[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement interlocutoire rendu le 27 mai 2014 par la Cour supérieure du district de Montréal (l’honorable Wilbrod Claude Décarie). Ce jugement a rejeté sa requête en irrecevabilité.
[2] Voici en quelques mots les éléments essentiels de l’affaire.
[3] Invoquant le secret professionnel, et plus particulièrement l’immunité de divulgation dont elle dit jouir, l’intimée, une avocate, s’est adressée à la Cour supérieure pour faire casser une assignation à comparaître lancée par l’appelante, l’Autorité des marchés financiers. Cette dernière conduit une enquête concernant la société pour le compte de laquelle l’intimée travaille à titre de membre du contentieux.
[4] L’assignation à comparaître comprend une ordonnance de confidentialité dont l’intimée se plaint également. Or, selon l’appelante, la Cour supérieure n’est pas compétente pour revoir cette ordonnance. À son avis, c’est plutôt le Bureau de décision et de révision qui s’est vu confier la tâche exclusive de modifier une semblable ordonnance.
[5] Le juge de première instance a rejeté la requête en irrecevabilité en invoquant les motifs suivants :
[21] Me X invoque, à sa procédure, que l’assignation aura nécessairement comme but la divulgation d’information privilégiée appartenant à son employeur. Si tel est le cas, cela constitue un excès de compétence rendant inopérantes les clauses privatives. Ce moyen de non recevabilité n’étant donc pas clair et évident, il doit être rejeté. Seule la preuve administrée pourra permettre au Tribunal d’évaluer l’ensemble des circonstances et déterminer s’il y a lieu ou pas de donner effet à la clause privative.
[6] Le juge estime, de surcroît, ne pas avoir à se prononcer sur l’ordonnance de confidentialité, soutenant que l’inscription en droit partielle n’existe plus et qu’en l’espèce, l’une des conclusions recherchées, la demande de nullité de l’assignation, n’est pas manifestement irrecevable.
[7] L’Autorité s’est adressée à la Cour par voie de requête pour permission d’interjeter appel, une procédure que la juge siégeant seule a déférée à une formation.
[8] Il y a lieu d’accueillir la requête pour permission, puisque la question de la compétence de la Cour supérieure à se saisir immédiatement de l'affaire est au centre du débat[1]. Les articles 18 et 34.1 de la Loi sur l’autorité des marchés financiers[2] mettent en effet en place une clause privative étanche, avec clause de renfort, empêchant l’immixtion des tribunaux supérieurs dans l’exercice des pouvoirs que la loi confère à l’Autorité :
18. Sauf sur une question de compétence, aucun des recours en vertu de l'article 33 du Code de procédure civile (chapitre C-25) ou recours extraordinaires au sens de ce code ne peut être exercé, ni aucune injonction accordée contre une personne autorisée à procéder à une inspection ou à faire une enquête.
Tout juge de la Cour d'appel peut, sur requête, annuler sommairement toute décision rendue, ordonnance ou injonction prononcée à l'encontre du premier alinéa.
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34.1. Sauf sur une question de compétence, aucun des recours en vertu de l'article 33 du Code de procédure civile (chapitre C-25) ou recours extraordinaires au sens de ce code ne peut être exercé, ni aucune injonction accordée contre l'Autorité.
Annulation par la Cour d'appel.
Tout juge de la Cour d'appel peut, sur requête, annuler sommairement toute décision rendue, ordonnance ou injonction prononcée à l'encontre du premier alinéa.
[9] Sur le fond de la question, l’ordonnance de confidentialité paraît à première vue limitée à ce qui est nécessaire pour assurer l’intégrité du processus administratif[3], dans l’exercice des pouvoirs que le législateur confie à l’Autorité[4]. Mais, surtout, l’intimée n’a pas épuisé les recours que lui offre la Loi, puisqu’elle ne s’est pas adressée tout d’abord au Bureau de décision et de révision[5]. Sous ce seul rapport, la demande de mise en œuvre des pouvoirs de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure est prématurée.
[10] Quant à l’exception fondée sur l’immunité de divulgation, l’intimée plaide que l’assignation à comparaître décrit de façon claire le cadre de l’interrogatoire envisagé par l’enquêteur. Selon elle, on peut en déduire que les questions porteront sur des sujets protégés par l’immunité découlant de l’obligation de confidentialité à laquelle elle est tenue envers son employeur en sa qualité d’avocate interne de l’entreprise. Elle invoque donc la présomption simple qui, selon elle, serait applicable à une semblable situation, conformément à l’enseignement se dégageant de l’arrêt Foster Wheeler[6].
[11] De l’avis de la Cour, la facture de l’assignation à comparaître ne permet pas de combler le vide factuel sur lequel repose la demande de l’intimée. Tous les échanges entre un avocat et son client ne sont pas nécessairement protégés par le secret professionnel[7]. En l’espèce, aucune question ne lui a encore été posée et toute atteinte par l’enquêteur au droit à la confidentialité auquel pourrait prétendre la société qui l’emploie relève de l’hypothèse ou, dans le scénario le plus favorable à la thèse de l’intimée, de la spéculation. Il n’y a tout simplement pas suffisamment de matière pour évaluer la portée concrète de la présomption simple d’immunité de divulgation dans le cas à l’étude, en tenant pour acquis, sans en décider, qu’elle devrait trouver application.
[12] Sous ce rapport, la demande de cassation adressée à la Cour supérieure est donc également prématurée.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[13] ACCUEILLE sans frais la requête pour permission d’interjeter appel;
[14] ACCUEILLE l’appel avec dépens et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu :
ACCUEILLE la requête en irrecevabilité;
REJETTE la requête introductive d’instance de Me X;
Le tout avec dépens.
[1] Voir notamment à ce sujet Agence canadienne de l'inspection des aliments c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2007 QCCA 750.
[2] RLRQ, c. A-33.2, art. 18 et 34.1.
[3] Autorité des marchés financiers c. Groupe SNC Lavalin inc., 2013 QCCA 204, paragr. 37.
[4] Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ, c. V-1,1, art. 245.
[5] Autorité des marchés financiers c. Groupe SNC Lavalin inc., supra, note 3, aux paragr. 59 et suivants.
[6] Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., [2004] 1 R.C.S. 456, 2004 CSC 18.
[7] Voir à ce sujet R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, notamment aux p. 601-618 de même que Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809, 2004 CSC 31, notamment aux p. 816-819.
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