Décision

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Gabarit EDJ

Lamotte c. Terceira

2015 QCCQ 1005

JL 4270

 
 COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LAVAL

LOCALITÉ DE

LAVAL

« Chambre civile »

N° :

540-32-026911-147

 

DATE :

5 février 2015

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

DENIS LAPIERRE, J.C.Q.

 

 

 

ANNIE LAMOTTE

Demanderesse / défenderesse reconventionnelle

c.

JOSÉ TERCEIRA

Défendeur / demandeur reconventionnel

 

 

 

JUGEMENT

 

 

 

[1]           La demanderesse réclame un dédommagement pour la perte de quatre arbres décoratifs et une brûlure à la main droite. Elle attribue ces dommages à son voisin, José Terceira, qu'elle aurait vu en octobre 2013 épandre un pesticide sur les quatre arbres en question, ce qui aurait entraîné leur perte. Quant à sa brûlure à la main, elle l'attribue au contact avec le produit pesticide en question lorsqu'elle a voulu soigner ses arbres.

[2]           Les faits se déroulant dans le cadre de relations de voisinage détériorées, elle poursuit également pour atteinte à la réputation et à la vie privée.

[3]           Le défendeur nie vigoureusement avoir commis quelque faute que ce soit à l'égard des arbres de sa voisine. En outre, il suggère que la demanderesse n'a pas fait la preuve d'un lien entre une telle faute et le dommage qu'elle prétend avoir subi, qui serait lui-même exagéré.

[4]           Enfin, il se porte demandeur reconventionnel pour plusieurs comportements dérangeants de la demanderesse, dont l'installation de caméras de surveillance qu'il prétend n'avoir d'autre fonction que de le surveiller, et divers autres actes constituants une invasion de sa vie privée.

Les questions en litige

[5]           1)        La demanderesse a-t-elle fait la preuve prépondérante d'une faute du défendeur, d'un dommage pour elle-même et d'un lien de causalité entre cette faute et ce dommage?

            2)         Le défendeur a-t-il fait la preuve prépondérante d'une faute de la demanderesse, d'un dommage pour lui-même et d'un lien de causalité entre cette faute et ce dommage?

Les faits

[6]           De la preuve entendue, le Tribunal retient les faits pertinents suivants:

 

A)        La version de la demanderesse

[7]           Le 8 octobre 2013, la demanderesse Annie Lamotte rapporte avoir entendu à travers la fenêtre ouverte de son bureau un bruit qui a attiré son attention. Jetant un coup d'œil vers l'extérieur, elle voit sur le terrain voisin le défendeur José Terceira, équipé d'un pulvérisateur à pompe, en train d'épandre du pesticide.

[8]           Toutefois, au lieu de l'épandre sur sa propriété, il dirige le jet en direction des arbres de la demanderesse.

[9]           La demanderesse tient énormément à ses plantations. Elle y consacre beaucoup de temps et d'énergie et sa propriété est particulièrement bien aménagée. Elle ne tient pas à ce que son voisin pulvérise du pesticide sur sa propriété.

[10]        Elle se précipite donc à l'extérieur pour adresser des reproches à son voisin, qui part tout bonnement se réfugier dans son cabanon.

[11]        Après quelques jours, la demanderesse constate que ses arbres semblent souffrir de l'épandage de pesticide. Ils ont pris une teinte blanchâtre et ont l'air en mauvais état. Elle coupe une branche pour montrer le tout à un spécialiste.

[12]        Par la suite, elle constate une rougeur à sa main droite, qu'elle attribue au contact avec le pesticide lorsqu'elle a coupé la branche.

[13]        Selon l'estimation P-6 qui proviendrait d'un pépiniériste, il en coûtera près de 2 000 $ pour l'achat d'arbres équivalant à ceux que la demanderesse identifie comme devant être remplacés. Étrangement, cette pièce est remplacée à l'audience par une version légèrement différente, sur laquelle apparaissent également des annotations manuscrites de la demanderesse.

[14]        En mai 2010, ces arbres lui avaient coûté 1 150,15 $ selon la pièce P-1.

[15]        Quant à sa rougeur à la main gauche, la demanderesse rapporte avoir consulté une dermatologue à cet égard. Un document médical daté de février 2014 évoque une « dermite de contact avec pesticide en oct. 2013. »

[16]        Enfin, la demanderesse estime que les gestes et attitudes du défendeur ont nui à sa réputation dans le voisinage et atteint à sa vie privée.

B)        La version du défendeur

[17]        Le défendeur nie toute intervention de sa part sur les arbres appartenant à sa voisine. Il soutient que la demanderesse ment en prétendant l'avoir vu épandre du pesticide sur sa propriété. Il possède bien un équipement lui permettant de le faire, mais il ne l'a jamais utilisé ailleurs que chez lui.

[18]        Il prétend par ailleurs avoir été lui-même intimidé par la demanderesse au moyen d'attitudes d'évitement, d'insultes à lui-même ou à sa famille, d'espionnage et de prise de photographies alors qu'il était tranquillement sur sa propriété, et même d'appel anonyme à la demande de la demanderesse.

[19]        Il dépose également de nombreuses photographies représentant l'évolution de l'état des arbres en litige ainsi que l'installation de caméras de surveillance chez la demanderesse pour surveiller non pas sa propriété à elle, mais celle de son voisin. Il s'étonne d'ailleurs que, munie de telles caméras, la demanderesse ne soit pas en mesure de montrer d'images de lui-même en train d'épandre du pesticide.

[20]        Enfin, il prétend qu'un arbre situé sur la propriété de la demanderesse avant d'être coupé, il y a plusieurs années, a causé des dommages à sa clôture.

[21]        Il réclame réparation pour tous ces éléments en demande reconventionnelle.

C)        Les témoignages de voisins

[22]        Le Tribunal a aussi entendu beaucoup de personnes du voisinage à titre de témoins en défense.

[23]        Essentiellement, ceux-ci ont affirmé que les arbres en litige ont continué d'être en très bonne santé longtemps après le 8 octobre 2013. Ils ont également témoigné du soin constant apporté par madame Lamotte à son terrain.

[24]        Le Tribunal a limité la preuve de réputation de celle-ci dans le voisinage, mais a tout de même autorisé celle qui visait à démontrer la propension de la demanderesse à surveiller son voisin ou à prendre des photographies de lui.

Le droit

[25]        L'action principale et la demande reconventionnelle sont toutes deux des actions en responsabilité civile extracontractuelle basées sur l'article 1457 du Code civil du Québec.

[26]        Pour réussir dans un tel recours, la partie réclamante doit prouver une faute de l'autre partie, un dommage pour elle-même et un lien de causalité entre la faute et le dommage.

[27]        Les articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec prescrivent que le fardeau de démontrer ces trois éléments incombe à la partie qui réclame, soit la demanderesse dans l'action principale et le défendeur dans la demande reconventionnelle. Le réclamant doit établir son droit de façon prépondérante. En cas d'égalité, le réclamant doit succomber.

[28]        Le Tribunal examinera donc chaque réclamation pour déterminer si les parties réclamantes ont réussi à rencontrer ce fardeau.

Analyse et discussion

1)        La demanderesse a-t-elle fait la preuve prépondérante d'une faute du défendeur, d'un dommage pour elle-même et d'un lien de causalité entre cette faute et ce dommage?

            a)          Les arbres

                         1-         La faute

[29]        La faute alléguée par la demanderesse est très claire. Elle prétend avoir vu le défendeur arroser ses arbres. Toutefois, cette preuve est fortement contestée. Le défendeur la nie avec vigueur. Il affirme n'avoir jamais arrosé les arbres de la demanderesse, bien qu'il puisse avoir utilisé du pesticide sur ses propres plantations. Le Tribunal ne bénéficie donc que de la parole de l'un contre la parole de l'autre.

[30]        La demanderesse ne produit pas le rapport des policiers qu'elle prétend avoir convoqués sur les lieux à la suite de l'incident. Aucun voisin n'a été témoin des faits. Elle ne produit aucune photographie ni aucune vidéo de surveillance montrant le défendeur agir comme elle le prétend.

[31]        Par ailleurs, en toute logique, le Tribunal ne voit pas très bien pourquoi le défendeur aurait arrosé de pesticide tout ou partie des plantations de la demanderesse, à l'insu de celle-ci, alors que celle-ci est connue pour bien les entretenir.

[32]        La preuve de la faute n'est pas convaincante.

[33]        Mais il y a plus.

2-         Les dommages

[34]        La preuve et le montant des dommages subis par la demanderesse ne sont pas très substantiels.

[35]        Si la demanderesse a bel et bien remplacé trois des quatre arbres en litige, le dernier est toujours en place. Elle prétend attendre pour vérifier si des dommages se manifesteront à l'avenir des suites de l'utilisation de pesticide en octobre 2013.

[36]        Par ailleurs, une preuve indépendante et crédible contredit fortement le mauvais état des arbres remplacés après le mois d'octobre 2013.

[37]        En effet, les voisins Maria Helena Varela, Miguel Varela, Antoinetta Scandone et Alfredo Scandone affirment que, bien après octobre 2013 et jusqu'à leur remplacement, les arbres en litige étaient beaux et avaient l'air en aussi bonne santé que le reste de l'aménagement paysager de madame Lamotte.

[38]        Plusieurs photographies déposées en défense tendent d'ailleurs à démontrer la même chose. On y voit successivement les arbres en litige bourgeonnants, fleuris, puis verdoyants. Leur couleur ne semble avoir été modifiée qu'à l'automne, en même temps que les autres arbres du voisinage. C'est aussi ce que démontrent les photographies produites par la demanderesse, qui n'ont rien de convaincant quant à une problématique reliée à l'utilisation de pesticide.

[39]        De plus, la preuve révèle que la demanderesse n'a pas eu à payer les 1 954,75 $ qu'elle réclame pour le remplacement de ses arbres.

[40]        À l'audience, elle admet que sa compagnie d'assurance lui a versé 1 200 $ (pièce P-10) pour ses dommages à cet égard. Elle n'aurait eu à payer qu'une franchise de 350 $, devenue 300 $ à l'audience.

[41]        D'une manière ou d'une autre, le Tribunal, qui ne dispose d'aucune facture, ne peut que noter que le montant réel payé par l'assureur et la demanderesse ne correspond d'aucune façon à l'estimation P-6.

[42]        Elle prétend bien avoir une entente avec l'assureur pour rembourser les montants assumés par celui-ci, mais aucun document n'appuie cette affirmation. L'assureur, qui aurait pu être subrogé aux droits de madame Lamotte pour la partie des dommages qu'il a assumés, n'est pas présent à l'audience. Aucune telle entente n'a été mise en preuve, du moins pas de façon prépondérante.

[43]        Tous ces éléments affectent négativement la crédibilité de madame Lamotte, tant au niveau des dommages qu'elle prétend avoir subis qu'à l'égard des autres éléments de son témoignage.

3-         Le lien de causalité

[44]        La preuve présentée par la demanderesse, en l'absence de toute expertise valablement déposée, échoue à faire le lien entre l'utilisation présumée de pesticide et les dommages allégués à ses arbres.

[45]        Certains arbres ont bel et bien été remplacés, mais la preuve ne permet pas de déterminer que ce remplacement a été rendu nécessaire en raison de l'utilisation de pesticide par le défendeur.

[46]        La pièce P-6, dont la demanderesse ne fournit aucune explication quant à l'existence de deux versions différentes, ne fait que donner le prix d'arbres équivalents. Elle n'indique pas que les arbres en litige ont besoin d'être remplacés, encore moins la raison pour laquelle ils devraient l'être.

[47]        À l'audience, la demanderesse a tenté d'introduire en preuve un document additionnel qui proviendrait du même pépiniériste pour faire le lien entre l'état des arbres en litige et l'utilisation de pesticide.

[48]        Toutefois, le défendeur s'étant opposé à la production de cette pièce, le Tribunal l'a refusée. Il s'agissait en effet d'une pièce disponible depuis plusieurs mois et qui n'a pas été déposée en temps utile au dossier de la Cour. L'article 972 du Code de procédure civile prévoit que tous les documents pertinents au litige doivent être déposés 15 jours avant l'audience.

[49]        Bien que l'article 981 du même Code autorise le juge à accepter une pièce en dehors de ces délais, cette autorisation ne peut être accordée que si l'autre partie ne subit aucun préjudice ou que les fins de la justice seraient ainsi mieux servies.

[50]        Or, non seulement le document en litige était-il disponible longtemps avant l'audition, mais il est présenté comme contenant l'opinion d'une personne qui n'a pas comparu à l'audience et dont la déclaration n'a pas été déposée conformément à l'article 980 du Code de procédure civile.

[51]        Le Tribunal n'est donc pas en mesure d'établir de lien entre la faute alléguée, elle-même peu étayée, et les dommages allégués, douteux eux aussi. Le seul témoignage de la demanderesse n'est pas suffisant.

b)         Les blessures à la main

[52]        À ce chapitre, la demanderesse a bel et bien établi la présence d'une rougeur à la main qui lui a causé des inconvénients.

[53]        Toutefois, le sérieux de ces inconvénients est quelque peu mis en question par la tardiveté de sa consultation, en février 2014, la faute alléguée ayant eu lieu en octobre 2013.

[54]        La pièce P-7 rapporte bien que la rougeur aurait été provoquée en octobre 2013 par une dermite de contact, mais il s'agit manifestement d'un document qui répète la version de la demanderesse à cet égard.

[55]        La dermatologue n'a pas été entendue et n'a fourni aucun autre document que P-7, lui-même très sommaire.

[56]        Il a donc été impossible de lui demander si la dermite de contact pourrait avoir été causée par autre chose qu'un pesticide provenant du défendeur. La demanderesse est une fervente d'horticulture et doit vraisemblablement utiliser divers produits dans le traitement de ses plantations.

[57]        Par ailleurs, l'action de la demanderesse à l'égard de cette blessure comporte les mêmes lacunes que sa réclamation relative aux arbres quant à la probabilité de la faute du défendeur. Les commentaires du Tribunal à cet égard s'appliquent donc ici aussi.

c)-        Les autres dommages

[58]        Ainsi que le Tribunal l'a mentionné à l'audience, la réclamation pour atteinte à la réputation n'est pas admissible devant la Division des petites créances. C'est le sens de l'article 954 du Code de procédure civile.

[59]        Quant à la réclamation reliée à d'autres atteintes à la vie privée, elle n'est nullement supportée par la preuve et ne saurait être accordée.

[60]        Pour tous ces motifs, l'action de la demanderesse sera rejetée avec dépens.

            2)         Le défendeur a-t-il fait la preuve prépondérante d'une faute de la demanderesse, d'un dommage pour lui-même et d'un lien de causalité entre cette faute et ce dommage?

[61]        Les dommages à la clôture du défendeur par un arbre coupé il y a plusieurs années sont forcément prescrits, puisque l'arbre en question a été abattu il y a plus de trois ans. Dans les circonstances, le défendeur ne peut avoir de réclamation valide contre sa voisine et il n'est pas utile d'étudier cette question plus avant.

[62]        Les montants réclamés pour inconvénients et fardeau émotionnel sont peu soutenus par la preuve.

[63]        Le défendeur ne peut plaider pour autrui, et les dommages subis par son épouse ne peuvent pas être indemnisés dans la présente instance, puisqu'elle n'est pas demanderesse.

[64]        Quant aux dommages de monsieur Terceira lui-même, il admet ne pas avoir été très intimidé par les actes de la demanderesse, sauf quant à un appel anonyme reçu d'un homme que la preuve prépondérante ne permet pas de relier à la demanderesse. Le Tribunal ne voit donc pas dans la preuve la démonstration d'un dommage suffisant pour étayer une indemnisation.

[65]        La question l'atteinte à la vie privée est davantage soutenue par la preuve.

[66]        Des voisins ont vu madame Lamotte prendre des photographies ou s'adresser à eux en ignorant délibérément monsieur Terceira. C'est également le cas de Sonia Terceira, la fille du défendeur.

[67]        Certaines photographies démontrent l'existence de caméras de surveillance sur le côté de la résidence de madame Lamotte, orientées d'une manière qui suggère qu'elles sont davantage utilisées pour épier le voisin que pour surveiller sa propriété.

[68]        Toutefois, chaque élément est contredit par des affirmations fermes de la demanderesse.

[69]        Celle-ci prétend avoir installé des caméras de surveillance pour sa propre protection, étant une dame qui vit seule.

[70]        Elle ajoute que les caméras de surveillance sont censées être orientées de façon à épier la ligne de division entre les parties, mais non le terrain du défendeur. Elle aurait mandaté l'installateur desdites caméras à cet effet et, à vrai dire, celles-ci semblent bien difficiles d'atteinte si la demanderesse désirait en modifier l'orientation.

[71]        La preuve n'apparaît donc pas prépondérante et le Tribunal fera bénéficier la demanderesse de cette incertitude. Rien dans le présent jugement ne doit toutefois être interprété comme autorisant ou approuvant le détournement de l'utilisation d'une caméra de surveillance pour espionner le voisinage.

[72]        Dans les circonstances, la demande reconventionnelle sera rejetée, mais sans frais.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[73]        REJETTE la demande de la demanderesse;

[74]        CONDAMNE la demanderesse à payer au défendeur ses frais de contestation au montant de 157 $;

[75]        REJETTE la demande reconventionnelle du défendeur, sans frais.

 

 

 

__________________________________

Denis Lapierre, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

9 janvier 2015

 

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