STM (Réseau des autobus) et Desormiers |
2014 QCCLP 1838 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Joliette |
24 mars 2014 |
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Région : |
Lanaudière |
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Dossier CSST : |
117033464 |
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Commissaire : |
Jean M. Poirier, juge administratif |
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Membres : |
Lorraine Patenaude, associations d’employeurs |
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Robert P. Morissette, associations syndicales |
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Partie requérante |
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Alain Desormiers |
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Partie intéressée |
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et |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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[1] Le 2 avril 2007, la S.T.M. (Réseau des autobus) (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 28 mars 2007, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare qu’elle n’a pas compétence pour entendre la contestation de l’employeur déposée le 3 novembre 2006, arguant que la lettre datée du 19 octobre 2006 ne constitue pas une décision. Elle déclare en conséquence que cette contestation de l’employeur est irrecevable.
[3] Une audience est tenue à Joliette le 5 septembre 2013. L’employeur y est représenté de même que la CSST. Le travailleur a transmis une argumentation écrite en date du 9 novembre 2012. L’affaire est mise en délibéré une première fois le 5 septembre 2013. Le tribunal, souhaitant formuler quelques questions aux parties, a procédé à une réouverture d’enquête le 12 décembre 2013. Finalement, l’affaire est mise en délibéré le 12 février 2014 après que les parties aient transmis à la Commission des lésions professionnelles leurs prétentions quant aux questions soulevées lors d’une réouverture d’enquête ordonnée par le tribunal.
L’OBJET DES REQUÊTES
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement des prestations d’indemnité de remplacement du revenu qu’il a versées à monsieur Alain Desormiers (le travailleur) au-delà de la quinzième journée d’absence, à la suite de la lésion professionnelle que ce dernier a subie le 20 juin 1999.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Conformément à l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), le juge administratif soussigné a requis et obtenu l’avis des membres qui ont siégé avec lui sur les questions soumises à la Commission des lésions professionnelles ainsi que les motifs de leur avis.
[6] La membre issue des associations d’employeurs est d’avis d’accueillir la requête en contestation déposée par l’employeur. Elle considère que le législateur n’a pas prévu de délai de réclamation pour les sommes versées par les employeurs par l’application de l’article 126 de la loi. En l’absence de tel délai, elle considère que la prescription de trois ans prévue à l’article 2925 du Code civil du Québec ne peut recevoir application, la loi n’y faisant pas spécifiquement référence.
[7] De son côté, le membre issu des associations syndicales est d’avis de rejeter la requête en contestation de l’employeur. Il considère, qu’en l’absence de délai prévu à la loi pour la réclamation d’une somme versée à un travailleur, en vertu de l’article 126 de la loi, c’est la prescription triennale du Code civil du Québec qui doit recevoir application. Selon lui, le Code civil du Québec est le droit supplétif à appliquer en cas de silence de la loi. Le membre issu des associations syndicales est également d’opinion que, même si la Commission des lésions professionnelles avait le pouvoir d’autoriser une prolongation de délai, si tel délai existait dans la loi, cette prolongation ne pourrait excéder le délai de prescription civile.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST doit rembourser l’employeur pour les sommes qu’il a versées au travailleur à compter de la quinzième journée d’incapacité.
[9] Pour rendre sa décision, le tribunal a pris connaissance du dossier médico-administratif mis à sa disposition. Il en retient les faits suivants.
[10] Le travailleur subit une lésion professionnelle qui est reconnue le 20 juin 1999.
[11] Le travailleur signe le formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement le 28 juillet 1999.
[12] L’employeur prend soin de cocher l’espace identifiant qu’il continuera de payer le travailleur au-delà des 14 premiers jours. Il indique également, en cochant la case appropriée, qu’il continuera de le faire jusqu’au retour au travail du travailleur.
[13] Les notes évolutives du dossier de la CSST comportent une mention inscrite le 28 septembre 1999 voulant que : « STCUM assume coûts d’une semaine de travail », et ce, sans autre spécification.
[14] Le 21 octobre 1999, la CSST réclame au travailleur la somme de 4 780,75 $ pour des indemnités de remplacement du revenu versées en trop. Elle spécifie, dans sa lettre de réclamation, que le travailleur s’est vu verser son plein salaire pendant la période où il a reçu ces indemnités de remplacement du revenu.
[15] L’employeur demande un transfert d’imputation du coût des prestations, en vertu de l’article 326 de la loi, qui lui est accordé le 29 novembre 1999.
[16] Le dossier comporte également une note, datée du 30 novembre 1999, qui fixe à 4 780,75 $ le montant à rembourser à l’employeur pour les sommes qu’il a lui-même versées au travailleur pour la période du 5 juillet au 7 septembre 1999.
[17] À l’audience, l’employeur indique que la CSST s’est remboursée sur un chèque dû à l’employeur pour la somme de 9 561,50 $.
[18] Ce n’est qu’en 2006 que la réclamation de l’employeur, à l’endroit de la CSST pour les sommes qu’il a versées directement au travailleur, est réactivée. Un courriel, daté du 27 septembre 2006, fait état d’une réactivation de dossier ainsi que de la possibilité, pour l’employeur, de consulter son dossier électronique afin d’obtenir les informations souhaitées.
[19] Le 10 octobre 2010, toujours par courriel, l’employeur demande à la CSST de « déarchiver » [sic] le dossier du travailleur. L’employeur indique à la CSST qu’il n’a jamais été remboursé pour les sommes versées directement au travailleur. La CSST répond à l’employeur, le 19 octobre 2006, qu’elle ne lui remboursera pas la somme réclamée, considérant que la réclamation de l’employeur est produite au-delà du délai de prescription de trois ans prévu à l’article 2925 du Code civil du Québec.
[20] Les articles 60, 126, 268 et 269 de la loi édictent ce qui suit :
60. L'employeur au service duquel se trouve le travailleur lorsqu'il est victime d'une lésion professionnelle lui verse, si celui-ci devient incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, 90 % de son salaire net pour chaque jour ou partie de jour où ce travailleur aurait normalement travaillé, n'eût été de son incapacité, pendant les 14 jours complets suivant le début de cette incapacité.
L'employeur verse ce salaire au travailleur à l'époque où il le lui aurait normalement versé si celui-ci lui a fourni l'attestation médicale visée dans l'article 199.
Ce salaire constitue l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit pour les 14 jours complets suivant le début de son incapacité et la Commission en rembourse le montant à l'employeur dans les 14 jours de la réception de la réclamation de celui-ci, à défaut de quoi elle lui paie des intérêts, dont le taux est déterminé suivant les règles établies par règlement. Ces intérêts courent à compter du premier jour de retard et sont capitalisés quotidiennement.
Si, par la suite, la Commission décide que le travailleur n'a pas droit à cette indemnité, en tout ou en partie, elle doit lui en réclamer le trop-perçu conformément à la section I du chapitre XIII.
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1985, c. 6, a. 60; 1993, c. 5, a. 1.
126. La Commission peut prélever sur une indemnité de remplacement du revenu et rembourser à l'employeur l'équivalent de ce qu'il paie au travailleur à compter du quinzième jour complet d'incapacité sous forme d'allocation ou d'indemnité, à moins que ce paiement ne soit fait pour combler la différence entre le salaire du travailleur et le montant de l'indemnité à laquelle il a droit.
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1985, c. 6, a. 126.
268. L'employeur tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60 avise la Commission que le travailleur est incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée la lésion professionnelle et réclame par écrit le montant qui lui est remboursable en vertu de cet article.
L'avis de l'employeur et sa réclamation se font sur le formulaire prescrit par la Commission.
Ce formulaire porte notamment sur :
1° les nom et adresse du travailleur, de même que ses numéros d'assurance sociale et d'assurance maladie ;
2° les nom et adresse de l'employeur et de son établissement, de même que le numéro attribué à chacun d'eux par la Commission ;
3° la date du début de l'incapacité ou du décès du travailleur ;
4° l'endroit et les circonstances de l'accident du travail, s'il y a lieu ;
5° le revenu brut prévu par le contrat de travail du travailleur ;
6° le montant dû en vertu de l'article 60 ;
7° les nom et adresse du professionnel de la santé que l'employeur désigne pour recevoir communication du dossier médical que la Commission possède au sujet du travailleur ; et
8° si l'employeur conteste qu'il s'agit d'une lésion professionnelle ou la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion, les motifs de sa contestation.
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1985, c. 6, a. 268 ; 1999, c. 89, a. 53.
269. L'employeur transmet à la Commission le formulaire prévu par l'article 268, accompagné d'une copie de l'attestation médicale prévue par l'article 199, dans les deux jours suivants :
1° la date du retour au travail du travailleur, si celui-ci revient au travail dans les 14 jours complets suivant le début de son incapacité d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle ; ou
2° les 14 jours complets suivant le début de l'incapacité du travailleur d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle, si le travailleur n'est pas revenu au travail à la fin de cette période.
Il remet au travailleur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.
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1985, c. 6, a. 269.
[21] Il convient également de préciser que la loi ne prévoit pas de délai spécifique auquel l’employeur est soumis pour produire sa réclamation.
[22] Les parties déposent, au soutien de leur prétention, plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles portant sur la même question de droit débattue. Ces décisions impliquent toutes, à l’exception d’une seule, l’employeur. Elles présentent la même question à débattre, soit le délai qu’a un employeur pour réclamer, de la CSST, la somme de l’indemnité de remplacement du revenu qu’il a versée directement au travailleur au-delà de la quatorzième journée d’incapacité. Les sommes versées au travailleur l’auront été sur la base de l’indemnité de remplacement du revenu ou encore du plein salaire lorsque le travailleur était à temps complet[2].
[23] Le tribunal prend en compte les remarques transmises par le représentant du travailleur avant l’audience et celles transmises lors de la réouverture d’enquête ordonnée par le tribunal. Cependant, la Commission des lésions professionnelles ne voit pas quel est l’intérêt du travailleur à l’actuel litige et le travailleur ne l’a pas spécifié dans ses notes. Quoi qu’il en soit, l’argumentation du travailleur se retrouve en bonne partie dans certains arguments de la CSST.
[24] L’employeur plaide, d’une part, que la loi ne prévoit pas de délai et qu’ainsi, il ne saurait être prescrit de réclamer la somme versée au travailleur. Ainsi, il est en droit de demander le remboursement de la somme qu’il a versée au travailleur au-delà de la quatorzième journée d’incapacité.
[25] D’autre part, la CSST argumente que la prescription civile stipulée à l’article 2925 du Code civil du Québec doit recevoir application. Ce faisant, l’employeur ne peut plus réclamer la somme due, étant donné qu’il s’est écoulé un délai de près de six ans avant qu’il demande à la CSST un remboursement de la somme versée au travailleur au-delà de la quatorzième journée d’incapacité.
[26] Au cours du délibéré, le tribunal ordonne une réouverture d’enquête en transmettant aux parties certaines questions, les invitant à présenter leur point de vue sur ces questions qui se formulent de la façon suivante :
· Dans l’hypothèse où la Commission des lésions professionnelles en arrive à la conclusion que la prescription triennale du Code civil du Québec s’applique, est-ce que l’Avis de l’employeur et demande de remboursement (ayant la case d’avis de paiement au-delà des 14 premiers jours) constitue une réclamation pouvant interrompre le calcul de cette prescription (S.T.M. et Bouchard et CSST[3] et article 2892 CcQ) ?
· Si oui, le calcul de celle-ci doit-elle reprendre (2903 CcQ) ? Et à quel moment ?
· Est-ce que le principe de la péremption d’instance doit aussi recevoir application ? Si oui, de quelle façon ?
[27] Dans un premier temps, la représentante de l’employeur exprime son accord sur les principes développés dans l’affaire S.T.M. et Bouchard et CSST[4]. Elle ajoute que cette application est conforme à l’enseignement des tribunaux supérieurs. Elle cite la décision Flanagan c. Périard[5] :
[29] Qu'est-ce qu'une demande en justice ? Une recherche jurisprudentielle a permis au Tribunal de recenser certains éléments de définitions données à cette expression.
[30] Dans l'affaire Drouin c. Centre hospitalier Fleury, le juge Jean-Marie Brassard est saisi d'une question relative à l'interruption de la prescription sous le Code civil du Bas - Canada. Il estime :
« Cependant, le quatrième et le cinquième paragraphe de l'article 2224 C.C. mentionnent des cas précis de procédure qui interrompent la prescription et ce sont toutes des procédures prévues au Code de procédure civile. Malgré que cette liste de procédures n'est pas limitative, le Tribunal y voit une indication du sens à donner aux termes « demande en justice » […] »
[31] Dans l'arrêt Tomaz-Young c. Miller, le juge François Chevalier, alors ad hoc à la Cour d'appel, définit « intenter une demande en justice » dans le cadre du Règlement sur la procédure de conciliation et d'arbitrage des comptes des avocats :
« Je conclus donc qu'intenter une demande en justice signifie tout simplement entreprendre la démarche nécessaire pour indiquer son intention de s'adresser aux tribunaux de droit commun en vue d'obtenir justice et que cette démarche ne requiert pas pour être complète la procédure ultérieure de la signification. »
[32] Dans l'affaire Trust Prêt et Revenu c. David, le juge Pierre Boudreault interprète la notion de « demande en justice » comme suit :
« De même, ni le Code civil du Québec ni le Code de procédure civile ne définissent l'expression. Le Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues, dont le comité de rédaction comprend des juristes aussi chevronnés que Mes Albert Mayrand et Paul A. Crépeau, définit ainsi le mot« Demande » :
Acte par lequel une personne, le demandeur, soumet ses prétentions au tribunal pour qu'il statue sur celles-ci.
et, à la même page, définit les mots « Demande en justice », que l'on dit être un synonyme de« Demande » :
[…] l’action est une puissance alors que la demande en justice est cette puissance passée à l'état d'acte.
H. Solus et R. Perrot, dans leur ouvrage intitulé Droit judiciaire privé, s'en expriment d'une façon similaire :
La demande en justice est l’acte de procédure par lequel le titulaire d'une action exerce effectivement le pouvoir qui lui est donné par la loi de saisir un juge. En d'autres termes, pour employer l'expression imagée de Morel c'est« l'acte d'ouverture des hostilités ». »
[33] Dans l'affaire Groupe Mindev inc. c. Apollon, le juge Pierre Dalphond, alors juge à la Cour supérieure, a interprété le sens de « demande en justice » dans le cadre d'une requête en rétractation de jugement. Le juge constate que l'expression n'est pas définie. Il ne considère cependant pas justifié de restreindre cette notion à la seule procédure amorçant l'instance :
« Par ailleurs, l'expression « demande en justice » n'est pas définie au Code de procédure civile ni la Loi sur l'application de la réforme du Code civil. Cependant, rien ne justifie de la restreindre à la seule procédure initiant une instance. Dans le Dictionnaire de droit québécois et canadien, Hubert Reid définit le mot « demande » comme suit :
Acte par lequel une personne soumet ses prétentions à un juge. »
[34] Certains extraits de Baudouin apparaissent pertinents relativement à la nature d'une « demande en justice » :
« Le fait pour le créancier, avant l'expiration de la prescription, de se pourvoir en justice pour réclamer son dû, interrompt la prescription (article 2892, alinéa 1).
Le terme « demande en justice » ne désigne pas seulement l'introduction d'une action ou d'une requête devant le tribunal, mais aussi son amendement concernant un droit qui découle de la même source, l'intervention, la demande reconventionnelle, la saisie et l'opposition, l'avis d'intention de soumettre un différend à l'arbitrage (dans ce dernier cas à certaines conditions), de même que les mesures d'exécution d'une pension alimentaire puisque toutes ces procédures montrent clairement la volonté du créancier de mettre en œuvre l'exercice de son droit (article 2892, alinéa 2). […]
[…]
La demande en justice, pour avoir l'effet interruptif, doit néanmoins être conforme aux exigences de la loi. Ainsi, le demandeur qui se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance ne saurait se prévaloir de l'interruption. Il en va de même lorsque la demande en justice est rejetée parce que non fondée. Dans de tels cas, l'effet interruptif de la demande en justice disparaît rétroactivement, comme si la demande n'avait jamais été présentée (article 2894). […] »
(Soulignement du Tribunal)
[35] Finalement, nonobstant le fait que l'expression « demande en justice » n'est pas définie au Code de procédure civile, on retrouve les mots « les demandes en justice » (en anglais : « actions and applications ») à l'article 110 et au premier paragraphe de l'article 110.1 C.p.c..
[36] Le Tribunal en vient donc à la conclusion qu'une« demande en justice » est tout acte de procédure visant à soumettre à l'appréciation du tribunal certains droits et faits allégués afin qu'il en décide. En l'espèce, il semble que c'est clairement le but visé par la Poursuite californienne.
[références omises]
[28] Ensuite, la représentante de l’employeur plaide que le formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement doit être assimilé à une telle demande en justice. Elle soumet, qu’une fois déposée, cette demande interrompt la prescription tel que le prévoit l’article 2896 du CcQ et que cette interruption « se continue jusqu’au jugement passé en force de chose jugée ».
[29] La représentante de l’employeur soumet également que la notion de péremption d’instance ne s’applique pas à l’égard de la loi n’existant pas ni dans la loi ni dans le Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles[6]. L’employeur réfère à la décision de la Cour supérieure qui mentionne :
[12] L'article 265 C.p.c., prévoit qu'une instance peut être déclarée périmée à la demande du défendeur, six mois après la production du dernier acte de procédure utile. Toutefois, la péremption sera couverte par tout acte de procédure utile, fait par l'une ou l'autre des parties, avant qu'il soit statué sur la requête (article 269 C.p.c.).
[30] La représentante de l’employeur ajoute son argumentation écrite qui se lit comme suit :
C’est donc alors que les parties étaient encore au stade de la production d’actes de procédure que le principe de la péremption d’instance s’appliquait. Or, en l’espèce, après le dépôt de l’ADR, la CSST devait plutôt traiter l’information qu’elle contenait et donner suite à la demande de remboursement qu’elle impliquait. Par analogie, la CSST « délibérait » sur le bien-fondé de l’ADR.
Nous vous soumettons que le fait d’appliquer le principe de la péremption d’instance et d’ainsi sanctionner un employeur en lui reprochant de ne pas avoir mené son dossier de façon diligente, alors que le délai en l’espèce est entièrement imputable à la longue durée du « délibéré » de la CSST entraînerait par ailleurs un déni de justice.
[31] De son côté, la CSST répond aux questions soulevées en reprenant les paramètres de l’affaire S.T.M. et Théroux (succession) et Pauzé et CSST[7] plaidées à l’audience. Elle mentionne, qu’en cochant la case appropriée indiquant qu’il assume de payer le salaire au travailleur, l’employeur accepte de se substituer à la CSST en vue d’assurer le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur. À juste titre, la CSST souligne qu’il s’agit d’un choix de l’employeur et non d’une obligation incombant à ce dernier.
[32] La CSST cite un passage de cette décision[8] :
[83] En effet, après avoir évalué que c’était le choix d’un employeur, et non une obligation en vertu de la loi, de se substituer à la CSST et d’assurer le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu, comme c’est le cas en l’espèce, il est apparu que la mention d’un délai de réclamation ou de remboursement était inutile. Il en va de même pour la manière de réclamer les sommes versées qui n’est pas autrement prévue.
[84] Le tribunal en conclut qu’il revient à l’employeur de s’occuper ou de gérer le dossier pour lequel il a volontairement choisi de se substituer à la CSST pour le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu après la 14e journée d’incapacité. Cette obligation inclut celle de voir à obtenir le remboursement des sommes ainsi versées.
[85] À cet égard, le témoin Lavallée a confirmé la pratique chez l’employeur d’un système de gestion qui prévoit la relance des « comptes en souffrance ».
[86] Le tribunal en déduit que l’employeur était d’avis que ce n’était pas à la CSST qu’il appartenait, à partir de la réception de l’ADR, de faire le suivi des dossiers de l’employeur et de gérer les ratés du système de l’employeur. C’était plutôt à ce dernier d’avertir la CSST de l’omission du versement pour la période postérieure aux quatorze premiers jours.
[87] Or, c’est bien ce que l’employeur a fait dans les dossiers en litige, mais plusieurs années après qu’il ait versé les sommes aujourd’hui réclamées.
[33] Dans cette affaire[9], la Commission des lésions professionnelles a conclu que l’employeur n’avait pas agi avec diligence, et ce, même si l’article 126 de la loi n’impose aucun délai à l’employeur pour réclamer les sommes versées.
[34] La CSST plaide, qu’en exerçant le choix de verser directement au travailleur son salaire, l’employeur est subrogé à la CSST et il doit agir avec diligence.
[35] La CSST plaide que le législateur, en se référant au Journal des débats, n’a nullement fait état à une prescription tirée du droit commun de trois ans prévue au Code civil du Québec[10].
[36] La CSST argumente ce qui suit :
Dans la même foulée, il convient de rappeler que l’adoption de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en 1985 est venue sanctionner les termes du contrat social intervenue en 1931 soit, la Loi sur les accidents du travail4 en réaffirmant que les droits conférés sont sans égard à la responsabilité de quiconque (article 25 LATMP) ainsi que l’immunité de poursuite contre la CSST (article 350 LATMP).Nous sommes d’avis qu’en regard de ces fondements historiques et législatifs, créer une analogie entre une obligation dévolue à l’employeur de par la loi (article 268 LATMP) et une action en justice vient trahir l’intention du législateur à l’origine même de l’adoption du Projet de loi 42 devenue la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Loi des accidents du travail, S.Q. 1931, c.l00.
[37] La CSST conclut que le formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement ne constitue pas une réclamation pouvant interrompre le calcul de la prescription de trois ans prévue à l’article 2925 du Code civil du Québec.
[38] Après analyse de la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, le tribunal retient ce qui suit.
[39] Le tribunal est d’accord avec l’affirmation qu’il est de la responsabilité de l’employeur de faire sa réclamation.
[40] Or, c’est ce que l’employeur a fait. En cochant la case prévue au formulaire établi par l’article 268 de la loi - Cochez si vous continuez de payer le travailleur après la période des 14 premiers jours -, l’employeur informe la CSST qu’il continuera à payer jusqu’au retour du travailleur. Ce faisant, l’employeur avise la CSST que l’indemnité de remplacement du revenu devra lui être remboursée. Il s’agit là d’une réclamation.
[41] Cette mention au formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement n’est pas qu’une simple mention. Ce formulaire, prescrit par la loi, n’est pas qu’un simple papier à remplir. Il y a des conséquences juridiques à cette déclaration de l’employeur.
[42] La Commission des lésions professionnelles a considéré que cette mention constituait une réclamation notamment dans l’affaire S.T.M. et Bouchard et CSST[11] :
[16] Le 20 juillet 1998, la CSST reçoit de l’employeur un autre Avis de l’employeur et demande de remboursement daté du 14 juillet 1998. Celui-ci l’informe que le travailleur a été en arrêt de travail en raison de la récidive, rechute ou aggravation depuis le 16 mai 1998. Il précise également, comme il l’avait fait précédemment en cochant la case prévue, qu’il verse au travailleur son salaire régulier.
[…]
[22] Le 8 février 2005, l’employeur écrit à la CSST. Il demande de nouveau le remboursement de l’indemnité de remplacement du revenu avancée pour la période du 16 mai 1998 au 9 juillet 1998. Le 4 août 2006, il réitère sa demande n’ayant pas reçu de réponse.
[…]
[41] Dans le présent dossier, le tribunal considère que la demande de l’employeur a été faite dès le 20 juillet 1998 et complétée au début du mois d’août suivant. Celui-ci a agi conformément à la pratique en usage qui dans la très grande majorité des cas suffit à la CSST. Clairement, cette demande est introduite dans un délai raisonnable.
[42] En outre, l’employeur a respecté les formalités relatives aux réclamations et aux avis que le législateur édicte aux articles 268 et 269 de la loi. Il a fait parvenir sa demande de remboursement relative aux quatorze premiers jours avec les renseignements requis en utilisant le formulaire en usage. Il a tenu la CSST informée des périodes d’invalidité du travailleur et du moment de son retour au travail. À cet égard, on ne peut pas nier qu’il a agi avec diligence.
[43] À l’instar de ces décisions, la Commission des lésions professionnelles constate que l’employeur s’est acquitté de façon raisonnable de réclamer à la CSST les sommes qu’il paye directement au travailleur. Il a suivi la procédure édictée par le formulaire.
[44] La Commission des lésions professionnelles constate que la CSST reproche à l’employeur de ne pas avoir été diligent dans sa réclamation, alors que ce dernier a respecté cette procédure et que la CSST n’a pas été plus diligente, en ne donnant pas suite à la réclamation que lui a transmise l’employeur. Heureusement, le tribunal ne voit pas l’issu du litige par l’analyse de la diligence des parties.
[45] Comme il a été mentionné plus haut, la loi ne prévoit pas de délai de prescription pour la présentation d’une demande de remboursement ou le suivi à donner à une telle demande. En pareille circonstance, la Commission des lésions professionnelles est d’avis, qu’à moins de disposition spécifique le prohibant, le Code civil du Québec doit s’appliquer. L’affaire Charron[12] traite de l’application du Code civil du Québec à titre de droit supplétif. Après une revue exhaustive des principes de droit s’appliquant, la Commission des lésions professionnelles mentionne :
[219] Ainsi, en vertu de ces principes généraux, le tribunal estime qu’il y a lieu dans le présent dossier de pallier de manière supplétive au défaut créé par l’effet de la rétroactivité en référant aux dispositions de droit commun portant sur la prescription extinctive prévue aux articles 2921 et suivants du Code civil du Québec.
[220] Il est intéressant de noter au passage que le recours au droit commun, bien que peu habituel en raison de la spécificité de loi n’est toutefois pas sans précédent.
[221] À titre d’exemple, la Cour d’appel exprime ce qui suit dans l’arrêt Kraft General Foods Canada inc. c. Kolodny26 :
L'appelante prétend également, comme elle l'avait fait devant les instances précédentes, mais sans toutefois insister beaucoup lors de l'audience, que le Bureau et la CALP ne pouvaient pas recourir au droit commun pour interpréter la LATMP. Celle-ci étant une loi sui generis, elle est complète en elle-même. Il en résulte, à son avis, que l'ensemble de cette loi étant silencieuse à propos des cas de fusion, il faut respecter la volonté du législateur de ne pas en traiter.
Je ne peux évidemment pas souscrire à cet argument. Comme l'ont souligné les décisions du Bureau et de la CALP, notre Cour a déjà clairement indiqué que ce n'est pas la LATMP qui est sui generis, mais le régime d'indemnisation (Thibodeau c. Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec, précité). Ainsi, le régime exclut la compétence des tribunaux de droit commun en ce qui concerne la détermination de la faute et la réparation du préjudice. Cependant, cela ne signifie pas que des organismes comme le Bureau et la CALP ne puissent recourir au droit commun pour interpréter des dispositions de la LATMP lorsqu'une telle démarche est nécessaire à la solution complète du litige.
Comme dans l'espèce, la personnalité juridique de l'appelante et des sociétés fusionnantes est déterminée par le Code civil et par la loi en vertu de laquelle elles sont formées, il n'était pas déraisonnable que le Bureau et la CALP jugent que la CSST pouvait se fonder sur ces lois pour déterminer leurs droits et obligations dans les cas de fusion.
(nos soulignements)
[222] Dans l’affaire Hubert et Atelier Lucky-Tech inc.27, le tribunal considère qu’il y a lieu de faire appel aux articles 6 et 7 du Code civil du Québec pour résoudre le litige en cause.
[51] Le tribunal estime qu’il a non seulement le pouvoir mais le devoir de vérifier si des dispositions aussi importantes que les articles 6 et 7 du Code civil du Québec sont respectées en l’instance.
[52] D'autres exemples de référence par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et la Commission des lésions professionnelles à des dispositions issues du droit civil peuvent être cités. Ainsi, dans l’affaire General Motors du Canada ltée et Lauzon, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles réfère aux principes de droit civil en matière de prescription, lesquels sont contenus au Code civil du Québec.
[53] Dans l’affaire Rioux et General Motors du Canada ltée, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles réfère de nouveau au Code civil du Québec en matière de prescription reconnaissant ainsi l’application de ce corpus législatif au litige qu’elle était appelée à entendre.
[54] Les tribunaux ont de plus reconnu que dans le domaine du droit du travail, le droit civil du Québec fait figure de droit commun ou à tout le moins de droit supplétif. Le tribunal ne voit pas pourquoi il en irait autrement dans le secteur d’activité qui l’intéresse.
[55] Dans l’affaire Villa Médica c. Boisvert infirmée pour d’autres motifs par la Cour d’appel et dans l’affaire Procureur général du Québec c. Tribunal d’arbitrage de la fonction publique, la Cour supérieure du Québec rappelle qu’à moins de dispositions particulières d’une loi statutaire spécifique, le Code civil du Québec s’applique à tous les citoyens et peut être invoqué pour solutionner tout problème juridique. Comme la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ne contient aucune disposition de la nature des articles 6 et 7 du Code civil du Québec, ces articles trouvent donc application en l’espèce.
(références omises)
[223] Aussi, dans l’affaire Bertrand et Manoir St-Sauveur et CSST28, la juge administrative Langlois recourt au délai général de prescription de l’article 2925 du Code civil du Québec alors qu’elle constate que la loi ne prévoit aucun délai pour permettre à une personne de récupérer des indemnités non versées.
[224] Enfin, tout récemment, le juge administratif Duranceau29 a tranché une question identique à celle en cause et a jugé une demande d’allocation d’aide personnelle prescrite par application de l’article 2925 C.c.Q.
26 Kraft General Foods Canada inc. c. Kolodny, J.E. 99-947 (C.A.)
27 C.L.P. 223353-04-0312, 4 février 2004, J.-F. Clément.
28 C.L.P. 202126-64-0303, 15 juin 2005, M. Langlois.
29 Sinclair et Prévost Car inc. (Division Novabus) et CSST, C.L.P. 371308-61-0903, 28 juin 2010, M. Duranceau.
[46] Ainsi, le tribunal considère que, dans le cadre de la réclamation de l’employeur, la prescription triennale, prévue à l’article 2925 du Code civil du Québec, doit recevoir application :
2925. L'action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n'est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.
1991, c. 64, a. 2925.
[47] Dès lors, l’on pourrait prétendre que l’employeur est prescrit dans sa réclamation. Cependant, toujours en appliquant le droit civil, il y a lieu de se demander si la prescription triennale a été interrompue par une action de l’une des parties.
[48] Dans l’affaire S.T.M. et Bouchard et CSST[13], la Commission des lésions professionnelles analyse une situation similaire à celle à l’étude.
[56] En tant que décideuse de l’administration gouvernementale, chargée de dispenser la justice administrative, la CSST a également manqué à ses obligations de prudence et de célérité que lui impose l’article 4 de la Loi sur la justice administrative5 :
4. L'Administration gouvernementale prend les mesures appropriées pour s’assurer :
1° que les procédures sont conduites dans le respect des normes législatives et administratives, ainsi que des autres règles de droit applicables, suivant des règles simples, souples et sans formalisme et avec respect, prudence et célérité, conformément aux normes d'éthique et de discipline qui régissent ses agents, et selon les exigences de la bonne foi;
2° que l'administré a eu l'occasion de fournir les renseignements utiles à la prise de la décision et, le cas échéant, de compléter son dossier ;
3° que les décisions sont prises avec diligence, qu'elles sont communiquées à l'administré concerné en termes clairs et concis et que les renseignements pour communiquer avec elle lui sont fournis ;
4° que les directives à l'endroit des agents chargés de prendre la décision sont conformes aux principes et obligations prévus au présent chapitre et qu'elles peuvent être consultées par l'administré.
__________
1996, c. 54, a. 4.
[nos soulignements]
[57] Le tribunal comprend que l’erreur est humaine et qu’un agent peut omettre certains aspects dans le traitement d’un dossier. Toutefois, il lui peine à conclure à la prescription d’un recours, qu’on a effectivement exercé, afin de dispenser la CSST de rendre une décision conforme aux exigences de la justice administrative.
[58] Il est aussi inspirant de citer l’article 2892 du CCQ qui prévoit l’interruption de la prescription par le dépôt d’une demande en justice :
2892. Le dépôt d'une demande en justice, avant l'expiration du délai de prescription, forme une interruption civile, pourvu que cette demande soit signifiée à celui qu'on veut empêcher de prescrire, au plus tard dans les 60 jours qui suivent l'expiration du délai de prescription.
La demande reconventionnelle, l'intervention, la saisie et l'opposition sont considérées comme des demandes en justice. Il en est de même de l'avis exprimant l'intention d'une partie de soumettre un différend à l'arbitrage, pourvu que cet avis expose l'objet du différend qui y sera soumis et qu'il soit signifié suivant les règles et dans les délais applicables à la demande en justice.
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1991, c. 64, a. 2892.
[59] Ainsi, la prescription ne courrait pas pendant l’instance, et ce, jusqu’au résultat final, comme le prévoit l’article 2896 CCQ :
2896. L'interruption résultant d'une demande en justice se continue jusqu'au jugement passé en force de chose jugée ou, le cas échéant, jusqu'à la transaction intervenue entre les parties.
Elle a son effet, à l'égard de toutes les parties, pour tout droit découlant de la même source.
_____
1991, c. 64, a. 2896
[60] Dans le contexte de la loi, c’est la CSST qui rend les décisions en première instance. Elle possède une compétence exclusive à cet égard selon ce qu’on lit à l’article 349 de la loi :
[citation de l’article 349 omise]
[61] Elle est protégée contre certains recours par une clause d’immunité6. Elle a pour fonction en quelque sorte de rendre la décision de première instance. Dans ce contexte, conclure à la prescription serait un grave manquement à l’équité et au droit d’obtenir une décision conforme à la loi.
[…]
[63] Certains pourraient prétendre que l’analogie que le présent tribunal fait entre la demande en justice et une demande faite à la CSST est exagérée et qu’elle trahit l’intention du législateur et qu’il faudrait plutôt l’assimiler à la contestation soumise à la Commission des lésions professionnelles.
[64] À ceux-là, il faut répondre que le régime d’indemnisation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles constitue une exception au droit commun relatif à la responsabilité civile. En édictant la loi, le législateur a créé un régime de réparation sans égard à la faute :
[citation de l’article 25 de la loi omise]
[...]
[66] Dans le contexte particulier de la loi, le tribunal considère qu’il n’est pas exagéré ni déraisonnable d’assimiler la demande de l’employeur à une demande en justice. De surcroît, la décision de la CSST est un passage obligé vers l’organisme juridictionnel de dernière instance qu’est la Commission des lésions professionnelles7. On ne peut pas assimiler la demande en justice mentionnée à l’article 2892 du CCQ à la seule contestation qu’une partie soumet à la Commission des lésions professionnelles.
[67] La règle du droit commun appliquée de cette façon deviendrait si limitative qu’elle trahirait l’intention du législateur, lequel a fait de la CSST un organisme qui participe à rendre la justice administrative.
[68] La CSST ne peut pas refuser de répondre à l’employeur en invoquant le désintéressement de celui-ci puisqu’elle a elle-même manqué à ses propres devoirs et omis de rendre une décision conforme aux exigences de la loi et aux règles de la justice administrative. De plus, la demande initiale de l’employeur peut être assimilée à une action qui suspend le délai de prescription pourvu que ce délai soit applicable, bien entendu.
[69] Par ailleurs, en prenant en compte les fondements de la prescription qui incluent l’ordre public et la sanction des comportements négligents ainsi que la paix sociale8, le tribunal conclut qu’en regard des faits de la présente affaire, la prescription extinctive de l’article 2925 du CCQ ne permet pas à la CSST d’opposer à l’employeur une fin de non-recevoir.
[nous soulignons]
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5 L.R.Q., c. J-3.
6 Article 350 de la loi.
7 Articles 358 à 359.1 de la loi.
8 Céline GERVAIS, La prescription, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 304.
[49] Ainsi, la Commission des lésions professionnelles partage ce raisonnement. Elle en vient à la conclusion que, par le dépôt du formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement, où il a coché et avisé qu’il poursuivait le versement du salaire du travailleur, l’employeur a non seulement produit une réclamation, mais il a également interrompu la prescription triennale par l’application, en faisant les adaptations nécessaires de l’article 2892 du Code civil du Québec traitant de l’interruption de la prescription civile[14].
[50] Est-ce qu’il y a eu délaissement de la réclamation de l’employeur ? Est-ce qu’il y a eu péremption de l’instance ? On peut certes constater que l’employeur n’a pas fait de suivi rigoureux de sa réclamation envers la CSST. Cependant, le tribunal ne peut conclure à un délaissement ou une péremption.
[51] Contrairement aux articles 2892 du Code civil du Québec traitant de l’interruption de la prescription et 2925 du Code civil du Québec traitant de la prescription triennale, qui sont deux dispositions de droit substantif et supplétif en cas de silence de la loi, la notion de péremption d’instance relève du droit procédural des tribunaux supérieurs. En ce domaine, force est d’admettre que la CSST qui rend des décisions de nature administrative n’a pas de telle disposition.
[52] À la lumière de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que l’article 2925 du Code civil du Québec reçoit application en ce qui a trait à la prescription triennale pouvant être opposée à l’employeur dans sa réclamation lorsqu’il verse au travailleur son salaire, le tout en vertu de l’article 126 de la loi. La Commission des lésions professionnelles conclut également que le calcul de cette prescription est interrompu par le dépôt de la réclamation prévue à la loi, soit le formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement, lorsque la case pertinente, indiquant le choix de l’employeur d’assumer la continuité dans le versement du salaire du travailleur accidenté, est cochée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en contestation de S.T.M. (Réseau des autobus), l’employeur, déposée le 2 avril 2007 ;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 28 mars 2007, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit rembourser à l’employeur la somme versée au travailleur par l’application de l’article 126 de la loi ;
ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de rembourser à l’employeur la somme versée au travailleur, soit la somme indiquée à l’audience, 9 561,50 $;
Conserve compétence pour trancher un éventuel litige entre les parties sur le montant exact devant être remboursé à l’employeur.
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JEAN M. POIRIER |
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Me Geneviève Mercier |
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Le Corre & Associés, avocats |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Myriam Sauviat |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Dans ce dernier cas, l’obligation de l’employeur de verser le salaire complet est habituellement prévue dans la convention collective en vigueur. Il faut comprendre que, dans cette situation, un tel versement inclut nécessairement l’indemnité de remplacement du revenu. Autrement, le travailleur jouirait d’un enrichissement sans cause, recevant son salaire de l’employeur et l’indemnité de remplacement du revenu de la CSST.
[3] 2011 QCCLP 2324.
[4] Précitée note 3.
[5] 2007 QCCS 4584.
[6] R.R.Q., c. A-3.001, r. 12.
[7] C.L.P. 313961-63-0704, 31 mars 2009, L. Morissette.
[8] Précitée, note 7.
[9] Précitée, note 7.
[10] Article 2925 CcQ.
[11] Précitée note 3.
[12] Charron et Marché André Martel inc. et CSST C.L.P. 373569-64-0903, I. Piché. Révision rejetée, 2011 QCCLP 5854. Requête en révision judiciaire rejetée le 10 décembre 2012. Voir également Sinclair et Prévost Car inc., [2010] C.L.P. 4729, Requête en révision judiciaire rejetée le 18 juillet 2011.
[13] Précitée note 3.
[14] Cité dans l’extrait de la décision S.T.M. et C.S.S.T. et Bouchard repris plus haut.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.