Décision

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Signalisation routière Québec inc. et Poulin

2011 QCCLP 2820

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Salaberry-de-Valleyfield

18 avril 2011

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

420105-62C-1009

 

Dossier CSST :

135197234

 

Commissaire :

Richard Hudon, juge administratif

 

Membres :

Gaétan Morneau, associations d’employeurs

 

Sonia Éthier, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

Signalisation Routière Québec inc.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Sylvain Poulin

 

Partie intéressée

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 22 septembre 2010, Signalisation Routière Québec inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 septembre 2010, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 28 juillet 2010 et déclare qu’elle était justifiée de ne pas suspendre l’indemnité de remplacement du revenu versée à monsieur Sylvain Poulin (le travailleur).

[3]           Aucune partie n’est présente ou représentée à l’audience du 30 mars 2011, à Salaberry-de-Valleyfield, l’employeur présentant cependant des représentations écrites.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST devait suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 10 juillet 2010.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs sont d'avis que le travailleur, en remettant sa démission, a empêché l’employeur de lui assigner temporairement un travail. L’indemnité de remplacement du revenu devait donc être suspendue à compter du 10 juillet 2010, date de sa démission. La requête de l’employeur doit être accueillie.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST devait suspendre l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur à compter du 10 juillet 2010.

[7]           Le travailleur subit une lésion professionnelle le 28 août 2009, la lésion acceptée par la CSST étant une entorse de la cheville droite. Le travailleur est alors incapable d’exercer son emploi de journalier.

[8]           Dans un rapport médical du 19 avril 2010, le médecin qui a charge du travailleur mentionne que le travailleur peut retourner à un travail léger; le 26 avril 2010, il signe le formulaire autorisant l’assignation temporaire d’un travail (conduire un camion genre « pick up ou 6 roues »), conformément à l’article 179 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui prévoit ce qui suit :

179.  L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :

 

1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

 

2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

 

3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.

 

Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

__________

1985, c. 6, a. 179.

 

 

[9]           Le 28 avril 2010, le travailleur est examiné par un médecin désigné par la CSST qui est d’avis que la lésion est consolidée à la date de son examen. Il procède aussi à l’évaluation du déficit anatomo-physiologique et des limitations fonctionnelles.

[10]        Dans les faits, le travailleur débute l’assignation temporaire le 29 avril 2010, à raison de trois jours par semaine, puis à temps plein, à compter du 1er mai 2010.

[11]        Le 18 mai 2010, le travailleur consulte un chirurgien orthopédiste qui est d’avis que le travailleur peut faire un travail léger adapté. Le médecin qui a charge du travailleur, dans un rapport médical daté du 27 juin 2010, indique que le travailleur peut faire un travail léger. Dans un rapport complémentaire signé le 29 juin 2010, il écrit qu’il est d’accord avec l’opinion du médecin désigné par la CSST.

[12]        Aux fins de la présente décision, la Commission des lésions professionnelles retient que la lésion professionnelle du travailleur est consolidée depuis le 28 avril 2010. Selon les informations contenues au dossier de la CSST, le travailleur a contesté le pourcentage de l’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique. Il y a quand même lieu de considérer que la lésion professionnelle du 28 août 2009 a entraîné une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles.

[13]        Le 10 juillet 2010, le travailleur remet sa démission. Le 16 juillet, l’employeur en informe la CSST qui suggère à l’employeur de faire remplir un formulaire d’assignation temporaire par le médecin qui a charge du travailleur et si l’assignation est autorisée, l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur pourra être suspendue.

[14]        Le 19 juillet 2010, le travailleur confirme qu’il a remis sa démission dans le but de suivre une formation pour obtenir un permis de conduire de classe 1, formation qui doit débuter le 2 août 2010.

[15]        Le 20 juillet 2010, l’employeur demande à la CSST de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur en vertu de la loi qui prévoit ce qui suit :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

[…]

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

[…]

 

e)  omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;

 

[…]

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

 

[16]        Le 23 juillet 2010, l’employeur expédie à la CSST un formulaire signé par le médecin qui a charge du travailleur qui autorise une assignation temporaire de travail du 11 juillet 2010 au 1er septembre 2010.

[17]        La CSST, le 28 juillet 2010, refuse de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur parce que, à la date de la démission du travailleur, il n’y a aucune assignation temporaire autorisée. L’employeur demande la révision de cette décision.

[18]        Les informations contenues au dossier de la CSST révèlent que le travailleur est reconnu capable de reprendre son emploi à compter du 7 septembre 2010.

[19]        Dans sa décision rendue à la suite d’une révision administrative, le 14 septembre 2010, la CSST retient que « le médecin qui a charge du travailleur n’avait pas autorisé préalablement le travailleur à faire une assignation, sur le formulaire « Assignation temporaire d’un travail ». Ainsi, en date du 11 juillet 2010, il n’y avait aucun formulaire valide d’assignation temporaire ». Le 22 septembre 2010, l’employeur conteste cette décision à la Commission des lésions professionnelles.

[20]        La représentante de l’employeur fait valoir que l’article 179 de la loi n’exige pas qu’un formulaire précis soit rempli par le médecin qui a charge du travailleur pour qu’une assignation temporaire soit valide.

[21]        Dans Transylve inc. et Lavictoire[2], la Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi sur cette question :

[22]      Est-ce que l’omission de compléter le formulaire d’assignation temporaire conçu par la CSST a pour effet d’invalider une assignation temporaire?

 

[23]      Le tribunal ne le croit pas pour les motifs ci-après exposés.

 

[24]      En effet, le tribunal partage la position reprise dans plusieurs décisions du présent tribunal selon laquelle la procédure d’assignation temporaire, pour être valide, n’exige pas un tel niveau de formalisme.

[25]      Dans l’affaire Brisebois et Volailles Grenville inc.3, la Commission des lésions professionnelles a eu à se prononcer sur la validité d’une assignation temporaire, tout comme dans le présent dossier. Bien que la travailleuse était informée du consentement du médecin traitant à l’assignation temporaire que proposait l’employeur, elle refusait de s’y conformer tant que le formulaire signé par son médecin ne serait pas déposé chez l’employeur pour qu’elle puisse le voir de ses propres yeux.

 

[26]      Le tribunal s’exprime ainsi sur le niveau de formalisme requis pour conclure à la validité d’une assignation temporaire :

 

[39] L’article précité ne soumet l’expression de la volonté de l’employeur d’assigner le travailleur à un travail déterminé et celle du consentement du médecin qui en a charge à aucun formalisme particulier, en termes de libellé, de document écrit ou de formulaire prescrit3. L’important c’est que les composantes pertinentes du travail assigné (en regard des trois critères énumérés au premier alinéa de l’article 179) soient connues et que l’accord du médecin traitant ne fasse pas de doute. Exiger en cette matière un formalisme à outrance, comme le voudrait la travailleuse, aurait pour conséquence d’entraver indûment l’application concrète et pratique de la loi4.

 

[40] Rien dans la preuve administrée ne démontrant en quoi l’assignation temporaire à du travail de bureau faite le 23 mai 2000 ne respectait pas les exigences de fond de la loi, le tribunal ne peut conclure que la travailleuse avait un motif raisonnable de refuser ou d’omettre de s’en acquitter dès à compter du lendemain. La CSST était donc justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu payable à la travailleuse à compter du 24 mai 2000. En conséquence, la contestation doit être rejetée à cet égard.

_________

3 Bourassa et Hydro-Québec, 111311-04-9903, 00-09-22, M. Carignan

4 Ville de Laval et Lalonde, 22936-61-9011, 91-06-20, J.-M. Duranceau, (J3-13-18).

              

(Nos soulignements)

 

[27]      De même, dans l’affaire Manning et Premier horticulture ltée4, une cause comportant des faits similaires au présent dossier, la Commission des lésions professionnelles s’est prononcée comme suit :

 

[52] En outre, il est généralement reconnu qu’un employeur doit préciser au médecin le travail spécifique qu’il entend assigner au travailleur, afin que le médecin puisse se prononcer à savoir si ce travail rencontre les critères énoncés à l’article 179 de la loi5. Par contre, on n’exige pas toujours que l’avis du médecin soit consigné sur le formulaire administratif prévu par la CSST, ni qu’il soit écrit, ni même qu’il comporte une réponse spécifique à chacune des trois questions reliées aux critères de l’article 1796.

_________

5 Société canadienne des postes et Thibault, [1987] C.A.L.P. 377 ;  Mueller Canada inc. et Lavoie, [1987] C.A.L.P. 506Jonquière et Corneau, [1989] C.A.L.P. 14Bourgault et Marcel Lauzon inc. [1992] C.A.L.P. 188Bombardier inc. et Côté, C.A.L.P. 35904-60-9201, 17 novembre 1993, M. Lamarre; J.M. Asbestos inc. et Marcoux, C.A.L.P. 72559-05-9508, 26 juillet 1996, C. Demers;  Métallurgie Brasco inc. et Jomphe, C.L.P. 114861-01B-9904, 16 juin 2000, C. Bérubé;  Permafil ltée et Fournier, C.L.P. 148090-03B-0010, 28 février 2001, M. Cusson.

6 Ville de Laval et Lalonde, C.A.L.P. 22936-61-9011, 20 juin 1991, M. Duranceau; Bourassa et Hydro-Québec, C.L.P. 111311-04-9903, 22 septembre 2000, M. Carignan.

 

[28]      Le tribunal poursuit en réitérant un principe fondamental d’interprétation des lois comme suit :

 

[60] Le tribunal ne peut non plus avoir une interprétation de la loi d’une rigidité telle que l’on ne doive plus que se plier à sa lettre et non à son esprit et se plier à la lettre des formulaires et non à l’avis y clairement exprimé. En l’occurrence, il apparaît plus que probable que le médecin du travailleur ait approuvé les assignations proposées et jugé qu’elles respectaient les critères de l’article 179 de la loi, et ce, même s’il n’a pas coché les réponses à ces questions spécifiques.

              

(Notre soulignement)

 

[29]      La soussignée partage l’interprétation de l’article 179 de la loi proposée par ces décisions.

 

[30]      En appliquant les principes établis par la jurisprudence citée, le tribunal doit s’assurer que le médecin qui autorise des travaux légers respecte les trois conditions d’application de l’article 179.

______________

3              C.L.P. 157910, 29-11-02, J-F Martel.

4              C.L.P. 181536-09-0203, 10-03-03, L. Desbois. Voir au même effet : Bestar inc. et Lapierre, C.L.P. 200160-03B-0302, 30-05-03, R. Savard, Pointe-Nor inc. et Drolet, C.L.P. 252054-08-0501, 06-05-05, P. Prégent.

 

 

[22]        La Commission des lésions professionnelles, partageant le même avis que celui énoncé dans cette décision, conclut que la CSST ne pouvait refuser de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur pour le seul motif qu’il n’y avait aucune assignation temporaire autorisée ou qu’il n’y avait aucun formulaire valide d’assignation temporaire.

[23]        Dans le présent cas, la preuve indique clairement que le médecin qui a charge du travailleur a autorisé une assignation temporaire le 26 avril 2010. Subséquemment, sans remplir le formulaire conçu par la CSST, le médecin qui a charge du travailleur est d’avis de poursuivre les travaux légers (rapport médical du 27 juin 2010).

[24]        Dans les faits, le travailleur continue de faire le travail que l’employeur lui assigne temporairement depuis le 29 avril 2010.

[25]        La Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur, lorsqu’il remet sa démission le 10 juillet 2010, est assigné temporairement à un travail autorisé par son médecin d’autant plus que ce dernier confirme, sur le formulaire conçu par la CSST signé le 23 juillet 2010, que le travailleur est en mesure de faire le travail que l’employeur lui assigne temporairement.

[26]        Également, la Commission des lésions professionnelles retient que l’assignation temporaire était toujours possible après la démission du travailleur et rien ne laisse croire que l’employeur aurait mis fin à cette assignation temporaire.

[27]        La représentante de l’employeur cite deux décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sur l’opportunité de suspendre, en vertu de l’article 142 de la loi, l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur lorsque ce dernier démissionne de son emploi.

[28]        La Commission des lésions professionnelles, dans Boudreault et Michael Rossy ltée[3], écrit :

[40]      En l’instance, il est clair que l’employeur n’a jamais renoncé, ni implicitement ni explicitement, à la possibilité d’offrir à la travailleuse une assignation temporaire. C’est plutôt cette dernière qui a rendu impossible une telle assignation en démissionnant volontairement.

 

[41]      Par conséquent, le tribunal conclut que la CSST pouvait suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse, parce que celle-ci a omis ou refusé, sans raison valable, de faire le travail que son employeur voulait lui assigner temporairement.

 

 

[29]        La Commission des lésions professionnelles en arrive à la même conclusion dans l’affaire Provigo Distribution inc. et Elpenord[4] :

[40]      La preuve révèle que le travailleur a préféré remettre sa démission à l’employeur plutôt que d’occuper l’emploi auquel il avait été assigné temporairement par l’employeur, lequel avait été approuvé au préalable par le médecin traitant. Le travailleur n’a pas contesté l’assignation temporaire. Il a démissionné parce qu’il se considérait victime de racisme et avait le sentiment de ne pas être respecté dans son milieu de travail.

 

[41]      En remettant volontairement sa démission, le travailleur a rompu son lien d’emploi et l’assignation temporaire n’a pu avoir lieu, ce qui équivaut dans le contexte à un refus de la part du travailleur d’exécuter le travail auquel il avait été assigné temporairement. Il n’appartient pas au tribunal de déterminer si le travailleur avait raison de quitter son emploi ou s’il a été victime de racisme, la Commission des lésions professionnelles n’étant pas le forum approprié pour débattre de ces questions. La seule question sur laquelle le tribunal a compétence et sur laquelle il doit se prononcer concerne le bien fondé de la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 13 janvier 2006. Or, à cet égard, le tribunal ne peut que constater que la mesure prise par la CSST était tout à fait justifiée dans les circonstances puisque le travailleur, en démissionnant, a refusé d’exécuter le travail que l’employeur lui avait assigné temporairement avec l’accord du médecin traitant et qu’il ne s’était pas prévalu des dispositions prévues à la loi pour contester cette assignation temporaire.

 

 

[30]        Dans Laplante et Lauzon Planchers de bois exclusifs[5], la Commission des lésions professionnelles conclut au contraire :

[37]      Après avoir analysé la jurisprudence et les faits pertinents au dossier sous étude, il y a lieu de constater que la démission du travailleur en cause a mis fin au lien d’emploi avec son employeur et que l’assignation temporaire proposée par ce dernier est devenue caduque lors de ladite démission.

 

[38]      Le soussigné est d’avis que la démission du travailleur constitue une décision qui lui est personnelle et qui par ailleurs, entraîne pour lui des conséquences importantes, dont la perte des droits qui étaient rattachés à son emploi chez l’employeur. Le fait de démissionner n’est soumis à aucune condition particulière et il s’agit là d’un droit du travailleur. On ne doit pas par ailleurs rechercher l’intention ou les motifs du travailleur à la base de sa décision.

 

[39]      Il n’y a pas lieu davantage d’évaluer le caractère raisonnable de la ou des raisons ayant conduit ce dernier à démissionner en matière de versement de l’indemnité de remplacement du revenu au sens des dispositions de l’article 142 de la loi. La jurisprudence ne fait une telle démarche que lorsqu’il est question de retraite d’un travailleur et il n’y a pas lieu de faire de distinction entre la retraite et la démission en ce qui a droit au versement de l’IRR dans le processus entourant l’assignation temporaire prévue à l’article 179 de la loi.

 

[40]      En fait, autant la démission que la retraite sont des mesures extrêmes et en principe définitives que prend un travailleur. Il ne s’agit pas là de situations assimilables à celles édictées par le législateur à l’article 142 de la loi quand il est question de situations où un travailleur « omet » ou « refuse » de faire un travail assigné temporairement par un employeur. On n’a pas à se demander si, par sa démission, le travailleur omet ou refuse d’accomplir un travail chez l’employeur. La démission entraîne une fin d’entente contractuelle, la rupture d’un lien d’emploi. On ne doit  pas y voir un geste de contestation de la part du travailleur ni si ce dernier avait une raison valable de poser un tel geste.

 

[41]      Le droit à une indemnité de remplacement du revenu est relié à la survenance d’une lésion professionnelle au sens de la loi et les causes d’extinction de ce droit sont spécifiquement prévues à l’article 57 de la loi. Il ressort de la lecture de cette disposition législative que la démission d’un travailleur de son emploi chez un employeur ne constitue pas une des raisons qui y sont prévues. Quant aux dispositions de l’article 142 de la loi, on doit les interpréter restrictivement car il s’agit de mesures de nature punitive et d’exception eu égard à l’esprit général de la loi, qui a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires8 et dont l’application doit être faite de façon large et libérale.

 

[42]      Le tribunal est d’avis que l’article 142 confère à la CSST un pouvoir de contraindre un travailleur, dans certains cas précis, à respecter les obligations prévues à la loi à défaut de quoi, son indemnité pourra être réduite ou suspendue. L’utilisation des termes « réduire » ou « suspendre » revêt un caractère temporaire et ne se veut pas permanent. D’ailleurs, les dispositions de l’article 143 prévoient la possibilité pour la CSST de non seulement mettre fin à la suspension ou la réduction d’une indemnité, mais prévoient aussi le versement rétroactif des indemnités suspendues ou réduites lorsque le motif qui a justifié sa décision n’existe plus. Il serait difficile de concevoir l’application de l’article 143 au cas d’un travailleur ayant remis sa démission à un employeur, la démission étant de par sa nature, une situation permanente et non temporaire. En d’autres termes, comment un travailleur pourrait-il bénéficier des termes de l’article 143 dans le cas d’une démission? La situation ayant mené à la suspension de l’IRR étant définitive et permanente, le travailleur ne pourrait jamais faire valoir que le motif qui avait justifié la décision n’existe plus. En d’autres termes, la suspension de l’IRR en cas de démission d’un travailleur deviendrait permanente. Ce n’est certes pas là l’intention recherchée par le législateur dans la rédaction des articles 142 et 143 de la loi.

 

[43]      Dans ce contexte, la Commission des lésions professionnelles considère que le fait de démissionner pour le travailleur a mis fin au lien d’emploi avec l’employeur, mais n’avait pas d’incidence sur le droit pour le travailleur de continuer à recevoir l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle il avait droit en vertu des dispositions de l’article 57 de la loi. La CSST ne pouvait dès lors, appliquer les dispositions de l’article 142 en réponse à une situation reliée à l’assignation à un travail temporaire au sens de l’article 179 de la loi.

______________

8              Article 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3.001)

 

 

[31]        Dans la présente affaire, la Commission des lésions professionnelles retient que le travailleur, en remettant sa démission le 10 juillet 2010, prive l’employeur de son droit de l’assigner temporairement à un travail si une telle assignation est autorisée par son médecin, ce qui est le cas ici. Le travailleur exerce alors un choix qui lui appartient, mais ce choix a des conséquences, qu’elles soient temporaires ou permanentes.

[32]        En privant l’employeur de son droit de valablement l’assigner temporairement à un autre travail, le travailleur devait s’attendre à ce que l’indemnité de remplacement du revenu qui lui était versée soit suspendue, renonçant ainsi à une partie des indemnités prévues à la loi, qu’il ait été ou non conscient de cette possibilité.

[33]        La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la CSST aurait dû, en vertu de l’article 142 de la loi, suspendre l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur, à compter du 10 juillet 2010, puisque ce dernier, sans raison valable, a omis ou refusé de faire le travail que l’employeur lui a assigné temporairement en vertu de l’article 179 de la loi.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée le 22 septembre 2010 par Signalisation Routière Québec inc.;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 septembre 2010, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’indemnité de remplacement du revenu de monsieur Sylvain Poulin devait être suspendue à compter du 10 juillet 2010.

 

 

__________________________________

 

Richard Hudon

 

Me Priscilla Boisier

Gestess inc.

Représentante de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           C.L.P. 357176-04B-0808, 11 décembre 2008, A. Quigley.

[3]           C.L.P. 191471-09-0210, 27 août 2003, J.-M. Laliberté.

[4]           C.L.P. 289299-71-0605, 31 mai 2007, M. Zigby.

[5]           C.L.P. 327977-07-0709, 18 février 2009, P. Sincennes.

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