Barnard c. St-Lambert (Ville de) |
2010 QCCQ 556 |
|||||
COUR DU QUÉBEC «Division des petites créances» |
||||||
|
||||||
CANADA |
||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||
DISTRICT DE |
LONGUEUIL |
|||||
« Chambre civile » |
||||||
N° : |
505-32-024349-087 |
|||||
|
||||||
DATE : |
22 janvier 2010 |
|||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
VIRGILE BUFFONI, J.C.Q. |
||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
|
||||||
ANDRÉ BARNARD |
||||||
|
||||||
Partie demanderesse |
||||||
|
||||||
c. |
||||||
|
||||||
VILLE DE SAINT-LAMBERT |
||||||
|
||||||
Partie défenderesse |
||||||
|
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
JUGEMENT |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
[1] Le demandeur réclame 7 000 $ pour le préjudice subi à la suite d'une chute sur un trottoir de la municipalité défenderesse (la Ville).
[2] La Ville nie avoir commis une faute relativement à cet accident.
[3] Le 5 mars 2008, vers 17 h 30, le demandeur revenait à pied de la gare de Saint-Lambert lorsqu'en marchant sur le trottoir longeant la rue Alexandra, au coin du boulevard Quinn, il a déposé le pied sur une plaque de glace et a chuté.
[4] Cette chute a entraîné deux fractures graves de la jambe gauche, soit une fracture spiralée du péroné et une fracture de la malléole interne.
[5] Le demandeur a alors dû être conduit à l'hôpital en ambulance et deux jours plus tard a subi une chirurgie visant à installer une plaque en titane sur le péroné ainsi que neuf vis, dont une dans la malléole et huit dans le péroné.
[6] Le demandeur soumet que le trottoir aurait dû être déglacé puisqu'il s'agit d'une rue empruntée par les autobus de transport en commun de la Rive-Sud et que la plaque de glace était située directement à l'endroit où les usagers du transport en commun descendent de l'autobus.
analyse
[7]
Le recours du demandeur se fonde sur les articles
« 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde. »
7° Nonobstant toute loi générale ou spéciale, aucune municipalité ne peut être tenue responsable du préjudice résultant d'un accident dont une personne est victime, sur les trottoirs, rues ou chemins, en raison de la neige ou de la glace, à moins que le réclamant n'établisse que ledit accident a été causé par négligence ou faute de ladite municipalité, le tribunal devant tenir compte des conditions climatériques. »
[8] Le demandeur a le fardeau de prouver la faute de la Ville, par une preuve prépondérante.[1]
[9] L'état du droit applicable en matière de responsabilité découlant de la chute sur un trottoir a fait l'objet d'une jurisprudence abondante. Le juge Michael Sheehan de notre Cour résume en ces termes l'état du droit à ce sujet :
«[5] Dans Picard[2], la Cour suprême souligne qu'une municipalité n'est pas l'assureur de ceux qui se servent de ses trottoirs. Le fait de faire une chute sur un trottoir ne donne pas nécessairement ouverture à une réclamation pour les dommages subis. Il faut nécessairement établir la faute de la municipalité. Dans Sperlazza[3], la Cour supérieure souligne qu'une municipalité n'est pas tenue à un standard de perfection. Dans Gaberi[4], la Cour suprême souligne que la réclamation contre une municipalité ne peut réussir à moins qu'il ne soit démontré qu'il y a eu négligence de la part de la ville ou de ses employés et que c'est cette négligence qui a causé le dommage. Dans Paquin[5], la Cour suprême a répété le même principe. Tous ces principes furent appliqués par la Cour du Québec dans Paquet[6]. »[2]
(références omises)
[10] Dans l'affaire El Habi c. Ville de Montréal[3], le juge Raoul Barbe s'exprime comme suit :
« [22] Il faut rappeler que les autorités municipales ne sont pas les assureurs des piétons et que la chute de l'un d'entre eux sur un trottoir, même si elle survient alors qu'il a glissé sur la glace, ne crée pas automatiquement une présomption de faute engageant leur responsabilité. L'obligation des autorités municipales en cette matière est une obligation de moyen et non de résultat
.
[23]
Les autorités
municipales ne sont pas obligées d'avoir des hommes et de l'équipement constamment à l'oeuvre tout
au long de leurs rues pour faire disparaître la moindre trace de glace
lorsqu'elle se produit. La Ville n'est pas tenue d'assurer que les
trottoirs ne seront jamais glissants, mais elle est tenue de prendre des
précautions raisonnables pour les
bien entretenir (Garberi c. Ville de Montréal,
1961 R.C.S. 408
aux pages 409-410; Picard c. Ville de Québec,
[24] Il incombe à la victime d'établir qu'en empruntant le trottoir en cause, elle avait pris les précautions normalement requises d'une personne raisonnable et prudente en pareil cas et que sa chute résulte de l'état dangereux du trottoir et qu'elle est imputable à la négligence de la Ville qui n'avait pas apporté à son entretien la diligence et les soins requis dans les circonstances.
[25] Dans l'arrêt Ville de Québec c. Barbeau, 1948 B.R. 306, le Juge Pratte de la Cour d'appel écrit (p. 316):
La cité n'est pas l'assureur des piétons; son obligation n'étant pas absolue, les piétons ne sont en droit d'attendre d'elle qu'une sécurité relative. S'ils désirent davantage, ils devront compter sur leur propre vigilance pour l'obtenir. L'obligation de la Cité à leur égard n'a pas pour effet de les décharger du devoir qui incombe à chacun de veiller à sa propre sécurité, surtout alors que les circonstances commandent la prudence.
[26]
Il faut que le
piéton qui utilise les trottoirs de la Ville durant
l'hiver, après un bref dégel comme en l'espèce, accepte le risque qu'il y aura
des endroits glissants et dangereux. Il doit en conséquence prendre des
précautions particulières. Il lui faut redoubler d'attention aux endroits
où, entre autres, le trottoir est plus étroit. Au moment de l'accident,
le demandeur avait déjà marché de la rue Notre-Dame et arrivait à la rue de la
Commune, il avait donc franchi la plus grande distance sur un trottoir glissant
et non encore sablé recouvert d'une légère couche de neige. Il n'a pas
été pris par surprise quant à la condition du trottoir. L'attention et
même la concentration du piéton peuvent défaillir un instant; cela ne résulte
pas nécessairement d'un piège. Il y a dans l'idée de piège une
connotation d'anormalité, eu égard à toutes les circonstances (Rubis c. Gray
Rock Inn Ltd.,
[11] Le demandeur témoigne que la plaque de glace sur laquelle il a glissé était recouverte de neige. La plaque de glace était tellement grande qu'un des deux policiers répondant à l'appel au secours du demandeur de même que les ambulancières ont dû attendre, après la chute d'une d'entre elles, que du sel fasse fondre la glace avant de pouvoir accéder au demandeur et de le hisser sur une civière.
[12] Le témoignage du demandeur est tout à fait crédible et probant et n'a pas été contredit.
[13] Les rapports météorologiques montrent que la veille de l'accident, le 4 mars 2008, il avait plu durant la journée et que cette pluie s'était transformée en neige sur l'heure du midi. Durant la nuit, la neige avait repris suivie d'une pluie entre 5 h 00 et 10 h 00 suivie de neige à compter de 11 h 00 jusqu'à 14 h 00. Par la suite, il y eu de la neige éparse jusqu'au moment de l'accident.
[14] La température moyenne durant la journée du 5 mars est établie à -6.6 degrés centigrades. Il est tombé au total 17 centimètres de neige et 1,6 millimètre de pluie le 5 mars 2008.
[15] Il ne fait pas de doute que ces conditions climatiques ont pu provoquer la formation de plaques de glace sur le trottoir, recouvertes d'une couche de neige, ce qui corrobore largement le témoignage du demandeur.
[16] Le chef du service des travaux publics de la Ville, Guy St-Jean, témoigne qu'à l'époque de l'accident, les proposés de la Ville suivaient les directives inscrites dans le Manuel de déneigement 2001 de la Ville. Le manuel stipule en matière d'opération pour l'épandage d'abrasif sur rue et trottoir :
« Durant les heures régulières de travail, le surintendant ou le responsable fait débuter l'opération d'épandage d'abrasif aussitôt que les rues et trottoirs sont glissants, généralement, lorsqu'il y a une accumulation de 1 cm.
Des fondants et / ou abrasifs selon la température sont épandus à pleine longueur sur le réseau primaire et secondaire qui incluent les corridors de sécurité. L'entretien des rues locales consiste en un épandage aux arrêts et courbes. »[4]
(soulignement par le soussigné)
[17] St-Jean explique que pour les fins d'opérations de déneigement, la Ville est divisée en sept secteurs et que l'endroit où a eu lieu l'accident est situé dans un secteur classé priorité numéro un. Les trottoirs sur la rue Alexandra ont été déneigés à deux reprises entre 5 h 00 et 12 h 00 le 5 mars 2008, selon les registres de la Ville.
[18] Il explique aussi que malgré la chute de neige et de pluie, l'équipe de direction des travaux publics a pris la décision à 7 h 00 le matin du 5 mars 2008 de ne pas épandre d'abrasif sur les trottoirs.
[19] Il admet qu'il y avait matière à vérifier l'état glissant des trottoirs, vu l'accumulation de neige. La procédure habituelle de vérification de l’état glissant des trottoirs consiste en une vérification visuelle par un représentant du service des travaux publics, en voiture, suivant un trajet aléatoire.
[20] Il ne peut affirmer si cette vérification a été faite le 5 mars 2008, ni par qui, ni à quelle heure, ni à quelle fréquence et ni même si un trottoir quelconque de la Ville a été examiné ou jugé glissant le jour de l'accident.
[21] En somme, il n'y a aucune preuve que la Ville ait vérifié l'état glissant des trottoirs le 5 mars 2008. Les conditions climatiques du 4 et du 5 mars 2008 étaient pourtant de nature à exiger un minimum de vérifications de l'état glissant des trottoirs, comme le prévoit d'ailleurs le manuel de déneigement de la Ville lorsqu’il y a une accumulation de neige de plus de 1 cm. D'autant plus que le secteur de l'accident constitue une priorité numéro un, selon la Ville.
[22]
L'obligation d'entretien des trottoirs par la Ville commence
nécessairement par une vérification diligente de l'état des trottoirs.
L'absence de preuve d'une telle vérification constitue une faute au sens de
l'article
[23] Le Tribunal est d'avis qu'en toute vraisemblance, une vérification même sommaire de l'état des trottoirs aurait vraisemblablement permis de constater l'état glissant des trottoirs. La plaque de glace sur laquelle a chuté le demandeur n'était probablement pas un cas isolé et aurait dû faire l'objet d'un épandage de sel ou d'abrasif dans le courant de la journée du 5 mars 2008, avant la chute du demandeur.
[24] Vu la faute de la Ville, l'existence d'un préjudice pour le demandeur et le lien de causalité direct entre ces deux éléments, la responsabilité de la Ville est établie.
[25] La preuve n'a pas établi l'existence d'une faute commise par le demandeur lui-même ayant provoqué la chute.
[26] Le demandeur réclame 7 000 $ pour le préjudice subi. Entre le 5 mars 2008 et le début du mois de juin 2008, le demandeur a été dans l'impossibilité de travailler. Il a subi une perte de salaire au montant de 991,72 $. Le Tribunal fait droit à cette réclamation.
[27] Durant cette période et après, le demandeur a dû payer des frais médicaux divers, non remboursables, au montant de 1 938,38 $. Le Tribunal fait droit aussi à cette réclamation.
[28] Le demandeur réclame 4 069,90 $ à titre de douleur et perte de jouissance de la vie. Le demandeur a dû porter un plâtre pendant environ huit semaines. Il a reçu par la suite des traitements de physiothérapie. Lors de son traitement, il a reçu de la morphine et par la suite, il a dû prendre des médicaments contre la douleur sur une période d'environ trois semaines.
[29] Au mois de juin 2008, de retour au bureau, le demandeur a dû marcher avec une canne et devait prendre des pauses fréquentes durant ses tâches. Il a été dans l'incapacité de se promener sauf sur de courtes distances, et de faire les travaux extérieurs de printemps usuels.
[30] Eu égard au préjudice moral subi par le demandeur, le Tribunal estime qu'un montant de 2 500 $ représente une compensation juste et adéquate dans les circonstances.
[31] La preuve a donc établi une créance en faveur du demandeur au montant de 5 430,10 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[32]
CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur la somme de
5 430,10 $, avec intérêts au taux légal plus l'indemnité
additionnelle prévue à l'article
|
|
|
__________________________________ VIRGILE BUFFONI, J.C.Q. |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.