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[2] Par sa décision, la révision administrative confirme la décision rendue le 29 janvier [et non le 28 janvier] 2004 par la CSST qui donne suite au rapport complété le 18 décembre 2003 par le Comité spécial des présidents (CSP), pour lequel la CSST s'estime liée avec le ou les diagnostics ainsi que les constatations médicales retenues par les membres de ce comité, le tout en vertu de l'article 233 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1](la loi).
[3] En conséquence, la CSST entérine les conclusions émises par ce comité qui confirme le diagnostic d'amiantose et qu'il n'y a pas d'augmentation du déficit anatomo-physiologique (DAP) de 10 %, déjà été attribué au travailleur; que le nouveau diagnostic découvert lors de l'autopsie du travailleur, soit un cancer ou un carcinome pulmonaire, est issu d'une deuxième maladie professionnelle pulmonaire mais que, selon l'étude du dossier et l'avis du Comité des maladies professionnelles pulmonaires (CMPP) ainsi que celui du CSP, le décès du travailleur n'est pas survenu principalement en raison de son carcinome pulmonaire ni de son amiantose qui n'étaient pas la condition pulmonaire majeure car la cause de son décès serait plutôt à la bronchiolite oblitérante avec pneumonie organisée, nécessitant la prise de Prednisone quotidiennement qui a joué un rôle prépondérant dans le développement de sa pneumonie terminale.
[4] En l'occurrence, la CSST conclut que le décès du travailleur est attribuable à une condition personnelle pulmonaire et cardiaque et qu'il n'y a pas de lien entre l'amiantose reconnue chez ce dernier ni son cancer pulmonaire (carcinome), découvert lors de l'autopsie, et le décès du travailleur. La succession du travailleur n'a donc pas droit aux indemnités de décès prévues à la loi.
[5] D'autre part, le CSP a aussi reçu une directive de la CSST, à l'effet qu'il n'y avait pas lieu d'évaluer le DAP du travailleur, pour sa deuxième maladie professionnelle pulmonaire, et c'est pour cette raison que le CSST maintient un DAP de 10 %, accordé antérieurement pour l'amiantose du travailleur.
L'AUDIENCE
[6] Au départ, la Commission des lésions professionnelles devait rendre une décision sur dossier, à partir d'une argumentation écrite, datée du 2 février 2005 et colligée par monsieur Louis Proulx, conseiller syndical à la CSN, qui représente le travailleur.
[7] Toutefois, la succession du travailleur s'est présentée en compagnie de monsieur Paul Perron, frère du défunt. Ceux-ci tenaient à ce qu'il y ait une audience, puisqu'ils avaient des informations additionnels à fournir au tribunal.
[8] L'audience a donc été tenue à 16 h, au Palais de justice de Thetford-Mines, en présence de ces deux personnes. Les documents reçus de monsieur Proulx furent aussi remis au représentant de la succession du travailleur qui a pu en prendre connaissance, durant l'heure du midi, pour se préparer en vue de l'audience.
[9] En outre, puisque la Commission des lésions professionnelles n'a pu siéger avec un assesseur médical, en raison de sa non-disponibilité au moment de l'audience, l'épouse du défunt a accepté que ce tribunal fasse appel à un assesseur médical avant de se prononcer sur le fond du litige, compte tenu qu'il s'agit d'un cas complexe. La docteure Johanne Gagnon fut consultée et la cause est prise en délibéré le 11 mai 2005 par la Commission des lésions professionnelles.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[10] Le représentant de la succession du travailleur, soit monsieur Louis Proulx, demande à la Commission des lésions professionnelles d'accueillir sa requête, d'infirmer la décision rendue par la révision administrative de la CSST, puisque celle-ci est illégale, concernant l'opinion retenue par le CSP et le CMPP qui outrepasse leur mandat lorsqu'ils se prononcent sur la relation entre le décès du travailleur et ses maladies professionnelles pulmonaires reconnues, soit, d'abord, une amiantose et, ensuite, un carcinome pulmonaire.
[11] D'autre part, il demande d'infirmer la décision rendue par la révision administrative de la CSST et de déclarer que la cause principale du décès du travailleur est due à son cancer de type carcinome pulmonaire, tel que précisé dans le rapport d'autopsie, et aussi à son amiantose, et que la présomption de décès prévue à l'article 95 de la loi s'applique et n'a pas été renversée par la CSST - Soutien à l'imputation (la partie intéressée).
[12] Subsidiairement, si la Commission des lésions professionnelles conclut que le décès du travailleur n'est pas dû à ses deux maladies professionnelles pulmonaires, il demande à ce tribunal de retourner le dossier à la CSST, afin qu'elle établisse le pourcentage de DAP relié au cancer pulmonaire du travailleur, soit un carcinome, et ce, afin de verser à la succession du travailleur le montant auquel ce dernier aurait eu droit pour sa deuxième maladie professionnelle pulmonaire reconnue.
L’AVIS DES MEMBRES
[13] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d'avis que la preuve médicale prépondérante n'établit pas que la cause principale et prépondérante du décès du travailleur est due à l'une ou à ses maladies professionnelles pulmonaires, soit une amiantose et un carcinome pulmonaire.
[14] Par ailleurs, même si l'avis de ces comités, lorsqu'ils se prononcent sur la relation entre le décès d'un travailleur et sa ou ses maladies professionnelles pulmonaires qui ne sont pas des sujets prévus aux articles 231 et 233 de la loi, il n'en demeure pas moins que cet avis peut servir d'opinion médicale sur ce sujet et qu'il peut être utile et retenue par le tribunal, si la preuve prépondérante confirme cette opinion, ce qui est le cas dans le présent dossier.
[15] En conséquence, les membres sont d'avis que le tribunal ne peut établir la relation causale entre le décès du travailleur et l'une ou ses deux maladies professionnelles pulmonaires, ce qui fait en sorte que ni le travailleur ni sa succession n'a droit aux prestations prévues à la loi.
[16] Toutefois, la preuve médicale prépondérante, notamment constituée de l'avis de ces deux comités, démontre que le travailleur était porteur d'une deuxième maladie professionnelle pulmonaire, soit un carcinome pulmonaire, et que la succession du travailleur a droit aux prestations prévues à la loi pour cette maladie professionnelle pulmonaire qui doit être quantifiée par un DAP qui devrait être d'au moins 5 %.
[17] Cependant, il suggère de retourner le dossier à la CSST, afin que cet organisme quantifie le ou les DAP ainsi que les prestations qu'a droit la succession du travailleur pour le décès de ce dernier et de rendre la ou les décisions qui s'imposent.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[18] Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles doit décider si le décès du travailleur est en relation ou non avec la ou les deux maladies professionnelles pulmonaires dont ce dernier est affligé au moment de son décès, soit une amiantose et un carcinome pulmonaire.
[19] En second lieu, la Commission des lésions professionnelles doit décider s'il y a eu une aggravation des séquelles permanentes résultant de l'amiantose dont était porteur le travailleur depuis le 7 mai 1997 et pour laquelle un pourcentage de DAP de 10 % lui fut accordé le 24 décembre 1997 pour cette maladie professionnelle pulmonaire.
[20] En dernier lieu, si la Commission des lésions professionnelles conclut qu'il n'y a pas de relation entre le décès du travailleur et l'une ou ses maladies professionnelles pulmonaires reconnues, doit-on retourner le dossier à la CSST, afin de quantifier le pourcentage de DAP qu'a droit la succession du travailleur, pour le carcinome pulmonaire, qui est issu d'une deuxième maladie professionnelle pulmonaire, et pour lequel la succession du travailleur a droit à des prestations prévues à la loi ?
[21] D'abord, aux fins de rendre la présente décision, la Commission des lésions professionnelles s'inspire des décisions rendues précédemment par les commissaires Cusson[2] et Lavigne[3] qui rapportent très bien les faits, jusqu'au 1er octobre 2001 et auxquels le soussigné réfère les parties. Toutefois, il y a lieu de reprendre les faits pertinents suivants:
[22] Le travailleur est décédé le 21 mars 2003, à l'âge de 73 ans. Il a travaillé dans une mine d'amiante pour la Société Asbestos ltée, et ce, de 1945 jusqu'à 1982. Durant cette période il a occupé différents emplois pour cet employeur.
[6] Il est évalué par le Comité de pneumoconioses en 1977, 1980, 1982 et 1984. À ces occasions, le travailleur ne s’est pas vu reconnaître porteur d’amiantose.
[7] À la demande du docteur Margaret R. Becklacke, le 5 septembre 1996, le travailleur est examiné par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires le 4 juillet 1997 qui, après analyse des différents documents contenus au dossier, recommande que le travailleur subisse une tomographie axiale à haute résolution.
[8] Ce même jour, le travailleur passe cette tomographie qui est interprétée par le docteur Létourneau en ces termes :
« Étude réalisée en coupes axiales avec collimation de 1 mm. Il s'agit d'une étude pour recherche d'amiantose. Il y a des plaques pleurales calcifiées le long des lignes axillaires antérieures des deux hémithorax, de façon multifocale. Il y a également des petites nodularités des plèvres diaphragmatiques mais sans calcification. Il y a des changements emphysémateux avec bulles d'emphysème sous-pleurales. Quelques fines opacités réticulaires discrètes en sous-pleural, entre autre, en regard des culs-de-sac postérieurs, évoquent un diagnostic possible d'amiantose. Il y a des petits remodelages pleuraux apicaux cicatriciels. Micro-adénopathies médiastinales. Calcifications coronariennes. Tronc de l'artère pulmonaire dont le calibre apparaît comparable au calibre de l'aorte ascendante et qui pourrait être aux limites du significatif à ce qui a trait aux critères d'hypertension pulmonaire précapillaire. Pas d'autre trouvaille tomodensitométrique. »
[9] Dans son rapport complémentaire du 22 août 1997, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires conclut que le travailleur présente une amiantose, condition pour laquelle il recommande un déficit anatomo-physiologique total de 5 % pour cette maladie irréversible.
[10] Le 20 novembre 1997, le Comité spécial des présidents, composé des pneumologues Raymond Bégin, Jean-Jacques Gauthier et Gaston Ostiguy, approuve le diagnostic retenu par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires et recommande un déficit anatomo-physiologique total de 10 %, soit 5 % pour cette maladie pulmonaire professionnelle irréversible et 5 % pour des anomalies discrètes de la fonction respiratoire du travailleur.
[23] Le 22 décembre 1997, la CSST a rendu une décision informant le travailleur qu'il demeure avec un pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique (APIPP) de 11,50 %, des suites de sa maladie professionnelle pulmonaire qui s'est manifestée le 17 mai 1997, soit une amiantose.
[24] Cette décision a été contestée par le travailleur devant la révision administrative de la CSST qui l'a confirmée, d'où la requête produite par le travailleur auprès la Commission des lésions professionnelles qui s'est prononcée sur celle-ci, lors de l'audience tenue le 8 novembre 1999 par la commissaire Cusson(2). Celle-ci a confirmé la décision rendue le 22 décembre 1997 par la CSST, en maintenant le pourcentage d'APIPP à 11,50 %, des suites de la maladie professionnelle pulmonaire (amiantose) qui s'est manifestée chez le travailleur à compter du 7 mai 1997.
[12] Le 6 décembre 2000, le travailleur complète une formule «Réclamation du travailleur» concernant une aggravation de sa condition vécue le 14 juin 2000.
[13] Le travailleur est hospitalisé à l'Hôpital Laval du 27 juin au 3 août 2000 pour un pneumothorax droit, une bronchiolite oblitérante obstructive pneumonia, emphysème sévère et amiantose. Pendant cette hospitalisation, le travailleur est opéré par le docteur Jocelyn Grégoire, chirurgien thoracique, le 17 juillet 2000, opération vécue sous forme de thoracoscopie droite; exploration thoracique; libération de nombreuses adhérences; bullectomie de la région apicale; biopsie du parenchyme pulmonaire du lobe supérieur droit; pleurectomie apicale étendue et thoracostomie.
[14] Dans ces constatations préopératoires, le docteur Grégoire rapporte ce qui suit :
« Constatations : Il s'agit donc d'un patient de 70 ans, lequel a œuvré dans les mines d'amiante pendant plusieurs années. Il est aussi connu pour une maladie pulmonaire obstructive chronique d'ordre tabagique ancienne. Il a effectivement un emphysème. Il a été transféré à l'Hôpital Laval car il présentait un pneumothorax droit secondaire à sa maladie pulmonaire obstructive chronique. Un drain thoracique avait été mis en place à l'extérieur et le patient fut donc transféré à cause d'une fuite persistante. Pendant son hospitalisation il a présenté une température allant parfois jusqu'à 39 - 39.5 et sont apparues des infiltrations d'allure alvéolaire au niveau des deux lobes supérieurs entre autres. Malgré de nombreux antibiotiques et les consultations en pneumologie et en microbiologie, monsieur Perron semblait présenter une certaine détérioration du point de vue respiratoire sans oublier la fuite aérique persistante. Il fut donc transféré aux soins intensifs et après l'arrêt des antibiotiques le patient allait mieux. La température a chuté et les infiltrations ont cessé de progresser. Étant donné que monsieur Perron va mieux actuellement nous pensons qu'il est temps de profiter de cette fenêtre pour que l'on puisse procéder à une exploration thoracique droite ainsi qu'une bullectomie si possible. Nous en profiterons pour procéder alors à une biopsie pulmonaire si c'est possible pour essayer d'élucider l'infiltration récente et aussi de prouver la présence de fibres de silice au niveau de son parenchyme pulmonaire. » [sic]
[25] Lors de l'hospitalisation du travailleur, durant la période du 3 au 8 août 2000, au Centre hospitalier de la région de l'Amiante (CHRA), le diagnostic principal retenu est celui de « BOOP », ce qui veut dire bronchiolite oblitérante avec pneumonie en organisation. Les autres diagnostics et problèmes constatés par les médecins, lors de cette hospitalisation, sont les suivants:
Amiantose.
Emphysème.
Pneumothorax droit.
Colite pseudomembraneuse maintenant traitée.
Delirium transitoire postopératoire à l'Hôpital Laval.
Fibrillation auriculaire avec flutter avec pacemaker.
Hypertrophie bénigne de la prostate.
Hypoxémie nécessitant de l'oxygène régulièrement.
Thrombocytose réactionnelle.
Anémie secondaire à la perte sanguine sur le drain thoracique.
Paralysie de la corde vocale gauche.
[26] Lors de ses hospitalisations, tant au CHRA qu'à l'Hôpital Laval, le travailleur a subi une thoracotomie, une bullectomie et une biopsie pulmonaire ouverte qui a démontré une amiantose chez le travailleur. Ce dernier a été traité à l'Hôpital Laval avec de multiples antibiotiques et il a développé une colite pseudomembraneuse qui a été traitée au Flagyl. Il a bien répondu à ce traitement.
[27] C'est lors de cette hospitalisation à l'Hôpital Laval que les médecins ont constaté une infiltration interstitielle, suggestive d'une BOOP, et pour laquelle le travailleur a été transféré, afin de compléter son traitement au CHRA.
[28] Durant son séjour à cet hôpital, le travailleur a bien évolué et il fut retourné chez lui avec la prise d'oxygène à domicile 2 litres 24 heures sur 24; Prednisone 50 mg pour un mois avec une diminution progressive sur 2 mois; Flagyl est terminé; Sulfate ferreux 300 b.i.d.; Floxam 0.4 i.d.; Tiazac 240 i.d.; Lanoxin 0.125 i.d.; Pantoloc 40 i.d.; Combivent et Florent en inhalation ainsi que Lectopam 6 q.i.d.
[29] De plus, le travailleur fut suivi pour des soins à domicile, notamment en inhalothérapie. Cela appert des notes médicales prises par le docteur Jacques Piuze, l'un des médecins traitants du travailleur.
[30] Cependant, plusieurs médicaments énumérés dans la décision de la commissaire Cusson(2) ne sont pas en relation avec son amiantose et le travailleur n'avait pas droit au remboursement de ceux-ci.
[31] La plupart de ceux-ci étaient prescrits pour un problème obstructif sérieux (l'emphysème) et non pour son problème restrictif (l'amiantose). De plus, les frais pour l'achat et pour l'utilisation de l'oxygène médical prescrit au travailleur, afin de demeurer à son domicile, ont été refusés par la CSST, lors d'une décision rendue le 5 juillet 2001, non contestée par le travailleur. Cet achat fut mis en relation avec sa condition pulmonaire personnelle, soit un emphysème pulmonaire sévère.
[32] D'autre part, la Commission des lésions professionnelles constate aussi que le commissaire Lavigne rapporte, dans sa décision(3), un rapport daté du 21 juillet 2000 fait par le docteur Pierre Bergeron, pathologiste, qui retient les diagnostics de parenchyme pulmonaire, pneumonite chronique avec dépôts d'anthracosilicose et de corps d'amiantose, bulle apicale, emphysème sous-pleural avec fibrose pulmonaire pouvant correspondre à une maladie professionnelle de type pneumonite ou à une pneumonite interstitielle usuelle, pleurectomie apicale, pleurésie fibreuse et fibrineuse. Par la suite, il écrit:
[16] Le 19 septembre 2000, le docteur Francis Laberge, pneumologue, conclut dans son rapport médical de la façon suivante :
Conclusion : bronchiolite oblitérante qui est en voie d'amélioration. Nous pouvons donc diminuer progressivement la corticothérapie. Hypoxémie avec cœur pulmonaire qui justifie l'utilisation d'une oxygénothérapie au long cours. Je transmets donc copie de cette lettre au CLSC Frontenac pour que le patient puisse continuer à recevoir de l'oxygène par concentrateur à une posologie de 2 litres/minute.
[17] Le ou vers le 22 mars 2001, le docteur Réal Lagacé, pathologiste, procède à une étude des lames. Dans son rapport qui en a suivi, le docteur Lagacé s'exprime comme suit :
B3983-00 (7 lames)
A) Parenchyme pulmonaire (4 lames) : les principaux fragments correspondent à des adhérences pleurales fibreuses en continuité avec de la plèvre pariétale puisqu'il y a présence de tissu adipeux. Au voisinage des adhérences pleurales, il y a des phénomènes d'emphysème. On observe aussi des phénomènes fibrotiques qui se caractérisent par de l'élastose, de la fibrose importante toujours en relation avec l'épaississement fibreux pleural. On observe de rares corps ferrugineux et au moins un corps d'amiante typique. Quelques altérations morphologiques témoignent d'un processus inflammatoire plus ou moins récent : certaines alvéoles distendues renferment du matériel fibrinoïde avec de rares macrophages. D'autres alvéoles renferment des petits bouchons fibrogéniques connus sous le nom de «corps de Masson» qui sont en fait la traduction morphologique des phénomènes de bronchiolite oblitérante et d'organisation.
Il serait présomptif de porter un diagnostic d'amiantose sur ces spécimens compte tenu que le tissu pulmonaire est extrêmement restreint, que la plupart des changements observés peuvent être en relation avec des phénomènes d'emphysème pulmonaire sévère et qu'il s'agit vraisemblablement d'un spécimen prélevé au voisinage d'une bulle.
B) Spécimen étiqueté bulles apicales : il s'agit d'une membrane d'un tissu conjonctivoadipeux représentatif d'une paroi de bulles emphysémateuses.
C) Spécimen de pleurectomie : tissu conjonctivoadipeux avec fibrose. Il s'agit de changements fibrotiques non spécifiques.
En ce qui concerne l'expertise anatomopathologique, je ne dispose pas d'un matériel pour évaluer s'il y a ou non amiantose pulmonaire, quel est son degré de sévérité et quel est le pourcentage d'extension au tissu pulmonaire. Les changements observés correspondent à mon avis à des phénomènes fibrotiques associés à de l'emphysème pulmonaire. L'observation de rares corps ferrugineux et d'un corps d'amiante est évidemment un stigmate morphologique d'une exposition aux fibres d'amiante. »
[18] Appelé à émettre son opinion sur une aggravation de l'amiantose chez le travailleur, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires se réunit le 11 mai 2001. Après avoir pris connaissance de tous les renseignements contenus au dossier du travailleur, le Comité conclut qu'il n'y a pas lieu de modifier le déficit anatomo-physiologique de 10 % déjà reconnu au travailleur.
[19] Le 20 juin 2001, le Comité spécial des présidents approuve les recommandations du Comité des maladies professionnelles pulmonaires. Il souligne qu'en plus de son amiantose, le travailleur présente un emphysème sévère et une bronchiolite oblitérante avec pneumonie organisante, les deux dernières conditions étant indépendantes de l'amiantose. Il confirme ainsi qu'il n'y a pas lieu de modifier le déficit anatomo-physiologique de 10 % reconnu pour l'amiantose du travailleur.
[20] Sur réception de cet avis du Comité spécial des présidents, la CSST informe le travailleur, le 5 juillet 2001, que son diagnostic d'amiantose demeure maintenu et qu'il n'y a pas lieu de modifier le déficit anatomo-physiologique de 10 % déjà accordé, décision que le travailleur porte en révision le 6 juillet 2001.
[21] Le 24 septembre 2001, la CSST, à la suite d'une révision administrative, confirme sa décision du 5 juillet 2001, d'où la contestation introduite par le travailleur à la Commission des lésions professionnelles le 1er octobre 2001.
[33] Lors de l'audience tenue le 23 avril 2002 par le commissaire Lavigne, la conjointe du travailleur était présente et avait manifesté son désaccord face à la position prise par la CSST, concernant le refus de reconnaître une aggravation de l'amiantose dont son mari était déjà reconnu porteur.
[34] Toutefois, tel que le précise le commissaire Lavigne dans sa décision, l'épouse du travailleur fut sensibilisée par ce tribunal sur l'obligation qui incombe à son mari, soit de démontrer par une preuve prépondérante, tant factuelle mais surtout médicale, qu'il a présenté une aggravation de son amiantose. À ce moment, la conjointe du travailleur a mentionné au tribunal que certains médecins lui auraient confirmé cette possibilité, sans toutefois vouloir ou pouvoir la confirmer par écrit. Or, ici, il s'agit d'une preuve qui est surtout de nature médicale, puisque, d'une part, la conjointe du travailleur doit démontrer qu'il existe une relation entre le décès du travailleur et sa ou ses maladies professionnelles pulmonaires reconnues par la CSST, soit, d'abord, une amiantose et, ensuite, un carcinome pulmonaire, ce qu'elle n'a pas démontré par une preuve médicale prépondérante surtout.
[35] En effet, si l'on poursuit la nomenclature des faits colligés dans un dossier très complexe comme celui du travailleur, la Commission des lésions professionnelles constate que les résumés des hospitalisations des 21 mai 2002 (page 180 du dossier de la Commission des lésions professionnelles), 18 décembre 2002 (page 183) et du 15 mars 2003 (page 189) démontrent que chaque fois que le travailleur fut hospitalisé, durant ces périodes, la cause ou le diagnostic principal retenu par les médecins qui l'ont soigné et examiné est une maladie purement personnelle et non sa maladie professionnelle pulmonaire reconnue par la CSST, soit une amiantose. Pour s'en convaincre, il y a lieu de se référer aux diagnostics et problèmes retenus lors de l'hospitalisation du travailleur durant la période du 21 au 27 mai 2002 qui sont les suivants:
DIAGNOSTIC PRINCIPAL:
Maladie pulmonaire obstructive chronique sévère oxygéno-dépendante.
AUTRES DIAGNOSTICS ET PROBLÈMES:
Amiantose.
Fibrillation auriculaire chronique.
Pacemaker.
BOOP ancien.
[36] Lors d'une autre hospitalisation du travailleur, soit les 18 et 19 décembre 2002, le diagnostic principal retenu est une fracture de la côte 10e droite et les autres diagnostics et problèmes constatés par des médecins sont les suivants:
Maladie pulmonaire obstructive chronique avec oxygénodépendance.
Amiantose.
Fibrillation auriculaire chronique.
Pacemaker.
BOOP ancien.
[37] À ce moment, le docteur Piuze écrit que le travailleur était âgé de 72 ans et était reconnu porteur de troubles pulmonaires importants avec dépendance à l'oxygène mais il allait relativement bien avant cette chute, lorsqu'il a trébuché et s'est frappé le côté droit du thorax contre le bras d'un fauteuil à son domicile, subissant une fracture de la 10e côte droite, pour laquelle le travailleur est demeuré souffrant, même après son hospitalisation. Une panoplie de médicaments pris par le travailleur est d'ailleurs énumérée par le docteur Piuze dans son rapport transcrit le 23 décembre 2002.
[38] La dernière hospitalisation du travailleur est survenue durant la période du 15 au 21 mars 2003. C'est pendant celle-ci qu'est survenu son décès, en date du 21 mars 2003. La cause du décès inscrite par le docteur Piuze, médecin qui a charge et traitant du travailleur, est une « maladie pulmonaire obstructive chronique en fin de cours ».
[39] Le diagnostic principal retenu par le docteur Piuze est une pneumonie et les autres diagnostics et problèmes constatés sont les suivants:
Maladie pulmonaire obstructive chronique sévère oxygénodépendante.
Amiantose.
Fibrillation auriculaire chronique.
Pacemaker.
BOOP ancien.
Ancienne fracture de la 10e côte droite.
Anémie.
[40] Le docteur Piuze a aussi écrit des notes complémentaires concernant l'hospitalisation qu'il résume comme suit:
Il s'agit d'un patient de 73 ans connu porteur d'une maladie pulmonaire obstructive chronique oxygénodépendante et dont l'état général s'était considérablement détérioré au cours des dernières années surtout depuis le diagnostic d'un BOOP qui avait été émis lors d'un séjour prolongé à l'Hôpital Laval, il y a maintenant quelques années. Le patient a été admis avec un syndrome fébrile, présence de pneumonie importante. Il a été traité avec antibiotiques mais n'a pas répondu au traitement.
[…]
[41] Le docteur Piuze écrit que le travailleur est décédé paisiblement le 21 mars 2003 et qu'une autopsie a été demandée par la famille, ce qui fut fait.
[42] Le 21 mars 2003, le docteur Bernard complète le bulletin de décès concernant monsieur Perron (le travailleur), mais en indiquant, à la section 23 de ce bulletin, qu'il y a eu une autopsie mais que la certification de la cause du décès ne tient pas compte de l'information fournie par l'autopsie. Les causes du décès sont les suivantes:
a) pneumonie;
b) MPOC (maladie pulmonaire obstructive chronique) sévère; et
c) amiantose.
[43] Dans le bulletin de décès, on y indique, à la section 22, concernant les causes du décès, qu'il y a d'abord la maladie ou l'affection morbide ayant directement provoqué le décès et, ensuite, les antécédents ainsi que les affections ayant éventuellement conduit à l'état précité, l'affection morbide initiale étant indiquée en dernier lieu.
[44] De plus, à la section 2 du paragraphe 22 du bulletin de décès, il est décrit « les autres états morbides importants qui ont contribué au décès mais sans rapport avec la maladie ou avec l'état morbide qui l'a provoqué ».
[45] Les trois causes mentionnées par le docteur Bernard sont indiquées comme dues à/ou consécutives à la pneumonie, à la MPOC sévère et à l'amiantose. Quant aux causes initiales, il n'y en a aucune d'énumérée par le docteur Bernard.
[46] Le 21 mars 2003, le cadavre du travailleur a été autopsié mais seulement les poumons, selon la demande faite par la famille du défunt. À la section « Compte rendu d'autopsie », on y indique les diagnostics anatomiques suivants:
DIAGNOSTICS ANATOMIQUES:
1. Carcinome malpighien modérément différencié (grade II/III) du lobe supérieur droit avec envahissement vasculaire, périnerveux, intranerveux, bronchique et de la plèvre viscérale.
2. Congestion pulmonaire modérée à marquée avec foyers d'hémorragie intra-alvéolaire.
3. Fibrose interstitielle avec présence de corps ferrugineux et de changements emphysémateux.
4. Petits foyers de bronchiolite oblitérante avec pneumonie en voie d'organisation.
5. Adhérences pleurales.
6. Plaques pleurales.
[47] La pathologiste Lavoie écrit que le travailleur est amaigri au moment de son décès et qu'il est porteur d'un pacemaker. Aux cavités corporelles, le travailleur présente des plaques pleurales du côté droit et il y a des adhérences importantes à cet endroit.
[48] Au système respiratoire du travailleur, la docteure Lavoie constate ce qui suit:
Le poumon droit pèse 600 grammes et le gauche 720 grammes. Le parenchyme est violacé et congestionné avec présence d'emphysème. On note, au niveau du sommet du lobe supérieur droit, une lésion tumorale grisâtre et nécrotique atteignant 7,5 X 4,5 X 3 cm. À l'examen histologique de la lésion tumorale, on retrouve un carcinome malpighien infiltrant modérément différencié (grade II/III). Il est constitué d'une prolifération de cellules polygonales avec des noyaux ovales et modérément à très pléomorphes. Il y a peu de figures de mitoses. Le cytoplasme est abondant et il y a quelques foyers de kératinisation. Les cellules sont disposées en amas et en plages avec de la nécrose. La tumeur repose dans un stroma fibreux. Il y a présence d'envahissement de la plèvre viscérale, de la paroi bronchique, du tissu périnerveux et intranerveux et il y a des foyers d'envahissement vasculaire.
Dans le parenchyme pulmonaire avoisinant, on retrouve de la congestion vasculaire modérée à sévère. Les alvéoles renferment un matériel amorphe et éosinophile avec des zones de suffusion hémorragique. Il y a présence de quelques fibroblastes dans le matériel amorphe qui correspond à de la fibrine. On note également des hémosidérophages témoignant d'un peu d'hémorragie intra-alvéolaire. Il y a présence de quelques petits foyers de bronchiolite oblitérante avec pneumonie en voie d'organisation. On note des changements emphysémateux plus importants en sous-pleural avec de la fibrose pulmonaire et des bronchiectasies. Il y a présence de fibrose pleurale et de corps ferrugineux. Finalement, on retrouve des zones de fibrose interstitielle d'intensité variable mais d'âge homogène.
[49] Après réception du rapport d'autopsie, le docteur Piuze écrit un addendum à la feuille sommaire d'hospitalisation du 21 mars 2003, en indiquant, à la section « Autres diagnostics et problèmes » ceux d'anémie et de carcinome malpighien au lobe supérieur droit.
[50] Le docteur Piuze écrit, comme notes complémentaires sur l'hospitalisation, ce qui suit:
Monsieur Perron est décédé le 21 mars 2003 et on a procédé à une autopsie. L'autopsie a révélé la présence d'un carcinome modérément différencié de grade 2/3 au lobe supérieur droit avec envahissement vasculaire périnerveux, intranerveux, bronchique et de la plèvre viscérale.
Ce diagnostic n'était pas connu. Ce patient avait été suivi à l'Hôpital Laval pendant une longue période de temps pour ce qui était considéré comme un BOOP.
La famille est avisée du diagnostic et prendra les mesures auprès de la CSST pour faire une réclamation.
[51] Le 9 juin 2003, madame Jacqueline Fontaine, qui est l'épouse du travailleur et représente la succession, produit une « Réclamation du travailleur » (RTR) auprès de la CSST, dans laquelle elle allègue une aggravation de l'amiantose avec un cancer pulmonaire et que le décès est en relation avec cette ou ces maladies professionnelles pulmonaires.
[52] Par la suite, la CSST a demandé au docteur Réal Lagacé, pathologiste à l'Hôtel-Dieu de Québec, de se prononcer sur l'étude des lames, suite au décès du travailleur qui est survenu le 21 mars 2003.
[53] Le docteur Lagacé a pris connaissance du dossier reçu de la CSST et a examiné le matériel anatomopathologique disponible en faisant un bref historique du dossier, notamment que le travailleur a été reconnu porteur d'une amiantose avec DAP de 10 %, en novembre 1997. Il fait état de son rapport qu'il avait déjà colligé à la demande de la CSST, le 2 avril 2001. À ce moment, il concluait que les changements observés chez le travailleur correspondaient plus à des phénomènes fibrotiques, associés à de l'emphysème pulmonaire, quoique des corps ferrugineux et un corps d'amiante avait été observé.
[54] Or, pour procéder à son expertise anatomopathologique, le docteur Lagacé a reçu 18 lames, dont plusieurs d'entre elles étaient cassées. Le docteur Lagacé fait état des principales constatations macroscopiques faites lors de l'autopsie partielle, soit le thorax seulement, qui sont les suivantes:
- Plaques pleurales et adhérences pleurales droites.
- Poumons droit (600 g): présence d'une lésion tumorale de 7.4 x 4.5 x 3 cm au lobe droit.
- Poumons gauche (720 g): présence de foyers de condensation, de congestion, de changements emphysémateux.
[55] Par ailleurs, 3 des 18 lames examinées proviennent de la tumeur du lobe supérieur droit qui correspond, selon le docteur Lagacé, à un carcinome épidermoïde infiltrant moyennement différencié de grade 2/3 qui est au site d'une cicatrice. La plèvre viscérale est épaissie et l'épaississement consiste en des plaques fibreuses non cellulaires.
[56] Les 15 autres prélèvements sont des spécimens de tissu pulmonaire dont l'échantillonnage est représentatif et a été fait selon les recommandations habituelles. L'examen histologique montre des altérations morphologiques d'un événement terminal et des altérations morphologiques d'un processus chronique. Comme événement terminal, il y a des foyers de dommages alvéolaire diffus avec présence de fibrine et de membranes hyalines dans la lumière des alvéoles. D'autres endroits montrent des phénomènes de résorption et de réparation de ce processus avec présence de BOOP secondaire (bronchiolite oblitérante, pneumonie en organisation).
[57] Selon le docteur Lagacé, les altérations de processus chroniques sont les suivantes:
- altération morphologiques d'une maladie pulmonaire obstructive chronique: présence de bronchite chronique et d'emphysème. Les phénomènes emphysémateux sous-pleuraux sont plus importants et donnent par endroits un aspect en nid d'abeilles.
- altérations morphologiques d'une congestion passive chronique due à une insuffisance cardiaque gauche: présence d'alvéoles pulmonaires tortueuses, parfois fibrotiques et de nombreux hémosidérophages (cellules cardiaques) dans la lumière des alvéoles.
- altérations morphologiques d'une hypertension pulmonaire secondaire: présence d'épaississements fibreux athérosclérotiques au niveau des artères pulmonaires de plus gros calibre, hyperplasie musculaire lisse concentrique au niveau des artères de plus petit calibre.
- présence de nombreuses macules qui renferment du pigment anthracotique, des corps ferrugineux et des corps d'amiante typiques et un grand nombre de matériel biréfringent. Ce dernier est constitué de gros cristaux qui sont probablement des silicates et de plus petites aiguilles de silice. Il n'y a toutefois pas de nodule silicotique intraparenchymateux. Par contre, l'examen de quelques ganglions lymphatiques montre des nodules scléro-hyalins avec présence de silicate et de petites aiguilles de silice.
- altérations morphologiques d'une amiantose pulmonaire: présence de foyers de fibrose péribronchiolaire, allant souvent d'une bronchiole à l'autre avec fibrose interstitielle, le tout additionné de corps d'amiante et de corps ferrugineux. Dans certaines zones à grande densité fibrotique, il y a de la métaplasie musculaire lisse et de la métaplasie osseuse. Ces altérations morphologiques d'une amiantose sont de grade 3. Il m'est toutefois difficile de préciser leur extension précise compte tenu des autres altérations ci-dessus mentionnées. Toutefois, je ne crois pas qu'elles soient supérieures à une surface de 10 % du tissus pulmonaire examiné.
En conclusion, la cause immédiate du décès est un dommage alvéolaire diffus. Le tout était sur un fond de maladie pulmonaire obstructive chronique, avec amiantose, hypertension pulmonaire secondaire et congestion passive chronique par insuffisance cardiaque gauche. Une tumeur pulmonaire (carcinome épidermoïde grade 2/3 assez volumineuse a été retrouvée au lobe supérieur droit lors de l'autopsie.
[58] Le 12 novembre 2003, la docteure Monique Rioux, de la direction des services médicaux de la CSST qui s'occupe des maladies professionnelles pulmonaires, donne suite à la réclamation de la conjointe du travailleur, concernant son décès du 21 mars 2003, et demande au CMPP de Sherbrooke de déterminer si le cancer pulmonaire diagnostiqué lors de l'autopsie est une maladie professionnelle pulmonaire et s'il y a eu aggravation de son amiantose. Elle souligne qu'il appartiendra, par la suite, à la CSST de déterminer s'il y a une relation avec le décès et qu'il n'y a pas lieu d'évaluer le DAP pour cette réclamation.
[59] Cette demande est postérieure à celle faite le 15 septembre 2003 par la docteure Denise Thériault, médecin conseil à la CSST, qui demandait à ce comité de décider, si à son décès, le travailleur était porteur d'une nouvelle maladie professionnelle pulmonaire (MPP) et s'il y avait aggravation de sa MPP préexistante.
[60] Le 12 décembre 2003, le CMPP de Sherbrooke s'est prononcé par l'entremise des docteurs Raymond Bégin, André Cantin et Pierre Larrivée, tous trois pneumologues, quoique le docteur Bégin soit président du comité.
[61] Le mandat de ce comité est de déterminer si le cancer pulmonaire diagnostiqué lors de l'autopsie du travailleur est une maladie pulmonaire professionnelle et s'il y a eu aggravation de son amiantose reconnue chez ce dernier.
[62] Dans son rapport, les membres du CMPP font état que le travailleur est connu porteur d'une amiantose et qu'il s'est vu attribuer un DAP de 10 % qui n'a pas été modifié depuis 1997. Il a aussi un emphysème pulmonaire avec également une bronchiolite oblitérante et pneumonie d'organisation (BOOP). Ils font référence au décès du travailleur qui est survenu le 21 mars 2003, à l'expertise pathologique du docteur Réal Lagacé et à sa conclusion, tout comme à la trouvaille, soit une tumeur de type carcinome épidermoïde, qui a été retrouvée au lobe supérieur droit et qui est assez volumineuse. Ils discutent des emplois occupés par le travailleur pour la Société Asbestos entre 1945 à 1982, où il a été manœuvre au nettoyage des fibres, opérateur de chariot élévateur et, finalement, technicien de laboratoire. La durée d'exposition à l'amiante est d'environ 37 ans. On écrit aussi que le travailleur a été reconnu porteur d'une amiantose légère et qu'un cancer pulmonaire a été découvert lors de l'autopsie. Ils font référence au bulletin de décès qui indique « Pneumonie sur MPOC sévère avec amiantose ».
[63] Les membres de ce comité retiennent que, dans l'ensemble, l'amiantose du travailleur était plutôt légère et que le bilan des fonctions respiratoires était, dans l'ensemble, peu perturbé. La principale anomalie était au niveau de la capacité de diffusion. Leur conclusion est la suivante:
À la lumière des informations au dossier de ce réclamant, le comité conclut que le carcinome pulmonaire de ce réclamant, découvert à l'autopsie, constitue une deuxième maladie pulmonaire professionnelle. Cette deuxième maladie pulmonaire professionnelle de même que son amiantose n'étaient pas la condition pulmonaire majeure de ce réclamant mais sa condition de bronchiolite oblitérante avec pneumonie organisée nécessitait la prise de Prednisone quotidiennement et cette dernière condition a joué un rôle prépondérant dans le développement de sa pneumonie terminale.
[64] Par la suite, la CSST a transmis le dossier du travailleur aux membres du CSP qui se sont réunis le 18 décembre 2003. À ce moment, les docteurs Marc Desmeules, Jean-Jacques Gauthier et Gaston Ostiguy, tous trois pneumologues, se sont prononcés sur l'étude du dossier et sur les questions auxquelles ils devaient répondre en prenant aussi connaissance des conclusions du CMPP de Sherbrooke du 12 décembre 2003. Les membres de ce comité écrivent qu'ils ont revu l'histoire occupationnelle; les données du questionnaire cardiorespiratoire; la médication; les habitudes; les antécédents personnels et familiaux; la description de l'examen physique et les résultats des examens de laboratoire qui ont été notés par des spécialistes; relu les radiographies pulmonaires; analysé les valeurs du bilan fonctionnel respiratoire et, à la suite cet examen sur dossier, ils entérinent les conclusions émises par le CMPP de Sherbrooke en concluant comme suit:
Le comité maintient le diagnostic d'amiantose pour laquelle un DAP antérieurement avait été attribué à 10 %. Il reconnaît un diagnostic de cancer pulmonaire professionnel.
Quant à la relation décès, le comité considère que le décès de ce réclamant est survenu principalement par suite d'une détérioration de bronchiolite oblitérante avec pneumonie organisée (BOOP) qui nécessitait la prise de stéroïdes et cette dernière condition a facilité la pneumonie terminale du réclamant. L'amiantose de ce réclamant de même que son cancer pulmonaire étaient au stade précoce et n'ont pas contribué directement ou indirectement au décès du réclamant.
Comme nous avons une directive qu'il n'y a pas lieu d'évaluer le DAP pour ce réclamant, le comité maintient le DAP tel qu'il était à 10 % antérieurement.
[65] Après réception du rapport du CSP, la docteure Denise Thériault, médecin-conseil à la CSST, se prononce sur la relation causale entre le décès du travailleur et ses maladies professionnelles pulmonaires reconnues par le CMPP et le CSP.
[66] Dans ses notes du 28 janvier 2004, la docteure Thériault refuse de reconnaître cette relation médicale pour les raisons suivantes:
Relation décès - MPP
CSP. du 18 décembre 2003:
Confirme que T. n'avait pas d'aggravation de son amiantose reconnue au moment de son décès. Toutefois, il reconnaît que T. était porteur d'une 2e MPP, soit un carcinome épidermoïde découvert à l'autopsie (non connu au moment du décès).
Par ailleurs, rapport du pathologiste confirme que T. est décédé d'un problème alvéolaire diffus relevant de sa condition personnelle (MPOC, insuffisance cardiaque gauche et congestion passive secondaire) et le CSP est d'avis que ses MPP n'ont pas contribué à son décès.
Je suis d'accord qu'il n'y a pas de lien probable entre l'amiantose connue ni le cancer pulmonaire découvert à l'autopsie (et non symptomatique cliniquement) et le décès, ce décès étant attribuable, tel que démontré à l'autopsie, à son problème pulmonaire diffus relevant de sa condition personnelle pulmonaire et cardiaque.
[67] Lors de l'audience tenue le 10 février 2005, madame Jacqueline Fontaine a témoigné. Celle-ci croit que son époux est retraité du marché du travail depuis 1982, soit à l'âge de 52 ans. Il fut reconnu invalide par la Régie des rentes du Québec (RRQ) en 1985 pour des problèmes qui ne seraient pas reliés à sa maladie professionnelle pulmonaire (MPP amiantose). D'ailleurs, celle-ci n'avait pas encore été reconnue à ce moment.
[68] Elle reconnaît que le travailleur a dû être hospitalisé à quelques reprises pour des épisodes de pneumonie, notamment la première qui est survenue en 1996, où il a dû être hospitalisé en raison de ses difficultés respiratoires et de sa température. Elle se souvient qu'il y a eu des radiographies pulmonaires prises à ce moment. Le travailleur a aussi pris de l'oxygène pendant une durée de cinq jours consécutifs et, après une période d'un mois, il devait prendre de l'oxygène 16 heures par jour. Le deuxième épisode de pneumonie serait survenu en 2000 et, dès le début de cet épisode, le travailleur a dû se traiter en permanence avec des concentrateurs d'oxygène, 24 heures sur 24, et ce, depuis le 14 juin 2000. La CSST n'a jamais remboursé les frais pour l'oxygène.
[69] Toutefois, pour l'amiantose, elle croit que le travailleur prenait Bricanyl et Pulmicort qui sont des médicaments qui lui permettaient de faire dilater ses voies respiratoires, puisque son mari était toujours essoufflé, même lorsqu'il marchait sur une surface ou dans un endroit plat. Or, ces deux médicaments sont des stéroïdes anti-inflammatoires qui sont généralement prescrits et plus spécifiques pour traiter les maladies pulmonaires obstructives dont ne fait pas partie l'amiantose, selon la commissaire Cusson qui s'est prononcée sur ces médicaments.
[70] Elle croit que son époux a été diagnostiqué porteur d'un emphysème lorsqu'il aurait cessé de travailler en 1982. De plus, elle croit que cette condition est beaucoup plus due à son amiantose qui n'a été reconnue qu'en 1997, alors que les trois documents qu'elle a déposés à l'audience, sous les cotes T-1 à T-3, démontraient déjà de fortes probabilités que le travailleur soit porteur de cette maladie professionnelle pulmonaire. Elle réfère à une radiographie des poumons prises le 4 mars 1982 (T-1), à un rapport médical du 7 décembre 1988 complété par le docteur Noël Lampron, pneumologue (T-2) et à des radiographies prises aux poumons du travailleur en date du 7 janvier 2000 et interprétées par la docteure Odette Blouin, radiologiste (T-3).
[71] Elle confirme que c'est lors de la dernière hospitalisation, en mars 2003, et lors de l'autopsie, que l'on a découvert une deuxième maladie professionnelle pulmonaire et un cancer au poumon droit de son mari, soit un carcinome malpighien différencié de grade 2/3. Toutefois, elle avait déjà constaté, depuis 1997 jusqu'à 2003, que la condition respiratoire de son mari s'est détériorée grandement durant ces dernières années et que, malgré une biopsie faite précédemment, ce cancer pulmonaire n'avait pas été visualisé ni retrouvé.
[72] Concernant les habitudes tabagiques du travailleur, son épouse précise qu'elle a été mariée pendant 52 ans avec ce dernier et qu'il a commencé à fumer vers l'âge de 20 ans. Selon elle, il pouvait fumer, en moyenne, un paquet de cigarettes par semaine. De 1997 jusqu'en 2000, il fumait, en moyenne, moins d'un demi-paquet de cigarettes par jour et a cessé de fumer en 2000. Elle précise que le travailleur avait déjà des difficultés à bien se nourrir et présentait des pertes d'appétit ainsi qu'une fatigue, dans les dernières années.
[73] Ces constatations sont corroborées, d'une certaine façon, par le docteur Jean Campeau, interniste au CHRA, qui écrit, dans son rapport du 10 février 1998, que le travailleur continuait à fumer 5 à 6 cigarettes par jour.
[74] En terminant, l'épouse du travailleur souligne qu'elle n'a pas les moyens de payer pour une expertise médicale démontrant la relation causale entre le décès de son époux et sa ou ses maladies professionnelles pulmonaires, reconnues par la CSST, notamment à la suite du rapport du 5 septembre 1996 complété par la Margaret R. Becklake, médecin et professeure au Département d'épidémiologie et de biostatistiques et de médecine à l'Université de McGill et travaillant à l'Hôpital Royal Victoria, au service de pneumologie. Ce rapport fut fait à la demande du docteur Jacques Piuze, médecin traitant du travailleur.
[75] Elle s'en remet donc à la Commission des lésions professionnelles pour déterminer s'il y a relation médicale entre le décès de son mari et sa ou ses maladies professionnelles pulmonaires.
[76] Quant à l'argumentation écrite du représentant de la succession du travailleur, la Commission des lésions professionnelles ne peut y faire droit qu'en partie, et ce, en raison des motifs suivants:
[77] Tout d'abord, il est vrai que le CMPP et le CSP ont compétence pour se prononcer seulement sur le diagnostic et les autres constatations médicales retenues par la CMPP, en vertu du 2e alinéa de l'article 230 de la loi. Or, si un diagnostic de maladie professionnelle pulmonaire est démontré, ce comité devra, en outre, se prononcer sur les constatations médicales quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant, au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (la LSST) qui a provoqué ces maladies ou qui risque de l'exposer à une récidive, rechute ou aggravation (RRA), tel qu'il appert de l'article 230 de la loi.
[78] Par ailleurs, et contrairement aux dires de la révision administrative de la CSST qui s'estime liée par le rapport du CSP et du CMPP, la Commission des lésions professionnelles est du même avis que le représentant de la succession, à savoir que ces comités n'ont pas une compétence exclusive pouvant lier la CSST sur cette question de nature purement médico-légale, soit la relation entre la maladie professionnelle pulmonaire et le décès d'un travailleur. A ce sujet, le tribunal réfère aux articles 230, 231 et 233 de la loi qui se lisent comme suit:
230. Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.
Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.
__________
1985, c. 6, a. 230.
231. Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.
Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.
Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.
__________
1985, c. 6, a. 231.
233. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial en vertu du troisième alinéa de l'article 231.
__________
1985, c. 6, a. 233.
[79] Il appert donc de ces articles que seul le CSP lie la CSST, lorsqu'il se prononce sur le diagnostic, le pourcentage de DAP et les limitations fonctionnelles, et non sur la relation causale entre le décès d'un travailleur et sa ou ses maladies professionnelles pulmonaires reconnues.
[80] En ce sens, l'article 233 de la loi ne diffère pas de l'article 224.1 de la loi qui lie aussi la CSST, lorsqu'elle désigne un membre du BEM pour se prononcer sur les cinq conclusions de nature médicale prévues à l'article 212 de la loi, ce qui exclut aussi la relation qui est une question médico-légale attribuée exclusivement à la CSST, qu'à la Commission des lésions professionnelles.
[81] Ceci étant dit, cela ne fait pas en sorte d'invalider le rapport du CMPP ni celui du CSP, lorsqu'ils se prononcent sur la relation entre un décès d'un travailleur et sa ou ses maladies professionnelles pulmonaires. Leurs conclusions peuvent servir d'opinion médicale et celle-ci doit être évaluée par le tribunal qui doit établir si leurs conclusions vont dans le sens ou non de la preuve médicale prépondérante établissant cette relation ou non.
[82] D'abord, et bien que le rapport d'autopsie colligé le 27 mai 2003 par la pathologiste Mona Lavoie, à la suite de l'autopsie du 21 mars 2003, précise, à la section « Système respiratoire » qu'il y a présence de quelques petits foyers de bronchiolite oblitérante avec pneumonie en voie d'organisation et que l'un des diagnostics anatomiques mentionnés dans son compte-rendu d'autopsie cité précédemment se retrouve comme quatrième diagnostic anatomique, alors que le carcinome malpighien modérément différencié (grade 2/3) du lobe supérieur droit avec envahissement vasculaire, périnerveux, intranerveux, etc. se retrouve comme premier diagnostic, cela ne fait pas en sorte qu'il faut déduire nécessairement que la cause principale du décès du travailleur est le carcinome malpighien qui est une autre maladie professionnelle pulmonaire reconnue chez le travailleur par ces deux comités.
[83] En effet, l'on ne peut conclure en ce sens, puisque les six diagnostics anatomiques invoqués par la pathologiste Lavoie, lors de l'autopsie du travailleur, ne sont pas discutés par cette dernière, quant à l'existence ou non d'une relation entre le décès du travailleur et la cause prépondérante de celui-ci.
[84] En l'absence d'une explication en ce sens dans son compte-rendu d'autopsie, concernant la priorité et l'importance des diagnostics anatomiques reconnus, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure que le travailleur est décédé d'un carcinome malpighien comme cause principale par rapport aux autres causes, notamment une pneumonie avec complication néfaste sur une maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC) sévère ou toute autre lésion personnelle et/ou professionnelle que présente le travailleur lors de son hospitalisation de mars 2003, notamment son amiantose et une condition de bronchiolite oblitérante avec pneumonie organisée nécessitant la prise de Prednisone quotidiennement.
[85] À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles constate que le seul médecin qui s'est prononcé sur la cause immédiate du décès du travailleur est le docteur Réal Lagacé, lui aussi pathologiste, et ce, à la demande de la CSST qui lui a expédié les lames d'autopsie prélevées par la pathologiste Lavoie.
[86] Or, le docteur Lagacé conclut que la cause immédiate du décès est un dommage alvéolaire diffus et que le tout était sur un fond de maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC), avec amiantose, hypertension pulmonaire secondaire et congestion passive chronique par insuffisance cardiaque gauche. Quant à la tumeur pulmonaire (carcinome épidermoïde de grade II/III) assez volumineuse qui a été retrouvée au lobe supérieur droit, lors de l'autopsie, le docteur Lagacé n'en discute pas, à savoir s'il a pu contribuer, dans une proportion d'au moins 50 % au décès du travailleur. Faute de preuve à cet effet, la Commission des lésions professionnelles ne peut donc induire ces conclusions que le représentant de la succession du travailleur voudrait lui faire tirer, notamment du rapport d'autopsie complété par madame Lavoie, le 27 mai 2003.
[87] Bien que la Commission des lésions professionnelles ne se fonde pas exclusivement sur l'opinion médicale et les conclusions retenues par les six pneumologues qui se sont prononcés lors de leur rapport respectif, il n'en demeure pas moins que ceux-ci, à titre d'opinion personnelle, concluent surtout que le carcinome pulmonaire, qui a été découvert lors de l'autopsie, constitue une deuxième maladie professionnelle pulmonaire qui doit être reconnue chez le travailleur, tout comme son amiantose l'avait déjà été auparavant. Toutefois, il précisent que ce serait plutôt sa condition de bronchiolite oblitérante avec pneumonie organisée qui nécessitait la prise de Prednisone quotidiennement qui aurait joué un rôle prépondérant dans le développement de sa pneumonie terminale, d'où son décès.
[88] D'ailleurs, le CMPP précise que c'est cette dernière condition personnelle qui a facilité la pneumonie terminale du travailleur, alors que l'amiantose et son cancer pulmonaire qui est reconnu, et à un stade précoce, n'ont pas contribué directement ou indirectement , de façon majeure, au décès de ce dernier.
[89] Or, bien que la CSST n'ait pas demandé à ces deux comités de se prononcer sur cette relation, il n'en demeure pas moins que ces médecins se sont prononcés à titre d'opinion personnelle et que celle-ci n'est contredite par aucun autre rapport médical qui aurait pu être déposé par la succession du travailleur. D'ailleurs, l'argument principal de celle-ci repose surtout sur des hypothèses et des possibilités qui n'ont pas la même valeur probante qu'une probabilité qui doit être fondée sur au moins 50 % et plus de la preuve établissant cette relation, ce qui n'est pas le cas ici.
[90] D'autre part, le médecin régional de la CSST qui s'est prononcé sur cette relation, soit la docteure Thériault, n'a pu établir une relation entre le décès du travailleur et l'une ou ses deux maladies professionnelles pulmonaires reconnues par cet organisme.
[91] Toutes ces opinions médicales n'ont pas été contredites par une contre-expertise ou tout autre document médical démontrant notamment que les prémisses sur lesquelles ces médecins se fondent pour conclure ainsi sont totalement fausses ou erronées, permettant ainsi au tribunal de les exclure totalement, et ce, aux fins d'établir cette relation médico-légale.
[92] En dernier lieu, le seul rapport médical qui est prépondérant, aux fins d'établir la relation médicale entre le décès du travailleur et la ou les causes principales de celui-ci, est celui fait par le pathologiste Lagacé qui avait tous les rapports médicaux importants, notamment l'autopsie et les lames qu'il a examinées avant de se prononcer sur la cause principale du décès du travailleur, qu'il attribue à une lésion personnelle et non professionnelle.
[93] C'est d'ailleurs ce rapport que la Commission des lésions professionnelles retient aux fins de conclure à l'absence de relation médico-légale entre le décès du travailleur et ses deux maladies professionnelles pulmonaires reconnues par la CSST, soit, d'abord, une amiantose pour laquelle il s'est vu accorder un DAP de 10 % et des restrictions fonctionnelles par un Comité spécial des présidents antérieur qui s'était prononcé le 20 novembre 1997. À ce sujet, le pneumologue Raymond Bégin faisait partie de ce comité, ce qui discrédite quelque peu la théorie avancée par le représentant de la succession du travailleur concernant la possibilité d'absence de crédibilité et d'objectivité du docteur Bégin, lequel s'est aussi prononcé sur l'existence et la relation causale entre le décès du travailleur et l'une ou les maladies professionnelles pulmonaires qui ont été reconnues chez ce dernier.
[94] Quant à l'argument du représentant de la succession du travailleur, à l'effet que l'article 95 de la loi s'applique, la Commission des lésions professionnelles n'est pas du tout de cet avis, puisque, au moment du décès constaté, un travailleur doit recevoir une indemnité de remplacement du revenu (IRR), et ce, par suite d'une maladie professionnelle pouvant entraîner le décès. À ce moment, la CSST pourra présumer que le travailleur est décédé en raison de cette maladie professionnelle, ce qui n'est pas le cas ici, même si la CSST a eu la possibilité de faire faire l'autopsie du travailleur, afin de déterminer si cette présomption s'applique au cas présent.
[95] L'article 95 de la loi se lit comme suit:
95. Le travailleur qui décède alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu par suite d'une maladie professionnelle pouvant entraîner le décès est présumé décédé en raison de cette maladie.
Cette présomption ne s'applique que si la Commission a la possibilité de faire faire l'autopsie du travailleur.
__________
1985, c. 6, a. 95.
[96] D'une part, la preuve démontre qu'au moment du décès du travailleur, ce dernier ne recevait pas une IRR, à la suite de l'une ou de ses maladies professionnelles pulmonaires reconnues par la CSST qui peuvent entraîner son décès.
[97] D'autre part, puisque le travailleur était déjà retraité depuis plusieurs années, ce dernier n'aurait pas eu droit à l'IRR, même si son décès avait été en relation avec une maladie professionnelle pulmonaire.
[98] Cela nous ramène donc au fait que le représentant de la succession du travailleur devait établir la relation causale entre le décès de ce dernier et l'une de ses maladies professionnelles pulmonaires, ce qu'il n'a pas fait.
[99] En ce qui regarde la possibilité qu'il y ait eu une aggravation du pourcentage de DAP résultant de l'amiantose reconnue par la CSST chez le travailleur, depuis 1997, la preuve médicale prépondérante n'en reconnaît aucune, ce qui fait en sorte que la succession du travailleur n'a pas droit à une indemnité pour dommages corporels résultant d'une aggravation d'une amiantose déjà reconnue chez le travailleur. D'ailleurs, aucune représentation n'a été faite par le représentant de la succession du travailleur, ni même l'épouse du travailleur, à ce sujet.
[100] Le seul litige restant est de décider si la Commission des lésions professionnelles doit retourner le dossier à la CSST, afin qu'elle évalue le DAP relié au cancer pulmonaire, soit le carcinome malpighien, qui est reconnu comme une deuxième maladie professionnelle pulmonaire chez le travailleur, lors de son autopsie, afin qu'elle verse à la succession du travailleur le montant auquel ce dernier a droit pour cette deuxième maladie professionnelle pulmonaire.
[101] Cette demande de monsieur Proulx, qui représente la succession du travailleur, va dans le sens de l'un de ses motifs de sa contestation ou de sa requête, à savoir que la succession aurait droit à l'application de l'article 91 de la loi qui se lit comme suit:
91. L'indemnité pour préjudice corporel n'est pas payable en cas de décès du travailleur.
Cependant, si le travailleur décède d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle et qu'à la date de son décès, il était médicalement possible de déterminer une séquelle de sa lésion, la Commission estime le montant de l'indemnité qu'elle aurait probablement accordée et en verse un tiers au conjoint du travailleur et l'excédent, à parts égales, aux enfants qui sont considérés personnes à charge.
En l'absence de l'un ou de l'autre, la Commission verse le montant de cette indemnité au conjoint ou aux enfants qui sont considérés personnes à charge, selon le cas.
__________
1985, c. 6, a. 91; 1999, c. 40, a. 4.
[102] Or, plutôt que de retourner le dossier à la CSST pour décider de l'application ou non de l'article 91 de la loi, dans le cas présent, la Commission des lésions professionnelles préfère immédiatement statuer sur l'application de cet article, et ce, en raison des motifs suivants:
[103] D'abord, puisqu'il fut établi dans la présente décision que le décès du travailleur, survenu le 21 mars 2003, n'est pas en relation avec l'une ou ses maladies professionnelles pulmonaires reconnues, cela fait en sorte que les seules indemnités pouvant être payées à la succession du travailleur sont celles pour dommages corporels prévues à l'article 91, section 2 du chapitre 3 de la loi. En effet, la Commission des lésions professionnelles a décidé, dans la présente décision, que le travailleur est décédé d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle.
[104] Or, à la date du décès du travailleur, soit le 21 mars 2003, il était médicalement possible de déterminer une séquelle de sa lésion professionnelle, soit un cancer pulmonaire qui a été démontré lors de l'autopsie pratiquée à la même date et par les rapports médicaux subséquents, établissant l'origine professionnelle de cette maladie pulmonaire découverte lors de cette autopsie.
[105] La Commission des lésions professionnelles croit pertinent de citer deux décisions rendues par deux commissaires de ce tribunal dont le soussigné, soit la cause Succession Léonard Gravel et CSST[4] et celle de la commissaire Marquis[5] qui reprend, en grande partie, des extraits de la décision rendue par le soussigné le 31 janvier 2002.
[106] En effet, la commissaire Marquis a repris et souscrit à plusieurs des motifs colligés par le soussigné dans la décision Succession Léonard Gravel et CSST(4) et dont le représentant de cette succession était le même qu'aujourd'hui, soit monsieur Proulx.
[107] À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles tient à rapporter les paragraphes 50 à 54 de cette décision(4), puisque le même raisonnement s'applique au cas en l'espèce:
[50] La Commission des lésions professionnelles ne croit pas que l'objet de la loi, définit à l'article 1, serait respecté si le législateur imposait à un travailleur, de son vivant, de produire nécessairement une réclamation pour une aggravation ou pour faire reconnaître l'existence d'une maladie professionnelle pulmonaire. Il serait inéquitable et déraisonnable d'imposer ce fardeau à un travailleur qui décède d'une cause étrangère à l'existence de cette maladie professionnelle reconnue par la CSST, des suites d'une autopsie pratiquée chez ce dernier qui confirme pour la première fois le diagnostic d'amiantose.
[51] Poser la question, c'est à la fois y répondre, car cela serait discriminatoire pour la succession d'un travailleur qui ne pouvait se douter, avant qu'il subisse cette autopsie, prévoir du vivant de ce dernier la possibilité qu'il meurt et que, lors de son autopsie, on constate la présence d'une maladie professionnelle pulmonaire.
[52] Le soussigné ne croit pas que la CSST devait s'arrêter seulement à établir le(s) diagnostic(s), sans préciser le taux de DAP qui pouvait être déterminé par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires et ensuite, par le Comité spécial des présidents, si ces deux comités concluent à l'existence d'une maladie professionnelle pulmonaire lors d'une autopsie, soit la meilleure preuve pour établir le diagnostic.
[53] Ce serait un non-sens de ne pas appliquer le paragraphe 2 de l'article 91 de la loi. D'ailleurs, comme le précise le commissaire Michel Renaud dans sa décision(2), ce que le législateur demande au paragraphe 2 de l'article 91, c'est d'établir médicalement la possibilité de déterminer une séquelle de la lésion professionnelle, au moment du décès d'un travailleur qui est mort d'une cause étrangère à l'existence de cette lésion. Cela fait en sorte que la CSST doit ensuite estimer le montant de l'indemnité qu'elle aurait probablement accordée et doit le verser à parts égales, entre le conjoint et les enfants qui sont considérés personnes à charge et, selon le paragraphe 3 de l'article 91, en l'absence de l'un ou de l'autre, la CSST doit verser le montant de cette indemnité au conjoint et/ou aux enfants qui sont considérés personnes à charge, selon le cas.
[54] Dans le cas qui nous occupe, seule la conjointe du travailleur a droit à cette somme, puisque ses enfants ne sont plus considérés comme des personnes à charge du travailleur, au moment de son décès.
[108] Quant au pourcentage de DAP auquel avait droit le travailleur et, par incidence, sa succession, notamment sa conjointe, puisque celle-ci n'a plus d'enfants à charge, et ce, en raison de l'existence d'une lésion professionnelle reconnue chez son conjoint (le travailleur), à la suite d'une autopsie qui a démontré un carcinome pulmonaire de grade 2/3 qui est reconnu comme deuxième maladie professionnelle pulmonaire chez le travailleur, la Commission des lésions professionnelles n'a d'autre choix que d'accorder le minimum prévu dans le Règlement sur le barème des dommages corporels[6] (le Règlement), soit un DAP de 5 %. Ce DAP de 5 % est accordé selon le code 223001, soit pour une « maladie pulmonaire professionnelle à caractère irréversible ».
[109] En effet, le soussigné doit appliquer ce règlement qui prévoit des règles particulières au niveau du système respiratoire, à l'exception de l'asthme bronchique. Ce règlement prévoit des règles particulières concernant la bilatéralité qui s'applique aux séquelles anatomiques, au fait que l'évaluation doit tenir compte de ces séquelles, des séquelles fonctionnelles et, le cas échéant, des facteurs de sévérité, tant pour les lésions pulmonaires à caractère irréversible, ce qui est notre cas, que pour celles à caractère régressif. Or, à la section 4 des règles particulières prévues au Règlement, on y stipule clairement et expressément que pour les maladies professionnelles pulmonaires à caractère irréversible, un pourcentage de DAP est attribué, dès que le diagnostic de maladie pulmonaire professionnelle à caractère irréversible est confirmé par le Comité spécial des présidents. Ce pourcentage est le suivant :« Code 223001: Maladie pulmonaire professionnelle à caractère irréversible - DAP 5 % »
[110] Par ailleurs, si la CSST est en état d'établir d'autres pourcentages de DAP qu'a droit le travailleur pour le carcinome pulmonaire dont il était affligé lors de son décès et, constaté lors de l'autopsie, notamment les facteurs additionnels de sévérité, selon le tableau 32 du Règlement, cela pourrait faire en sorte que d'autres pourcentages additionnels de DAP pourraient être accordés au travailleur. Une analyse devra être faite par la CSST à ce sujet, avant de quantifier le total de pourcentage d'APIPP qu'a droit le travailleur, des suites du décès de ce dernier.
[111] En conséquence, la succession du travailleur, notamment sa conjointe, a droit à une indemnité forfaitaire correspondant à une APIPP d'au moins 5,75 %, des suites de la maladie professionnelle pulmonaire dont était affligé le travailleur à son décès. À cela, s'ajoutent les intérêts courus depuis la date de réception de la réclamation logée par la succession du travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE, en partie, la requête produite par la Succession de monsieur Jean-Denis Perron (le travailleur) le 11 mai 2004;
MODIFIE la décision rendue le 4 mai 2004 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n'est pas décédé de sa maladie professionnelle pulmonaire reconnue par la CSST, soit un carcinome pulmonaire, ni de sa première maladie professionnelle reconnue, soit une amiantose;
DÉCLARE que le travailleur est décédé d'une cause étrangère à ses maladies professionnelles pulmonaires;
DÉCLARE que la succession du travailleur, qui est sa conjointe, soit madame Jacqueline Perron, a droit à un minimum d'indemnité forfaitaire pour dommages corporels, correspondant à un pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique (APIPP) de 5,75 %, auquel la CSST devra ajouter les intérêts courus depuis la date de réception de cette réclamation logée par cette dernière; et
RENVOIE le présent dossier à la CSST, afin de donner suite à la présente décision et notamment d'établir si d'autres pourcentages de déficit anatomo-physiologique (DAP) additionnels pourraient s'appliquer et de rendre la ou les décisions qui s'imposent.
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Me Robin Savard |
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Commissaire |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] C.L.P. 116462-03B-9905, le 29 novembre 1999, M. Cusson.
[3] C.L.P., 172612-03B-0110, le 17 mai 2002, C. Lavigne.
[4] C.L.P. 157324-03B-0103, le 31 janvier 2002, R. Savard.
[5] C.L.P. Succession Émile Chamberland et Société Asbestos ltée, 233193-03B-0405, le 5 avril 2005, G. Marquis.
[6] [1987] 119 G.O. II, 5576
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