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JB 3778 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-FRANÇOIS |
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N° : |
450-05-004196-008 |
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DATE : |
9 août 2005 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MARTIN BUREAU, J.C.S. |
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MICHEL YELLE et SYLVIE GUILLEMETTE, domiciliés et résidant au 54, du Contrefort à Hull, J8Z 1Z7, district de Hull |
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Demandeurs |
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c. |
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VILLE DE SHERBROOKE, personne morale, ayant son siège social au 191, rue du Palais à Sherbrooke, J1H 6J8, district de Saint-François |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] La Ville de Sherbrooke est-elle responsable des dommages subis par les demandeurs Michel Yelle et son épouse Sylvie Guillemette en raison d'une chute de celui-ci sur un trottoir longeant la rue King Ouest le 28 décembre 1997?
CERTAINS FAITS PERTINENTS
[2] Le 27 décembre 1997, Michel Yelle s'installe avec son fils Marc-Antoine à l'Hôtel des Gouverneurs situé sur la rue King Ouest à Sherbrooke. Ils séjournent à Sherbrooke parce que Marc-Antoine participe au tournoi international de hockey bantam qui se déroule du 27 au 30 décembre.
[3] Le 28 décembre en début d'avant-midi, le demandeur quitte l'hôtel et se rend seul à pied pour déjeuner au restaurant Pacini situé à quelques centaines de mètres en direction est. Il emprunte le trottoir du côté sud de la rue. Il sort du restaurant environ une heure plus tard et retourne à l'hôtel.
[4] Il déambule alors sur le trottoir du côté nord et passe en avant du restaurant McDonald. Juste avant d'arriver à l'hôtel, il perd pied, fait une chute sur le trottoir et s'inflige des fractures au tibia et péroné droits.
[5] Incapable de se relever, il éprouve très rapidement la sensation d'une brûlure et par la suite des douleurs intenses. Toujours au sol, il appelle au secours et attire l'attention d'une personne qui avise les services d'urgence. Un policier arrive sur les lieux peu de temps après.
[6] Le demandeur est par la suite transporté en ambulance au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. Il est opéré en après-midi et hospitalisé jusqu'au 31 décembre 1997.
[7] Il est par la suite incapable d'occuper son emploi à la direction des ressources humaines et des relations de travail du Collège de l'Outaouais pendant une période de quatorze semaines.
[8] Durant sa convalescence, il revient à Sherbrooke à deux reprises pour rencontrer son médecin traitant. Il reçoit dans sa région des traitements de physiothérapie deux ou trois fois par semaine jusqu'au 20 mai 1998. À ce moment, il semble avoir atteint un plateau en ce qui concerne la récupération de ses capacités.
[9] Depuis son accident, le demandeur vit avec des limitations physiques. Il souffre régulièrement des conséquences de sa chute. Avant son accident, il était très impliqué dans sa communauté et était un adepte de plusieurs disciplines sportives. Depuis l'accident, il est obligé d'abandonner certaines d'entre elles. Il subit constamment les inconvénients qu'ont les conséquences de sa blessure sur son état de santé général et sur sa capacité de fournir des efforts constants.
[10] En plus de le forcer à réduire considérablement plusieurs de ses activités sportives et certaines de ses activités de loisirs, sa blessure a un impact sur sa vie quotidienne. Il lui est plus difficile de s'accroupir; il ressent facilement de la fatigue ou de la douleur s'il marche ou se tient en position debout trop longtemps et sa jambe droite enfle et devient ankylosée. Il constate en fin de journée les traces laissées par son bas en raison de l'enflure de sa jambe.
[11] Sa condition n'évolue presque pas depuis 1998. Une tige insérée dans sa cheville lors de l'opération, la journée même de l'accident, s'y trouve encore. Si les vis qui la tiennent en place venaient à le déranger, il pourrait les faire enlever mais il n'a pas encore senti la nécessité de le faire. Il n'est d'ailleurs pas véritablement tenté de se soumettre à une nouvelle opération.
L'ÉTAT DES LIEUX
[12] Appelé lors du procès à décrire l'état des lieux, le demandeur précise que le trottoir lui semble en bonne condition, qu'il n'a pas de difficulté à se rendre au restaurant et à en revenir jusqu'à ce qu'il fasse sa chute. Il affirme que le trottoir est recouvert d'une mince couche de neige, ce qui l'empêche de constater au préalable, à l'endroit où il chute, la présence d'une plaque de glace. Ce n'est qu'étendu par terre, dans l'attente des secours, qu'il constate la présence de cette plaque de glace et l'absence totale d'abrasif.
[13] Son témoignage sur ce point est entièrement corroboré par celui du constable André Lepage, membre du service de police de la Ville de Sherbrooke. Dès son arrivée sur les lieux, celui-ci, patrouilleur depuis plus de 25 ans, constate que le trottoir est glacé et que la plaque de glace est assez grande. Il note également qu'il n'y a aucun abrasif à l'endroit où le demandeur indique avoir fait sa chute. Il précise que s'il y avait eu des abrasifs, il l'aurait mentionné dans son rapport d'accident.
[14] Ce rapport, préparé le matin même, indique qu'il arrive sur les lieux aux environs de 10 h 06 a.m. Il y mentionne textuellement ce qui suit:
"J'ai constaté qu'il y avait effectivement de la glace où la chute s'est produit."[1]
[15] Lorsque interrogé par l'un et l'autre des procureurs, il précise ne pas se souvenir s'il a informé le service de la voirie de l'état des lieux.
L'ENTRETIEN DES TROTTOIRS
[16] Il est démontré, tant par la production de rapports météorologiques que par le témoignage de deux préposés du service de voirie de la Ville de Sherbrooke, soit Bertrand Cotnoir, ancien chef de section, et Jean-Pierre Dutil, chef de section et adjoint au chef de division, que dans la semaine précédant cet accident, des travaux d'entretien de tous les trottoirs de la ville ont été effectués en raison des conditions climatiques. Une chenillette utilisée pour nettoyer les trottoirs et y épandre des abrasifs a circulé sur le trottoir où est survenu l'accident à deux reprises entre le 24 et le 28 décembre.
[17] La Ville de Sherbrooke procède de façon systématique, en vertu d'un plan d'intervention précis et détaillé, au "grattage et sablage des trottoirs" selon les termes utilisés dans les formulaires que doivent compléter les employés responsables de ce service.[2]
[18] Le système établit divers circuits d'entretien des trottoirs. Des employés sont affectés à chacun de ces circuits. Ils doivent, dans le cadre de leur travail, compléter des rapports d'activités sur lesquels ils indiquent les dates et heures du début et de la fin de leur travail. Ils y inscrivent également, en cochant le document, les trottoirs parcourus selon un plan préétabli et y notent les principales activités effectuées, dont entre autres le moment où ils suspendent leurs travaux pour retourner à l'entrepôt afin d'emplir la benne située à l'arrière de la chenillette avec des matériaux abrasifs.
[19] La défenderesse utilise comme abrasif pour ses trottoirs une pierre dont les agrégats ont une grosseur de un quart à un huitième de pouce. À cette pierre est ajouté un peu de calcium pour empêcher qu'elle ne gèle. La ville n'utilise ni sel ni sable sauf dans des circonstances exceptionnelles. Elle préfère l'utilisation de pierre, puisque celle-ci est moins sujette à être emportée lors des chutes de neige ou de pluie. En certaines circonstances exceptionnelles, mais rarement, du sel peut être utilisé pour faire disparaître des surfaces glacées.
[20] Les rapports d'entretien produits par le demandeur et commentés par les témoins de la défenderesse établissent qu'il y a eu entretien du trottoir en cause mercredi le 24 décembre 1997. La chenillette, équipée d'une gratte à l'avant et d'une benne à l'arrière pour l'épandage de la pierre, aurait circulé sur le trottoir à l'endroit où le demandeur a fait sa chute vers 5 h a.m. Vingt minutes plus tard son opérateur est allé recharger la benne avec des agrégats.
[21] Il semble qu'il soit possible, selon les rapports produits, d'épandre pendant approximativement 1 h 20 la pierre mise dans la benne avant de devoir la remplir de nouveau.
[22] Le même genre d'entretien aurait été fait à peu près aux mêmes heures le 26 décembre 1997. Le préposé à l'entretien n'a complété qu'un seul formulaire avec des indications concernant les deux journées (exhibit P-7).
LES CONDITIONS CLIMATIQUES ET LES MÉTHODES UTILISÉES
[23] Les sommaires météorologiques d'Environnement Canada, qui font état des données pour la région de Sherbrooke, démontrent que pendant les jours précédant l'accident et la journée même, les conditions climatiques étaient les suivantes:
23.1. Le 23 décembre 1997, la température varie de -1,7o C à - 17,8o C avec une température moyenne de -9,8oC. Il tombe trois millimètres de pluie et sept centimètres de neige pour des précipitations totales de 9,5 millimètres.
23.2. Le 24 décembre, la température varie de -4,6o C à -13,8o C avec une température moyenne de -9,2o C. Il tombe des traces de neige.
23.3. Le 25 décembre 1997, la température varie de 1,2o C à -11,8o C avec une température moyenne de -5,3o C. Il tombe pendant cette journée 4,3 millimètres de pluie et 9,2 centimètres de neige pour des précipitations totale de 13,5 millimètres. Ces précipitations ont surtout lieu entre 6 h et 17 h. La température se tient au-dessus du point de congélation à partir de midi le 25 décembre jusqu'à 7 h a.m. le 26 décembre.
23.4. Le 26 décembre, la température varie de 1,5o C à -2,3o C. La température moyenne est de 0,4o C. Il tombe trois millimètres de pluie et des traces de neige pour une précipitation totale de trois millimètres. Les précipitations sous forme de bruine verglaçante, neige mouillée et neige ont surtout lieu à compter de 2 h a.m. jusqu'à 15 h.
23.5. Le 27 décembre 1997, la température varie de 0,1o C à -13,2o C avec une température moyenne de -6,6o C. Il tombe des traces de neige. Les précipitations commencent le 26 décembre vers 23 h et se produisent à quelques reprises pendant la nuit ainsi que de 10 h à 16 h.
23.6. Le 28 décembre, journée de l'accident, la température varie de -11,8o C à - 22,3o C avec une température moyenne de -17,1o C. Des précipitations minimes ont lieu à compter de 6 h jusqu'à 9 h.
[24] Ces données démontrent qu'après le dernier entretien du trottoir le 26 décembre 1997 vers 5 h a.m. jusqu'au moment de l'accident le 28 décembre vers 10 h a.m., il se produit de faibles précipitations de neige. Ces données confirment les dires du demandeur quant au fait que le trottoir est recouvert d'une mine couche de neige lors de sa chute.
[25] Entre le dernier entretien du trottoir par la défenderesse et le moment où survient l'accident, il n'y a aucune précipitation sous forme de pluie et la température n'excède jamais le point de congélation.
[26] Le témoin Bertrand Cotnoir ne peut expliquer pourquoi la ville n'utilise pas de sel sur les trottoirs ni les raisons pour lesquelles le demandeur et le policier constatent l'absence d'abrasif sous forme de petites roches à l'endroit de la chute.
[27] Le témoin Jean-Pierre Dutil explique que l'on utilise de la petite pierre plutôt que du sel ou du sable parce que celle-ci disparaît moins vite et est toujours présente. Elle rend donc la surface des trottoirs plus sécuritaire. En utilisant du sel, celui-ci fond et disparaît rapidement s'il y a des précipitations. Le sable est également emporté plus facilement que la pierre en cas de précipitations.
[28] Les témoins de la défense expliquent, qu'en plus des préposés affectés particulièrement à l'entretien des trottoirs, un superviseur ou surveillant sillonne, 24 heures sur 24, les rues et trottoirs de la ville pour s'assurer de leur bon entretien et de leur sécurité. Cet employé utilise une camionnette équipée d'une sableuse.
[29] Ils reconnaissent que la rue King est une des rues principales de Sherbrooke et qu'il y a beaucoup d'achalandage tant sur la chaussée réservée aux voitures que sur les trottoirs.
[30] Les patrouilleurs, qui sillonnent la ville 24 heures sur 24, ont plusieurs centaines de kilomètres de rues et de trottoirs à surveiller. Il n'y a qu'un seul patrouilleur à la fois en plus évidemment des employés qui procèdent, lorsque les conditions climatiques l'exigent, à l'entretien.
ANALYSE ET DISCUSSION
[31] S'il est un domaine qui a fait l'objet depuis fort longtemps de nombreuses décisions des tribunaux de droit commun de toutes juridictions, c'est celui relatif à la responsabilité découlant d'une chute et, de façon plus spécifique, à la responsabilité des municipalités pour les chutes de piétons sur les trottoirs ou la chaussée.
[32] Des centaines de décisions ont été prononcées depuis des décennies et des dizaines d'entre elles ont fait l'objet de publication dans les rapports judiciaires.
[33] Tant la Cour suprême du Canada, dans certaines décisions fondamentales sur le sujet[3], que la Cour d'appel[4] ont établi les principaux principes en la matière.
[34] Les tribunaux de première instance sont arrivés, dans l'application de ces principes, à des décisions fort variées, puisque même si les principes juridiques sont bien établis, leur application, en tenant compte des circonstances particulières de chacune des chutes, varie.
[35]
Les dispositions législatives fondamentales se
retrouvent aux articles
"Art.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
Art.
[…]
7o Accidents sur trottoirs, rues ou chemins. - Nonobstant toute loi générale ou spéciale, aucune municipalité ne peut être tenue responsable du préjudice résultant d'un accident dont une personne est victime, sur les trottoirs, rues ou chemins, en raison de la neige ou de la glace, à moins que le réclamant n'établisse que ledit accident a été causé par négligence ou faute de ladite municipalité, le tribunal devant tenir compte des conditions climatériques."
[36] L'effet combiné de ces deux articles et l'interprétation qu'en ont donné principalement la Cour suprême et la Cour d'appel, amènent aux constatations suivantes:
36.1. L'obligation d'une ville d'entretenir ses trottoirs est une obligation de moyens.
36.2. Une municipalité n'a pas l'obligation de maintenir en tout temps et en toutes circonstances ses trottoirs en parfaite condition.
36.3. Une ville doit apporter à l'entretien de ses trottoirs les soins d'une personne raisonnablement prudente et diligente.
36.4. Il n'y a pas de présomption légale contre les municipalités; le demandeur a le fardeau de la preuve et il doit établir une faute de la municipalité.
36.5. Les piétons ont en hiver une plus grande obligation de prudence.
36.6. Une municipalité n'est pas l'assureur des piétons qui circulent sur ses trottoirs.
[37] L'application de ces principes aux circonstances du présent dossier amène le tribunal à conclure qu'il n'y a aucune preuve que le demandeur a commis une faute dans la façon dont il a utilisé le trottoir sur lequel il circulait et dans la façon dont il était chaussé. Il n'y a aucun élément de quelque nature que ce soit qui puisse permettre de conclure à une négligence de sa part ou à une absence de prudence.
[38] D'autre part, eu égard à toutes les circonstances et aux conditions climatiques, il y a eu faute ou négligence de la municipalité ou de ses préposés dans l'entretien du trottoir où s'est produit la chute.
[39] Il n'y a aucune explication raisonnable justifiant le fait qu'il n'y a aucun abrasif sur le trottoir à l'endroit où le demandeur fait sa chute. Il n'y a non plus aucune justification raisonnable, compte tenu des faibles chutes de neige ou de pluie survenues dans les derniers jours, qu'il y ait encore présence d'une plaque de glace importante et que l'on ne retrouve aucun abrasif de quelque nature que ce soit sur celle-ci.
[40] Selon les critères établis par la Cour suprême[5], cette couche de glace recouverte d'une mince couche de neige et sans aucun abrasif constitue un piège pour le demandeur.
[41] Il faut souligner qu'à l'endroit où celui-ci fait sa chute, les préposés de la défenderesse reconnaissent qu'il s'agit d'un secteur fort achalandé d'une artère principale où se situent plusieurs restaurants et établissements d'hébergement.
[42] Le demandeur, touriste sur le territoire de la défenderesse et participant à titre de parent et de spectateur à une activité sportive d'importance qui attire de nombreuses personnes pendant la période des Fêtes, est en droit de s'attendre que les trottoirs longeant les artères principales soient entretenus de façon raisonnable et adéquate.
[43] Le système d'entretien instauré par la défenderesse et sa stratégie d'épandage de pierres sur les trottoirs ont fait défaut.
[44] Qu'il s'agisse soit d'une erreur commise par le préposé responsable du grattage et de l'épandage d'abrasif sur le trottoir concerné, soit d'un mauvais usage de matériaux laissant une plaque de glace vive sur un trottoir achalandé, soit d'une inattention du préposé que la municipalité assigne 24 heures sur 24 pour la surveillance des rues et trottoirs, soit du fait qu'un seul surveillant ne suffise pas à couvrir adéquatement tout le territoire de la municipalité de sorte qu'il n'a pu constater la présence de cette accumulation de glace, soit que l'on ait omis d'entretenir pendant plus de 48 heures ces lieux fortement achalandés bien que soient survenues certaines chutes de neige même si elles ne sont pas très importantes, il faut, dans tous les cas, conclure que la défenderesse n'a pas pris les précautions adéquates ou a mal appliqué sur les lieux de la chute son système d'entretien ou que ce système d'entretien n'était pas efficace à ce moment.
[45] Il n'est pas suffisant pour une municipalité de démontrer qu'elle a instauré un certain système d'entretien et qu'elle pose des gestes pour éviter que des accidents surviennent. Il faut que le système implanté et les méthodes d'entretien utilisées soient suffisamment adéquats, particulièrement dans une ville de l'importance de celle de la défenderesse, afin que des accidents de la nature de celui vécu par le demandeur ne se produisent pas.
[46] En présence d'une preuve très claire de la présence de glace et de l'absence d'abrasif, et puisque la situation constitue une piège pour le demandeur, il appert que les travaux effectués par les préposés de la défenderesse et le processus de surveillance se sont avérés inadéquats et insuffisants.
[47] Comme le précise abondamment la jurisprudence, une municipalité n'a pas d'obligation de résultat et n'est pas l'assureur des piétons. Toutefois, ceux-ci sont en droit de s'attendre, particulièrement dans les endroits achalandés, que l'entretien des trottoirs soit suffisamment adéquat pour qu'ils ne se retrouvent pas en présence d'un tel piège.
LES DOMMAGES
[48]
Les conséquences de la chute ont été et sont
encore importantes sur la vie quotidienne et les activités sociales et
sportives du demandeur. Cette chute a
également eu des conséquences pour sa conjointe, la demanderesse, qui a dû
pendant quelques mois lui prodiguer des soins qui excèdent ceux auxquels toute
personne est en droit de s'attendre de son conjoint en vertu de l'article
[49] À long terme, les blessures du demandeur et les séquelles qui en résultent ne devraient avoir aucune influence sur sa rémunération, compte tenu de la nature des fonctions qu'il occupe. Sauf en ce qui concerne certains déboursés et une perte de revenus, en grande partie comblée par une assurance salaire, ce qui toutefois ne doit pas profiter à la défenderesse,[6]les dommages sont plutôt de nature non pécuniaire.
[50] Deux médecins experts, l'un pour le demandeur, l'autre pour la défenderesse, ont préparé des rapports qui tiennent lieu de leur témoignage.
[51] Le docteur Odette Perron, orthopédiste depuis 1993, établit que le demandeur souffre d'un DAP (déficit anatomo-physiologique) de 9,05 % qu'elle répartit de la façon suivante:
- 1 % pour perte d'extension au genou droit;
- 1 % pour perte de flexion au genou droit;
- 2 % pour perte des mouvements de l'articulation tibio-astragalienne droite;
- 2 % pour perte des mouvements de l'articulation sous-astragalienne droite;
- 1 % pour perte des mouvements de l'articulation midtarsienne droite:
- 1% pour préjudice esthétique résultant de cicatrices apparentes à la jambe droite:
- 1,05 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie;
[52] Elle utilise pour son évaluation les barèmes reconnus par la CSST.
[53] Le docteur Jacques Etienne Des Marchais a rencontré le demandeur à la réquisition de la défenderesse. Il détermine que celui-ci souffre d'une incapacité partielle permanente de 1 % pour la raideur articulaire, de 2 % pour l'insuffisance veineuse, et qu'il faut ajouter un préjudice esthétique de l'ordre de 1 % pour les cicatrices de deux centimètres carrés.
[54] Dans un deuxième rapport le 5 décembre 2001, le docteur Des Marchais, appelé à commenter l'expertise du docteur Perron, fait ressortir les motifs pour lesquels il y aurait une différence d'évaluation entre eux. Il déclare n'avoir trouvé aucune modification au niveau des mouvements du genou droit et que les mouvements de la cheville sont nettement différents entre son évaluation et celle du docteur Perron. Il affirme ne pas avoir trouvé de modification de la médio-tarsienne, mais avoir toutefois attribué une incapacité de 2 % pour l'insuffisance veineuse, ce que n'a pas fait le docteur Perron.
[55] Le docteur Des Marchais conclut son analyse et ses commentaires concernant l'expertise du docteur Perron en mentionnant que: "le 2 % pour le genou à notre avis doit être oublié, le 1 % pour la médio-tarsienne aussi et le 4 % de la cheville devrait être réduit de beaucoup."
[56] Nous sommes donc en présence d'opinions jusqu'à un certain point contradictoires entre deux médecins spécialistes. Ils ont rencontré le demandeur à quatre mois et demi d'intervalle, mais plus de trois ans après l'accident. Puisque aucun des médecins ne témoigne de vive voix, il n'est pas aisé de conclure qui a raison et pour quels motifs l'on devrait retenir une expertise plutôt que l'autre.
[57] Le demandeur suggère qu'il faut retenir l'expertise du docteur Perron puisque celle-ci l'a rencontré plus tard en après-midi et que c'est souvent à cette période de la journée qu'il éprouve plus de difficultés, particulièrement quant à l'enflure de sa jambe.
[58] La défenderesse soutient qu'il faut porter plus d'attention à l'expertise du docteur Des Marchais, d'une part parce que cette expertise est postérieure et d'autre part, parce qu'il a effectué un complément d'expertise.
[59] Il apparaît clairement à la lecture du rapport du docteur Perron que celle-ci a utilisé les barèmes de la CSST et elle emploie d'ailleurs les termes utilisés devant cet organisme.
[60] Le docteur Des Marchais ne mentionne ni dans son premier rapport ni dans le second les barèmes utilisés, bien qu'il apparaisse de ceux-ci que les calculs effectués en ce qui concerne les mouvements de la cheville proviennent des Etats-Unis. Il évalue les conséquences et les blessures en terme d'incapacité ou d'invalidité temporaire ou permanente, totale ou partielle.
[61] Son dernier rapport laisse toutefois entendre que les pourcentages attribués proviennent des mêmes critères d'évaluation que ceux utilisés par le docteur Perron, puisque ayant l'opportunité de commenter le rapport de celle-ci, il ne précise pas avoir utilisé une méthode d'analyse différente. Il ne fait que justifier les différences de pourcentages en fonction de ce qu'il aurait constaté et de ce que le docteur Perron aurait elle-même constaté.
[62] En présence d'expertises dont les conclusions varient de plus de 5 %, et sans démonstration concluante que l'une ou l'autre soit préférable, le tribunal se doit d'arbitrer eu égard à toutes les circonstances. Pour ce faire, il faut utiliser les constatations et les pourcentages reconnus par chacun des experts et les compléter par les témoignages du demandeur et de la demanderesse quant aux conséquences dans la vie quotidienne des blessures subies. Les règles de la prépondérance de la preuve doivent être appliquées.
[63] Les pourcentages utilisés sont généralement fort utiles lorsqu'il s'agit de calculer les pertes pécuniaires, mais ils ont une moindre importance quand il s'agit d'un déficit anatomo-physiologique ou d'une perte d'intégrité physique qui, tout en ayant certainement des conséquences quotidiennes, n'entraînent toutefois pas de perte de revenus à long terme
[64] La preuve démontre clairement que le demandeur a subi une blessure sérieuse, qu'il a été hospitalisé quelques jours et qu'il a par la suite été en convalescence pendant plusieurs mois. De plus, il est démontré qu'à plusieurs égards, ses activités ont été de façon très importante, dans les mois qui ont suivi l'accident, et de façon sérieuse par la suite, influencées par sa condition.
[65] Les deux médecins experts constatent une raideur dans la cheville droite et à des degrés différents, certaines limitations dans les mouvements de celle-ci. Ils constatent également une légère atteinte cicatricielle.
[66] Le demandeur a bien décrit tous les inconvénients subis dans les mois qui ont suivi son accident et ceux qui sont encore son lot quotidien.
[67] Ses dommages s'évaluent de la façon suivante:
Pertes pécuniaires:
Perte de salaire: 9432,50 $
Débours: 865,00 $
TOTAL: 10 297,50 $
Pertes non pécuniaires:
Perte de jouissance de la vie: 10 000,00 $
Douleurs et souffrances: 7500,00 $
Atteinte à l'intégrité physique ou
déficit anatomo-physiologique: 20 000,00 $
Préjudice esthétique: 2500,00 $
TOTAL: 40 000,00 $
GRAND TOTAL: 50 297,50 $
[68] Les dommages de la demanderesse s'évaluent de la façon suivante:
Aide et assistance exceptionnelles causées
par l'accident et inconvénients: 3000,00 $
[69] L'action du demandeur a été intentée presque trois ans après l'accident et il y a maintenant plus de sept ans et demi que celui-ci s'est produit.
[70] La défenderesse suggère que le demandeur ne devrait pas obtenir l'indemnité additionnelle. Les demandeurs réclament dans leur déclaration réamendée les intérêts et l'indemnité additionnelle à compter de l'assignation.
[71] Une bonne partie des dommages a été subie dans les premiers six mois qui suivent son accident, particulièrement en ce qui concerne une partie des douleurs, souffrances et inconvénients. Une autre partie, celle résultant d'un déficit anatomo-physiologique et d'une perte de jouissance pour les années à venir en raison de la cessation de plusieurs activités sportives, se vit à tous les jours et continuera pendant toute la vie du demandeur.
[72] Dans les circonstances, le tribunal considère qu'il n'y a rien qui justifie que les principes habituellement reconnus d'attribuer des intérêts et une indemnité additionnelle à compter, à tout le moins comme le réclament les demandeurs, de l'assignation ne trouvent application. Les intérêts et l'indemnité additionnelle prendront effet à compter du 26 février 2001 sauf quant aux intérêts sur une partie de la perte de salaire qui ne s'appliqueront qu'à compter du 1er août 2005, date où les demandeurs ont obtenu la permission de produire une déclaration réamendée.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
ACCUEILLE partiellement l'action du demandeur et de la demanderesse;
CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur
Michel Yelle la somme de CINQUANTE MILLE DEUX CENT QUATRE-VINGT-DIX SEPT
DOLLARS ET CINQUANTE CENTS (50 297,50 $), le tout portant intérêts sur la somme
de 40 865 $ au taux légal à compter du 26 février 2001, date de l'assignation,
en plus de l'indemnité additionnelle prévue à l'article
CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse
Sylvie Guillemettre la somme de TROIS MILLE DOLLARS (3000 $), le tout portant
intérêts au taux légal à compter du 26 février 2001 en plus de l'indemnité
additionnelle prévue à l'article
CONDAMNE la défenderesse aux dépens incluant les frais d'expertise médicale du docteur Odette Perron au montant de 550 $;
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__________________________________ MARTIN BUREAU, J.C.S. |
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Me Richard M. LeBlanc |
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LeBlanc, Doucet, McBride |
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Procureur des demandeurs |
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Me Claude Villeneuve |
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Sauvé, Villeneuve & Associés |
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Procureur de la défenderesse |
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Date d’audience : |
14 avril 2005 |
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[1] Pièce P-4
[2] Pièce P-7
[3] Garberi c. Cité de Montréal, [1961] R.C.S. 408
Paquin c. Cité de Verdun, [1962] R.C.S. 100
Picard
c. Cité de Québec,
[4] Deguire c. Cité de Montréal,
Ville de
Montréal c. Lamarche,
Cité de
Granby c. Delaney,
[5] Rubis
c. Gray Rocks Inn Ltd.,
[6] Cunningham
c. Wheeler,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.