur démontre (1) qu’il a acquis le bien d’une personne tenue à la garantie du vendeur professionnel et (2) que le bien s’est détérioré prématurément par rapport à un bien identique ou de même espèce[5].
[30] Il appartient alors au vendeur professionnel ou au fabricant de repousser la présomption en démontrant que le problème est lié à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur, à une faute causale d’un tiers ou à une force majeure. Or, la juge a estimé que l’appelante n’est pas parvenue à faire une telle preuve.
______________
[3] CNH Industrial Canada Ltd. c. Promutuel
Verchères, société mutuelle d’assurances générales,
[4] Ibid.
[5] Id., paragr. 30.
[25]
Le recours de M. Saint-Pierre fait également appel à la garantie de
durabilité prévue à l’article
[32]
Les articles
[33]
Pour bénéficier de la présomption de responsabilité prévue
à l’article
Qu’il a acquis le bien d’une personne tenue à la garantie du vendeur professionnel ou d’un commerçant au sens de la LPC; et
Que le bien s’est détérioré prématurément par rapport à un bien identique ou de même espèce, ou qu’il n’a pas servi à l’usage auquel il est normalement destiné, ou qu’il n’a pas servi à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.[15]
[34] Si l’acheteur ou le consommateur réussit à faire la preuve de ces deux conditions, il y a alors une présomption de responsabilité du vendeur professionnel ou du commerçant.
[35] Le vendeur professionnel ou le commerçant peuvent repousser la présomption de responsabilité s’ils font la preuve, par prépondérance, de la mauvaise utilisation du bien par l’acheteur, de la faute causale d’un tiers ou d’un cas de force majeure[16].
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[14] CNH Industrial Canada Ltd. c. Promutuel Verchères, société mutuelle
d’assurances générales,
[15] CNH Industrial Canada Ltd. c. Promutuel Verchères, société mutuelle d’assurances générales, précité, par. 30.
[16] CNH Industrial Canada Ltd. c. Promutuel Verchères, société mutuelle d’assurances générales, précité, paras 31 à 34.
[26] Le fabricant est tenu à ces garanties[9].
[27] Le recours entrepris par M. Saint-Pierre s’analyse aussi sous l’angle de la responsabilité du fait des biens pour un défaut de sécurité, en raison d’un vice de conception ou de fabrication du bien, ou de l’absence d’indications suffisantes quant aux risques et dangers qu’il comporte ou quant aux moyens de s’en prémunir[10]. Dans ce cas, le fabricant du bien n’est admis à s’exonérer que s’il prouve que la victime connaissait ou était en mesure de connaître le défaut du bien ou qu’elle pouvait prévoir le préjudice[11].
[28] Comme l’enseignait la Cour d’appel[12], l’obligation de sécurité inclut celle de renseignement, laquelle comporte deux volets : l’un touche le danger inhérent, l’autre les précautions d’utilisation. La nature et l’étendue de l’obligation de renseignement est tributaire des circonstances et du contexte de chaque affaire. La prévention de l’emploi de méthodes fautives dans l’utilisation d’un bien est l’un des principaux objectifs de l’obligation de renseignement. Le fabricant est tenu responsable lorsque la cause immédiate de l’accident découle directement de l’absence ou de l’insuffisance des informations sur les méthodes appropriées d’utilisation du bien.
[29] Comme le rappelait la Cour d’appel[13], il est évident que dans le cas où les instructions du fabricant renseignent correctement et pleinement l’utilisateur, si ce dernier néglige d’en prendre connaissance et que survient un accident, le fabricant n’en est pas responsable. Il est tout aussi évident que lorsque l’utilisateur prend connaissance des instructions du fabricant qui, toutefois, sont déficientes, la responsabilité de ce dernier sera retenue.
[30] Le Tribunal retient du témoignage de M. Saint-Pierre qu’il stationne sa voiture en laissant la transmission embrayée parfois en première vitesse, parfois en deuxième vitesse, parfois il la laisse au point mort. M. Saint-Pierre engage parfois le frein à main, parfois non.
[31] Après le premier incident, M. Saint-Pierre choisit de ne pas prendre l’habitude d’engager le frein à main, ce qu’il admet faire depuis la survenance du deuxième incident.
[32] Il témoigne que généralement, il ne lit pas le manuel du propriétaire mais il le considère comme un manuel de référence. Pourtant, il choisit de ne pas le consulter après le premier incident.
[33] Le manuel du propriétaire fourni par Mazda indique clairement que la voiture peut se mettre en mouvement et provoquer un accident si elle est stationnée sans que le levier d’embrayage ne soit en position 1 ou R, et sans que le frein à main ne soit engagé.
[34] La jurisprudence reconnaît que l’omission de lire les recommandations du fabricant quant à l’utilisation du bien, par choix ou par négligence, fait obstacle au recours de l’acheteur[14].
[35] Dans la présente affaire, la preuve ne permet pas de déterminer ce qui déclenche la mise en mouvement du véhicule. La simple hypothèse que le système SkyActive explique la mise en mouvement qui serait inhabituelle quand la transmission est embrayée demeure non prouvée.
[36] De surcroît, M. Saint-Pierre ne démontre pas avoir utilisé normalement sa voiture après le premier incident. Il n’a pas suivi les recommandations du fabricant lorsque la voiture est laissée stationnée, ni réussi à démontrer que le fait de ne pas utiliser le frein à main alors que la transmission est embrayée en deuxième vitesse constitue un usage normal, malgré les recommandations du fabricant.
[37] Sa réclamation pour le second incident doit être rejetée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[38] REJETTE la demande introductive d’instance;
[39] CONDAMNE M. Paul Saint-Pierre aux frais de justice de 151 $.
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__________________________________ SOPHIE LAPIERRE, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
7 octobre 2019 |
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N.B. - Un an après la date du présent jugement, les pièces produites au dossier seront détruites à moins que les parties n'en reprennent possession avant cette échéance.
[1] Pour une raison qui demeure inexpliquée, M. Saint-Pierre parle de quatre mois plus tard dans ses écrits transmis à Mazda.
[2] Kingsway General Insurance Co. c. Duvernay Plomberie
et chauffage inc.,
[3]
Union canadienne (L'), compagnie d'assurances c. Immeubles Alre
inc.,
[4]
County Line Trucking Ltd. c. Souveraine (La), compagnie
d'assurances générales,
[5] Code civil du Québec, articles 2803 et 2804.
[6] Code civil du Québec, article 1726.
[7] Capmatic Ltd. c. American Brands,
[8]
[9] Code civil du Québec, article 1730 et Loi sur la protection du consommateur, article 53.
[10] Code civil du Québec, article 1469.
[11] Code civil du Québec, article 1473.
[12]
Accessoires d’auto Vipa inc. c. Therrien,
[13] Mulco inc. c. Garantie (La), Cie d’assurance de l’Amérique du Nord, 1990 CanLII 3279 (QC CA).
[14]
Lessard c. Caravane 185 inc.,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.