Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Khosravi et Specnor Tecnic Corporation

2012 QCCLP 6541

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

15 octobre 2012

 

Région :

Montérégie

 

Dossiers :

418999-62-1008      435235-62-1104

 

Dossier CSST :

129804209

 

Commissaire :

Line Vallières, juge administrative

 

Membres :

Raynald Asselin, associations d’employeurs

 

Noëlla Poulin, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Khashayar Khosravi

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Specnor Tecnic Corporation

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 418999-62-1008

[1]           Le 31 août 2010, monsieur Khashayar Khosravi (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 juillet 2010, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle initialement rendue le 10 juin 2010 et suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 11 juin 2010, et ce, en vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). La CSST demande au travailleur de lui fournir des renseignements et des documents, tel que le précise la décision. La CSST avise le travailleur qu’elle pourra reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu si le motif qui en a justifié la suspension n’existe plus.

Dossier 435235-62-1104

[3]           Le 5 avril 2011, le travailleur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision de la CSST rendue le 29 mars 2011, à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme trois décisions initialement rendues et datées respectivement du 16 décembre 2010, du 29 décembre 2010 et du 8 mars 2011. La première décision maintient la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu puisque le travailleur n’a pas fourni les renseignements ou documents demandés dans la décision du 10 juin 2010. La décision du 29 décembre 2010 fait suite à l’avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale le 14 décembre 2010 en rapport avec la lésion professionnelle du 3 mai 2006. Finalement, la décision du 8 mars 2011 déclare que le travailleur ne peut retourner travailler à son emploi prélésionnel et que l’emploi d’analyste en informatique est un emploi convenable. Cette décision précise que le travailleur est capable d’exercer cet emploi à compter du 4 mars 2011. La décision de la révision administrative précise que le travailleur n’a plus droit à une indemnité de remplacement du revenu puisque l’emploi convenable est immédiatement disponible et à un salaire supérieur à celui qu’il gagnait au moment de sa lésion professionnelle.

[5]           La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience le 3 mai 2011, les 19 et 20 octobre et le 2 mai 2012 en présence du travailleur. Specnor Tecnic Corporation (l’employeur) n’était pas représenté à l’audience. La CSST, partie intervenante, y était représentée.

[6]           Le travailleur habite maintenant Vancouver, Colombie-Britannique. Il parle anglais. Il est d’origine iranienne et sa langue maternelle est le farsi. Pour les trois premières journées d’audience, la CSST a retenu les services d’un interprète afin de s’assurer que le travailleur comprenne bien le déroulement de l’audience.

[7]           À la fin de la journée de l’audience du 2 mai 2012, alors que la Commission des lésions professionnelles entendait la plaidoirie du procureur de la CSST, le travailleur a demandé à quitter la salle d’audience même si les plaidoiries n’étaient pas complétées. La Commission des lésions professionnelles a précisé au travailleur que s’il choisissait de quitter l’audience, avant la fin des plaidoiries, la Commission des lésions professionnelles allait tout de même poursuivre et entendre la fin de la plaidoirie du procureur de la CSST. Le travailleur s’est déclaré d’accord avec cette façon de faire et a quitté la salle d’audience.

[8]           Alors que le dossier était en délibéré depuis le 2 mai 2012, la Commission des lésions professionnelles a reçu des documents du travailleur concernant les dossiers en délibéré. Les documents ont été expédiés en deux envois, datés respectivement du 28 mai 2012 et du 18 juin 2012.

[9]           La Commission des lésions professionnelles a considéré l’envoi de ces documents comme une demande de réouverture d’enquête par le travailleur et l’a autorisée. Le 20 juin 2012, la Commission des lésions professionnelles écrivait à la CSST pour recevoir ses commentaires concernant les documents expédiés par le travailleur.

[10]        Le 3 juillet 2012, la Commission des lésions professionnelles a reçu les représentations de la CSST quant aux nouveaux documents soumis par le travailleur. C’est à cette date que les dossiers sont mis en délibéré.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

[11]        Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST doit reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à la date de la suspension du versement puisqu’il a fourni tous les renseignements et documents existants demandés par la CSST. Il demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il n’est pas capable d’occuper l’emploi convenable d’analyste informatique et d’infirmer en conséquence la décision de la CSST.

[12]        Le travailleur précise qu’il ne conteste pas les conclusions médicales de l’avis émis par le membre du Bureau d’évaluation médicale et la décision de la CSST qui en découle, soit celle initialement rendue le 29 décembre 2010.

L’AVIS DES MEMBRES

[13]        La membre issue des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que le travailleur a fourni des renseignements inexacts à la CSST concernant sa capacité physique à la suite de la lésion professionnelle subie au mois de mai 2006. Le travailleur a également menti à la CSST lorsqu’il affirmait ne pouvoir prendre l’avion pour se rendre de Vancouver à Montréal, pour un examen médical, alors qu’il avait pris un avion pour se rendre en Angleterre. De plus, les images recueillies lors de la filature réalisée en mars 2011 révèlent que le travailleur se déclare incapable alors que les images montrent un tout autre homme.

[14]        De plus, la preuve recueillie par les enquêteurs de la CSST démontre que Byterus Control inc., dont le travailleur est l’unique actionnaire, a des activités économiques. Cette société possède un site internet, a offert des emplois et des services à des clients potentiels. Devant tous ces éléments de preuve, ils sont d’avis que le travailleur n’est pas crédible et qu’il y a lieu de rejeter ses requêtes.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[15]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’emploi d’analyste en informatique, ailleurs sur le marché du travail, constitue un emploi convenable pour le travailleur.

[16]        La Commission des lésions professionnelles doit également statuer si la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu depuis le 11 juin 2010, décidée par la CSST en application de l’article 142 de la loi, doit être modifiée.

[17]        Aux fins de rendre sa décision, la Commission des lésions professionnelles a tenu compte de la preuve documentaire et des témoignages entendus à l’audience. À cette fin, les principaux éléments de preuve suivants sont retenus.

[18]        Le travailleur, né au mois de […] 1969, est arrivé au Canada en 2001. Il a complété une maîtrise en génie informatique à l’Université de Montréal en 2005. Au mois de septembre 2005, il est embauché comme spécialiste en informatique (computer specialist) par l’entreprise Specnor Tecnic Corporation.

[19]        Le 10 mai 2006, il remplit une réclamation pour la CSST. Il y déclare un accident du travail survenu le 3 mai 2006, alors que dans le cadre de son travail, il manipule une pièce lourde et se blesse au cou.

[20]        La CSST a déclaré admissible la réclamation du travailleur. La CSST a reconnu une entorse cervicale puis deux hernies discales cervicales, une au niveau C5-C6 et l’autre au niveau C6-C7.

[21]        Le 3 décembre 2010, le dossier du travailleur a été soumis à un membre du Bureau d’évaluation médicale afin qu’il donne son avis sur la date prévisible de la consolidation de la lésion, la nature, nécessité ou suffisance des soins ou traitements, l’existence et le pourcentage d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de même que l’existence et l’évaluation des limitations fonctionnelles. Nous verrons plus loin le contexte dans lequel la CSST a soumis le dossier du travailleur à un membre du Bureau d’évaluation médicale.

[22]        Le 14 décembre 2010, le docteur Jacques Demers, neurochirurgien, signe son avis à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. Il est d’avis que les lésions sont consolidées le 11 juin 2010, avec suffisance des soins à partir de cette date. Il est d’avis que le travailleur garde une atteinte permanente reliée aux diagnostics d’entorse cervicale avec séquelles fonctionnelles objectivées, de hernies discales cervicales à deux niveaux non opérées, de même que des ankyloses au niveau du rachis cervical. L’atteinte permanente totalise 10 % auxquels s’ajoute un pourcentage pour douleurs et perte de jouissance de la vie. Dans son avis, le docteur Demers reconnaît également les limitations fonctionnelles suivantes :

Colonne cervicale :

 

Classe 2 : restrictions modérées :

 

Éviter les activités qui impliquent de :

-      soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant environ 15 kg;

-      effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne cervicale, même de faible amplitude.

 

Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

-      ramper

-      subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (ex : provoquées par du matériel roulant sans suspension).

 

 

[23]        À la suite de l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale, la CSST rend une décision le 29 décembre 2010, entérinant les conclusions médicales. Elle décide, compte tenu de la présence de limitations fonctionnelles, qu’elle devra se prononcer sur la capacité du travailleur à exercer son emploi prélésionnel. Elle lui rappelle toutefois que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu demeure suspendu puisqu’il n’a pas respecté les demandes formulées par la décision initiale de suspension du versement de l’indemnité datée du 10 juin 2010.

[24]        Le 8 mars 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle informe le travailleur qu’à la suite de l’analyse de ses limitations fonctionnelles, elle conclut qu’il n’est pas capable de reprendre son travail prélésionnel. Elle détermine que l’emploi d’analyste en informatique est un emploi convenable au sens de la loi, que le travailleur a la capacité d’occuper cet emploi à compter du 4 mars 2011. Elle est d’avis que cet emploi est immédiatement disponible et elle met fin au droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Le travailleur demande la révision de cette décision.

[25]        Tant la décision initiale de suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu datée du 10 juin 2010, réitérée par une décision de la CSST le 16 décembre 2010, de même que la décision de la CSST du 29 décembre 2010 entérinant l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale et confirmant la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu ont fait l’objet d’une demande de révision du travailleur.

[26]        Le 29 mars 2011, la CSST, à la suite d’une révision administrative, confirme toutes ces décisions. La CSST précise, dans sa décision, que le travailleur tire déjà un revenu équivalent ou supérieur à celui qu’il gagnait lors de la lésion professionnelle subie en 2006 et que, par conséquent, il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Ce sont ces décisions de la CSST qui sont ici contestées par le travailleur, sauf l’aspect médical.

[27]        La décision du 10 juin 2010 de la CSST de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 11 juin 2010, de même que sa démarche afin de soumettre le dossier du travailleur à un membre du Bureau d’évaluation médicale s’expliquent par les éléments de preuve suivants.

[28]        La Commission des lésions professionnelles a entendu comme témoin madame Véronique Grégoire, conseillère en réadaptation à la CSST, attitrée au dossier du travailleur. Madame Grégoire témoigne sur les difficultés de communication entre la CSST et le travailleur après son déménagement à Vancouver, en mai 2007.

[29]        Les informations écrites étaient difficiles du fait que le travailleur donnait une adresse d’un centre culturel iranien comme étant sa résidence et les communications plus difficiles encore par téléphone en raison du décalage horaire. Le travailleur a exprimé le désir de communiquer par courriel.

[30]        La CSST a eu des rapports médicaux du travailleur, de façon assez régulière, jusqu’au 12 juin 2008 où le médecin traitant suggérait une chirurgie de fusion au niveau cervical.

[31]        Par la suite, ce n’est que vers le mois d’avril 2009 que la CSST obtient à nouveau des précisions quant au suivi médical. La CSST éprouve des difficultés à recevoir de l’information médicale. Finalement, une information médicale complémentaire du médecin ayant charge, datée du 21 juillet 2009, est reçue à la CSST. Il confirme, notamment, que le travailleur ne veut pas subir de chirurgie. Il est alors décidé de demander au travailleur de se rendre à Montréal pour être examiné par un médecin désigné par la CSST. Au mois d’août 2009, le travailleur indique à la CSST de lui proposer une autre solution puisqu’il se sent incapable de faire un tel trajet en avion qui va l’obliger de demeurer assis pour une si longue période.

[32]        Puisque les difficultés de communication avec le travailleur persistent, puisque la CSST n’obtient pas les notes d’un suivi médical régulier, puisque le travailleur ne reçoit plus aucun traitement telle la physiothérapie, depuis le mois de mai 2007, puisqu’il ne prend qu’une médication anti-inflammatoire, puisque le niveau d’incapacité alléguée par le travailleur ne semble pas correspondre au suivi médical, puisque le travailleur se dit incapable de faire le trajet en avion compte tenu de sa condition médicale, la CSST décide de mandater un médecin de Vancouver pour procéder à un examen médical du travailleur.

[33]        Entre-temps, à l’été 2009, face aux difficultés de communication avec le travailleur, madame Grégoire fait une recherche sur internet afin de vérifier le lieu de résidence du travailleur et son numéro de téléphone résidentiel. En faisant cette recherche, elle découvre que le travailleur est relié à deux sociétés, soit Ador inc. et Byterus Control inc. Le travailleur y est désigné comme président de ces deux sociétés, dont il serait le seul actionnaire.

[34]        À la suite de cette découverte, dans le contexte des difficultés de communication et l’absence d’un suivi médical régulier, madame Grégoire discute du cas avec sa supérieure, madame Lucie Lemieux. Il est alors décidé de procéder à une enquête afin de vérifier si le travailleur a des activités professionnelles et si ses capacités physiques sont celles qu’il décrit. Il faut préciser que le travailleur se décrit à cette époque comme lui étant impossible d’envisager un retour à tout travail, compte tenu de sa condition physique, et qu’il a beaucoup de difficultés à lever une tasse de la main.

[35]        Le 18 septembre 2009, un mandat d’enquête est alors formellement donné au service d’enquête de la CSST (annexe 1, pièce I-1 en liasse). Monsieur Sylvain Boulanger, enquêteur au service des enquêtes spéciales de la CSST, est mandaté au dossier du travailleur.

[36]        Parallèlement à cette enquête, le 4 février 2010, le docteur Ian Turnbull examine le travailleur à Vancouver, à titre de médecin désigné par la CSST. Il rédige son rapport médical détaillé le 8 février 2010 et l’expédie à la CSST.

[37]        Dans son rapport d’examen, le docteur Turnbull note que le travailleur garde la tête quasi immobile lors de son examen, qu’il soit assis ou en marchant. Son examen du cou et des épaules est quasi impossible à faire en raison des allégations de douleurs du travailleur. À titre d’exemple, le travailleur lui dit qu’il est incapable de faire tout mouvement d’abduction du bras gauche. En tentant une manœuvre passive d’abduction, le médecin obtient une forte réaction de douleurs du travailleur. Il en est de même pour le bras droit. Il précise que pendant toute la durée de son examen, le travailleur démontre un comportement de douleur exagéré « During the evaluation Mr. Khosravi displayed exaggerated pain behaviour. »  Plus loin, le médecin ajoute que le niveau de douleur alléguée par le travailleur de même que son immobilité ne peuvent s’expliquer par les trouvailles de la résonance magnétique de la colonne cervicale réalisée le 24 mars 2008, pas plus que par les résultats démontrés à la tomodensitométrie axiale réalisée le 24 mai 2006. Il écrit que le travailleur démontre des signes physiques de non-organicité qui l’amènent à conclure qu’une chirurgie, pour obtenir un soulagement, donnerait un résultat s’approchant du zéro.

[38]        Compte tenu de cette expertise médicale et puisqu’une enquête est en cours, la CSST décide de procéder à une filature du travailleur à Vancouver.

[39]        La CSST mandate la firme Campro Investigation afin d’effectuer la filature du travailleur qui a lieu les 25, 26, 27, 28 et 29 mars 2010.

[40]        Un DVD et un rapport détaillé de cette filature par la firme mandatée ont été acheminés à la CSST. Le rapport écrit, daté du 8 avril 2010, est déposé à l’audience (annexe 33, pièce I-1 en liasse). Ce rapport comporte de multiples photos du travailleur lors de cette filature. Le travailleur a eu l’occasion de visionner le DVD de cette filature puisque la CSST lui en a remis une copie, nous verrons plus loin dans quel contexte. Qu’il suffise de dire que le DVD de cette filature n’a pas été déposé à l’audience, le travailleur ne contestant pas le contenu du rapport écrit de cette filature.

[41]        Selon le rapport de cette filature, le travailleur a une démarche et des mouvements tout à fait normaux, dénués de signes d’inconfort ou de douleurs. Comme le démontrent des photos au rapport, le travailleur entre et sort de sa voiture sans aucun signe de restrictions. Il tourne la tête facilement à gauche et à droite en conduisant sa voiture. Il se retourne sans difficulté vers la gauche pour saisir sa ceinture de sécurité. Il fait des emplettes dans des quincailleries et transporte, sans aucun signe d’inconfort, les sacs de ses emplettes. Il fait des mouvements de flexion du cou, du tronc, adopte même la position accroupie dans des allées de la quincaillerie pour y regarder les produits situés au bas de la tablette.

[42]        Le 29 mars 2010, le travailleur s’aperçoit qu’il est pris en filature par des enquêteurs. C’est à cette date que la filature est interrompue.

[43]        Le contraste est frappant entre l’état que le travailleur décrit à la CSST depuis la lésion professionnelle subie en mai 2006 et au docteur Turnbull, soit son état d’immobilité du cou et de grandes douleurs, et ce qui est démontré par cette filature sur une durée de cinq jours au mois de mars 2010.

[44]        La CSST décide de faire venir le travailleur de Vancouver à Montréal pour rencontrer un médecin désigné le 11 juin 2010 et pour rencontrer l’enquêteur Sylvain Boulanger.

[45]        Le 9 juin 2010, la CSST mandate la firme Chartrand, Fortin et Labelle pour effectuer une filature du travailleur lors de son arrivée à l’aéroport le 10 juin 2010. Le rapport écrit de la filature par cette firme est déposé à l’audience (annexe 34, pièce I-1 en liasse). Le rapport fait état qu’une fois à son hôtel du centre-ville de Montréal, le travailleur en est ressorti à quelques reprises, en adoptant une démarche très lente et présentant une boiterie. À quelques reprises, le travailleur tient son bras droit avec sa main gauche et adopte une position monobloc au niveau de la tête.

[46]        Le 11 juin 2010, le docteur Pierre R. Dupuis, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à titre de médecin désigné par la CSST. Son rapport, daté du 21 juin 2010, est reçu à la CSST le 28 juin 2010.

[47]        Le docteur Dupuis a le dossier du suivi médical du travailleur depuis l’événement de mai 2006. Il a notamment les résultats de la tomodensitométrie axiale réalisée le 24 mai 2006 de même que les résultats de la résonance magnétique réalisée le 24 mars 2008. Selon le docteur Dupuis, la présence de calcification, déjà au cliché de la tomodensitométrie au niveau cervical, démontre la présence d’une pathologie cervicale chronique, bien antérieure au fait accidentel de mai 2006.

[48]        Quoi qu’il en soit, le docteur Dupuis procède à l’examen du travailleur. Le travailleur lui décrit un degré de douleur très élevé au niveau du rachis cervical. Tous les mouvements sont allégués extrêmement douloureux et limités. Le travailleur lui dit qu’il ne peut bouger ni l’épaule droite ni l’épaule gauche. Il décrit sa douleur comme étant extrêmement sévère et sans aucun répit depuis le fait accidentel.

[49]        Procédant à son examen objectif, le docteur Dupuis constate que le travailleur se présente à son cabinet avec une position monobloc du cou, des épaules et du bras gauche qui ne bougent nullement à la marche. Son comportement douloureux lors de l’examen clinique lui a paru hors-norme avec une lésion discale vieille de quatre ans. Tout le long de son examen objectif, le docteur Dupuis rapporte des incongruités entre les allégations de douleurs et d’immobilité arguées par le travailleur par rapport à ce qui est explicable d’un point de vue médical. L’histoire naturelle d’une telle lésion discale, vieille de quatre ans, est de s’améliorer avec le temps, qu’une chirurgie soit pratiquée ou non. Le docteur Dupuis a aussi retrouvé des anomalies au test placébo et également dans trois des cinq critères de Sobel, suggérant une importante composante de non-organicité.

[50]        Le docteur Dupuis conclut que le travailleur a reçu tous les traitements nécessaires pour son état. Il estime que la lésion est consolidée le jour de son examen, soit le 11 juin 2010. Il précise que, comme évaluateur désigné, il est lié par les diagnostics acceptés par la CSST. Il doit donc produire, écrit-il, son avis en ce sens. Il n’accorde aucune atteinte permanente pour l’entorse cervicale initialement acceptée par la CSST. Il reconnaît une atteinte permanente pour les deux hernies discales acceptées par la CSST. Quant aux ankyloses, malgré qu’il soit persuadé que le patient a des mouvements du rachis cervical supérieurs à ceux qu’il a démontrés lors de l’examen, il se voit dans l’obligation de prendre les ankyloses que lui présente le travailleur. De plus, en raison des diagnostics acceptés par la CSST, il doit reconnaître des limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle. À ce chapitre, compte tenu des ankyloses présentées lors de son examen, il accorde des limitations fonctionnelles de classe 3 sur l’échelle des limitations fonctionnelles pour le rachis cervical ou dorsal supérieur de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail.

[51]        Postérieurement à cet examen et postérieurement à la réception par la CSST de son rapport d’évaluation médicale, la CSST fait parvenir au docteur Dupuis la vidéo  réalisée lors de la filature en mars 2010. Elle sollicite son avis sur les images que montre cette enquête par rapport à son examen pratiqué le 11 juin 2010.

[52]        Le docteur Dupuis rédige un rapport d’évaluation médicale complémentaire le 9 juillet 2010. Il écrit que le visionnement de cette vidéo montre que le travailleur, à aucun moment, ne lui a semblé inconfortable. Tous ces mouvements sont fluides, spontanés et normaux. Il n’a démontré aucun comportement douloureux, que ce soit en transportant des paquets, en ouvrant et fermant les portières de sa voiture, en entrant ou en sortant de sa voiture, en faisant des emplettes, en reculant son véhicule, en allant prendre des photos dans un parc, etc. Il s’agit là, selon le docteur Dupuis, d’une discordance irréconciliable avec le comportement douloureux extrême dont le travailleur a fait preuve lors de l’examen du 11 juin 2010. Le visionnement de cette vidéo lui a permis également de constater que le travailleur lui avait dit qu’il ne conduisait pas de véhicule automobile alors que la vidéo démontre clairement le contraire. Le travailleur lui avait également dit qu’il ne faisait jamais d’emplettes à la maison, alors que la vidéo démontre aussi le contraire. De plus, la déclaration du travailleur de douleur extrêmement sévère et sans aucun répit, depuis le premier jour de l’accident, est clairement contredite par la vidéo où le travailleur ne montre aucun comportement douloureux compatible avec ses allégations lors de l’examen du 11 juin 2010. Le docteur Dupuis passe ainsi en revue chacun des mouvements que le travailleur se disait incapable de faire et l’immobilité qu’il accusait lors de son examen du 11 juin, qui sont clairement contredits par la vidéo de filature.

[53]        Dans un tel contexte de contradictions irréconciliables, il amende son rapport d’évaluation pour ne reconnaître qu’une atteinte permanente pour les hernies discales non opérées reconnues par la CSST et compte tenu des diagnostics acceptés par la CSST, des limitations fonctionnelles de classe 2 sur l’échelle des limitations fonctionnelles pour le rachis cervical ou dorsal supérieur de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail.

[54]        Entre-temps, le 11 juin 2010, le travailleur est convoqué au bureau de la CSST pour y rencontrer l’enquêteur, monsieur Sylvain Boulanger, de même que l’enquêteur Auray Forcier, aussi du service des enquêtes spéciales de la CSST. Il y avait également la présence d’une interprète lors de cette rencontre avec le travailleur.

[55]        La Commission des lésions professionnelles a entendu monsieur Boulanger comme témoin à l’audience. Son volumineux rapport d’enquête avec toute la preuve documentaire à son soutien est déposé à l’audience (pièce I-1 en liasse). Les renseignements consignés à ce rapport étaient, pour la quasi-totalité, disponibles lors de cette rencontre avec le travailleur.

[56]        Lors de cette rencontre, le travailleur se présente à monsieur Boulanger avec beaucoup de difficulté à se déplacer et adopte une position monobloc au niveau de la tête. Le travailleur précise qu’il n’a eu aucune amélioration de sa condition médicale depuis l’accident. Il dit ne rien faire durant ses journées et qu’il doit se coucher à plusieurs reprises afin de soulager sa douleur. Il se dit incapable de faire quelques emplettes que ce soit et qu’il n’a pas d’activité sociale. Il n’a pas de force dans les mains, il est incapable de soulever un poids de plus de deux kilogrammes, de prendre des sacs d’épicerie ou de tirer ou pousser une porte. Le travailleur lui dit qu’il n’est pas propriétaire d’un véhicule automobile et qu’il conduit très rarement puisqu’il n’est pas en mesure de regarder vers l’arrière et d’observer les angles morts en automobile. À la suite d’une question de monsieur Boulanger, le travailleur répond qu’il n’a pris l’avion qu’une seule fois depuis son accident de travail, c’était en destination de Vancouver lors de son déménagement en 2007.

[57]        C’est à la suite des réponses du travailleur que monsieur Boulanger le confronte avec les éléments de preuve recueillis par son enquête.

[58]        Le travailleur est alors confronté à la preuve de l’achat de plusieurs billets d’avion par lui-même depuis l’accident du travail. Le travailleur a alors déclaré à monsieur Boulanger qu’il achetait des billets d’avion pour sa sœur, mais il a admis que le 21 août 2008, il a pris l’avion pour visiter sa sœur en Angleterre.

[59]        Le travailleur a ensuite visionné la vidéo de filature réalisée au mois de mars 2010. Le travailleur précise qu’il s’était aperçu qu’il était suivi à Vancouver. Il mentionne que lorsqu’il est arrivé à Montréal le 9 juin 2010, il marchait normalement, mais que suite aux manipulations du docteur Dupuis, lors de l’examen du 11 juin 2010, il a eu de la douleur au cou.

[60]        Au cours de son enquête, monsieur Boulanger a découvert que le travailleur était un administrateur d’une société enregistrée au Québec sous le nom de Ador inc. depuis le 19 avril 2006. Le travailleur y est inscrit comme président de la société du 19 avril 2006 au 12 juin 2007. L’activité économique de l’entreprise est dans le domaine informatique et de l’import / export. À partir du 12 juin 2007, Ador inc. était cédée à une autre personne qui devenait l’unique propriétaire. Le 28 novembre 2007, cette société était cédée à une autre personne qui en devenait l’unique propriétaire. Le 5 juin 2010, Ador inc. fut radiée d’office puisqu’elle n’acquittait pas les frais d’enregistrement (annexe 6, pièce I-1 en liasse).

[61]        L’enquête de monsieur Boulanger lui a permis d’obtenir des renseignements concernant Byterus Control inc. Cette société a été enregistrée en Colombie-Britannique le 23 septembre 2008. Le seul actionnaire de la société est le travailleur. L’activité économique n’y est pas inscrite. Byterus Control inc. se présente également sur un site internet Byterus.com.

[62]        Lors de la rencontre avec les enquêteurs, le travailleur est invité à préciser ce qu’étaient ces deux sociétés. Le travailleur explique qu’il a créé Ador inc. dans le but de travailler sur un terminal afin d’offrir aux clients la possibilité d’effectuer des interurbains gratuits à travers le monde. Des négociations avec la direction du centre Eaton à Montréal, pour obtenir un comptoir, n’ont pas donné de résultats. Finalement, le travailleur explique qu’il a vendu la société à son comptable pour la somme de 100 $ avant son départ pour Vancouver, soit l’équivalent des frais d’enregistrement.

[63]        Le travailleur reconnaît également que cette société détenait un compte bancaire à la Banque de Montréal et qu’il se servait de ce compte bancaire et de la carte de crédit appartenant à la société pour régler des comptes personnels. Il a vendu un ordinateur à ses deux associés pour la somme totale de 300 $. C’était le seul actif de cette société.

[64]        En 2008, il a démarré l’entreprise Byterus Control inc. à Vancouver. Ces activités économiques sont dans le domaine informatique. Le travailleur explique avoir créé cette entreprise afin de rencontrer les exigences gouvernementales du Canada en matière d’immigration et ainsi faciliter la demande d’immigration de sa sœur, elle-même diplômée en génie électronique. Il affirme toutefois que Byterus Control inc. n’avait aucune activité économique et n’avait aucun employé. Il précise que Byterus Control inc. n’a d’ailleurs aucun site internet.

[65]        Monsieur Boulanger le confronte alors avec des courriels qu’il a expédiés à Byterus Control inc. afin de s’enquérir des services offerts par cette société. Monsieur Boulanger a même obtenu une réponse de cette société quant à la possibilité d’avoir un service d’automatisation pour sa résidence.

[66]        Devant ces faits, le travailleur déclare à monsieur Boulanger qu’il s’agissait là uniquement d’une question de marketing, mais que Byterus Control inc. n’offrait pas de service. Il précise à l’enquêteur que c’est lui ou sa sœur qui répondait aux courriels.

[67]        Monsieur Boulanger le questionne alors pour savoir pourquoi il inscrivait auprès d’institutions financières que Byterus Control inc. était son employeur. Le travailleur a répondu qu’il n’avait jamais spécifié de revenu pour la société Byterus Control inc. auprès des institutions financières.

[68]        Pourtant, parmi les documents obtenus par monsieur Boulanger, une mise à jour effectuée le 12 février 2009 auprès de la Banque Toronto Dominion, le travailleur y déclare être à l’emploi de Byterus Control inc. (annexe 22, document I-1 en liasse). De plus, le travailleur est détenteur d’un compte bancaire auprès de cette institution. Il bénéficie d’une ligne de crédit d’une limite de 520,000 $, laquelle est garantie par la propriété du travailleur, celle de Vancouver, acquise le 17 novembre 2007, pour la somme de 797,000 $ dont il est le seul propriétaire (annexe 23, document I-1 en liasse).

[69]        Les documents obtenus par monsieur Boulanger dévoilent également que le travailleur est détenteur d’un compte auprès de la Banque de Montréal. Dans une mise à jour effectuée le 22 septembre 2009, lors d’une demande de crédit effectuée par le travailleur, il y déclare être le propriétaire de la société Byterus Control inc. depuis le 23 septembre 2008 et qu’il s’accorde un salaire annuel de 51,900 $ (annexe 26, document I-1 en liasse).

[70]        Lors de sa rencontre avec le travailleur, monsieur Boulanger l’a questionné au sujet d’annonces placées au nom de Byterus Control inc. sollicitant des candidats pour différents postes, durant la période de novembre 2008 à juin 2010, sur les sites internet du guichet emploi de Service Canada ainsi que de divers autres sites internet. Les emplois, tous dans le domaine informatique, étaient offerts dans la région de Vancouver et un, dans l’état de Washington (annexe 14, document I-1 en liasse).

[71]        Le travailleur lui a expliqué que ces offres d’emploi avaient pour but de contourner les règles d’immigration pour sa sœur. Il devait avoir un poste à offrir à sa sœur afin qu’elle puisse immigrer au Canada. Monsieur Boulanger lui a alors dit qu’il avait envoyé son curriculum vitae à la suite d’une de ces offres d’emploi et que le travailleur était prêt à lui offrir un poste. Ces faits sont demeurés sans réponse du travailleur.

[72]        Le travailleur précise, par ailleurs lors de cette rencontre, que la marge de crédit hypothécaire de 520 000 $, qu’il a obtenu de la Banque Toronto Dominion, appartient plutôt à ses parents qui vivent maintenant à Vancouver.

[73]        Le travailleur mentionne à monsieur Boulanger qu’il n’est pas en mesure de fournir les documents concernant Ador inc. et Byterus Control inc., requis par la CSST, puisque ces documents sont tout simplement inexistants. Ces sociétés n’ont jamais eu d’activités économiques ni aucun employé à leur service.

[74]        Parallèlement à cette enquête, la CSST soumet le dossier du travailleur à un membre du Bureau d’évaluation médicale, opposant les rapports du docteur Dupuis à une note médicale du médecin ayant charge du travailleur datée du 9 mars 2010 qui recommande une résonance magnétique cervicale de contrôle.

[75]        Le 3 décembre 2010, le docteur Jacques Demers, en sa qualité de membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur. La CSST n’a pas fait parvenir le rapport médical du docteur Turnbull réalisé en février 2010. La raison n’en est pas précisée au dossier.

[76]        Le 14 décembre 2010, le docteur Demers rend son avis tel que rapporté plus haut. La CSST rend les décisions donnant suite à cet avis et détermine un emploi convenable pour le travailleur et détermine qu’il est capable d’occuper cet emploi depuis le 4 mars 2011.

[77]        Le travailleur témoigne à l’audience sur son incapacité à occuper l’emploi d’analyste en informatique retenu par la CSST à titre d’emploi convenable.

[78]        Le travailleur témoigne éprouver beaucoup de douleurs aux membres supérieurs, particulièrement le gauche ainsi que des problèmes à travailler à un clavier d’ordinateur. Un travail assis, même pour une période aussi courte que deux heures, lui occasionne beaucoup de douleurs aux bras et au cou. Même avec de l’équipement ergonomique adapté à son poste de travail à l’ordinateur, le travailleur se déclare incapable, en raison des douleurs qu’il ressent, d’effectuer ce type d’emploi. La Commission des lésions professionnelles a alors fait remarquer au travailleur que dans les limitations fonctionnelles retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale, il n’est pas question de limitation concernant la position assise. Le travailleur a spécifié à la Commission des lésions professionnelles qu’il n’avait aucune autre preuve médicale supplémentaire à fournir.

[79]        Après avoir délibéré sur cet aspect du dossier, la Commission des lésions professionnelles a rendu une décision verbale à l’audience décidant que le travailleur avait la capacité d’exercer l’emploi convenable retenu par la CSST pour les motifs qui seraient détaillés dans la décision écrite. Voici ces motifs :

[80]        La conseillère en réadaptation de la CSST a utilisé le guide Repères afin de connaître les tâches connexes au poste d’analyste en informatique de même que les capacités physiques exigées. Selon le guide Repères, les capacités physiques exigées pour cet emploi sont :

Capacités physiques

 

Vision :                               Être capable de voir de près

 

Perception sensorielle :        Être capable de communiquer verbalement

 

Position corporelle :              Être capable de travailler principalement en position assise

 

Coordination des membres : Être capable de coordonner les mouvements de ses membres supérieurs

 

Force physique :                  Être capable de soulever un poids jusqu’à environ 5 kg

 

[81]        À la lumière de ses capacités physiques, la CSST a conclu, à raison, que le travailleur remplissait ces exigences. En aucun cas, les médecins n’ont décrit que la condition du travailleur le rendait incapable de travailler, principalement en position assise. Le travailleur n’a fourni lui-même aucune preuve corroborant ses dires.

[82]        Le travailleur possède plus que la qualification ou la formation nécessaire pour occuper un tel poste. Selon le guide Repères, un diplôme universitaire de premier cycle en sciences de l’informatique est exigé. Or, le travailleur est détenteur d’une maîtrise en sciences de l’informatique.

[83]        Ainsi, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’emploi d’analyste en informatique, retenu par la CSST à titre d’emploi convenable, correspond et respecte en tous points les caractéristiques données à ce concept à l’article 2 de la loi, y compris la possibilité raisonnable d’embauche.

[84]        La situation juridique particulière du présent dossier tient au fait que la CSST a suspendu le versement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur depuis le 10 juin 2010 et a déclaré, une fois l’emploi convenable retenu, que le travailleur occupait déjà cet emploi et que, par conséquent, elle mettait fin à son droit à l’indemnité de remplacement du revenu.

[85]        La CSST a suspendu le versement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur, en application de l’article 142 de la loi libellé comme suit :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

1° si le bénéficiaire :

 

a)  fournit des renseignements inexacts;

 

b)  refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

a)  entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

 

b)  pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;

 

c)  omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;

 

d)  omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;

 

e)  omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;

 

f)  omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .

 

 

[86]        Dans sa décision du 10 juin 2010, la CSST suspend l’indemnité de remplacement du revenu parce que le travailleur a fourni de l’information inexacte et parce qu’il a, sans raison valable, négligé ou refusé d’informer la CSST au sujet d’activités de travail. Elle lui demandait de lui fournir les rapports d’impôt de Ador inc. pour les années 2006 à 2008 et de Byterus Control inc. pour les années 2008 à 2010. Elle lui a demandé de fournir les états financiers de Ador inc. et ceux de Byterus Control inc. pour ces mêmes années. Elle lui a demandé de fournir une liste des employés de même que les salaires versés par Ador inc. et Byterus Control inc. pour ces mêmes années. Elle lui a demandé de lui fournir les revenus obtenus par ses deux sociétés pour ces mêmes années. Finalement, elle lui a demandé de lui fournir la liste des contrats et services donnés par ces deux sociétés pour ces mêmes années.

[87]        Le travailleur n’a pu fournir de rapport d’impôt pour ces deux sociétés puisqu’aucun rapport d’impôt n’a été rempli. De plus, comme il n’y a eu aucune activité économique pour ces deux sociétés pendant les années concernées, il explique qu’il ne peut donc fournir aucun état financier.

[88]        Le travailleur a déposé à l’audience un enregistrement sonore sur support DVD de même que la transcription d’une conversation téléphonique qu’il a eue avec une préposée du bureau du Registre des entreprises du Québec de même qu’avec un préposé de Revenu Québec (pièce T-1 en liasse, onglet 10). Lors de ces conversations, les deux préposés de ces organismes confirment au travailleur qu’il n’y a eu aucun revenu déclaré à Revenu Québec par Ador inc. pour les années concernées. La préposée du Registre des entreprises du Québec lui confirme que son nom n’apparaît plus à la société Ador inc. depuis 2007.

[89]        Le travailleur explique également qu’il ne peut fournir aucune liste d’employés ni de contrats de services donnés par ces deux sociétés puisqu’il n’y avait aucun employé ni aucune activité économique. Il précise qu’il ne peut donner à la CSST ce qui n’existe pas.

[90]        Le travailleur témoigne qu’effectivement, Byterus Control inc. a été mise sur pied à la suite d’une conversation avec un ami de Vancouver. Ils ont eu l’idée de monter une société pour les services d’automatisation résidentielle ou commerciale. Sa sœur, détentrice d’un diplôme en génie électronique, leur serait d’une grande aide. Sa sœur, habitant l’Angleterre, devait démontrer l’existence d’un contrat de travail pour obtenir son permis de travail au Canada. C’est pour se conformer à cette loi canadienne d’immigration qu’il a publié tous les postes offerts chez Byterus Control inc. qui, en réalité, n’étaient pas de vraies offres d’emploi. Malgré ses démarches, sa sœur n’a pu obtenir son permis de travail au Canada.

[91]        Quant à ses déclarations aux institutions bancaires selon lesquelles il travaillait pour Byterus Control inc. et qu’il gagnait un salaire annuel de 51 900 $, il témoigne que ces déclarations ont été faites dans le but d’obtenir les prêts ou marges de crédit recherchés.

[92]        La Commission des lésions professionnelles ne peut retenir les motifs invoqués par le travailleur pour justifier une reprise du versement de l’indemnité de remplacement du revenu. Si, effectivement, la preuve démontre que Ador inc. n’est plus liée au travailleur depuis 2007, il en va tout autrement pour Byterus Control inc.

[93]        La preuve démontre que le travailleur est le seul actionnaire de cette société qui a un site internet actif et qu’elle offre des services. L’échange de courriels entre cette entreprise et monsieur Boulanger démontre que l’activité économique annoncée est bien réelle.

[94]        La Commission des lésions professionnelles ne peut retenir le témoignage selon lequel il ne tire aucun revenu de son poste à Byterus Control inc. En fait, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de retenir qu’il a menti aux institutions bancaires afin d’obtenir du crédit et de le croire lorsqu’il affirme ne faire aucun revenu autre que ses prestations de la CSST, comme en témoignent ses rapports d’impôt pour les années pertinentes concernées, versés au dossier.

[95]        La Commission des lésions professionnelles est plutôt d’avis de retenir la preuve documentaire qui établit que le travailleur occupe un poste à la société Byterus Control inc. et qu’au moins en 2009, il touchait un salaire de 51 900 $, et ce, en raison des déclarations faites auprès des institutions financières.

[96]        Quant à l’explication du travailleur concernant la publication des offres d’emploi par la société Byterus Control inc. sur différents sites internet, encore une fois, le travailleur invoque qu’il s’agissait là d’offres d’emploi bidon afin de respecter les exigences des services d’immigration du Canada.

[97]        Le travailleur n’aurait pas dit la vérité aux institutions financières, ni aux autorités de l’immigration du Canada. Il affirme dire la vérité à la CSST lorsqu’il dit qu’il n’a pas d’autre revenu que ses indemnités. En somme, le travailleur a menti à des institutions financières pour obtenir du crédit; il a menti pour les offres d’emploi de Byterus Control inc. pour obtenir un permis de travail pour sa sœur. Alors, pourquoi le travailleur n’aurait pas menti à la CSST pour obtenir des indemnités? De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, c’est ce qu’il a fait.

[98]        Le travailleur dit avoir fourni tous les documents demandés par la CSST, et qui existent, concernant Ador inc. et Byterus Control inc. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, il est possible que ces documents demandés par la CSST n’existent pas. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’une activité économique de la société Bytherus Control inc. générant un revenu pour le travailleur n'est pas, elle, bien réelle.

[99]        Dans sa décision du 10 juin 2010, de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu, la CSST précise que le travailleur lui a fourni des informations inexactes. À la date de cette décision, la CSST a les résultats de la filature réalisée en mars 2010.

[100]     Le rapport de cette filature confirme en quelque sorte les doutes déjà exprimés par le docteur Turnbull lors de son examen du travailleur, en février 2010. Le rapport de cette filature entache irrémédiablement la crédibilité du travailleur. Lorsqu’on lit les notes évolutives au dossier du travailleur et qu’il décrit son état physique soit à l’agent d’indemnisation de la CSST ou à la conseillère en réadaptation, il n’y a aucune commune mesure entre les propos du travailleur rapportés et les images de cette filature. Il ne s’agit pas, ici, d’un geste isolé. Cette filature s’est déroulée sur cinq journées consécutives où en aucun moment le travailleur n’a démontré les limitations fonctionnelles dont il se disait affligé. Le travailleur se disait incapable de venir passer un examen médical à Montréal puisqu’il ne pouvait envisager un si long trajet en avion. Confronté à la preuve de l’achat des billets d’avion, le travailleur a bien été obligé d’admettre qu’il avait visité sa sœur en Angleterre. Ce voyage, en 2008, s’est effectué bien avant la filature de mars 2010. Depuis quand le travailleur cachait-il la vérité à la CSST sur son état?

[101]     Face à toute cette preuve, la CSST aurait pu choisir de mettre en doute la bonne foi du travailleur et même lui réclamer rétroactivement les indemnités de remplacement du revenu déjà versées, et ce, en application de l’article 363 de la loi.

[102]     Ce n’est pas ce que la CSST a choisi de faire. Elle a plutôt choisi de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu le 10 juin 2010 puis de mettre fin au droit à l’indemnité de remplacement du revenu en déclarant le travailleur capable d’exercer l’emploi convenable retenu et disponible à partir du 4 mars 2011. Ce sont là les décisions rendues par la CSST, contestées par le travailleur. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, le 10 juin 2010, le travailleur a effectivement fourni des renseignements inexacts à la CSST, notamment concernant son état physique, qui justifiaient la CSST de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. De plus, compte tenu des déclarations du travailleur aux institutions financières quant à son travail à la compagnie Byterus Control inc., pour un revenu annuel de 51 900 $ par année, la CSST a eu raison de déclarer que l’emploi était disponible à la date de la détermination de l’emploi convenable et que le travailleur gagnait un revenu annuel équivalent ou supérieur à celui qu’il gagnait au moment de la lésion initiale de mai 2006. Il n’y a donc pas lieu de modifier les décisions de la CSST.

[103]     Subsidiairement, la Commission des lésions professionnelles souligne que le travailleur a témoigné qu’en raison de la persécution qu’il a subie dans son pays, il est très réticent à donner ses coordonnées personnelles, tels son adresse résidentielle et son numéro de téléphone. Il en va de même pour les noms qu’il utilise sur différents sites internet. Il explique ainsi ce que la CSST a pu percevoir comme étant des faux-fuyants ou des cachotteries. Il a d’ailleurs fourni une preuve documentaire où il a demandé à un site internet d’enlever toutes les coordonnées personnelles le concernant (document T-1 en liasse).

[104]     Il est possible que le travailleur et sa famille fussent l’objet de persécutions dans leur pays d’origine. Si dans le présent dossier, la preuve de la CSST ne tenait qu’à cette difficulté d’entrer en communication et d’obtenir les coordonnées adéquates du travailleur à Vancouver, c’eût été bien mince pour justifier le maintien de la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu. La preuve offerte est d’une tout autre nature comme nous l’avons vu précédemment.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 418999-62-1008

REJETTE la requête de monsieur Khashayar Khosravi;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 29 juillet 2010, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail est bien fondée à suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à monsieur Khashayar Khosravi à compter du 11 juin 2010.

Dossier 435235-62-1104

REJETTE la requête de monsieur Khashayar Khosravi;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 29 mars 2011, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’emploi d’analyste en informatique est un emploi convenable;

DÉCLARE que monsieur Khashayar Khosravi a la capacité d’exercer cet emploi convenable depuis le 4 mars 2011;

DÉCLARE que monsieur Khashayar Khosravi n’a plus droit à une indemnité de remplacement du revenu depuis le 4 mars 2011;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à monsieur Khashayar Khosravi depuis le 11 juin 2010.

 

 

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Line Vallières

 

 

 

 

Me Francis Letendre

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

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