Décision

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CONSEIL DE DISCIPLINE

CONSEIL DE DISCIPLINE

Ordre des dentistes du Québec

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

No :     14-10-01119

 

DATE : Le 6 septembre 2012

___________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :        Me  PIERRE LINTEAU                                              Président

                                 Dre SUZANNE BOIVIN                                              Membre

                                 Dr MARC BOISVERT                                               Membre

____________________________________________________________________

 

DR GUY AUGER, ès qualités de syndic adjoint de l’Ordre des dentistes du Québec

            Plaignant

c.

 

DR ALAIN GAGNON

            Intimé

____________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

____________________________________________________________________

 

[1]        Le Conseil s’est réuni à diverses reprises depuis le 25 octobre 2010, en présence des parties et de leur procureur respectif, pour entendre la présente plainte et en disposer, laquelle plainte ne comporte qu’un seul chef libellé comme suit :

 

« 1.   Le ou vers le 28 juin 2009, l’intimé, exerçant à Longueuil, district de Longueuil, a diffusé ou permis que soit diffusée une infopublicité sur les ondes de TQS, le tout contrairement aux dispositions des articles 3.09.03 et 3.09.10 Code de déontologie de l’Ordre des dentistes du Québec, notamment en ce que :

 

a)           l’infopublicité en cause comporte une publicité comparative (article 3.09.03 du Code de déontologie);

 

b)           l’infopublicité en cause contient des témoignages d’appui ou de reconnaissance qui le concernent (article 3.09.10 du Code de déontologie);

 

commettant par là une infraction aux dispositions desdits articles. »

 

[2]        Le long délai entre le dépôt de la plainte le 12 mars 2010 et la rédaction de la décision au cours de l’été 2012 s’explique en partie par la présentation de deux requêtes incidentes : l’une par le plaignant pour obtenir la permission d’amender sa plainte pour ajouter que les reproches faits aux intimés contreviennent également à l’article 59.2 du Code des professions, permission qui lui a été refusée par une décision datée du 7 février 2011, et l’autre requête de la part des intimés réclamant des précisions sur les plaintes portées contre eux, requête qui a également été rejetée.

 

[3]        Le Conseil ajoute également que le présent dossier a été entendu dans le cadre d’une preuve commune avec trois autres dossiers, soit le dossier numéro 14-10-01118 impliquant le Dr Maurice Asseraf, le dossier numéro 14-10-01117 impliquant la Dre Joumana Charouk, et le dossier numéro 14-10-01120 impliquant la Dre Valérie Gosselin; ces quatre intimés sont accusés de la même infraction, sauf quant à la date de diffusion de l’infopublicité qui a eu lieu le 18 avril 2009 pour le Dr Asseraf.

 

[4]        Finalement, les quatre intimés n’ont reconnu aucune responsabilité dans les gestes qui leur sont reprochés dans les plaintes; les intimés ont chacun des défenses légèrement différentes, surtout quant à leur participation dans les infopublicités.

 

LA PREUVE

 

Prétentions des parties

 

[5]        Le plaignant est entendu pour faire la preuve de ses reproches contre les intimés et pour décrire les circonstances entourant le début de son enquête; il raconte que le 18 avril 2009, alors qu’il regardait la télévision, il a vu une infopublicité relativement à des soins dentaires dont le contenu l’a interpelé.

 

[6]        Il ajoute qu’il a obtenu par la suite une copie DVD de l’infopublicité ce qui lui a permis de visionner le contenu à plusieurs reprises; l’infopublicité du 28 juin 2009 a aussi fait l’objet de plusieurs visionnements.

 

[7]        Par une lettre du 12 janvier 2010, et déposée sous P-3, le plaignant a communiqué avec chacun des intimés, d’abord pour les aviser qu’il avait initié une enquête relativement à la diffusion de ces infopublicités, et ensuite pour leur demander de lui fournir certaines explications sur ce qui suit :

« De plus, pourriez-vous également me fournir des explications en regard de certaines interrogations soulevées suite à l’analyse de cette publicité :

 

[…]

 

Cette publicité fait également mention que vous êtes au moins cinq ans en avance sur ce qui se passe au Québec au point de vue de la technologie en dentisterie :

 

Sur quoi basez-vous cette affirmation et comment pouvez-vous prétendre être cinq ans en avance sur les autres dentistes du Québec?

 

Il est également mentionné entre autres dans cette publicité et je cite «on fait même la couronne avant même d’opérer le client donc le patient peut arriver du jour au lendemain en un seul rendez-vous avoir l’implant, sa couronne et partir le même jour avec tout ça ».

 

Pourriez-vous détailler davantage cette approche qui vous permet de confectionner la couronne avant la mise en bouche de l’implant? »

 

[8]        Par lettre également, autour du 28 janvier 2010, les intimés ont donné suite aux demandes du plaignant, ces lettres sont déposées sous P-4 dans chacun des dossiers; le Conseil cite ci-après la réponse du Dr Asseraf laquelle donne les explications les plus complètes en plus de reprendre le texte intégral des réponses des autres intimés :

 

« La présente fait suite à votre lettre datée du 12 janvier 2010, reçue le 15 janvier 2010, concernant la publicité faite par Centres dentaires Lapointe dont une copie était jointe à votre correspondance.

 

Tout d’abord, j’aimerais préciser que bien que j’aie eu connaissance du message publicitaire visant Centres dentaires Lapointe lors de sa diffusion, jamais mon consentement n’a-t-il été recherché quant à son contenu sauf pour ce qui concerne la diffusion de mes explications quant aux traitements prodigués à Mme Hélène Tremblay et M. Laplante dans le cadre du concours GAGNEZ UN SOURIRE LAPOINTE.

 

En effet, la publicité en question ne me vise aucunement, mais fait plutôt l’éloge du concept de Centres dentaires Lapointe, soit la disponibilité de tous les services dentaires sous un même toit et du confort et la satisfaction qui résultent d’un tel concept de soins intégrés.

 

CDL ne fait aucune publicité à mon égard. Les messages en question ne contiennent pas de témoignage d’appui qui me concerne personnellement comme dentiste. Je n’avais donc pas de raison de m’y objecter.

 

De toute façon, je n’ai aucun pouvoir décisionnel quant à la décision de Centres dentaires Lapointe de diffuser un message publicitaire.

 

Bien que je veuille collaborer et vous fournir toutes les informations requises, je n’ai aucune information quant aux dates et nombre de parutions des messages publicitaires de Centres dentaires Lapointe et n’ai pas accès à ses contrats non plus qu’à la facturation.

 

Quant au fait que Madame Gauthier mentionne avoir vu des «spécialistes», il s’agit là à mon sens d’une déclaration inexacte que Madame Gauthier a probablement fait(sic) de bonne foi ne réalisant pas la portée du terme. Encore une fois, je n’ai eu aucune implication dans la confection de cette publicité de Centres dentaires Lapointe.

 

Je voudrais également préciser que les représentations auxquelles vous faites références ont été faites par M. Yves Lapointe à titre de représentant de Centres dentaires Lapointe et de Laboratoire Summum. Je ne peux donc ni commenter ni vous fournir quelques précisions que ce soit à l’égard des affirmations que vous citez à votre lettre.

 

Je désire par ailleurs confirmer qu’il est en effet possible de fabriquer une couronne préalablement à la chirurgie pour la pose d’implants et qu’ainsi le patient puisse repartir avec une couronne immédiatement après la chirurgie, notamment en utilisant des technologies telles que celle de «Nobelguide».

 

Cette méthode est souvent utilisée comme suite à la prise d’une tomodensitométrie volumique (CBCT scan) qui permet une meilleure planification de la pose d’implants. À partir de l’image virtuelle, nous obtenons un modèle stéréo lithique de la mandibule ou du maxillaire qui servira de référence pour le technicien de laboratoire dans la fabrication de la restauration ou de la prothèse temporaire.

 

Le modèle ainsi que le guide chirurgical sont utilisés préalablement à la chirurgie par le laboratoire qui recrée la chirurgie sur le modèle à l’aide du guide chirurgical. Par la suite, le procédé est le même que lorsque le laboratoire reçoit des empreintes pour la fabrication de restaurations ou de prothèses temporaires. Le technicien place les analogues et procède à la fabrication à l’aide de la méthode traditionnelle conformément au guide chirurgical.

 

Par la suite, la restauration ou la prothèse temporaire ainsi que le guide chirurgical sont envoyés en clinique. Le guide sera stérilisé avant la chirurgie. La chirurgie s’effectuera à l’aide du guide chirurgical, le même que celui utilisé dans la fabrication de la prothèse temporaire.

 

Les piliers seront placés sur les implants et par la suite, la restauration temporaire sera placée sur les piliers. Selon les techniques des différents chirurgiens et dentistes restaurateurs, la suite des procédures peut varier (mise en charge progressive, occlusion, etc.). »

 

[9]        Le plaignant dépose, sous P-5 et P-6, une transcription des deux infopublicités et identifie les différents éléments de publicité comparative ainsi que les témoignages d’appui et à titre d’exemples, ce qui suit :

 

Comparatif

 

P-5, p. 2 :

 

« Chantal Lacroix

 

J’ai accepté d’être porte-parole des Centres dentaires Lapointe parce que ces gens-là réalisent des petits miracles et j’ai été en mesure de le constater plus d’une fois, dans le cadre de l’émission « S.O.S. Beauté » ou encore « Donnez au suivant », où ils ont accepté d’être partenaires.

 

Quand tu réussis à redonner le goût de sourire à quelqu’un, tu transformes sa vie. »

 

P-5, p. 4

 

« M. Yves Lapointe - Représentant des Centres dentaires Lapointe :

 

On a décidé de mettre en place une façon une « approche clientèle » qu’on pourrait appeler qui justement facilitait la perception du client face à la dentisterie. L’industrie traditionnelle de la dentisterie, on est habitué de consommer de la dentisterie d’une façon à l’unité et on dit on y va pour les besoin, les urgences. Donc, on limite. Moi, à mes yeux, quand on voit une vision à court terme comme ça, veux - veux pas, coûte cher. Si on a une vision globale des choses, on parle beaucoup plus d’un investissement. »

 

P-5, p. 15

 

« Chantal Lacroix

 

Je trouve que les Centres dentaires Lapointe innovent constamment, essaient tout le temps de se perfectionner, trouver des façons pour satisfaire leurs clients, mais répondre aussi à leurs questions.

 

M. Yves Lapointe - Représentant des Centres dentaires Lapointe :

 

Quand on veut faire un investissement dans notre bouche, qui nous permet justement d’obtenir un résultat dans son ensemble, on parle de dentition globale, on parle d’un investissement plus majeur. Si on veut aller à court terme, c’est mineur, c’est à l’unité. Quand on parle global, de retrouver vraiment le sourire avec ses proportions, ses couleurs et ses formes qu’on veut, qu’on désire et une santé, c’est certain que l’investissement est plus majeur mais beaucoup de monde savent pas que quand on investit ce montant là à long terme, il y a des crédits d’impôts de 30% qui est appliqué, y a des assurances qui ont pu couvrir certains frais et le reste peut être financé sur une période de temps, ce qui fait qu’aujourd’hui le sourire de nos rêves est accessible.

 

Annonceur de la publicité

 

Composez dès maintenant le 1-800-Lapointe et demandez votre consultation « dentition globale » sans frais. »

 

Appui

 

P-5, p. 19

 

« Christine Lévesque

 

Moi, j’ai toujours eu une crainte, une grosse grosse crainte des dentistes. J’ai une peur bleue des dentistes et je leur ai dit quand je suis allée les voir et ils ont été vraiment merveilleux parce que, grâce à eux, j’ai plus peur d’aller chez le dentiste. Ils m’ont vraiment mis en confiance.

 

-        Wow, c’est pas possible, Rires … ahaha ça se peut-tu?(sic) Ah, c’est vraiment beau, vous êtes des artistes. Merci beaucoup. »

 

P-6, p. 11

 

« Sylvain Bédard

 

Ce qui m’a impressionné, c’est vraiment le niveau de professionnalisme qu’on a rencontré. Tu dois reconnaître l’engagement qu’ils vont aller jusqu’au bout et qu’ils vont faire ce qu’il y a de mieux pour toi et, puis ça, tant qu’à moi, ça n’a pas de prix. »

 

[10]     Le plaignant plaide que l’Ordre a non seulement le droit de légiférer sur la publicité mais aussi le devoir de le faire pour protéger le public consommateur étant donné l’incapacité de ce dernier à évaluer les services rendus par un dentiste.

 

[11]     Le plaignant plaide alors que c’est dans le cadre de ce régime de protection du public que l’Ordre a adopté l’article 3.09.03 qui prohibe la publicité comparative, et l’article 3.09.10 du Code de déontologie qui défend au dentiste d’utiliser dans sa publicité des témoignages d’appui qui le concernent.

 

[12]     Pour le plaignant, les intimés s’aveuglent volontairement lorsqu’ils prétendent qu’ils ne savaient pas ou qu’ils n’ont pas été consultés sur le contenu alors que l’obligation déontologique est de s’assurer qu’une telle publicité ne soit jamais diffusée.

 

[13]     Le plaignant a soumis au soutien de ses prétentions une abondante documentation laquelle fera l’objet d’une discussion par le Conseil dans son analyse.

 

[14]     En défense, le plaignant a fait entendre chacun des intimés; ils ont unanimement déclaré qu’ils n’ont jamais été consultés par les Centres dentaires Lapointe sur le contenu des infopublicités ni sur l’opportunité de leur diffusion.

 

[15]     Ils plaident donc que ces infopublicités ne sont pas leur publicité mais celle de Centres dentaires Lapointe; ils plaident aussi qu’il n’y a, dans ces publicités, aucun témoignage d’appui qui les particularise et qu’il doit y avoir un lien de rattachement entre le dentiste et le témoignage d’appui; en d’autres mots, les intimés prétendent qu’il n’est pas suffisant qu’une personne dise qu’elle se sente bien après un traitement, sans dire qui l’avait traitée, pour conclure à un témoignage d’appui prohibé au sens de l’article 3.09.10 du Code de déontologie.

 

[16]     Les intimés ont aussi soumis des autorités pour soutenir leurs prétentions; le Conseil y reviendra plus loin dans la décision.

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

Devoir de réglementer la publicité

 

[17]     L’Ordre des dentistes du Québec, dans son Code de déontologie, a incorporé une série d’articles prévoyant des conditions, des obligations et des prohibitions relatives à la publicité; ce sont les articles 3.09.01 à 3.09.11, incluant donc les articles qui sont concernés par la présente décision, soit l’article 3.09.03 qui prohibe la publicité comparative, et l’article 3.09.10 qui interdit dans la publicité l’utilisation des témoignages d’appui ou de reconnaissance.

 

[18]     Visiblement, cet encadrement réglementaire limite le droit pour le dentiste de s’exprimer librement par l’utilisation de messages commerciaux; ces articles du Code de déontologie peuvent donc porter atteinte à la liberté d’expression garantie à la Charte canadienne des droits, à l’article 2b).

 

[19]     La question constitutionnelle n’a pas été soulevée par les parties mais cependant elle n’est pas si éloignée de notre débat parce qu’il est important de se questionner sur l’intérêt que poursuit l’Ordre des dentistes en réglementant la publicité faite par ses membres, ceci afin de mieux interpréter les dispositions litigieuses.

[20]     Ce n’est pas la première fois qu’un tribunal a à se pencher sur la question de savoir si un ordre professionnel doit réglementer la publicité faite par ses membres et pourquoi. La Cour Suprême du Canada dans l’affaire Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d’Ontario[1] a étudié en détail cette question particulièrement à la page 12 :

 

« Les questions peuvent être énoncée simplement : (1) Le paragraphe 37(39) du Règlement porte-t-il atteinte à la liberté d’expression garantie à l’al. 2b) de la Charte? Et (2) dans l’affirmative, le par. 37(39) est-il néanmoins justifié à titre de limite raisonnable dans une société libre et démocratique en vertu de l’article premier de la Charte? »

 

[21]     Après avoir décidé que la protection de l’article 2b) de la Charte s’appliquait également à la publicité faite par les professionnels, la Cour décide aussi que cette publicité doit être réglementée, et ajoute à la page 22 :

 

«       Dans cet extrait, le juge Dubin identifie deux objectifs importants de la réglementation de la publicité professionnelle. Le premier est le maintien d’une norme élevée de professionnalisme (par opposition au mercantilisme) de la profession. Le deuxième est la protection du public contre la publicité irresponsable et trompeuse. J’ai mentionné précédemment qu’aux États-Unis une distinction avait été établie entre les restrictions sur les renseignements relatifs aux produits normalisés et celles sur les prétentions qui, en soi, ne peuvent être vérifiées. Si un dentiste ou un autre professionnel prétend être plus compétent que ses collègues, le consommateur moyen n’est aucunement en mesure de vérifier cette prétention. Dans de telles circonstances, la réglementation de la publicité professionnelle est clairement justifiée.

 

         Je conclus facilement qu’il est essentiel d’accorder aux sociétés professionnelles le pouvoir de réglementer les méthodes de publicité de leurs membres, même si cela peut porter atteinte à la liberté d’expression que leur garantit l’al. 2b) de la Charte. La seule question est de savoir si le règlement visé en l’espèce satisfait au deuxième volet du critère de l’article premier, savoir si la limite particulière en question est raisonnable et si sa justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique. »

              (Notre soulignement)

 

[22]     Dans une dernière affirmation, aux pages 26 et 27, la Cour Suprême exprime ce qui suit :

 

« Certes, compte tenu de l’importance de promouvoir le professionnalisme et de prévenir la publicité irresponsable et trompeuse, un objectif qui doit l’emporter sur la protection de tout intérêt commercial des professionnels, il incombe aux corps professionnels à titre de devoir impératif d’adopter des règlements appropriés qui réalisent cette fin sans restreindre indûment la liberté d’expression de leurs membres. »

[23]     Cette décision confirme donc l’obligation pour l’Ordre des dentistes du Québec, pour la protection du public, de réglementer la publicité qui pourrait être faite par ses membres. C’est donc dans le cadre de cette obligation de réglementer la publicité que l’Ordre des dentistes a adopté les deux dispositions mentionnées aux présentes plaintes, soit l’article 3.09.03 qui prohibe la publicité comparative, et l’article 3.09.10 qui interdit l’utilisation des témoignages d’appui ou de reconnaissance.

 

LA PREUVE

 

[24]     La preuve démontre, sans l’ombre d’un doute, que les infopublicités contiennent de nombreuses occurrences de publicité comparative et de témoignages d’appui; de toute manière, les intimés ne contestent pas les faits mais plaident qu’ils n’ont rien à voir avec ces publicités puisqu’ils ne les ont pas décidées ni autorisées, et surtout qu’elles ne sont pas leurs publicités parce que faites à leur insu; les intimés apparaissent à diverses reprises dans les infopublicités, soit en cours de traitement sur des patients, soit pour répondre aux questions de l’animatrice mais sans qu’ils soient identifiés nommément; ils plaident particulièrement qu’aucun témoignage d’appui ne singularise un intimé et donc que ces témoignages ne les concernent pas.

 

[25]     Sur cette question, les intimés ont fait entendre M. Larry Lapointe, un dirigeant des Centres dentaires Lapointe, pour expliquer le fonctionnement des centres et le statut des intimés dans l’entreprise; son témoignage, trop court, ne permet pas de préciser convenablement le rôle des intimés; cependant, dans une autre affaire impliquant les Centres dentaires Lapointe, soit Denturologistes c. Bergeron, dossier numéro 15-09-00063, un autre dirigeant de cette entreprise a longuement témoigné sur la structure des Centres dentaires Lapointe; dans cette affaire, il s’agissait également d’infopublicités mais concernant de la publicité qui impliquait des denturologistes; dans sa décision sur culpabilité en date du 19 janvier 2011, le Conseil de discipline rapporte comme suit les propos de M. Yves Lapointe aux pages 9, 10 et 11 :

 

«   ● Je suis un homme d’affaires.

[...]

● CDL est une compagnie qui met en place des locaux, des encadrements, des équipements, des loyers; tout ce qui comporte à aider, à structurer des emplacements pour desservir la profession et des professionnels dentaires.

 

●  On a séparé l’acte dentaire de l’administration.

 

●  On a créé les Centres dentaires Lapointe.

 

●  C’est une « business » pure.

 

●  Il y a des dentistes, des denturologistes, des hygiénistes et des spécialistes.

 

●  CDL est une compagnie virtuelle.

 

●  CDL supporte le professionnel dans l’exercice de son art.

 

●  L’acte dentaire est séparé de l’administration.

 

●  Un seul centre téléphonique pour les quinze (15) centres.

 

●  CDL attire la clientèle pour la diriger aux professionnels.

 

●  Il y a des contrats et des ententes verbales avec les professionnels.

 

● Son intérêt est que les professionnels pratiquent.

 

●  Notre profit vient de la location du local.

[…]

●  Il dirige CDL avec son frère.

 

●  Les honoraires sont facturés au nom de CDL.

 

●  Dans le domaine dentaire, je donne 40 % et je prends 60 % pour gérer tous les services.

 

●  Le tarif est celui des ordres.

 

●  Le professionnel a des tarifs à respecter.

 

●  Le professionnel doit respecter notre portion.

 

●  S’il ne la respecte pas, il en fait la demande.

 

●  Le professionnel a le choix d’adhérer ou non à notre plan de publicité.

[…]

●  Le professionnel n’a aucun pouvoir de décision concernant la publicité.

[…]

●  Le dossier patient est identifié au Centre dentaire Lapointe.

 

●  Le Laboratoire Summum fait partie de ses compagnies.

 

●  Le témoignage d’appui s’adresse au Centre dentaire Lapointe.

 

●  Il a écrit le texte sur la « consultation Dentition Globale ».

 

●  C’est un concept d’approche de la clientèle.

●  Il y a de la formation qui est donnée du concept Dentition Globale.

 

●  Le professionnel a le droit de ne pas l’appliquer.

 

●  S’il n’est pas bien là-dedans, il a le droit de quitter.

 

●  Le professionnel doit protéger la marque de commerce.

 

●  Il décide des campagnes de publicité.

 

●  Je ne vois pas les professionnels.

 

●  Les extraits ont été pris suite aux émissions « SOS Beauté » et » « Donner(sic) au suivant ».

 

●  On fait de la stratégie publicitaire pour promouvoir les Centres dentaires.

 

●  On parle de la profession mais pas du professionnel.

 

●  On parle d’actes professionnels et des méthodes.

 

●  Le personnel est tous les employés de CDL, le personnel clérical et ceux du laboratoire.

 

●  Ils ont aussi leur propre produit au niveau des dents.

 

●  Ils ont un blanchiment à leur nom « Wow ». »

 

[26]     Même si cette décision est présentement en appel devant le Tribunal des professions, l’appel ne modifiera pas le témoignage de M. Yves Lapointe rapporté plus haut.

 

[27]     À la lumière de ce témoignage, le Conseil conclut que tous les ingrédients d’une aventure commune (common venture) sont ici présents, soit la mise en commun des ressources (temps et compétence professionnelle pour les intimés), dans un concept commun (tous les soins dentaires sous un même toit) et pour une fin commune (attirer la clientèle vers les professionnels); les Centres dentaires Lapointe, une « compagnie » virtuelle comme le déclare Yves Lapointe, est une mise en scène savamment structurée pour contourner le Code de déontologie des dentistes en matière de publicité.

 

RESPONSABILITÉ DÉONTOLOGIQUE DES INTIMÉS

 

[28]     Comme participants actifs dans cette aventure commune que sont les Centres dentaires Lapointe, les intimés ont l’entière responsabilité de la publicité qui est diffusée par l’entreprise et ils ont donc l’obligation de s’assurer que ces publicités sont en tout point conformes avec les prescriptions de leur Code de déontologie.

 

[29]     Les intimés prétendent qu’ils n’ont pas participé à la préparation des publicités ni décidé de leur diffusion de sorte qu’ils ne peuvent être tenus responsables déontologiquement; le raisonnement sonne faux parce que ce sont les intimés qui ont l’obligation de se conformer à leur Code de déontologie; si les intimés veulent prétendre que ces publicités ont été préparées et diffusées à leur insu, ils doivent d’abord faire la preuve qu’ils ont pris toutes les dispositions pour que cela n’arrive pas, et dans les présentes plaintes, les intimés n’ont pas fait cette preuve.

 

[30]     Dans une affaire de Notaires c. Champagne[2], le Tribunal des professions reprend cette notion d’obligation personnelle :

 

« La faute est d’abord celle du professionnel qui soit l’a commise, soit a permis qu’elle soit commise par sa négligence, son incurie et sa conduite.

 

C’est le professionnel qui a des obligations. L’utilisation du verbe «devoir» est à cet égard déterminante. C’est le professionnel qui reçoit l’argent en fiducie; c’est lui qui en est le dépositaire. S’il se décharge de cette responsabilité en la déléguant à une personne inhabile, insouciante, ignorante ou négligente, il engage sa responsabilité. »

 

[31]     Les intimés plaident aussi qu’ils n’ont pas utilisé des témoignages d’appui ou de reconnaissance qui les concernent, tel que le prescrit l’article 3.09.10 du Code de déontologie puisqu’aucun témoignage d’appui n’est associé à un intimé en particulier; pour les intimés, les mots « le concerne » veulent dire que le dentiste qui bénéficie du  témoignage doit pouvoir être identifiable.

 

[32]     Le Conseil ne partage pas cette interprétation restrictive de l’article 3.09.10 du Code de déontologie parce que cette interprétation ne tient pas compte du but de la publicité qui est de faire croître la clientèle de chacun des intimés et, en ce sens, cette publicité les concerne directement et du rôle de l’Ordre professionnel qui est de protéger le public; cette interprétation restrictive va donc à l’encontre du courant dominant en cette matière, tel que souligné dans cette décision du Tribunal des professions dans Gagnon c. Comptables agréés[3], aux pages 11 et 12 :

 

« [53]            Étant d’avis qu’il faut donner aux articles concernés du Code de déontologie une interprétation large et englobante, le Comité a interprété les mots « que ce soit envers le public, un client ou un employeur » comme ne restreignant en aucune manière la généralité de l’expression « Dans toutes les circonstances » qui les précède. Au contraire, il a conclu qu’ils n’étaient là que pour indiquer que même ces personnes sont visées par l’article.

 

[54]   C’est donc en choisissant de donner au Code de déontologie une interprétation large plutôt que restrictive que le Comité a conclu que les articles du Code de déontologie s’appliquent à des déclarations faites à l’Ordre par le membre.

 

[55]   Ce choix et la décision qui s’ensuit ne sont pas déraisonnables.

 

[56]   Le droit des professions et notamment le Code des professions ont pour principal objet la protection du public(33)[4].

 

[57]   Par ailleurs, en cas d’ambiguïté, il y a lieu d’appliquer le principe de l’interprétation la plus favorable à l’objet de la loi.

 

[58]   Sur ces sujets, le juge LeBel, au nom de la majorité, écrivait dans l’arrêt Pharmascience c. Binet(34)[5] :

 

« 33         Comme je l’ai souligné précédemment, le Code des professions représente la solution législative choisie par le législateur québécois afin de protéger le public par un encadrement approprié de tous les professionnels. […]

 

[…]

 

35            Les principes d’interprétation suggèrent qu’en cas d’ambiguïté, l’interprétation la plus favorable à l’objet de la loi doit primer. Le professeur P.-A. Côté résume ainsi cette règle :

 

Il est en effet incontestable qu’on peut, lorsque la formule soulève une difficulté d’interprétation, lorsqu’elle n’est pas claire, se référer à la finalité de la loi ou de la disposition examinée pour choisir celui des sens possibles qui est le plus propre à réaliser cette finalité.

 

(Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 496; voir également Sullivan, p. 219-221).

 

Ce principe est conforme à la Loi d’interprétation, L.R.Q., ch. I-16, qui, à son art. 41, énonce qu’une « disposition d’une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d’imposer des obligations ou de favoriser l’exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage ». Le deuxième alinéa du même article dispose aussi qu’une « loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin ». […]

 

[…] » (35)[6]

 

[59]   Dans Tremblay c. Dionne(36)[7], la Cour d’Appel, sous la plume du juge Dussault, s’agissant des Ingénieurs, énonçait que la Loi et le Code de déontologie doivent recevoir une application large :

 

« [42]       D’abord, le droit disciplinaire est un droit sul generis. […] Ensuite, les lois d’organisation des ordres professionnels sont des lois d’ordre public, politique et morale ou de direction qui doivent s’interpréter en faisant primer les intérêts du public sur les intérêts privés […]. Ainsi, pour analyser le comportement de l’intimé sur le plan déontologique, il faut se reporter non seulement à Loi sur les ingénieurs précitée, mais aussi aux normes contenues au CDI adopté conformément à l’article 87 du Code des professions. Ces normes s’inscrivent dans l’objectif de protection du public prévue à l’article 23 de ce Code et visent à « maintenir un standard professionnel de haute qualité » à son endroit […]. Conformément à cet objectif, ces textes législatifs et réglementaires ont préséance sur les termes d’un contrat ou d’une règle ou pratique administrative et doivent recevoir une application large […]. Les normes déontologiques ne visent pas à protéger l’ingénieur, mais bien le public. » (37)[8]

 

[33]     Les intimés ont soumis deux décisions pour soutenir leurs prétentions mais cependant le Conseil ne croit pas utile de les discuter puisqu’elles sont toutes deux antérieures à l’arrêt de la Cour Suprême, dans Rocket, dans laquelle on traite des questions soulevées par les deux décisions.

 

C’EST POURQUOI, LE CONSEIL :

 

[34]     DÉCLARE l’intimé coupable du seul chef de la plainte sous les articles 3.09.03 et 3.09.10 du Code de déontologie des dentistes.

 

 

 

 

                                                                       ____________________________________

                                                                       Me PIERRE LINTEAU, président

 

 

 

 

                                                                       ____________________________________

                                                                       Dre SUZANNE BOIVIN

 

 

 

 

                                                                       ____________________________________

                                                                       Dr MARC BOISVERT

 

Me  Véronique Brouillette

Procureure du plaignant

 

Me Gilles Poulin

Procureur de l’intimé

 

 

DATES D’AUDITION : 25 octobre 2010, 11 janvier 2011, 14 décembre 2011, 10 janvier 2012

 


CONSEIL DE DISCIPLINE

Ordre des dentistes du Québec

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

No :     14-10-01119

 

DATE : Le 5 septembre 2013

___________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :        Me  PIERRE LINTEAU                                              Président

                                 Dre SUZANNE BOIVIN                                              Membre

                                 Dr MARC BOISVERT                                               Membre

____________________________________________________________________

 

DR GUY AUGER, ès qualités de syndic adjoint de l’Ordre des dentistes du Québec

            Plaignant

c.

DR ALAIN GAGNON

            Intimé

____________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR SANCTION

____________________________________________________________________

 

[1]        Le Conseil s’est réuni le 20 décembre 2012, en présence des parties et de leur procureur, pour l’audition des représentations de ces dernières sur la sanction; l’intimé, par une décision du Conseil datée du 6 septembre 2012, avait été déclaré coupable du seul chef de la plainte sous les articles 3.09.03 et 3.09.10 du Code de déontologie des dentistes, lequel chef est ainsi libellé :

 

              « 14-10-01119

 

1.      Le ou vers le 28 juin 2009, l’intimé, exerçant à Longueuil, district de Longueuil, a diffusé ou permis que soit diffusée une infopublicité sur les ondes de TQS, le tout contrairement aux dispositions des articles 3.09.03 et 3.09.10 Code de déontologie de l’Ordre des dentistes du Québec, notamment en ce que :

 

c)           l’infopublicité en cause comporte une publicité comparative (article 3.09.03 du Code de déontologie);

d)           l’infopublicité en cause contient des témoignages d’appui ou de reconnaissance qui le concernent (article 3.09.10 du Code de déontologie);

 

commettant par là une infraction aux dispositions desdits articles. »

 

[2]        Dans sa décision, aux paragraphes 28 à 32, le Conseil s’est exprimé comme suit concernant la responsabilité déontologique de l’intimé ainsi que des coaccusés :

 

« [28]            Comme participants actifs dans cette aventure commune que sont les Centres dentaires Lapointe, les intimés ont l’entière responsabilité de la publicité qui est diffusée par l’entreprise et ils ont donc l’obligation de s’assurer que ces publicités sont en tout point conformes avec les prescriptions de leur Code de déontologie.

 

[29]   Les intimés prétendent qu’ils n’ont pas participé à la préparation des publicités ni décidé de leur diffusion de sorte qu’ils ne peuvent être tenus responsables déontologiquement; le raisonnement sonne faux parce que ce sont les intimés qui ont l’obligation de se conformer à leur Code de déontologie; si les intimés veulent prétendre que ces publicités ont été préparées et diffusées à leur insu, ils doivent d’abord faire la preuve qu’ils ont pris toutes les dispositions pour que cela n’arrive pas, et dans les présentes plaintes, les intimés n’ont pas fait cette preuve.

 

[30]   Dans une affaire de Notaires c. Champagne[9], le Tribunal des professions reprend cette notion d’obligation personnelle :

 

« La faute est d’abord celle du professionnel qui soit l’a commise, soit a permis qu’elle soit commise par sa négligence, son incurie et sa conduite.

 

C’est le professionnel qui a des obligations. L’utilisation du verbe «devoir» est à cet égard déterminante. C’est le professionnel qui reçoit l’argent en fiducie; c’est lui qui en est le dépositaire. S’il se décharge de cette responsabilité en la déléguant à une personne inhabile, insouciante, ignorante ou négligente, il engage sa responsabilité. »

 

[31]   Les intimés plaident aussi qu’ils n’ont pas utilisé des témoignages d’appui ou de reconnaissance qui les concernent, tel que le prescrit l’article 3.09.10 du Code de déontologie puisqu’aucun témoignage d’appui n’est associé à un intimé en particulier; pour les intimés, les mots « le concerne » veulent dire que le dentiste qui bénéficie du  témoignage doit pouvoir être identifiable.

 

[32]   Le Conseil ne partage pas cette interprétation restrictive de l’article 3.09.10 du Code de déontologie parce que cette interprétation ne tient pas compte du but de la publicité qui est de faire croître la clientèle de chacun des intimés et, en ce sens, cette publicité les concerne directement et du rôle de l’Ordre professionnel qui est de protéger le public; cette interprétation restrictive va donc à l’encontre du courant dominant en cette matière, tel que souligné dans cette décision du Tribunal des professions dans Gagnon c. Comptables agréés[10], aux pages 11 et 12 :

 

« [53]       Étant d’avis qu’il faut donner aux articles concernés du Code de déontologie une interprétation large et englobante, le Comité a interprété les mots « que ce soit envers le public, un client ou un employeur » comme ne restreignant en aucune manière la généralité de l’expression « Dans toutes les circonstances » qui les précède. Au contraire, il a conclu qu’ils n’étaient là que pour indiquer que même ces personnes sont visées par l’article. »

 

[3]        Dans sa décision sur culpabilité, le Conseil rappelle que le système de défense des intimés reposait sur une interprétation littérale des expressions utilisées dans les articles du Code de déontologie alors que, selon la jurisprudence dominante, c’est l’interprétation large et libérale qui prévaut.

 

[4]        Les intimés plaident aussi qu’ils ignoraient les buts recherchés par CDL lorsqu’ils ont accepté de participer au publireportage; pour les intimés, c’est la peine minimale qui devrait être imposée; dans leur plan d’argumentation, au soutien de leur recommandation, les intimés plaident ce qui suit :

 

            [CITATION TEXTUELLE]

« 1.   Il s’agit d’une première infraction.

 

2.       Les intimés n’ont aucun antécédent disciplinaire sauf pour Dr. Charouk dont les antécédents ne sont aucunement liés à la publicité.

 

3.       Les intimés n’ont aucun antécédent disciplinaire en matière de publicité.

 

4.       Aucune plainte disciplinaire contre les intimés depuis la tombée de la décision.

 

5.       Les intimés ont agi de façon raisonnable. Ils n’ont pas agi dans le but de nuire ou d’induire le public en erreur. Les intimés ont agi de manière à respecter la confiance et la considération que requièrent leurs fonctions.

 

6.       La qualité et la véracité des traitements prodigués et expliqués par les intimés n’ont jamais été remises en cause.

 

7.       Il n’y a pas de preuve de «quelconque préjudice causé aux patients.

 

8.       Les intimés ont tous pleinement collaboré à l’enquête du syndic dès que requis.

 

9.       Les circonstances de la prétendue « commission de l’infraction » ne sont pas clairement définies par le conseil :

 

a.            Ce n’est que par le biais d’une fiction juridique que le Conseil a trouvé les intimés coupables de cette infraction.

 

b.            Aucun témoignage d’appui ou de reconnaissance en faveur d’un intimé personnellement (qui LE concerne).

 

c.            Aucun geste positif de la part des intimés.

 

10.    Les intimés sont de bonne foi en ce qu’ils n’ont pas :

 

a.            participé à la conception, à la mise en place et ni à la diffusion d’une telle publicité.

 

b.            Poser un geste positif soit «de permettre» qu’une telle publicité soit faite.

 

c.            La participation des intimés se limite à prodiguer des traitements et à les expliquer brièvement à la camera.

 

d.            Mentionnons que dans la publicité, on ne voit les dentistes que quelques secondes à l’écran.

 

e.            Ils n’ont aucunement participé, ni ont été informé, ni n’était ou aurait même pu être au courant des interventions de Yves Lapointe.

 

Les intimés comprennent les actes qui leur sont reprochés et feront preuve de plus de prudence et de rigueur en regard de la publicité faites par CDL. »

 

[5]        Quant au plaignant, il réclame une sanction comportant des amendes assez importantes pour tenir compte de l’ampleur des publicités et du véhicule utilisé; en effet, les infopublicités sont d’une longue durée et sont diffusées à la télévision comme une émission de service.

 

[6]        Il plaide également que la sanction qu’il propose satisfait aux objectifs d’une sanction et plus spécialement l’exemplarité et la dissuasion; il note de plus que les intimés n’ont pas reconnu leur faute.

 

[7]        Finalement, le plaignant ajoute que la sanction proposée est modulée en fonction du degré de participation de chaque intimé à l’infopublicité; le plaignant demande donc les sanctions suivantes pour chacun des intimés :

 

·                    Dre JOUMANA CHAROUK

            Chef 1a)                    2000 $

            Chef 1b)                    2000 $

 

·                    Dr MAURICE ASSERAF

            Chef 1a)                    2500 $

            Chef 1b)                    2500 $

            Chef 2a)                    Réprimande

            Chef 2b)                    Réprimande

                                               (sanction pour une participation plus importante, soit à deux reprises)

 

·                    Dr ALAIN GAGNON

            Chef 1a)                    1500 $

            Chef 1b)                    1500 $

            (sanction moindre pour une participation plus limitée)

 

·                    Dre VALÉRIE GOSSELIN

            Chef 1a)                    2000 $

            Chef 1b)                    2000 $

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

[8]        Dans sa décision sur culpabilité, le Conseil rappelait les objectifs poursuivis par la règlementation de la publicité professionnelle en citant la Cour Suprême dans l’affaire Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d’Ontario[11], à la page 22 de la décision :

 

«       Dans cet extrait, le juge Dubin identifie deux objectifs importants de la réglementation de la publicité professionnelle. Le premier est le maintien d’une norme élevée de professionnalisme (par opposition au mercantilisme) de la profession. Le deuxième est la protection du public contre la publicité irresponsable et trompeuse. J’ai mentionné précédemment qu’aux États-Unis une distinction avait été établie entre les restrictions sur les renseignements relatifs aux produits normalisés et celles sur les prétentions qui, en soi, ne peuvent être vérifiées. Si un dentiste ou un autre professionnel prétend être plus compétent que ses collègues, le consommateur moyen n’est aucunement en mesure de vérifier cette prétention. Dans de telles circonstances, la réglementation de la publicité professionnelle est clairement justifiée. »

 

[9]        Même si les manquements au règlement sur la publicité ne sont pas des manquements aux normes professionnelles, dans le sens de la compétence, ils sont tout de même au cœur de la raison d’être des ordres professionnels, soit la protection du public et la recherche de l’excellence; dans ce sens, ces manquements ne peuvent être tolérés à défaut de quoi ce sera l’escalade ou le dérapage.

 

[10]     Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le Conseil est confronté à ce type de reproche et à l’importance d’imposer des amendes exemplaires; déjà en 2000, dans une affaire de Dentistes c. Carré, décision numéro 14-1999-00882, le comité décidait comme suit, à la page 13 :

 

« Cela étant, l’examen des récentes décisions du Comité en matière publicitaire démontre clairement l’imposition d’amendes substantielles variant de 1 200,00 $ à 1 800,00 $ pour des premières infractions. Le seuil minimal de 600,00 $ est largement dépassé et le Comité n’hésite pas à condamner les promotions commerciales trompeuses.

 

À n’en pas douter, pour ce type d’infraction, et dans sa mission de protection du public, le Comité impose des amendes visant tout autant à dissuader le professionnel de récidiver qu’à servir d’exemple aux autres dentistes qui seraient tentés de poser des gestes semblables. À infraction économique, sanction économique pourront-on dire.

 

Le feuillet publicitaire P-3, accrocheur faut-il le répéter, pèche à plusieurs égards et le Comité considère qu’il vise à berner le public. Les intimés ne peuvent agir ainsi au détriment des autres dentistes qui respectent le Code de déontologie.

 

Il est vrai que l’intimé Léonard en est à sa première infraction. Cependant, l’imposition d’une amende de 1 500,00 $ apparaît conforme aux décisions contemporaines du Comité en semblable matière. L’imposition d’une telle amende est dissuasive et exemplaire d’autant plus que l’acte publicitaire fautif est loin d’être une simple erreur technique. »

 

[11]     Les intimés, eux aussi, sont sans antécédent en matière de publicité; cependant, en faisant le choix de pratiquer leur profession dans une aventure commerciale entièrement contrôlée, selon leurs prétentions, par des membres d’un autre ordre professionnel, en l’occurrence des denturologistes, ils avaient le devoir de s’assurer qu’en tout temps les publicités émanant des centres dentaires Lapointe, pour lesquels ils travaillent, respectent les prescriptions de leur Code de déontologie.

 

[12]     Les intimés se sont plutôt fermé les yeux et ont délégué leur confiance à des non dentistes et, qui plus est, n’ont même pas posé les questions appropriées.

 

[13]     Les moyens utilisés par les centres dentaires Lapointe et par les intimés eux-mêmes pour attirer la clientèle sont d’une grande ampleur et ces moyens n’ont qu’un seul but : maximiser les profits; les intimés ont participé à ce manège et méritent la sanction proposée par le plaignant.

 

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL :

 

[14]     CONDAMNE l’intimé à une amende de 1500 $ sur chacun des chefs 1a) et 1b).

 

[15]     CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés.

 

 

 

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                                                                       Me PIERRE LINTEAU, président

 

 

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                                                                       Dre SUZANNE BOIVIN

 

 

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                                                                       Dr MARC BOISVERT

 

 

 

Me  Véronique Brouillette

Procureure du plaignant

 

Me Gilles Poulin

Procureur de l’intimé

 

Date d’audition : 20 décembre 2012

 

 



[1] Rocket c. Collège Royal des chirurgiens dentistes d’Ontario, 1990 CanlII 121 (CSC), [1990] 2 R.C.S.

[2] Notaires c. Champagne, [1992] DDCP 268.

[3] Gagnon c. Comptables agréés, [2009], QCTP 48, p. 11-12.

[4] Précité, note 5, art. 23.

[5] Pharmascience Inc. c. Binet, [2006] 2 R.C.S. 513.

[6] Id., p. 533 et 534.

[7] Tremblay c. Dionne, [2006] R.J.Q. 2614.

[8] Id., paragr. 42.

[9] Notaires c. Champagne, [1992] DDCP 268.

[10] Gagnon c. Comptables agréés, [2009] QCTP 48.

[11] Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d’Ontario, 1990 CanLII 121 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 232.

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