Décision

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Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) c. Bélanger

2015 QCCQ 3288

COUR DU QUÉBEC

(Division administrative et d'appel)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

   500-80-027749-143

 

 

 

DATE :

LE 10 AVRIL 2015

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE JULIE VEILLEUX, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

ORGANISME D'AUTORÉGLEMENTATION DU COURTAGE IMMOBILIER DU QUÉBEC (OACIQ)

Appelant

 

c.

 

DENIS BÉLANGER

Intimé

 

-et-

 

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

Intimée - Intervenante

 

-et-

 

COMMISSION D'ACCÈS À L'INFORMATION

Mise en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]      

JV0540

 

 
L'appelant se pourvoit à l'encontre d'une décision rendue le 14 janvier 2014 par Me Lina Desbiens, commissaire à la Commission d'accès à l'information du Québec (la CAI). Dans sa décision, la CAI rejette les moyens de nature constitutionnelle soulevés par l'appelant relativement à l'application de l'article 57 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[1] (LADOP) à son égard. Elle accueille la demande de révision de l'intimé Bélanger et ordonne à l'appelant de lui communiquer le salaire du président-directeur général.

[2]       L'audience devant le Tribunal s'est déroulée en l'absence de l'intimé Bélanger qui n'a pas déposé de mémoire et qui a négligé de comparaître personnellement ou de se constituer un nouveau procureur à la suite d'une mise en demeure du 30 octobre 2014.

QUESTION EN LITIGE

            La CAI a-t-elle erré dans son analyse de la validité constitutionnelle de l'article 57 de la LADOP?

CONTEXTE

[3]       Le 9 janvier 2012, l'intimé Bélanger demande à l'appelant de lui fournir ce qui suit :

-               Le nom du directeur général;

-               Le salaire annuel du directeur général;

-               Le nombre d'employés.

[4]       Le 16 janvier 2012, ces informations sont fournies par l'appelant, à l'exception du salaire du président-directeur général, M. Robert Nadeau.

[5]       Ce refus est fondé sur le fait que les documents concernés « ne sont pas des documents visés par la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels ». L'appelant invoque en effet l'article 30 du Règlement édictant des mesures transitoires pour l'application de la Loi sur le courtage immobilier[2] (le Règlement). En outre, l'appelant réfère à la teneur de l'article 35 du Code civil du Québec et au droit au respect de la réputation et de la vie privée du président-directeur général.

[6]       Le 14 février 2012, par l'intermédiaire de son avocat, l'intimé Bélanger formule une demande de révision conformément à l'article 135 de la LADOP.

DÉCISION DE LA CAI

La preuve pertinente

[7]       La CAI réfère au témoignage de M. Nadeau. Ce dernier relate son entrée en fonction à titre de syndic à l'Association de l'immeuble du Québec (AIQ), organisme sans but lucratif regroupant les chambres immobilières du Québec. En 1991, lors d'une première refonte de la Loi sur le courtage immobilier[3], entrée en vigueur le 15 janvier 1994, l'AIQ est remplacée par l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec (ACAIQ). Par la suite, à l'occasion d'une seconde refonte de la même loi, l'ACAIQ est remplacée par l'appelant, soit l'Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) en mai 2010[4]. Il est utile de préciser que l'article 61 de cette loi assujettit l'appelant à la LADOP.

[8]       M. Nadeau explique l'ensemble des démarches effectuées par l'appelant depuis l'année 2000 pour se faire reconnaître comme ordre professionnel et traité comme tel aux fins de l'application de LADOP. Il relate qu'un régime particulier des ordres professionnels a été introduit dans le Code des professions[5] en 2006. Malgré les revendications de l'appelant, il n'a pas été prévu que ce régime particulier lui soit applicable.

[9]       M. Nadeau souligne les activités de l'appelant et insiste sur son volet associatif. Son conseil d'administration est composé de 11 administrateurs dont 8 sont élus parmi les membres et 3 nommés par le Ministre. L'appelant ne reçoit pas de fonds publics et se finance à même les cotisations de ses membres. Il confirme par ailleurs que la mission principale de l'appelant est la protection du public, ajoutant qu'il considère que la protection de ses membres est tout aussi importante.

[10]    Puis M. Nadeau résume le raisonnement sous-jacent au refus de la demande d'information de l'intimé Bélanger relative à son traitement et à la portée de l'article 30 du Règlement.

L'analyse de la CAI

[11]    L'analyse de la CAI débute par un rappel des dispositions législatives pertinentes à savoir :

-              Article 61 de la Loi sur le courtage immobilier (LCI)[6] :

            61.        L'Organisme est soumis à la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1).

-              Articles 5 et 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne[7] (Charte québécoise) :

            5.          Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

            9.1        Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

                         La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l'exercice.

-           Article 57(1) de la LADOP :

            57.        Les renseignements personnels suivants ont un caractère public:

                          1° le nom, le titre, la fonction, la classification, le traitement, l'adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail d'un membre d'un organisme public, de son conseil d'administration ou de son personnel de direction et, dans le cas d'un ministère, d'un sous-ministre, de ses adjoints et de son personnel d'encadrement;

                         (…)

(Notre soulignement)

[12]    Est ensuite discutée la position de l'appelant qui réclame le statut d'ordre professionnel. Compte tenu du libellé de l'article 61 de la LCI, la CAI conclut qu'il est assujetti à la LADOP.

[13]    La CAI doit ensuite déterminer si l'article 57 de la LADOP porte atteinte à la vie privée d'un membre du personnel de direction de l'appelant (dirigeant), en l'occurrence, M. Nadeau. Dans l'affirmative, elle doit évaluer si cette atteinte est justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique.

[14]    Après avoir cité deux décisions[8], la CAI affirme que la divulgation du salaire, sans le consentement de la personne concernée, constitue une atteinte à son droit à la vie privée dans le contexte de la société nord-américaine. S'ensuit une discussion portant sur la justification de cette atteinte au droit à la vie privée de M. Nadeau.

[15]    La CAI reprend les modalités d'application de l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés[9] (Charte canadienne) élaborées par la Cour suprême dans l'affaire Oakes (Oakes)[10].

-           L'objectif de la restriction

[16]    La CAI rappelle l'objectif général de la LADOP, à savoir « renforcer la vie démocratique en donnant aux citoyens un droit d'accès aux documents des organismes publics »[11] et assurer « la transparence de l'administration publique et l'imputabilité des fonds publics dépensés par cette administration »[12].

[17]    Elle rappelle que l'article 57 de cette loi participe à son objectif général en attribuant un caractère public au traitement des membres du personnel de direction d'organismes publics.

-           Le critère de proportionnalité

[18]    Dans son analyse de ce critère, la CAI étudie le lien entre la divulgation du traitement des dirigeants des organismes publics et l'objectif de transparence de l'administration publique poursuivi par la LADOP.

[19]    La CAI est d'avis que l'appelant ne gère pas un fonds privé et qu'il est assujetti à la LADOP comme d'autres organismes ayant un mandat de protection du public et qui assurent leur autofinancement. Elle trace un parallèle avec l'Autorité des marchés financiers, la Chambre de la sécurité financière et la Chambre de l'assurance de dommages. Elle rappelle que la mission exclusive de l'appelant, créé par la LCI, est la protection du public.

[20]    Selon la CAI, il n'y a pas de motifs justifiant que l'appelant soit soumis à une exigence de transparence moindre que les organismes publics puisque sa mission exclusive est la protection du public.

[21]    La CAI écarte l'argument de l'appelant suivant lequel l'accessibilité des renseignements visés par l'article 57 de la LADOP ne contribue en rien à l'objectif de protection du public poursuivi par la LCI. La CAI précise que l'appelant est un organisme imputable de sa gestion et doit être transparent en regard des fonds qu'il administre, notamment en fixant le salaire de son président.

[22]    La CAI réfère au choix du législateur de ne pas créer un ordre professionnel en matière de courtage immobilier. Ainsi, l'appelant ne peut être soumis au régime d'accès réservé aux ordres professionnels.

[23]    Par l'article 57 de la LADOP, le législateur module l'accès aux renseignements personnels des employés des organismes publics en fonction du statut du poste occupé, ce qui illustre son souci de minimiser l'atteinte au droit à la vie privée. La CAI réfère à l'affaire Poisson[13] et souligne la situation hiérarchique du principal dirigeant de l'appelant de même que l'imputabilité à l'égard des décisions prises par le conseil d'administration qui implique une plus grande transparence.

[24]    Enfin, en regard du caractère proportionnel de l'objectif poursuivi par l'accessibilité des renseignements visés par l'article 57 de la LADOP et aux effets préjudiciables sur le droit à la vie privée des dirigeants de l'appelant, la CAI rappelle le principe énoncé récemment par la Cour suprême dans l'affaire Criminal Lawyers' Association[14] : « Pour que le gouvernement œuvre de manière transparente, il faut que l'ensemble des citoyens puisse avoir accès aux documents gouvernementaux lorsque cela est nécessaire pour la tenue d'un débat public et significatif sur la conduite d'institutions gouvernementales. »

Les conclusions de la CAI

[25]    La CAI conclut que le droit du public de connaître l'utilisation que fait l'appelant des sommes qu'il doit gérer est légitime. Selon la CAI, c'est la confiance du public et des détenteurs de permis dans la gestion de l'organisme d'autoréglementation en matière de courtage immobilier qui est en jeu. Le moyen choisi par le législateur se situe selon elle à l'intérieur de la gamme des mesures raisonnables permettant d'atteindre l'objectif. Ainsi, le critère de proportionnalité est satisfait.

[26]    Compte tenu de cette analyse et bien que la divulgation du traitement des membres de l'organisme puisse porter atteinte à leur droit à la vie privé, la divulgation d'informations est justifiée dans une société libre et démocratique. Le même raisonnement trouve application à l'égard de la Charte canadienne.

[27]    La CAI rejette donc les moyens de nature constitutionnelle soulevés par l'appelant.

[28]    En terminant, la CAI écarte l'application de l'article 30 du Règlement au motif que celui-ci ne peut faire échec à la portée de l'article 57 de la LADOP cité ci-dessus.

[29]    Compte tenu qu'après avoir pris connaissance de la version intégrale de la résolution déposée par l'appelant sous pli confidentiel, la CAI note que ce document contient une condition d'emploi liée à la rémunération de M. Nadeau. Cette information n'est pas en litige et la CAI ordonne que ce volet de la résolution du 18 novembre 2011 déposée par l'appelant sous pli confidentiel soit caviardé.

ANALYSE

            La CAI a-t-elle erré dans son analyse de la validité constitutionnelle de l'article 57 de la LADOP?

L'identification de la norme d'intervention applicable

[30]    Selon l'appelant et l'intimée PGQ, la question en litige en est une de droit qui revêt « à la fois une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d'expertise » de la CAI au sens de l'arrêt Dunsmuir[15]. En effet, il s'agit de pondérer des droits prévus à la Charte québécoise et de statuer sur la contestation constitutionnelle de l'article 57 de la LADOP.

[31]    Dans Dunsmuir[16], et plus récemment dans l'affaire Commission canadienne des droits de la personne[17], la Cour suprême énonce qu'une question de la nature de celle soulevée par le présent pourvoi doit être analysée sous l'angle de la décision correcte.

[32]    Dans l'affaire Tellier[18], c'est aussi sous l'angle de la décision correcte qu'a été analysée la constitutionnalité de cette même disposition en regard des membres du personnel de direction d'une université québécoise.

[33]    Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal peut substituer à la décision rendue celle qu'il estime appropriée.

L'OACIQ

[34]    D'entrée de jeu, il y a lieu d'aborder le caractère particulier du statut de l'OACIQ.

[35]    D'une part, cet organisme est une création de la LCI, plus particulièrement par son article 31.

[36]    En outre, l'article 32 de la LCI prévoit :

32.        L'Organisme a pour mission d'assurer la protection du public dans le domaine du courtage immobilier et du courtage en prêt garanti par hypothèque immobilière, par l'application des règles de déontologie et par l'inspection des activités des courtiers et des agences. Il veille, notamment, à ce que les opérations de courtage des courtiers et des agences s'accomplissent conformément à la loi.

             Il peut, en outre, dispenser des cours de formation auprès des courtiers et des dirigeants d'agences, à l'exclusion des cours de la formation de base, et décerner les titres visés à l'article 48.

[37]    L'article 62 prévoit par ailleurs que ses activités sont financées à même les droits exigibles que doivent lui verser les titulaires de permis et par les autres montants qui lui sont payables en vertu de la LCI.

[38]    Il n'est pas contesté que l'OACIQ est une personne morale de droit public. Sa mission s'apparente à celle des ordres professionnels, la similitude du libellé de l'article 32 de la LCI avec l'article 23 du Code des professions en est d'ailleurs l'illustration. Cependant, contrairement aux ordres professionnels, soumis au régime prévu aux articles 108.1 et suiv. du Code des professions, le législateur a décidé d'assujettir l'OACIQ à la LADOP.

[39]    L'appelant a raison de souligner qu'il n'est pas inclus dans l'énumération des organismes publics prévue aux articles 3 et suivants de la LADOP. Cependant, l'appelant est un organisme de régulation créé par la loi et ayant pour mission la protection du public. Aussi, l'encadrement formel de ses activités, incluant sa compétence en matière disciplinaire, de même que son imputabilité envers le gouvernement[19] sont autant d'éléments déterminants qui amènent le Tribunal à conclure que l'OACIQ est une personne morale de droit public exerçant une mission de service public[20].

L'atteinte à la vie privée

[40]    Dans un premier temps, l'appelant plaide que le volet de la décision de la CAI qui conclut à une violation du droit à la vie privée garantie par l'article 5 de la Charte québécoise est bien fondé. L'intimée PGQ plaide plutôt que l'appelant avait le fardeau de démontrer que la divulgation d'informations prévue à l'article 57(1) de la LADOP porte atteinte à la vie privée de son dirigeant et contrevient ainsi à l'article 5 de la Charte québécoise.

[41]    L'intimée PGQ reprend un argumentaire qui n'est pas sans rappeler celui évoqué devant la CAI dans l'affaire Hydro-Québec[21]. En effet, l'intimée PGQ plaide le bien-fondé d'une interprétation restrictive du droit à la vie privée et invoque l'absence d'« expectative raisonnable de vie privée » du dirigeant dans les circonstances propres au présent dossier. Selon l'intimée PGQ, le président-directeur général de l'appelant a sciemment accepté un poste de direction d'un organisme public qui sert l'intérêt public et qui agit pour et à la place de l'État. Dans telles circonstances, il doit s'attendre à ce que les informations concernant son travail appartiennent à la sphère publique.

[42]    Elle cite notamment les auteurs Borgeat et Beaulieu[22] qui sont d'avis qu'il est difficile de soutenir que « le travail que la personne accomplit pour cet organisme fait partie de sa vie privée parce que ce travail s'insère dans la sphère d'activités propre à cet organisme ». Selon eux, « la personne qui sciemment et librement s'engage à travailler à un niveau supérieur d'un organisme public le sait et adhère alors tacitement à ces règles du jeu ».

[43]    Le Tribunal ne partage pas la prétention de l'intimée PGQ à cet égard.

[44]    Dans l'affaire Hydro-Québec, précitée, la CAI en est venue à la conclusion que la divulgation du salaire, sans le consentement de la personne concernée, constitue une atteinte à sa vie privée et contraire à l'article 5 de la Charte québécoise. Dans l'affaire Poisson[23], tant la CAI que la Cour du Québec et la Cour supérieure en sont venues à la même conclusion dans des circonstances similaires.

[45]    L'intimée PGQ ne convainc pas le Tribunal que cette jurisprudence doive être écartée. Le Tribunal conclut que la divulgation du traitement du président-directeur général de l'appelant porte atteinte à sa vie privée et contrevient à l'article 5 de la Charte québécoise.

Les critères de justification

[46]    Ce constat amène le Tribunal à appliquer les critères de l'arrêt Oakes[24] dans le contexte particulier du présent dossier et en faisant les distinctions qui s'imposent avec les précédents Hydro-Québec et Poisson sur lesquels repose la décision de la CAI. Il y a lieu de préciser que ce cadre d'analyse s'applique également à la Charte québécoise[25].

-           L'objectif visé par la restriction

[47]    La LADOP a été adoptée dans un objectif d'assurer la transparence de l'administration publique et son imputabilité dans une société démocratique. Aussi, elle vise la protection d'informations à caractère privé de citoyens[26].

[48]    En 2010, la Cour suprême s'exprimait ainsi en regard d'une loi similaire adoptée par la législature ontarienne :

[1] L’accès à l’information détenue par les institutions publiques peut accroître la transparence du gouvernement, aider le public à se former une opinion éclairée et favoriser une société ouverte et démocratique. Certains renseignements détenus par ces institutions doivent toutefois être protégés pour empêcher une atteinte à ces mêmes principes et promouvoir une bonne gouvernance.[27]

[49]    Par ailleurs, il n'est pas inutile de rappeler le caractère particulier de la LADOP, consacré à son article 168 :

168. Les dispositions de la présente loi prévalent sur celles d'une loi générale ou spéciale postérieure qui leur seraient contraires, à moins que cette dernière loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la présente loi.

[50]    De façon plus spécifique, l'article 57(1) de la LADOP crée une exception au caractère confidentiel de certains renseignements personnels, notamment en énonçant sans ambiguïté le caractère public d'informations, tel le traitement d'un membre du personnel de direction d'un organisme public.

[51]    Selon l'appelant, cette mesure lui apparaît juste et raisonnable lorsqu'il est question de connaître le salaire des membres du personnel de direction d'un organisme public financé par les citoyens. Cependant, une nuance importante s'impose en regard de l'appelant, qui n'est pas financé par les citoyens mais bien par les titulaires de permis de courtage immobilier.

[52]    Pour le Tribunal, l'objectif de la restriction spécifique contenue au premier alinéa de l'article 57 de la LADOP est tout aussi raisonnable en regard de l'OACIQ. En effet, cet organisme se voit conférer par le législateur un rôle de protection du public. Sa mission de service public l'amène notamment à veiller à la protection des clients des titulaires de permis et dans ce contexte, le principe de transparence est tout aussi important.

[53]    Le caractère public du traitement du président-directeur général de l'appelant s'insère parfaitement dans l'objectif global et même la raison d'être de la LADOP. Il s'inscrit à l'intérieur d'une préoccupation sociétale réelle qui, de l'avis du Tribunal, est loin de s'éroder.

-           Le moyen pris pour atteindre l'objectif

           Le lien rationnel entre le moyen et l'objectif

[54]    Existe-t-il un lien entre l'atteinte au droit à la vie privée et l'objectif recherché par la LADOP, plus particulièrement à son article 57(1)?

[55]    À juste titre, l'intimée PGQ plaide que ce lien peut découler du bon sens et de la logique, tel que l'expriment les auteurs Brun et Tremblay[28]. De même, dans l'affaire Ross[29], la Cour suprême, dix ans après l'affaire Oakes, souligne que cet arrêt doit être appliqué avec souplesse afin d'établir un juste équilibre entre les droits individuels et les besoins de la collectivité. Elle précise que le lien entre la mesure prise et l'objectif poursuivi doit être suffisant pour que la première soit raisonnablement liée au second.

[56]    En l'espèce, il est raisonnablement possible de conclure à un lien entre la mesure contestée par l'appelant et l'objectif visé par la LADOP. Ce lien est établi même si ce ne sont pas les citoyens qui participent au financement de l'appelant.

[57]    En effet, ce sont les clients des titulaires de permis de courtage immobilier qui, de façon indirecte, contribuent au financement de l'appelant. Ce sont eux que l'appelant doit protéger et le lien entre la divulgation du traitement du président-directeur général de l'appelant et l'objectif de transparence de l'administration publique visé par la LADOP est raisonnablement possible.

       •    Le caractère minimal de l'atteinte au droit

[58]    Le Tribunal doit aussi évaluer le volet lié à l'atteinte minimale au droit à la vie privée du dirigeant de l'appelant. À cet égard, l'appelant a raison d'invoquer l'existence d'un régime particulier applicable aux ordres professionnels, régime qui soustrait ceux-ci à l'application de l'article 57 de la LADOP. Ce régime est énoncé aux articles 108.1 et suiv. du Code des professions et a été adopté par le législateur en 2006. L'appelant a été créé deux ans plus tard et le législateur a alors prévu explicitement son assujettissement à la LADOP.

[59]    Pour le Tribunal, le choix des régimes d'accès aux informations détenues par les ordres professionnels et par l'appelant a été clairement exprimé par le législateur. Bien qu'il existe des ressemblances notables dans la mission de l'appelant et celle des ordres professionnels, il n'en reste pas moins que le législateur a choisi d'assujettir l'appelant à la LADOP.

[60]    Ce que l'appelant requiert du Tribunal est de le soustraire à l'application spécifique d'une disposition de la LADOP, l'article 57(1), et ainsi obtenir le même traitement que les ordres professionnels.

[61]    Il est vrai que l'appelant, par le témoignage de son président-directeur général, a fait la démonstration des démarches effectuées par les « ancêtres » de l'appelant, l'ACAIQ et l'AIQ, pour qu'il soit reconnu comme ordre professionnel et traité comme tel aux fins de l'application de la LADOP. Cependant, tel n'a pas été le choix du législateur qui a plutôt opté pour l'assujettissement de l'appelant au régime général d'accès à l'information des organismes publics.

[62]    Il est utile de rappeler cet extrait de l'affaire RJR-MacDonald[30], précitée :

160. (…) Le processus d’adaptation est rarement parfait et les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur. Si la loi se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu’elle a une portée trop générale simplement parce qu’ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l’objectif et à la violation (…). Par contre, si le gouvernement omet d'expliquer pourquoi il n'a pas choisi une mesure beaucoup moins attentatoire et tout aussi efficace, la loi peut être déclarée non valide.

[63]    Dans le dossier sous étude, c'est le régime général d'accès à l'information des organismes publics qui est en cause et ce régime prévoit la divulgation du traitement des dirigeants. Il n'apparaît pas démesuré, pour les motifs énoncés ci-dessus, que l'appelant doive, comme les organismes publics énumérés à la LADOP, être aussi transparent dans la gestion de ses fonds et imputable de son administration.

       •    La proportionnalité

[64]    Enfin, le Tribunal doit déterminer d'une part s'il y a proportionnalité entre les effets préjudiciables engendrés par la mesure attaquée et d'autre part, s'il y a proportionnalité entre les effets préjudiciables de la mesure attaquée et leurs effets bénéfiques[31].

[65]    Pour les motifs discutés ci-dessus, il apparaît que l'atteinte au droit à la vie privée du dirigeant de l'appelant, quoique réelle, est minimale par rapport à l'objectif de transparence de l'administration publique et son imputabilité. L'importance de la finalité de la LADOP, plus particulièrement l'article 57(1), et ses avantages l'emportent clairement sur les désavantages en découlant.

[66]    À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de confirmer la conclusion de la CAI et d'ordonner la divulgation du traitement du président-directeur général de l'appelant conformément aux modalités établies par la CAI.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE l'appel.

LE TOUT, avec dépens.

 

 

_______________________________

JULIE VEILLEUX, J.C.Q.

 

 

Me Olivier Truesdell-Ménard

Donati Maisonneuve
Procureur de l'Appelant

 

 

Me Dominique Legault

Bernard, Roy (Justice - Québec)

Procureur de l’Intimée - Intervenante

 

 

Me Marie-Josée Brunelle

Desmeules & Associés

Procureur de la Mise en cause

 

 

Date d’audience :

Le 10 mars 2015

 

 



[1]     RLRQ, c. A-2.1.

[2]     RLRQ, c. C-73.2, r.7.

[3]     RLRQ, c. C-73.1

[4]     RLRQ, c. C-73.2

[5]     RLRQ c. C-26.

[6]     RLRQ, c. C-73.2.

[7]     RLRQ, c. C-12.

[8]     Syndicat des techniciennes et des techniciens d'Hydro-Québec c. Hydro-Québec, [1992] C.A.I. 212; Poisson c. Université du Québec à Trois-Rivières, [1997] C.A.I. 17; Poisson c. Université du Québec à Trois-Rivières, [1999] C.A.I. 459 (C.Q.); Tellier c. De Michele, [2000] R.J.Q. 2012 (C.S.).

[9]     Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11.

[10]    R. c. Oakes, [1986] 1 RCS 103.

[11]    Hydro-Québec, précitée, note 8.

[12]    Tellier c. De Michele, précitée, note 8.

[13]    Poisson, précitée, note 8.

[14]    Ontario (Sûreté et sécurité publique) c. Criminal Lawyers' Association, [2010] 1 RCS 815.

[15]    Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190.

[16]    Id.

[17]    Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur Général), [2011] 3 RCS 471.

[18]    Tellier, précité, note 8.

[19]    Articles 68, 69, 113, 123 et 130 de la LCI pour ne citer que ces exemples.

[20]    GARANT, Patrice. Droit administratif, 6e Éd., Éditions Yvon Blais, 2010, p. 93 et suiv.

[21]    Hydro-Québec, précitée, note 8.

[22]    BORGEAT, Louis et Anne-Marie Beaulieu. « Salaire des fonctionnaires et vie privée », Les Cahiers de Droit, vol. 35, no 4, décembre 1994, Université Laval, p. 675 et suiv.

[23]    Poisson, précitée, note 8.

[24]    Oakes, précité, note 10; arrêt suivi de Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835; RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 RCS 199 et Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 RCS 825.

[25]    Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 RCS 712; Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 RCS 844.

[26]    Québec (Conseil de la magistrature) c. Québec (Commission d'accès à l'information), [2000] RJQ 638; Tribunal de Hemmingford c. Hemmingford (municipalité du Canton de), (CAI 2005) AZ-50320915.

[27]    Ontario (Sûreté et sécurité publique) c. Criminal Lawyers' Association, précitée, note 14.

[28]    BRUN, Henri et collab. Droit constitutionnel, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 979.

[29]    Ross, précitée, note 24.

[30]    RJR-MacDonald Inc., précitée, note 24.

[31]    Dagenais, précité, p. 898, note 24.

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