Restaurants Canada c. Ville de Montréal |
2019 QCCS 4549 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-095287-168 |
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DATE : |
30 octobre 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
MARC ST-PIERRE, J.C.S. |
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RESTAURANTS CANADA |
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Demanderesse |
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c. |
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VILLE DE MONTRÉAL |
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Défenderesse |
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LES ROTISSERIES ST-HUBERT LTÉE |
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ENTREPRISES CARA LIMITÉE |
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9226-2443 QUÉBEC INC. |
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RESTAURANT MACGEORGE INC. |
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GROUPE TDL CORPORATION |
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9073-0722 QUÉBEC INC. |
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LES RESTAURANTS MCDONALD DU CANADA LIMITÉE |
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SERVICES ALIMENTAIRES A&W DU CANADA |
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           Intervenantes |
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LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC |
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           Mise en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Une association de restaurateurs appuyée des franchiseurs membres et de franchisées opérant dans le domaine du fast food attaquent certaines dispositions de deux règlements de zonage de l'arrondissement Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce de la ville de Montréal limitant - sévèrement - l'implantation de nouveaux établissements du type "restaurant rapide"[1].
[2] Ils invoquent que les dispositions concernées dans le règlement introduisant ces modifications sont illégales en ce qu'elles visent à réglementer les habitudes de consommation des citoyens, plus particulièrement des enfants fréquentant des écoles dans l'arrondissement, ce qu'une municipalité ne peut pas faire par le biais de la Loi sur l'aménagement et le territoire et, donc, par un règlement de zonage.
[3] Elles (les dispositions) seraient en plus selon les mêmes personnes discriminatoires parce que créant des distinctions entre des commerces de même catégorie, des restaurants; l’association et les franchiseurs et franchisées relèvent aussi qu'à cause de la définition de "restaurant rapide" dans les règlements, une discrimination est créée entre ceux qui offrent un service aux tables par rapport à ceux qui ne le font pas, même lorsque c’est la même nourriture; accessoirement, ils demandent que les dispositions relatives au service au volant introduites dans les règlements soient aussi annulées parce que liées à celles relatives à la notion de "restaurant rapide".
[4] La ville de Montréal qui a pris la défense des règlements plaide que d'autres considérations - parfaitement légales - sont à l'origine des restrictions imposées par les règlements; par ailleurs, la ville soumet que, par essence, un règlement de zonage est discriminatoire, en fonction de ses objectifs; d’autre part, les dispositions relatives au service au volant ne sont pas liées uniquement à celles relatives à la notion de "restaurant rapide"; la ville plaide aussi que les procédures de l’association n'ont pas été intentées dans un délai raisonnable.
[5] La cour est d'avis que l'arrondissement avait parfaitement le droit de réglementer les commerces qu'elle appelle dans les règlements "restaurant rapide" en vertu de ses pouvoirs généraux.
[6] L’argument de l'association, des franchiseurs et des franchisées voulant que les règlements soient discriminatoires parce que l’arrondissement appliquerait un traitement différent aux autres restaurants que les fast food ou aux restaurants de type fast food entre eux, ceux offrant un service aux tables par rapport aux autres pour une nourriture pourtant identique, si tant est qu’un tel argument est présenté, n’est pas non plus retenu, l’arrondissement ayant discriminé raisonnablement en vertu de ses pouvoirs de zonage.
[7] La cour signale aussi qu'elle n'en serait pas venue à la conclusion que la réglementation relative au service au volant est liée uniquement à la notion de "restaurant rapide", parce qu’elle vise aussi, entre autres, des guérites de stationnement, en sorte qu'il n'y aurait pas eu annulation des dispositions pertinentes du règlement à cet égard même si celles relatives au "restaurant rapide" avaient été déclarées nulles.
[8] Finalement, le recours de l'association n'avait pas à être intenté dans les trente (30) jours de l'adoption du règlement comme le soutient la ville, en sorte que le pourvoi en contrôle judiciaire de l'association n'est pas aux yeux du tribunal irrecevable.
[9] C'est le 24 mars 2016 qu'est entré en vigueur le règlement RCA15 17255 introduisant des modifications à deux règlements de zonage dans Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce quant à des limitations à l'implantation de restaurants rapides.
[10] La directrice de l'aménagement urbain et des services aux entreprises de l'arrondissement est venue expliquer à l’audience qu'à la suite de l'obtention de son poste en octobre 2014, une réunion a été tenue avec les élus pour discuter de la présence des fast food à proximité des écoles.
[11] La directrice a expliqué aux élus qu'il n'était pas possible d'intervenir sur l'alimentation par le biais de la Loi sur l'aménagement et le territoire; cependant, elle a reçu le mandat de regarder ce qui pouvait être fait par d'autres moyens "au niveau de l'urbanisme (et/ou) de l'aménagement" pour éloigner les restaurants rapides des écoles.
[12] Un mandat a été donné à un professionnel du service qui, en collaboration avec une équipe de plusieurs personnes, a procédé à l’exécution du mandat.
[13] Le professionnel produit un rapport appelé Sommaire décisionnel approuvé par la directrice le 27 octobre 2015; ce rapport comprend les passages suivants :
En décembre 2012, dans le cadre de l'élaboration du Plan de développement de Montréal, l'arrondissement a accueilli ses citoyens lors de deux soirées d'échanges et de discussion sur la notion de "quartier en santé" et son impact sur l'aménagement du territoire. Des consensus ont émergé autour de sujets porteurs tels la canopé (le couvert forestier), la présence de jardins communautaires, l'accès à des aliments sains, l'importance d'augmenter la part modale du transport collectif et actif, la présence de services et commerces à distance de marche, l'augmentation du verdissement, la présence de marchés publics, la lutte aux îlots de chaleur, la plantation d'arbres, l'augmentation du nombre de toits verts, gris ou blancs, l'agriculture urbaine, etc.
À titre d'exemple, se limiter à bannir les restaurants autour des écoles s'avérerait moins structurant que si l'arrondissement encourageait, par son règlement d'urbanisme, le transport en bicyclette, l'autopartage, l'ouverture de centres d'activités physiques, l'accès à des aliments frais, l'agriculture urbaine, la préservation des commerces de proximité ainsi que la prévention de l'effet des îlots de chaleur sur la santé des groupes de personnes vulnérables tels les enfants, les personnes âgées et les personnes atteintes d'une maladie chronique.
Afin de limiter l'implantation des restaurants rapides et leurs conséquences néfastes sur la santé de la population, il est proposé de les limiter à trois secteurs. Cette proposition est conséquente avec l'objectif suivant qui encadre le service au volant. Deux secteurs où la prédominance de l'utilisation de l'automobile (circulation de transit) et l'existence de restaurants rapides sont jugées pertinentes, soit l'axe de l'autoroute Décarie entre Queen-Marie et la rue Vézina et l'axe de la rue Saint-Jacques entre l'avenue Benny et l'avenue West Broadway. La Plaza Côte-des-Neiges est également propice aux restaurants rapides puisque la zone alimentaire a été conçue afin d'accueillir ce type de restaurants. Ainsi, les restaurants rapides seraient limités à certains secteurs propices à cet usage, tout en étant isolés d'un nombre important d'artères commerciales au cœur des quartiers et d'écoles.
                                                              [Soulignés ajoutés par le soussigné]
[14] Une assemblée publique de consultation se tient le lendemain, 28 octobre 2015; c'est le professionnel qui a préparé le Sommaire décisionnel[2] qui fait la présentation du projet de règlement.
[15] Le 2 novembre 2015, un avis de motion au conseil d'arrondissement adopte le projet de règlement :
D'adopter, tel que soumis, le projet de règlement RCA15 17255 modifiant le Règlement d'urbanisme de l'arrondissement de Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce (01-276), le Règlement d'urbanisme d'une partie de l'arrondissement de Mont-Royal (01-281) et le Règlement d'occupation et certains permis (R.R.V.M. c. C-3.2) afin de promouvoir la santé et les saines habitudes de vie, puis mandater le secrétaire d'arrondissement pour tenir une séance publique de consultation.
                                                              [Soulignés ajoutés par le soussigné]
[16] Le 24 novembre 2015, à la suite d'un avis donné le 11 novembre 2015 par la secrétaire d'arrondissement, se tient l'assemblée publique relative au projet de règlement adopté le 2 novembre 2015; cet avis comprend le passage suivant :
QUE l'objet de ce projet de règlement vise à poursuivre les efforts de l'arrondissement en matière de promotion de la santé et des saines habitudes de vie par l'intégration de nouvelles dispositions aux règlements d'urbanisme qui auront des effets directs sur l'aménagement de son territoire et, indirectement, sur la santé et le bien-être général de sa population. Ces modifications se déclinent en neuf objectifs ayant tous comme considération première la volonté d'agir sur les déterminants de la santé, favoriser l'utilisation du vélo, inciter aux transports alternatifs à l'auto à proximité des pôles de transport collectif, favoriser une saine alimentation, réduire les déplacements en voiture, rationaliser l'utilisation de la voiture, promouvoir l'activité physique, favoriser l'accès à des aliments frais, préserver les commerces de proximité et prévenir l'effet des îlots de chaleur sur la santé des groupes de personnes vulnérables.
                                                              [Soulignés ajoutés par le soussigné]
[17] Le 18 janvier 2016, le conseil d'arrondissement adopte un second projet de règlement (modifié) de la façon suivante :
D'adopter, avec changements, le second projet de règlement RCA15 17255 modifiant le Règlement d'urbanisme de l'arrondissement de Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce (01-276), le Règlement d'urba-nisme d'une partie de l'arrondissement de Mont-Royal (01-281) et le Règlement sur le certificat d'occupation et certains permis (R.R.V.M., c. C-3.2) afin de promouvoir la santé et les saines habitudes de vie.
                                                              [Soulignés ajoutés par le soussigné]
[18] Le 15 février 2016, le règlement est adopté de façon définitive; le tribunal reproduit l'Extrait authentique du procès-verbal d'une séance du conseil d'arrondissement :
ATTENDU
QUE le règlement suivant a été précédé d'un avis de motion donné à la séance
ordinaire de conseil tenue le 2 novembre 2015, conformément à l'article
ATTENDU QUE le premier projet de règlement a été adopté à la séance ordinaire du conseil tenue le 2 novembre 2015;
ATTENDU QU'une assemblée publique de consultation a été tenue le 24 novembre 2015 sur ce projet de règlement;
ATTENDU QUE le second projet de règlement a été adopté à la séance ordinaire du conseil tenue le 18 janvier 2016;
ATTENDU QU'aucune demande d'approbation référendaire à l'égard de ce projet de règlement n'a été reçue en temps opportun.
Il est proposé par Marvin Rotrand
Appuyé par Russell Copeman
                   Lionel Perez
D'adopter, tel que soumis, le Règlement RCA15 17255 modifiant le Règlement d'urbanisme de l'arrondissement de Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce (01-276), le Règlement d'urbanisme d'une partie de l'arrondissement de Mont-Royal (01-281) et le Règlement sur le certificat d'occupation et certains permis (R.R.V.M., c. C-3.2) afin de promouvoir la santé et les saines habitudes de vie.
(…)
ADOPTÉE À L'UNANIMITÉ
                                                              [Soulignés ajoutés par le soussigné]
[19] Le règlement entre en vigueur le 24 mars 2016; il comprend une définition de "restaurant rapide" qui est identifiée par trois (3) caractéristiques particulières, à savoir la prédominance de contenants, emballages ou assiettes jetables dans lesquels les repas sont servis, la consommation sur place et l'absence de service aux tables.
[20] Le règlement comprend d'autres mesures comme la réduction des îlots de chaleur, l'augmentation du pourcentage de verdure dans les cours des propriétés et la plantation d'arbres.
[21] Par ailleurs, les modifications ont eu pour effet d'impacter sérieusement les franchiseurs :
· MacDonald a six (6) restaurants, dont deux (2) n'offrent pas le service aux tables; un seul des restaurants, qui offre le service aux tables, se situe dans la zone permise, sur le tronçon de la rue Saint-Jacques identifié par le règlement;
· Tim Hortons a treize (13) succursales dans l’arrondissement; la chaîne avait un plan de développement de trois (3) succursales qui a été stoppé suite à l'adoption du règlement;
· Recipe Unlimited Corporation[3] a trois (3) établissements dans le secteur, un St-Hubert sur la rue Côte-des-Neiges, avec service aux tables, et deux (2) Harveys, l'un sur Côte-des-Neiges et l'autre sur Décarie - il n'y a pas de service aux tables chez Harveys; les trois (3) établissements sont en dehors de la zone permise;
· A&W a quatre (4) restaurants dans l’arrondissement, dont un avec service au volant dans la zone permise; la chaîne avait un plan d'expansion qui ne pourra se concrétiser.
[22] Les représentants des chaînes de restaurants rapides ont expliqué qu'en plus d'entraver leur plan d'expansion, les modifications les placent en otage des propriétaires d'immeubles où sont situés les établissements, la très grande majorité de ceux-ci étant situé dans un immeuble où le franchisé n'est pas propriétaire.
[23] Ainsi, parce que le franchisé ne peut plus déménager, il est à la merci d'augmentations de loyer exorbitantes exigées par le propriétaire au renouvellement du bail; ça aurait aussi un effet sur la valeur de la franchise.
[24] Restaurants Canada a considéré qu'il n'y avait plus de discussion possible après l'adoption du règlement et que le seul recours possible était celui des tribunaux; les procédures ont été timbrées et signifiées à la ville de Montréal le 25 août 2016.
[25] À la suite de la signification des procédures, plusieurs chaînes de restaurants sont intervenues au soutien de la position de l'association.
1. Est-ce que l'arrondissement avait le pouvoir de contrôler et de réglementer l'expansion du fast food sur son territoire ?
2. Est-ce que le recours de l'association a été intenté dans un délai raisonnable en sorte que si le règlement traduisant les modifications est intra vires, elle ne puisse pas, non plus que les franchiseurs et franchisées intervenus au dossier, présenter un moyen additionnel relatif au caractère discriminatoire des règlements de zonage tels que modifiés ?[4]
3. Est-ce que les règlements tels que modifiés sont discriminatoires en ce sens qu'ils créent des distinctions inexplicables à l'intérieur d'une même catégorie de commerces ?
4. Est-ce que la notion de "service au volant" introduite dans les deux (2) règlements est rattachée uniquement à la notion de "restaurant rapide" ?
Première question
[26] Le tribunal ne peut suivre la demanderesse et les intervenantes lorsqu’elles plaident que l’arrondissement n’avait pas le pouvoir de réglementer l’alimentation sur son territoire; la jurisprudence qu’elles ont produite n’appuie pas leur point de vue.
[27] Il est vrai que dans Eng v. Toronto (City)[5], sur lequel la demanderesse et les intervenantes insistent le plus, la SUPERIOR COURT OF JUSTICE (d’Ontario) a décidé que la ville ne pouvait pas édicter un règlement interdisant la possession, la vente et la consommation d’ailerons de requins sur l’ensemble de son territoire parce que le règlement n’est pas un règlement pour un "municipal purpose respecting the health of persons in the City"[6].
[28] Après avoir référé à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d'arrosage) c. Hudson (Ville)[7], le juge Spence écrivait qu’il doit y avoir un problème qui engage la communauté dans son entité locale "not [only as] a member of the broader politic"[8].
[29] Le tribunal reproduit ici le paragraphe dans lequel la juge Spence s’explique quant à son intervention :
[74] The offensive practice in the present case - shark finning - does not occur in the City. Some Torontonians undoubtedly hold “the social and environmental values” to which the City refers in its submissions. But, whether or not the By-law gives voice to such values is not the test stated in the Act. The test in this regard is whether the By-law has a municipal purpose that relates to “the social well-being of the City”. The phrase “social well-being of the City” is not defined in the Act and no case law on the question has been cited. The phrase must refer to the ability of the inhabitants of the City to live together in the City as an urban society. There is nothing to suggest that the offensive practice of shark-finning in distant oceans affects the ability of Torontonians to live together as an urban community. For this reason, it cannot be considered to relate to their social well-being.
[30] Néanmoins, la situation en la présente espèce paraît davantage assimilable aux circonstances dans l’affaire Spraytech[9] sur lequel le jugement dans Eng[10] s’appuie et que la demanderesse et les intervenantes invoquent également à l’appui de leurs prétentions.
[31] Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a confirmé le jugement de la Cour supérieure et de la Cour d’appel ayant rejeté la procédure de Spraytech[11] pour faire déclarer ultra vires le règlement de la municipalité visant à limiter dans certaines zones seulement l’utilisation de pesticides, l’interdisant dans les parties de son territoire où ils servent à des fins esthétiques seulement.
[32]
Ici, la municipalité exerçant son pouvoir de zonage exclut l’expansion
dans certaines parties de son territoire d’un certain type d’établissements du
genre fast food; le facteur rattachement au territoire est présent et
les sous-alinéas 1, 2 et 3 de l’article
113. Le conseil d'une municipalité peut adopter un règlement de zonage pour l'ensemble ou partie de son territoire.
Ce règlement peut contenir des dispositions portant sur un ou plusieurs des objets suivants:
1°pour fins de réglementation, classifier les constructions et les usages et, selon un plan qui fait partie intégrante du règlement, diviser le territoire de la municipalité en zones;
2°diviser la zone en secteurs de manière que chacun de ces secteurs serve d'unité territoriale pour l'application des dispositions des sous-sections 1 à 2.1 de la section V qui sont relatives à l'approbation référendaire et de manière que, dans chacun de ces secteurs, les normes d'implantation autorisées dans la zone puissent faire l'objet d'une réglementation subsidiaire de la part du conseil, à condition cependant que les normes quant aux usages permis soient uniformes dans tous les secteurs d'une même zone;
3°spécifier, pour chaque zone, les constructions ou les usages qui sont autorisés et ceux qui sont prohibés, y compris les usages et édifices publics, ainsi que les densités d'occupation du sol.
[33] Les procureurs de la demanderesse et des intervenantes invoquent le sous-alinéa 113 (2) 16.1° LAU, a contrario, qui se lit comme suit :
16.1 régir ou prohiber tous les usages du sol, constructions ou ouvrages, ou certains d'entre eux, compte tenu de la proximité d'un lieu où la présence ou l'exercice, actuel ou projeté, d'un immeuble ou d'une activité fait en sorte que l'occupation du sol est soumise à des contraintes majeures pour des raisons de sécurité publique, de santé publique ou de bien-être général;
[34] Cette disposition vise donc à permettre de régir ou de prohiber tous ou certains usages du sol, de constructions ou d’ouvrages lorsque l’occupation du sol est soumise à des contraintes majeures pour des raisons - entre autres - de santé publique - à cause de la proximité d’un immeuble ou l’exercice d’une activité.
[35] Pour les avocats de la demanderesse et des intervenantes, ce sont ces dispositions qui seraient autrement applicables, mais parce que la notion de santé publique ne pourrait s'appliquer à l'alimentation, l'arrondissement aurait outrepassé son pouvoir; cependant, pour le tribunal, même en admettant qu'ils aient raison en ce qui concerne la notion de santé publique, ce qui n'est pas néanmoins démontré, la disposition n'aurait pas pour effet de restreindre la portée des pouvoirs généraux des municipalités.
[36] Les autres autorités invoquées par la demanderesse et les intervenantes[12] n'appuient pas davantage leur point de vue.
[37] Dans Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville)[13], la municipalité a adopté des résolutions pour s'abstenir de traiter avec Shell jusqu'à ce qu'elle (Shell) se retire de l'Afrique du Sud; ça ressemble davantage à ce que Toronto a fait dans Eng[14] par rapport à ce que l'arrondissement CDN-NDG cherche ici à faire; par ailleurs, dans cette affaire, quatre (4) juges dissidents, les Juges Lamer, Gonthier, L'Heureux-Dubé et McLaughlin, expriment l'avis que Vancouver avait, en vertu de ses pouvoirs généraux de faire affaires en matière commerciale, la compétence pour adopter les résolutions.
[38] Dans Municipalité de Laverlochère c. Ferme Gelery inc.[15], la Cour d’appel décide à la majorité que la municipalité n’a pas à accorder le permis pour l’agrandissement d’une porcherie même s’il (l’agrandissement) était conforme au règlement de zonage à cause d’un autre règlement municipal adopté pour réduire les nuisances forçant le promoteur à soumettre un "plan d’implantation et d’intégration architecturale"; le promoteur prétendait que ce règlement ne lui était pas opposable; le passage que cite la demanderesse et les intervenantes porte sur la différence du but poursuivi par la LAU par rapport à la Loi sur la qualité de l’environnement; du point de vue du soussigné ça n’a pas de portée sur le présent litige.
[39] Dans St-Romuald (Ville de) c. Olivier[16], il s'agit tout simplement d'une affaire de droit acquis lorsqu'un usage dérogatoire, un bar de chanteurs western, est remplacé par un autre, un bar de danseuses nues; il n’y a pas lieu de s’y attarder.
[40] Dans Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville)[17], la Cour suprême du Canada décide que la compétence fédérale l'emporte sur la compétence provinciale de qui tiennent leur pouvoir les municipalités lorsque la municipalité cherche à empêcher un usage, des tours de télécommunication, sur un certain emplacement pour lequel le ministre fédéral de l'Industrie a accordé un permis pour ce faire en vertu de la Loi sur les télécommunications.
[41] La demanderesse et les intervenantes attirent l'attention du tribunal sur un passage dans l'opinion distincte du Juge Gascon[18] où, discutant d’un règlement fédéral sur la vente de phoques, il émet un principe d’application générale quant à la motivation à l’origine du règlement, ici l’alimentation selon la demanderesse et les intervenantes; reste à savoir si l’arrondissement avait compétence pour réglementer le fast food.
[42] Dans Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District)[19], à toutes les étapes, les tribunaux refusent d'annuler un règlement de taxation parce qu'il serait déraisonnable par rapport au facteur de consommation de services municipaux; les principes généraux sur lesquels la demanderesse et les intervenantes attirent l'attention du tribunal n'ont pas non plus d'application particulière en l'espèce.
[43] Dans Québec (Procureur général) c. Lacombe[20], le règlement municipal visait à réglementer l'emplacement d'(hydro) aérodromes qui relève de la compétence fédérale; il n’y a pas de lien à faire avec le présent cas.
[44] La demanderesse et les intervenantes reviennent par ailleurs sur l’arrêt dans Val d’Or (Ville de) c. 2550-9613 Québec inc.[21] invoqué par la ville de Montréal portant sur une affaire de bar avec spectacles érotiques interdits par le règlement de zonage dans la zone concernée alors que les autres bars y sont permis; ce jugement appuie certes à prime abord la position de l’arrondissement.
[45] La demanderesse et les intervenantes prétendent compléter une citation dans le mémoire de la ville de Montréal en y ajoutant les commentaires du juge Chamberland qui a rendu le jugement pour le banc relativement à la distinction entre la moralité et la criminalité (dans le cadre de son analyse de la question de la compétence fédérale); respectueusement, ça ne porte pas atteinte à l’argument de la défenderesse - à moins que le soussigné ne comprenne pas.
[46] En réalité, dans la compréhension du tribunal, le seul appui de la demanderesse et des intervenantes est l'avis de la directrice de l'aménagement urbain et des services aux entreprises de l'arrondissement, Madame Sylvia-Anne Duplantie, qui a informé les élus de l'arrondissement, peu après son arrivée en fonction en octobre 2014, qu'ils ne pouvaient pas réglementer l'alimentation; tel que le tribunal l'a signalé à l'audience aux procureurs de la demanderesse et des intervenantes, il (le tribunal) ne se sent pas lié par cet avis.
[47] Dans les circonstances, la cour en vient à la conclusion que le règlement modifiant le règlement de zonage et les règlements de zonage tels que modifiés sont intra vires des pouvoirs de l'arrondissement.
Deuxième question
[48] Le procureur de la demanderesse et des intervenantes a fait une démonstration convaincante par la jurisprudence que le délai de trente (30) jours invoqué par la ville de Montréal comme étant le délai raisonnable à l'intérieur duquel un pourvoi en contrôle judiciaire doit être intenté ne s'applique qu'au pourvoi à l'encontre de décisions judiciaires ou quasi judiciaires et non pas à la réglementation municipale[22].
Troisième question
[49] Là encore, les autorités sur lesquelles s'appuient la demanderesse et les intervenantes ne soutiennent pas leurs prétentions voulant que les règlements de zonage tels que modifiés soient discriminatoires; d'abord, par essence, un règlement de zonage est discriminatoire et ce n'est qu’en combinaison avec d’autres facteurs qu’il peut être déclaré illégal, par exemple, si la discrimination est illégale ou déraisonnable; or, ce n’est pas le cas dans l’espèce de l’avis du soussigné.
[50] La demanderesse et les intervenantes se basent surtout sur Montréal (City) c. Arcade Amusements inc.[23], dont elles citent plusieurs passages; au-delà des principes généraux y expliqués par l'honorable Jean Beetz qui a rendu le jugement de la cour, dans les extraits cités par la demanderesse et les intervenantes, la Cour suprême du Canada, après une révision extensive de la jurisprudence sur la question, invalide certaines dispositions du règlement pour les raisons plus particulières suivantes :
Quoique aucun de ces jugements et arrêts ne puisse être considéré comme liant cette Cour, strictement parlant, ils n'en restent pas moins d'un poids considérable par leur ensemble, et je crois qu'ils doivent être suivis dans leur principe, en autant du moins qu'il s'agit de la distinction fondée sur l'âge des enfants, des adolescents et des mineurs.
Je m'empresse de préciser que je ne suis pas nécessairement d'accord avec tous les motifs que l'on trouve dans cette jurisprudence. Ainsi, je ne crois pas qu'une distinction entre les mineurs et les adultes doive être assimilée, comme on le laisse entendre dans In re Barclay, précité, et Re T. W. Hand Fireworks Co., précité, à une discrimination visant les femmes, mariées ou non, les militaires, les vieillards, les manœuvres ou certains négociants. Ces dernières distinctions en effet, sont prima facie arbitraires et irrationnelles tandis que la distinction fondée sur le jeune âge est généralement motivée par des considérations tout à fait raisonnables dans le sens étroit, ainsi d'ailleurs que le notent plusieurs de ces jugements et arrêts. Cependant ce n'est pas le sens étroit du mot raisonnable qui doit nous retenir mais son sens juridique. Au surplus et surtout, il y a une analogie pertinente entre la classe des enfants et des adolescents, d'une part, et celle par exemple des femmes ou des vieillards. II s'agit là de catégories importantes de la population et aussi impuissantes les unes que les autres à modifier leur état physique ou psychologique. II faut tenir qu'à moins de dispositions explicites au contraire ou de délégation implicite faite par voie d'inférence nécessaire, le législateur souverain s'est réservé à lui-même le pouvoir important de restreindre les droits et libertés des citoyens en fonction de distinctions aussi délicates. Le principe transcende les cadres du droit administratif et du droit municipal. C'est un principe de liberté fondamentale.
En l'espèce, le texte même de la Charte me confirme dans cette conclusion. Aux paragraphes 6° et 7° de l'art. 520, il habilite en effet le conseil municipal à édicter des règlements pour la protection de l'enfance:
6° Réglementer et prohiber la présence des enfants de quinze ans ou moins dans les rues et places publiques entre neuf heures du soir et cinq heures du matin;
7° Régler ou interdire l'emploi d'enfants mineurs dans les rues et places publiques; accorder des permis aux porteurs de journaux et réglementer leur commerce;
Les intimés ont donc raison de prétendre que lorsque la Législature a voulu permettre à la Ville de discriminer quant à l'âge, elle a su le faire en termes clairs. [Pages 412 en bas, 413 et 414 en haut]
[51] On voit donc que le caractère discriminatoire est apprécié dans Arcade Amusements en fonction de la législation habilitante elle-même établissait des distinctions d'âge alors que la réglementation municipale en créait d'autres.
[52] Dans le reste de la jurisprudence de la demanderesse et des intervenantes, il y a un jugement de la Cour supérieure dans Rossdeutscher c. Montréal (Ville de)[24]; au-delà du passage très général cité par la demanderesse et les intervenantes réitérant que les municipalités ne peuvent exercer que les pouvoirs qui leur sont expressément conférés par une loi provinciale, le collègue Michel Yergeau y rejette les prétentions de propriétaires, d'un administrateur et de deux locataires de conciergerie dans CDN-NDG voulant que les inspections des logements par des inspecteurs en bâtiments municipaux constituent un abus de pouvoir, ce qui a peu à voir à prime abord avec la présente espèce; par ailleurs, les prétentions de ces propriétaires, administrateur et locataires dans cette affaire sont rejetées.
[53] La demanderesse et les intervenantes reviennent sur Catalyst[25] pour invoquer une citation à l'intérieur du jugement portant sur des principes généraux, plus particulièrement celui où est cité un jugement de 1898 :
"Mais déraisonnable dans quel sens ? On peut penser, par exemple, à des règlements partiaux et d'application inégale pour des catégories distinctes, à des règlements manifestement injustes, à des règlements emprunts de mauvaise foi, à des règlements entraînant une immixtion abusive ou gratuite dans les droits des personnes qui y sont assujetties, au point d'être injustifiables aux yeux d'hommes raisonnables. La Cour pourrait alors dire 'le parlement n'a jamais eu l'intention de donner le pouvoir de faire de telles règles; elles sont déraisonnables et ultra vires'."[26]
[54] Contrairement aux procureurs de la demanderesse et des intervenantes, le tribunal ne peut conclure que les distinctions créées par les règlements en cause, même si créant des restrictions différentes pour des commerces de même type, comme dans Val d’Or[27] des bars avec ou sans spectacles érotiques, ici des restaurants fast food par rapport aux autres restaurants, seraient déraisonnables; les principes ci-dessus énoncés dans la citation n'ont d’ailleurs pas reçu d'application dans l'affaire Catalyst[28].
[55] Finalement, dans Propriétés Immobilières Oshawa inc. c. Laval (ville)[29], la municipalité avait ciblé qu'un seul terrain sur lequel le nouveau propriétaire, après avoir vérifié que le zonage le permettait, voulait ériger un centre commercial avec restaurant(s); la municipalité a modifié son règlement de zonage après l’achat, pour y prohiber les restaurants dans la zone nouvellement créée et y prohiber l'accès par véhicules sur une des rues bordant le quadrilatère.
[56] Dans cette affaire, l'honorable André Rochon, alors à la Cour supérieure, déclare le jugement illégal parce que discriminatoire, d'autres terrains inclus dans la même zone avant la modification pouvant y exercer des activités du type prohibé par la modification; il conclut que "le règlement crée une discrimination entre des terrains 'qui sont placés dans une situation identique'."[30] Encore là , le tribunal est d'avis que la situation dans cette affaire ne peut être assimilée à celle de l'espèce.
[57] En conclusion de la présente partie, sur le tout, la cour est d’avis que la jurisprudence invoquée par la demanderesse et les intervenantes ne donne pas ouverture à une intervention en contrôle judiciaire parce que les règlements tels que modifiés seraient discriminatoires.
Quatrième question
[58] Sur cette question, les représentations du procureur de la ville quant au fait que la notion de service au volant peut subsister même si celle de "restaurant rapide" est éliminée sont convaincantes notamment lorsqu’il a fait référence aux préposé(e)s des stationnements qui perçoivent le paiement des clients au volant à partir d'une guérite.
[59] Il n'y aurait donc pas eu d'intervention du tribunal à cet égard même si les dispositions des règlements relatives au "restaurant rapide" avaient été annulées.
[60] REJETTE la "DEMANDE DE POURVOI EN CONTRÔLE JUDICIAIRE" de la demanderesse;
[61] AVEC les frais de justice.
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__________________________________MARC ST-PIERRE, j.c.s. |
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Me Frédéric Gilbert |
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Me Marc-André Fabien |
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Me Nikolas Blanchette |
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Me Xin Jia Wang |
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Fasken Martineau DuMoulin s.e.n.c.r.l, s.r.l. |
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Pour la demanderesse et les intervenantes |
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Me Éric Couture |
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Me Jean-Philippe Guay |
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Gagnier Guay Biron |
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Pour la défenderesse |
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Dates d’audience : |
2 et 4 octobre 2019 |
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[1]    La cour utilise ici les termes des règlements de zonage pour distinguer le type d’établissements visés, une certaine catégorie de fast food, cette dernière expression étant utilisée, c’est le choix du juge, les parties ne l’ont pas fait, pour englober l’ensemble des catégories de fast food, pas seulement celle visée par les règlements de zonage.
[2]    On comprend que c’est un document destiné aux élu(e)s pour le vote sur une résolution ou un règlement.
[3]    Le nouveau nom de Entreprise Cara Limitée qui est franchiseur pour les restaurants St-Hubert et Harveys.
[4]    La question vient en deuxième parce que généralement le défaut de respect du délai raisonnable en contrôle judiciaire est présenté en tant que moyen d'irrecevabilité; par ailleurs, du propre aveu de la ville, ce moyen ne peut être invoqué si le règlement est ultra vires, ce pourquoi ce sujet est traité après la première question.
[5]Â Â Â Â 2012 ONSC 6818.
[6]Â Â Â Â Au par. 85, in fine.
[7]Â Â Â Â 2001 CSC 40.
[8]    Au par. 83, in fine, dans le jugement Eng; à noter que ce motif vient infirmer l’argument de la demanderesse et des intervenantes quant à la compétence d’une municipalité de réglementer la santé de la population.
[9] Â Â Â Cf. note 7.
[10] Â Â Cf. note 5.
[11] Â Â Cf. note 7.
[12]   Dans leur PLAN D’ARGUMENTATION DE LA DEMANDERESSE ET DES INTERVENANTES du 4 octobre 2019.
[13]Â Â Â
[14] Â Â Cf. note 5.
[15]Â Â Â
[16]Â Â Â
[17]Â Â Â
[18]Â Â Â Au par. 108 du jugement.
[19]Â Â Â
[20]Â Â Â
[21] Â Â 1997 CanLII 10757 (C.A.).
[22]
  Bellemare c. Lisio,
[23]
 Â
[24]Â Â Â
[25]Â Â Â Cf. note 19.
[26]   Par. 21 du jugement de la Cour suprême du Canada dans Catalyst; soulignés ajoutés par la Juge en chef qui a rendu le jugement de la Cour.
[27] Â Â Cf. note 21.
[28] Â Â Cf. note 19.
[29]Â Â Â
[30]Â Â Â Au par. 39.
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