Pintal c. Dontigny |
2014 QCCA 2276 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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N° : |
200-09-008099-134, 200-09-008100-130 |
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(400-17-002562-110), (400-17-002153-100) |
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DATE : |
11 décembre 2014 |
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No : 200-09-008099-134 |
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PHILIPPE PINTAL, CLAUDE PINTAL et BENOIT PINTAL |
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APPELANTS - Défendeurs |
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c. |
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ÉRIC DONTIGNY, DENISE DONTIGNY, ANNETTE DONTIGNY et RITA DONTIGNY |
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INTIMÉS - Demandeurs |
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et |
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HÉLÈNE TOUTANT |
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MISE EN CAUSE - Mise en cause |
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No : 200-09-008100-130 |
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PHILIPPE PINTAL, CLAUDE PINTAL et BENOIT PINTAL |
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APPELANTS / INTIMÉS INCIDENTS - Défendeurs / Demandeurs reconventionnels |
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c. |
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DENISE DONTIGNY, ANNETTE DONTIGNY et RITA DONTIGNY |
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INTIMÉES / APPELANTES INCIDENTES - Demanderesses / Défenderesses reconventionnelles |
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[1] Dans le dossier de la Cour d'appel portant le numéro 200-09-008099-134, les appelants Philippe Pintal, Claude Pintal et Benoît Pintal appellent du jugement de la Cour supérieure (l'honorable Marc St-Pierre), rendu le 12 juillet 2013, qui déclare les intimés Éric Dontigny, Denise Dontigny, Rita Dontigny et Annette Dontigny copropriétaires indivis d'une propriété superficiaire. Ce jugement leur ordonne aussi de ne pas diminuer ou arrêter l'approvisionnement en eau des intimés.
[2] Dans un dossier connexe portant le numéro 200-09-008100-130, les appelants appellent de la conclusion du jugement qui rejette leur demande reconventionnelle par laquelle ils réclament aux intimées Denise Dontigny, Rita Dontigny et Annette Dontigny le remboursement des frais encourus pour la remise en état d'un chemin.
[3] Dans le même dossier, les intimées se sont portées appelantes incidentes et demandent la réformation du jugement de première instance qui rejette leur demande de déclaration de propriété à l'égard d'une bande de terrain.
[4] Pour les motifs du juge Gagnon, auxquels souscrivent les juges Morissette et Savard;
LA COUR :
[5] rejette l’appel, avec dépens, dans le dossier portant le numéro 200-09-008099-134; et
[6] rejette l'appel principal et l'appel incident, avec dépens, dans le dossier portant le numéro 200-09-008100-130.
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MOTIFS DU JUGE GAGNON |
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[7] Les appelants Philippe Pintal, Claude Pintal et Benoît Pintal (ci-après les « frères Pintal ») appellent du jugement de la Cour supérieure (l'honorable Marc St-Pierre), rendu le 12 juillet 2013[1], qui déclare les intimés Éric Dontigny, Denise Dontigny, Rita Dontigny et Annette Dontigny (ci-après les « Dontigny ») copropriétaires indivis d'une propriété superficiaire. Il s’agit d’un système d'aqueduc construit en août 1916 sur un tréfonds devenu la propriété des frères Pintal en 1990[2]. Le jugement entrepris leur ordonne aussi de ne pas diminuer ou arrêter l'approvisionnement en eau des Dontigny provenant de cet aqueduc.
[8] Dans un dossier connexe[3], le même jugement a rejeté la requête des intimées Denise Dontigny, Rita Dontigny et Annette Dontigny (ci-après les « sœurs Dontigny ») qui demandaient à être déclarées propriétaires d'une bande de terrain identifiée comme étant le lot 677. Même si les frères Pintal ont vu leur contestation sur cette question accueillie, ils estiment toutefois que certaines opinions du juge présentées sous forme d’obiter dictum[4] sont susceptibles pour l'avenir de nuire à l'exercice de leur droit de propriété sur ce lot. Ils se pourvoient donc, si cela est possible, contre ces observations du juge qui leur semblent potentiellement préjudiciables.
[9] Les frères Pintal contestent aussi le rejet de leur demande reconventionnelle dans laquelle ils réclamaient le remboursement des dépenses encourues pour la remise en état du chemin par lequel les sœurs Dontigny accèdent à leur résidence. Fait à noter, ces travaux ont été ordonnés dans le cadre d’une injonction interlocutoire délivrée contre eux le 25 juin 2010[5].
[10] Les sœurs Dontigny se portant appelantes incidentes se pourvoient également contre ce jugement. Elles demandent à la Cour de les déclarer propriétaires du lot 677 traversé par un chemin qui conduit à leur résidence.
LA PROPRIÉTÉ SUPERFICIAIRE (dossier no 200-09-008099-134)
Mise en contexte
[11] Les parties, grâce à la collaboration ininterrompue de leurs auteurs, allaient dans quelques années fêter un siècle de bon voisinage. Cette belle harmonie s'est soudainement détériorée en avril 2010 lorsque les frères Pintal ont décidé de réaménager le lot 677 en vue de le rendre propice à l'agriculture. Il s'agit de la bande de terrain qu'empruntent les sœurs Dontigny pour se rendre à leur résidence. À la même époque, les Dontigny perçoivent à partir des agissements des frères Pintal une menace de voir couper leur approvisionnement en eau provenant d’un aqueduc construit sur le lot 479, lot dont les frères Pintal sont également les propriétaires.
[12] C'est de cet aqueduc qui, de l’avis des Dontigny, est l’objet d’un droit superficiaire dont il sera maintenant question.
Nous soussignés cultivateurs de la paroisse de Champlain résidant au rang Ste-Marie réunis en assemblée dans la maison de monsieur Octave Dontigny, un des membres actionnaires de la société, formons une société et consentons à la former pour faire construire/utiliser un aqueduc pour fournir l’eau nécessaire à leurs usages personnels par eux et leurs fils héritiers de leurs propriétés exclusives. La société est formée et l’aqueduc est et sera construit aux termes et conditions ci-dessous fixés, arrêtés, écrits à savoir :
1 - Le réservoir sera construit/payé en parts égales par les membres qui ont signé ledit contrat.
2 - Le fossé sera creusé/payé en parts égales par les membres qui ont signé. Ce fossé sera creusé de 5 pieds de bas profondeur à partir de la source au pied du grand coteau jusqu’à chez J. Gustave Pintal, un des membres.
3 - Les tuyaux seront achetés, payés et posés en parts égales par les quatre membres de ladite société pour tout le parcours du fossé désigné.
4 - Le fossé sera rempli de la même manière.
5 - Si l’un des membres de la société vend sa propriété, ce dernier s’engage à faire accepter sa part et le nouveau propriétaire sera obligé comme les autres membres à payer, réparer et refaire tous les travaux qui pourront être nécessaires audit aqueduc.
6 - Pas d’autre personne ou aucun cultivateur ne pourra entrer ou faire partie de ladite société sans le consentement des quatre membres signataires et fondateurs de la société d’aqueduc.
7 - Ledit aqueduc devra être construit et utilisé au mois d’août 1916 sur tout son parcours.
8 - Les embranchements seront faits par chacun des propriétaires à leurs charges.
Ont signé ledit contrat après lecture faite
(s) J. Gustave Pintal (s) Octave Dontigny (s) Nérée Toutant (s) Télesphore Dontigny[6]
[14] Le 31 décembre 1990, le descendant direct de Nérée Toutant, monsieur Michel Toutant, vend une partie de ses terres à Philippe Pintal et à Françoise Laganière[7]. La propriété de ces immeubles sera ensuite transférée dans une société composée des frères Pintal.
[15] Une parcelle des terres vendues recoupe une partie du lot 479 sur laquelle est érigé l’aqueduc. Quatre-vingt-quinze ans après sa construction et plus de vingt ans après l’acquisition de ce lot par les frères Pintal, les Dontigny ont vu à travers les termes d’une mise en demeure, reçue le 22 juillet 2011, une menace à leur approvisionnement en eau :
[…] Quand les travaux [sur le lot 479] seront terminés entre le réservoir [de l’aqueduc] et la petite entrée, s’il y a une valve, elle ne sera plus utilisable.
Nous [les frères Pintal] ne serons pas responsables de cette installation sur notre terrain.[8]
[16] Ce sentiment s’est avéré fondé puisqu’en première instance, comme ils le réitèrent d’ailleurs en appel, les frères Pintal soutenaient que s'il y a déjà eu l’établissement d’une propriété superficiaire sur le lot 479, ce qu’ils n’admettent pas d’emblée, cet état serait de toute façon rendu à terme depuis longtemps.
[17] Sans procéder à une étude exhaustive des actes translatifs de propriété sur lesquels se fondent les parties, il y a lieu de s’attarder à certains d’entre eux en vue de mieux cerner le contexte historique inhérent à ce litige.
i) Les Dontigny
[18] Comme nous le verrons ci-après, les Dontigny sont les descendants directs de Télesphore Dontigny, un des cosignataires de l’entente. Depuis 1916, leur immeuble a toujours bénéficié d’un apport en eau venant de l'aqueduc construit sur le lot 479 (le tréfonds). À l’origine, la propriété de ce lot était celle de Nérée Toutant, un autre cosignataire de l’entente.
[19] Après le décès de monsieur Télesphore Dontigny survenu le 13 janvier 1937, conformément à ses dernières volontés[9], ses biens immeubles sont dévolus à son épouse[10]. Madame Dontigny décède à son tour le 24 avril 1948. Elle lègue à son fils Philippe Dontigny les immeubles hérités de son mari[11].
[20] Ernest et Jacques Dontigny reçoivent par donation entre vifs de leur frère Philippe différents lots hérités de sa mère[12]. L’acte notarié du 2 décembre 1948 constatant ce transfert de propriété prévoit notamment que le donateur cède à ses deux frères ses droits dans « l’installation de l’aqueduc et le service d’eau sans rémunération de loyer, à la charge d’entretenir sa part à ses (sic) frais ».
[21] Étant donné qu'Ernest est décédé le 26 juin 1966 et qu’il était prévu que, advenant le prédécès de l’un des donataires, sa part dans la donation devait retourner au donateur, Philippe s’est vu remettre la moitié des immeubles qu’il avait antérieurement cédée à ses deux frères. L’acte de transmission du 9 juin 1970[13] confirme qu’il devenait ainsi copropriétaire avec son frère Jacques des immeubles décrits à l’acte notarié de décembre 1948.
[22] Philippe lègue à ses trois filles (les intimées) le 10 octobre 1985[14] une partie des terres dont il avait lui-même héritée de sa mère. Le testament mentionne que le legs inclut « ma part d'aqueduc ».
[23] Le 16 août 1981, Denis Dontigny, le frère des intimées, achète de son oncle Jacques Dontigny[15] un emplacement voisin du lot 479 qui, à l’époque, était la propriété de Léo Toutant, fils de Nérée Toutant.
[24] En 1997, Jacques Dontigny décède et laisse aux sœurs Dontigny sa part dans la résidence sise au [...], route Sainte-Marie[16]. Elles deviennent ainsi les propriétaires à part entière de cette maison approvisionnée en eau par l’aqueduc.
[25] Le 10 mai 2006, Denis Dontigny cède sa terre à son fils Éric Dontigny[17]. Ce transfert de propriété explique son statut d’intimé en appel.
ii) Les frères Pintal
[26] Les frères Pintal ont choisi de ne pas reproduire dans leur mémoire l’ensemble de la preuve faite en première instance. Même si le dossier d’appel ne contient pas d’acte constatant une forme de dévolution des biens de Nérée Toutant à son fils Léo Toutant, on apprend tout de même à la lecture d’un acte notarié intervenu entre ce dernier et la municipalité de Champlain[18] (la « Municipalité ») que « [l]es lopins de terre présentement vendus appartiennent au vendeur [Léo Toutant] pour les avoir acquis en plus grande étendue de son père feu Nérée Toutant […] ».
[27] Léo Toutant décède le 25 mai 1986. Il lègue à son épouse Marie-Rose Dontigny et à ses huit enfants la totalité de ses biens meubles et immeubles[19]. Ces derniers ont choisi de renoncer en faveur de leur mère à la succession de leur père[20].
[28] C’est peu de temps après cette renonciation que Marie-Rose Dontigny vend à son fils Michel Toutant certaines terres héritées de son défunt mari, dont une partie du lot 479[21] sur laquelle repose l’aqueduc.
[29] Le contrat notarié constatant cette vente prévoit notamment que :
Prendre ledit immeuble sujet à toute servitude active ou passive, apparente ou occulte pouvant le concerner.
[30] Cette parcelle de terre et d’autres ont été subséquemment vendues le 31 décembre 1990 par Michel Toutant à Philippe Pintal et à Françoise Laganière[22] pour ensuite, selon les explications données par l’avocat des frères Pintal, être transférées dans une société composée de ses clients seulement.
[31] L’acte de vente du 31 décembre 1990 contient la dénonciation suivante :
Sur cette dernière terre [lot 479] se trouvent des sources naturelles d’eau où le vendeur s’approvisionne en eau et où il existe actuellement des installations pour le captage de ces sources et des réservoirs, ainsi que des tuyaux de conduite jusqu’à la résidence du vendeur [Michel Toutant].
[32] C’est le 6 août 2004 que Michel Toutant vend ses autres immeubles à sa fille Hélène Toutant[23]. Elle devient ainsi propriétaire de la résidence sise au [...], route Sainte-Marie. Cette résidence voisine de celle des sœurs Dontigny est alimentée en eau par le même aqueduc.
[33] J’ajoute à cette revue des titres de propriété pertinents une entente manuscrite intervenue entre Louis-Philippe Dontigny, Léo Toutant, Denis Dontigny et le Canadien Pacifique Limitée autorisant les premiers à construire sous les emprises détenues par la seconde une conduite d’eau de plus de 10 centimètres de diamètre reliée à l’aqueduc[24].
Le jugement entrepris
[34] Le juge conclut à l’existence d’une propriété superficiaire, en l’occurrence un aqueduc érigé sur le tréfonds situé sur le lot 479. La preuve de son établissement découlerait de l’accord tacite du tréfoncier Nérée Toutant. Le juge ajoute qu’en l’espèce l’absence de publicité ne constitue pas un obstacle à l’exercice du droit superficiaire revendiqué puisqu’il résulte d’une renonciation tacite au bénéfice de l’accession.
[35]
Il précise aussi que le droit des Dontigny de puiser de l’eau à partir
du lot 479 trouve son origine dans la loi qui prévoit les servitudes
nécessaires à l’exercice du droit superficiaire (art.
[36] Finalement, il conclut que le comportement des frères Pintal rend inévitable la délivrance d’une injonction permanente leur interdisant de nuire à l’approvisionnement en eau des Dontigny.
Les questions en litige
[37] Les moyens d’appel avancés par les frères Pintal se résument à contester les conclusions du juge quant à l’établissement d’une propriété superficiaire et à soutenir que les Dontigny ne bénéficient d’aucune servitude légale de puisage d’eau. Ils ajoutent que l’ordonnance délivrée par le juge leur interdisant de nuire à l’approvisionnement en eau des Dontigny ne se justifie pas au regard de la preuve.
analyse
i) La preuve de l’établissement d’une propriété superficiaire
[38] Il faut tout d’abord saluer la qualité et l’originalité de l’entente écrite de 1916. Selon les termes utilisés par ses rédacteurs, ces derniers ont mutuellement convenu dans un esprit de collaboration d’ériger et d’utiliser un aqueduc en vue de s’assurer d'un approvisionnement constant en eau.
[39] Cette convention ne laisse aucun doute sur la nature des rapports juridiques qu’entendaient privilégier pour l’avenir les signataires de l’entente. Sous la forme avant-gardiste d’une société en participation, les parties ont convenu que toutes les installations inhérentes à un aqueduc et l’effort nécessaire à son érection allaient être réalisés et payés à parts égales entre eux.
[40] Même si ce qui suit n’interfère pas avec le dispositif du jugement entrepris, j’estime avec égards que l’affirmation du juge selon laquelle la propriété superficiaire serait actuellement détenue par des copropriétaires indivis n’est pas conforme à la preuve. Si l’indivision du bien existant entre plusieurs personnes ne fait pas présumer de leur intention de s’associer, il n'en demeure pas moins que, selon les termes de l’entente, les signataires ont choisi de détenir une part[25] dans la Société et non de détenir par le biais de la copropriété l’aqueduc lui-même.
[41] À mon avis, cette entente est de la nature d’un véritable contrat constitutif d’une société par laquelle ses signataires ont choisi de mettre en commun les ressources nécessaires en vue d’exploiter un aqueduc et ainsi s’assurer d’un approvisionnement stable en eau.
[42] Il s’ensuit que la Société constituée par l’entente est la seule véritable détentrice du droit superficiaire contesté. Celle-ci se composait au départ de ses associés fondateurs et ensuite, selon le renouvellement de l’entente, de leurs héritiers et successeurs.
[43] Je précise au passage que l’enjeu de l’appel ne porte pas sur la qualité des rapports que les associés ont maintenus entre eux au cours de toutes ces années, ni non plus sur la manière dont la Société a été gérée, ni même l’étendue de la composition actuelle de ses sociétaires. Disons simplement aux fins de ce pourvoi qu’il ne fait aucun doute, sous l’éclairage de la preuve administrée en première instance, que les Dontigny font partie du groupe d’associés impliqués dans l’exploitation de l’aqueduc.
[44] Cela dit et sans pour autant soutenir que l'entente à elle seule établit un droit superficiaire sur le lot 479, j’estime néanmoins qu’elle contient tous les ingrédients nécessaires à l’établissement d’une propriété superficiaire.
[45] Même si le Code civil du Bas-Canada n’était pas très loquace sur la possibilité de constituer un droit de la nature d’un droit de propriété superficiaire, la jurisprudence de l’époque reconnaissait déjà cette possibilité[26]. Les auteurs s’entendent d’ailleurs pour dire que les dispositions du Code civil du Québec afférentes à la propriété superficiaire[27] sont largement inspirées de cette jurisprudence[28]. Ils n’existent donc en principe aucun obstacle juridique à ce que les prétentions des parties soient analysées sous l’éclairage des dispositions du nouveau code.
[46]
C’est l’article
1110. La propriété superficiaire résulte de la division de l'objet du droit de propriété portant sur un immeuble, de la cession du droit d'accession ou de la renonciation au bénéfice de l'accession. |
1110. Superficies results from division of the object of the right of ownership of an immovable, transfer of the right of accession or renunciation of the benefit of accession. |
[47]
En l’espèce, l’entente annonce la construction d’un ouvrage (un aqueduc)
qui doit être réalisé sur un immeuble dont la Société n’est pas la
propriétaire. C’est la situation envisagée par l’article
1011. La propriété superficiaire est celle des constructions, ouvrages ou plantations situés sur l'immeuble appartenant à une autre personne, le tréfoncier. |
1011. Superficies is ownership of the constructions, works or plantations situated on an immovable belonging to another person, the owner of the subsoil. |
[48] Même si l’entente ne contient pas les mots « renonciation au bénéfice de l’accession », sa teneur rend cette conclusion incontournable. Voici pourquoi.
[49] Les parties à l’entente avaient clairement à l’esprit l’intention de dissocier la propriété de l’aqueduc d’avec celle de l’immeuble sur lequel l’ouvrage allait être érigé. L’autorisation par Nérée Toutant de construire sur sa terre un aqueduc comportait comme corollaire sa renonciation évidente à maintenir son droit de bénéficier des avantages de l’accession sur cette partie de son immeuble.
[50] Cette renonciation me semble ici d’autant plus manifeste à la lecture de l’extrait suivant de l’entente : « Si l’un des membres de la société vend sa propriété, ce dernier s’engage à faire accepter sa part [dans la société constituée aux fins de l’établissement d’un aqueduc] et le nouveau propriétaire sera obligé comme les autres membres à payer… »[29] [je souligne]. Ce passage fait bien ressortir la volonté de Nérée Toutant à ne pas posséder sur une base individuelle l’aqueduc qui autrement aurait été adjoint accessoirement à son fonds.
[51] J’ajoute que la preuve ne fait pas voir que ce tréfoncier et ses successeurs aient pu suggérer par leur comportement au cours de toutes ces années une interprétation différente de l’entente. Il n’est donc pas nécessaire aux fins de trancher la question du droit au bénéfice de l’accession de recourir à la théorie de la renonciation tacite[30]. En l’espèce, la renonciation de Nérée Toutant est selon la teneur même de l’entente exprimée de manière on ne peut plus convaincante.
[52] L’aspect tacite de cette entente, s’il en est un, ne porterait à mon avis que sur des considérations accessoires comme l’emplacement exact de l’ouvrage sur le tréfonds, les modalités de sa construction ou encore la nature de l’entretien qu’il requiert. Or, aucune de ces considérations n’est ici en litige.
[53] La preuve fait voir que la renonciation expresse de Nérée Toutant au bénéfice de l’accession a été suivie à l’été 1916 de la mise en œuvre du projet. Des ouvrages ont été érigés sur le tréfonds, un réservoir y a été déposé, des fossés ont été creusés et des tuyaux ont été ensevelis. Tous ces travaux se sont réalisés avec l’assentiment et la participation active du tréfoncier. Une fois la construction terminée, la propriété superficiaire était de facto constituée à la mesure de son objet, soit celui de l’établissement d’un aqueduc.
[54] Je résume ainsi mon opinion sur l’aspect du pourvoi portant sur l’établissement d’une propriété superficiaire. La preuve de l’accord du tréfoncier Nérée Toutant permettant la construction d’un aqueduc sur son immeuble, tout en reconnaissant que la propriété de l’amélioration ne lui revient pas, constitue l’expression valide de sa renonciation au bénéfice de l’accession[31]. La construction qui s’en est suivie a consacré l’existence de la propriété superficiaire en cause.
[55] Ces conclusions se vérifient à partir des rapports mutuels qu’ont entretenus les parties signataires de l’entente de 1916 et, après eux, ceux de leurs successeurs. Ces personnes ont toujours vu à l’entretien de l’aqueduc. Le caractère encore fonctionnel et utile de l’ouvrage confirme cette réalité.
[56] Je suis donc d’avis que la preuve administrée en première instance a démontré sans équivoque l’existence d’une propriété superficiaire sur le lot 479.
ii) La publication de la propriété superficiaire
[57] Les frères Pintal rétorquent que de toute façon le droit superficiaire invoqué par les Dontigny ne leur est pas opposable en raison de l’absence de publicité l’entourant.
[58] Les circonstances de l’affaire ne nécessitent pas de discuter du désaccord que certains[32] entretiennent avec l’arrêt de notre Cour rendu dans Développements de Demain Inc. c. Québec (Procureur général)[33], selon lequel l’établissement d’une propriété superficiaire par autorisation tacite échappe aux règles de la publicité. La question de l’opposabilité à un tiers d’un droit non publié ne se pose pas en l’espèce, et ce, pour les raisons suivantes.
1) La connaissance des frères Pintal de l'existence de l'aqueduc
[59] La preuve en première instance fait voir que l’aqueduc a de tout temps été présent dans l’environnement des frères Pintal. Ces derniers ne pouvaient ignorer son existence et sa raison d’être, ayant eux-mêmes (ou leur famille) profité jusqu’en 1980 d’un approvisionnement en eau provenant de cette installation[34], donc bien avant de devenir propriétaires du lot 479.
[60] Il faut aussi souligner que depuis 1990 les frères Pintal en leur qualité de tréfoncier ont été les témoins passifs durant plus de 20 ans de l’utilisation de l’aqueduc et de son entretien continuel fait par ses usagers.
[61] Finalement, les frères Pintal ont eux-mêmes implicitement reconnu l'existence d’un droit superficiaire au moment de mettre en demeure les Dontigny de venir déplacer la « valve » placée sur la conduite d'eau reposant sur le tréfonds[35] :
S'il y a une valve sur la conduite d'eau, il serait important de la déplacer et la réinstaller entre l'entrée et la voie ferrée. Quand les travaux seront terminés entre le réservoir et la petite entrée s'il y a une valve, elle ne sera plus utilisable.
Nous [les frères Pintal] ne serons pas responsables de cette installation sur notre terrain.
[62]
Sous l’éclairage de ce qui précède, on ne peut donc ranger les frères
Pintal dans la catégorie des tiers. Leur connaissance intime de
l’existence de l’aqueduc, le fait qu’ils aient eux-mêmes ou leur famille
bénéficié de cette installation et les relations étroites qu’ils ont maintenues
depuis plus de 20 ans en leur qualité de tréfoncier avec les usagers de
l’aqueduc en font des parties au sens où l’entend l’article
2941. La publicité des droits les rend opposables aux tiers, établit leur rang et, lorsque la loi le prévoit, leur donne effet. Entre les parties, les droits produisent leurs effets, encore qu'ils ne soient pas publiés, sauf disposition expresse de la loi. |
2941. Publication of rights allows them to be set up against third persons, establishes their rank and, where the law so provides, gives them effect. Rights produce their effects between the parties even before publication, unless the law expressly provides otherwise. |
[Je souligne.]
[63] Ces raisons sont suffisantes pour conclure que la question de la publicité des droits ne se pose pas en l’espèce puisque les parties que sont le propriétaire superficiaire (la Société) et le tréfoncier (les frères Pintal) sont ici bien au fait de la situation entourant l’aqueduc. Mais il y a plus.
2) L’objet de la vente du 31 décembre 1990
[64] Les frères Pintal ne prétendent pas que la contenance mentionnée dans le contrat de vente du 31 décembre 1990[36] ne leur a pas été entièrement délivrée ou qu’elle soit maintenant juridiquement en péril. Plus particulièrement, ils ne plaident pas que cette vente incluait l’aqueduc situé sur le tréfonds. Or, comme je l’ai indiqué précédemment[37], Philippe Pintal s’est vu dénoncer expressément par son vendeur l’emplacement de cet ouvrage dont il connaissait déjà l’existence bien avant d’acquérir le lot 479.
[65] Il suffit de lire attentivement l’acte notarié du 31 décembre 1990 pour comprendre que le transfert de propriété de l’aqueduc n’est pas envisagé dans cette transaction. Au contraire, Philippe Pintal déclare acheter l’immeuble avec la réserve expresse « que les travaux d’entretien [de l’aqueduc] continueront d’être à la charge du vendeur [Michel Toutant], et à cet effet le vendeur pourra effectuer tous les travaux de creusage nécessaires tout le long du passage du tuyau, à charge de remettre le terrain en l’état où il se trouvait avant ces travaux, à ses frais » [je souligne][38].
[66] Il n’est donc pas utile aux fins de trancher ce pourvoi de décider si la constitution d’un droit réel est prioritaire à un autre puisqu’aucun droit de cette nature n’entre ici en conflit. En raison de ce qui précède et compte tenu du contexte particulier dans lequel s’inscrit le présent débat, la question de la publicité du droit superficiaire devient, du moins à l’égard des parties, purement théorique.
3) Servitude versus propriété superficiaire
[67] Il est vrai cependant que le vendeur Michel Toutant s’est aussi vu reconnaître dans l’acte de vente de décembre 1990 une servitude de puisage d’eau. Certains pourraient y voir une contradiction entre ce démembrement du droit de propriété et la modalité de ce droit que constitue le droit superficiaire. Pourtant, il n’en est rien.
[68] Une lecture adéquate de l'acte notarié établissant la servitude fait bien voir que ce droit ne vient pas contredire l’existence de la propriété superficiaire[39]. En l'espèce, la servitude de puisage d'eau établie au bénéfice de l’immeuble de Michel Toutant porte sur les sources d'eau émergeant du fonds servant devenu la propriété des frères Pintal. Le droit superficiaire quant à lui concerne un aqueduc servant à capter ces eaux, lequel est érigé sur le tréfonds.
[69] Ici, le vendeur Michel Toutant a tout simplement voulu jouer de prudence en ne présumant pas de la portée réelle du droit superficiaire en cause et des servitudes implicites qu’il comporte. Il s’assure ainsi de détenir, d’une part, un droit distinct de puisage d’eau sur le tréfonds (la servitude) et, d’autre part, un droit protégeant sa distribution (le droit superficiaire)[40], le premier n’empiétant jamais sur le second. Compris de cette manière, le contrat de vente ne fait que décrire deux droits réels distincts qui se côtoient sans jamais se contredire.
[70] Je tiens à ajouter qu’à mon avis cette servitude de puisage d’eau me semble de toute façon inutile dans la mesure où le droit de superficie en cause comporte implicitement le droit de puiser de l’eau. Autoriser la construction d’un aqueduc sans garantir son approvisionnement en eau revient à conférer au propriétaire superficiaire un droit de propriété dépouillé de l’un de ses attributs le plus fondamental, en l’occurrence l’usus.
[71]
Je partage donc la conclusion du juge selon laquelle, à défaut d’avoir
été réglé dans ses moindres détails par l’entente de 1916, l’établissement de
la propriété superficiaire inclut toutes les servitudes nécessaires à
l’exercice du droit de superficie invoqué par les Dontigny. C'est ce que
prévoit l’article
1111. Le droit du propriétaire superficiaire à l'usage du tréfonds est réglé par la convention. À défaut, le tréfonds est grevé des servitudes nécessaires à l'exercice de ce droit; elles s'éteignent lorsqu'il prend fin. |
1111. The right of the superficiary to use the subsoil is governed by an agreement. Failing agreement, the subsoil is charged with the servitudes necessary for the exercise of the right. These servitudes are extinguished upon termination of the right. |
iii) Le maintien du droit de propriété superficiaire
[72] Les frères Pintal soutiennent que de toute façon le droit superficiaire invoqué par les Dontigny se serait éteint en raison de l’arrivée à terme de l’entente.
[73] Je remarque qu’aux fins de cet argument les frères Pintal ne contestent plus le fait qu’une propriété superficiaire a été constituée en 1916. Ils plaident maintenant que le juge de première instance « aurait dû conclure que la propriété superficiaire est arrivée à terme après avoir été dévolue à la première génération des membres signataires de la société […] »[41].
[74] Les frères Pintal ont tort de soutenir que l'entente contient un terme implicite consistant à restreindre dans le temps le service d'aqueduc qu'à ses signataires et à « leur fils héritier ».
[75] Cet argument est nettement contredit par la participation de Denis Dontigny, petit-fils de Télesphore Dontigny, à l’entente intervenue le 1er mars 1984 avec le Canadien Pacifique[42]. Denis, qui détenait un intérêt dans la Société en raison de l’achat d’un lopin de terre acquis en 1981 de son oncle Jacques Dontigny, n’est manifestement pas le « fils héritier » de son aïeul Télesphore Dontigny.
[76] Il faut aussi savoir que l’un des signataires de cette entente est Léo Toutant, un des auteurs des frères Pintal. Sa participation à cet accord fait bien voir que les sociétaires de l’époque n’ont jamais partagé l’interprétation restrictive de l’entente proposée par les appelants.
[77] L’accord avec le Canadien Pacifique illustre éloquemment l’évolution au fil du temps de cette entente qui s’est toujours renouvelée en dépit du décès des associés fondateurs. Des héritiers de la troisième génération en sont devenus parties prenantes sans jamais voir leur statut d’associé contesté.
[78] D’ailleurs, l’entente de 1916 prévoit expressément la possibilité pour d'autres propriétaires d’immeubles voisins de profiter de l'aqueduc avec le consentement des associés actuels.
[79] Finalement, les frères Pintal ne font pas voir que la condition de l'ouvrage ou la renonciation par les associés à l'utiliser indiquerait que la propriété superficiaire est rendue à terme. En l'espèce, il n'y a pas ici la preuve d'un « retour de l'aspect matériel du droit d'accession entre les mains du propriétaire »[43], l’aqueduc étant toujours en service.
iv) L’interdiction de nuire à l’approvisionnement en eau des Dontigny
[80] Les frères Pintal s’en prennent à la conclusion suivante du jugement :
[66] ORDONNE aux défendeurs de ne poser aucun geste qui aurait pour effet de diminuer l’approvisionnement d’eau potable par des travaux ou des modifications sur ou près du système d’aqueduc situé sur les lots 4 504 216 et 4 503 924 du cadastre de Québec, circonscription foncière de Champlain, alimentant les résidences des demandeurs portant les nos civiques [...] et [...] route Sainte-Marie à Champlain, sans obtenir leur accord, la présente ordonnance étant exécutoire nonobstant appel.
[81] Ils estiment que cette ordonnance est excessive et que leur comportement n’a jamais mis en péril l’approvisionnement en eau des Dontigny.
[82] Cet argument fait appel à l’appréciation de la preuve acceptée par le juge. Celle-ci fait voir que Denis Dontigny[44] a été l’objet de propos désobligeants de la part des frères Pintal concernant son utilisation de l’aqueduc. Il y a eu aussi la preuve de travaux nocturnes près du réservoir. Ce faisant, les frères Pintal empiétaient sans droit sur la propriété superficiaire. Mais, il y a plus.
[83] L’avocat des frères Pintal n’a pas caché, lors de l’audition d’appel, que ses clients souhaitaient détourner les sources d‘eau émergeant du lot 479 et dont l’origine pourrait se trouver sur un lot voisin, ce que la preuve n’a cependant pas démontré.
[84] Sous l’éclairage de ce qui précède, la délivrance d'une ordonnance enjoignant aux frères Pintal de maintenir en tout temps l'approvisionnement en eau provenant de l’aqueduc était justifiée, compte tenu plus particulièrement de leurs propos inquiétants indiquant qu’ils souhaitent mettre fin à cet approvisionnement.
[85] Aussi, je ne vois pas en quoi les frères Pintal considèrent être traités injustement par l’ordonnance contestée, alors que Philippe Pintal s’est engagé par contrat à ne pas contrarier la possession d’un autre utilisateur de l’aqueduc, en l’occurrence Michel Toutant[45] ainsi que celle de sa successeure Hélène Toutant.
[86] En somme, le respect par les frères Pintal de l’ordonnance délivrée par la Cour supérieure au bénéfice des Dontigny n’est pas plus contraignant que leur engagement volontaire à ne pas troubler l’approvisionnement en eau des autres utilisateurs de l’aqueduc.
conclusion
[87] Les frères Pintal demandaient à la Cour, le cas échéant, de se prononcer sur leur droit dans la propriété superficiaire. Lors de l’audition d’appel, leur avocat s’est désisté de cette demande.
[88] Au final, je suis d’avis que la preuve a démontré la constitution d’une propriété superficiaire détenue par une société dans laquelle sont associés les Dontigny. Je suis également d’avis que la conclusion de nature injonctive, contestée par les frères Pintal, reposait sur une interprétation raisonnable de la preuve et qu’il n’y a pas lieu pour notre Cour d’intervenir sous ce rapport.
le litige entourant le lot 677 (Appel no 200-09-008100-130)
[89] Les frères Pintal avancent que certains des commentaires écrits du juge au moment de trancher la demande des sœurs Dontigny d'être déclarées propriétaires du lot 677, même si celle-ci a été rejetée, risquent tout de même de leur causer des difficultés pour l’avenir dans l’exercice de leur droit de propriété sur ce lot.
[90] Ils ajoutent que le juge a erré en rejetant leur demande reconventionnelle par laquelle ils recherchaient le remboursement des coûts encourus pour la remise en état du chemin traversant le lot 677, tel qu’ordonné par deux injonctions délivrées par la Cour supérieure les 22 avril et 25 juin 2010[46].
[91] Pour leur part, les sœurs Dontigny demandaient à la Cour supérieure de :
1.- les déclarer propriétaires d’une bande de terrain constituée d’un chemin privé qu’elles utilisent ainsi que leur parenté, leurs amis et leurs fournisseurs pour se rendre à leur résidence, située au [...] chemin Sainte-Marie, à partir du nouveau chemin Sainte-Marie[47].
[92] Se portant appelantes incidentes, les sœurs Dontigny soutiennent que leur auteur Philippe Dontigny se serait vu remettre par la Municipalité la propriété de la bande de terrain litigieuse identifiée comme étant le lot 677. Étant les légataires universelles de Philippe Dontigny, elles avancent être les seules propriétaires de cette bande de terrain.
a) l’appel principal
[93] Les frères Pintal estiment que le juge n’avait pas à se prononcer sur la valeur de leur droit de propriété du lot 677 aux fins de trancher la demande des sœurs Dontigny. Ils ajoutent que la validité de la vente constatée par l’acte notarié du 19 septembre 2006 intervenu entre eux et la Municipalité ne pouvait être remise en question sans que cette dernière intervienne pour défendre la qualité du titre transféré par elle.
[94] Ils s’en prennent particulièrement aux passages suivants du jugement entrepris :
[30] En ce qui concerne le chemin, le Tribunal en vient à la conclusion que ce sont les Toutant qui en sont devenus propriétaires en 1954 par le seul effet de la loi, en application de l’enseignement à tirer du jugement de l’honorable Claude Gagnon précité, fort bien motivé; comme ils ne l'ont pas cédé au printemps en 1990 aux Pintal, tel que l’a admis leur procureur à l’audition, ils en sont restés propriétaires.
[…]
[46] Néanmoins, le présent jugement ne pourra être interprété comme une licence accordée aux Pintal en regard du chemin; ce ne sont que les véritables propriétaires, les Toutant, qui pourraient modifier l’état des lieux; bien entendu, la demande des Pintal pour obliger les Dontigny à leur rembourser les coûts de remise en état du chemin à la suite de l'ordonnance de l'honorable Étienne Parent ne sera pas accueillie.
[47] Par ailleurs, le Tribunal ne pourra non plus faire droit à la demande des sœurs Dontigny pour que soit déclarée nulle la vente de bande de terrain située entre l’ancien chemin Sainte-Marie et leur résidence (située entre les points A et B sur le plan CD-3) aux Pintal, bien que tel soit le cas, parce que la Municipalité, partie à l’acte de transfert, n’a pas été mise en cause en l’instance.[48]
[Je souligne.]
[95] Le juge a fait droit à la contestation des frères Pintal. En principe, la partie victorieuse n’a pas intérêt à se pourvoir contre le dispositif d'un jugement qui lui donne raison.
[96] Cela dit, les remarques du juge dénoncées par les frères Pintal ne peuvent avoir pour conséquence de modifier dans sa teneur et sa force probante l’acte notarié du 19 septembre 2006 dont le juge a d’ailleurs refusé de prononcer la nullité.
[97] En ce qui a trait à la demande des frères Pintal pour le remboursement des frais encourus pour la remise en état du chemin qu’ils ont eux-mêmes obstrué, elle est manifestement mal fondée.
[98] La remise en état résulte de deux ordonnances délivrées par la Cour supérieure[49] contre lesquelles les frères Pintal n’ont jamais tenté de se pourvoir. Par ailleurs, ils n’ont pas non plus allégué que les sœurs Dontigny avaient agi de mauvaise foi et la preuve n'a pas révélé que les ordonnances contestées ont été délivrées sur la base d’informations fausses ou trompeuses.
[99] Dans ces circonstances, il est difficilement concevable de retenir la responsabilité des sœurs Dontigny pour avoir exigé de leurs adversaires de respecter les ordonnances de cour délivrées contre eux[50].
b) L’appel incident
[100] Aux fins de leur appel incident, les sœurs Dontigny font reposer leurs prétentions sur une résolution adoptée par la Municipalité le 2 novembre 1954. Elle est ainsi rédigée :
Attendu que par suite de la construction de la nouvelle route Ste-Marie une partie de l’ancienne route est demeurée jusqu’ici la propriété de la Municipalité;
Attendu que cette partie restante pourrait être considérée comme faisant partie de la route Ste-Marie rénovée,
Il est proposé par M. Paul Gouin secondé par M. Joseph Pintal que ladite partie restante de l’ancienne route Ste-Marie soit à l’avenir la propriété de M. Ls Philippe Dontigny et que la nouvelle route Ste-Marie soit la seule municipalisée. Adopté à l’unanimité.[51]
[101] Cette résolution n’a jamais été suivie par un acte formel décrétant le transfert de propriété de la « partie restante de l’ancienne route Ste-Marie ». En fait, la preuve fait plutôt voir que Philippe Dontigny s’est désintéressé de cette bande de terrain en ne demandant pas à la Municipalité de lui consentir un titre valable.
[102] Cette dernière ne s’étant jamais départie de la propriété du tronçon de route litigieux, elle a plutôt choisi de le céder par acte notarié aux frères Pintal[52] le 19 septembre 2006.
[103] Or, ce n’est que le 26 mars 2012 que les sœurs Dontigny ont demandé pour la première fois dans leur requête introductive d’instance la nullité de l’acte notarié du 19 septembre 2006. La requête est silencieuse sur les conditions donnant ouverture à cette conclusion. On se contente d’y affirmer que les sœurs Dontigny détiennent un droit prioritaire sur la bande de terrain litigieuse obtenu prétendument par prescription. Or, cette prétention ne remet nullement en cause la légalité de l’acte passé entre la Municipalité et les frères Pintal.
[104] Par ailleurs, les sœurs Dontigny n’affirment pas que la Municipalité ait omis de respecter une quelconque formalité administrative avant que son représentant signe l’acte de transfert de propriété de septembre 2006.
[105] Finalement, la Municipalité n’a pas été mise en cause en première instance ni non plus en appel. Pourtant, cette partie serait susceptible d’être intéressée dans le débat proposé par les sœurs Dontigny dans la mesure où la qualité du titre transféré est contestée par ces dernières. Dans ces conditions, nul doute que la participation de la Municipalité est nécessaire pour une solution complète du litige.
[106] Le juge n’a donc pas erré en refusant d’annuler l’acte notarié du 19 septembre 2006 aux motifs « que la Municipalité, partie à l’acte de transfert, n’a pas été mise en cause en l’instance »[53].
Conclusions générales
[107] Pour ces motifs, je propose de confirmer le dispositif du jugement de première instance rendu dans le dossier de la Cour supérieure portant le numéro 400-17-002562-110 (C.A. 200-09-008099-134) et de rejeter l’appel avec dépens.
[108] Concernant l’appel dans le dossier de la Cour supérieure portant le numéro 400-17-002153-100 (C.A. 200-09-008100-130), sans souscrire à tous les motifs du juge de première instance, je suis d’avis que l’intervention de la Cour ne saurait être recherchée pour les raisons alléguées par les frères Pintal et que leur appel doit en conséquence être rejeté avec dépens. J’en viens à la même conclusion quant à l’issue à privilégier pour l’appel incident.
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GUY GAGNON, J.C.A. |
[1]
Dontigny c. Pintal,
[2] Dossier C.S. 400-17-002562-110 et C.A. 200-09-008099-134.
[3] Dossier C.S. 400-17-002153-100 et C.A. 200-09-008100-130.
[4] Voir notamment les paragraphes 30, 46 et 47 du jugement entrepris.
[5]
Dontigny c. Pintal,
[6] Contrat sous seing privé daté du 26 février 1916 intervenu entre J. Gustave Pintal, Octave Dontigny, Nérée Toutant et Télesphore Dontigny, Pièce OP-7.
[7] Contrat de vente notarié intervenu le 31 décembre 1990 entre Michel Toutant, Philippe Pintal et Françoise Laganière, Pièce CD-15 (ci-après le « Contrat de vente du 31 décembre 1990 »).
[8] Lettre du 22 juillet 2011 signée par Philippe Pintal, Pièce OP-14.
[9] Testament de Télesphore Dontigny du 13 mars 1918, Pièce OP-19.
[10] Acte de transmission en faveur de Marie-Anne Dubord daté du 10 février 1937, Pièce OP-22.
[11] Acte de transmission en faveur Philippe Dontigny daté du 15 mai 1948, Pièce OP-25.
[12] Acte de donation intervenu entre Philippe Dontigny, Ernest Dontigny et Jacques Dontigny daté du 2 décembre 1948, Pièce OP-26.
[13] Acte de transmission en faveur de Philippe Dontigny daté du 9 juin 1970, Pièce OP-27.
[14] Testament de Philippe Dontigny daté du 10 octobre 1985, Pièce OP-10.
[15] Acte de vente entre Jacques Dontigny et Denis Dontigny daté du 16 août 1981, Pièce CD-17.
[16] Acte de transmission notarié des biens de Jacques Dontigny à Denise, Rita et Annette Dontigny daté du 11 avril 1997, Pièce OP-1.
[17] Acte de donation notarié entre Denis Dontigny et Éric Dontigny daté du 23 mai 2006, Pièce OP-2.
[18] Acte de vente entre la municipalité de Champlain et Léo Toutant daté du 9 mars 1951, Pièce CD-18.
[19] Acte de transmission daté du 22 juillet 1986, Pièce CD-19.
[20] Acte de renonciation et de transmission daté du 23 septembre 1986, Pièce CD-13.
[21] Acte de vente entre Marie-Rose Dontigny et Michel Toutant daté du 23 septembre 1986, Pièce CD - 20.
[22] Contrat de vente du 31 décembre 1990, supra, note 7.
[23] Acte de vente notarié entre Michel Toutant et Hélène Toutant daté du 6 août 2004, Pièce OP-3.
[24] Contrat entre le Canadien Pacifique Limitée, Louis-Philippe Dontigny, Léo Toutant et Denis Dontigny daté du 1er mars 1984, Pièce OP-17 (ci-après le « Contrat du 1er mars 1984 »).
[25] Voir notamment le libellé de la clause 5 de l’entente, paragr. [13]. Voir aussi le testament de Philippe Dontigny qui lègue sa « part d’aqueduc », supra, note 14.
[26]
Voir notamment Gulf Power Company c. Habitat Mon pays,
[27] Code civil du Québec, art., 1110 à 1118.
[28]
François Frenette,
[29] L'entente, supra, note 6, clause 5.
[30]
Pierre-Claude Lafond,
[31]
Sylvio Normand,
[32]
François Frénette, « Revue sélective de jurisprudence 2004.
Biens »,
[33]
Développements de Demain Inc. c. Québec (Procureur général),
[34] Voir Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 9 en référence à la note de bas de page no 4 à laquelle renvoie ce paragraphe.
[35] Mise en demeure datée du 3 août 2011, Pièce OP-15.
[36] Voir paragr. [14] des présents motifs.
[37] Voir paragr. [31] des présents motifs.
[38] Contrat de vente du 31 décembre 1990, supra, note 7.
[39] François Frenette, La propriété superficiaire, supra, note 28, p. 4, paragr. 1.3.
[40] À ce chapitre, la preuve contient plusieurs indices selon lesquels Michel Toutant serait un associé de la Société d’aqueduc.
[41] Mémoire des appelants, paragr. 38.
[42] Contrat du 1er mars 1984, supra, note 24.
[43]
Sylvio Normand,
[44] Le père d’Éric Dontigny ainsi que le frère de Denise, Rita et Annette Dontigny.
[45] Contrat de vente du 31 décembre 1990, supra, note 7.
[46] Dontigny c. Pintal, C.S. Trois-Rivières, no 400-17-002153-100, 22 avril 2010, j. Legris, paragr. 16 (« Injonction provisoire »); Dontigny c. Pintal, C.S. Trois-Rivières, no 400-17-002153-100, 25 juin 2010, j. Parent, paragr. 70 (« Injonction interlocutoire »).
[47] Jugement entrepris, paragr. 2.
[48] Jugement entrepris, paragr. 30, 46 et 47.
[49] Injonction provisoire, supra, note 46; Injonction interlocutoire, supra, note 46.
[50] Danielle Ferron, Mathieu Piché-Messier et Lawrence A. Poitras, L’injonction et les ordonnances Anton Piller, Mareva et Norwich, Montréal, LexisNexis, 2008, p. 97.
[51] Résolution datée du 2 novembre 1954, Pièce CD-9 et Pièce CP-4.
[52] Cession entre la municipalité de Champlain et Philippe, Claude et Benoît Pintal datée du 19 septembre 2006, Pièce CD-11.
[53] Jugement entrepris, paragr. 47.
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