Hamelin c. Sherbrooke (Ville de) |
2013 QCCQ 7155 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-FRANÇOIS |
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LOCALITÉ DE |
SHERBROOKE |
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« Chambre civile » |
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N° : |
450-32-015815-129 |
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DATE : |
25 avril 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
ALAIN DÉSY, J.C.Q. |
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HERVÉ HAMELIN, domicilié et résidant au […], Sherbrooke (Québec) […] |
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Partie demanderesse |
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c. |
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VILLE DE SHERBROOKE, ayant un établissement au 191, rue du Palais, Sherbrooke (Québec) J1H 5H9 |
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Partie défenderesse |
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JUGEMENT |
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Nature du litige
[1] La présente affaire concerne une réclamation pour dommages subis par blessures corporelles survenues lors d'une chute en circulant en hiver sur un trottoir d'une ville.
Objet du litige
[2] Le demandeur réclame de la défenderesse la somme de 7 000 $ à titre de dommages subis en début de soirée le 25 décembre 2011 au moment où il a chuté sur un trottoir enneigé en face du 93 rue Gillespie à Sherbrooke.
[3] En plus du montant ci-devant, le demandeur réclame de la défenderesse des intérêts légaux, ainsi que le remboursement du montant qu'il a dû payer au greffe de la Cour pour pouvoir y produire sa réclamation.
[4] Le montant de 7 000 $ réclamé par le demandeur se détaille comme suit :
· montre brisée ....................................................................... 15,00 $
· gants de laine endommagés................................................. 2,00 $
· douleurs, souffrances et déficit corporel anatomique........ 6 983,00 $
[5] La défenderesse conteste les sommes réclamées par le demandeur et elle nie responsabilité, estimant n'avoir commis aucune faute.
Les faits
[6] Le soir du 25 décembre 2011, vers 19 heures, le demandeur, âgé de 79 ans à ce moment, marchait sur le trottoir recouvert d'environ un demi-pouce de neige, lorsqu'il a chuté en face du 93 rue Gillespie à Sherbrooke.
[7] Le trottoir où est survenu la chute était la propriété de la défenderesse et sous son entretien et responsabilité.
[8] L'endroit où est survenue la chute était éclairé, mais se trouvait vis-à-vis une large entrée de cour, et à cet endroit, le trottoir était également légèrement en pente vers la rue.
[9] Le demandeur se rendait au dépanneur pour aller s'acheter un livre.
[10] Le demandeur a signé, de façon contemporaine à l'accident, une déclaration écrite et volontaire à l'enquêteur des sinistres pour la défenderesse. Il a lui-même produit en preuve ce document daté du 25 janvier 2012 et signé par lui-même, voir la pièce P-1.
[11] Dans cette déclaration écrite, le demandeur explique l'accident de la façon suivante :
Rendu face à l'entrée du stationnement du 93 rue Gillespie, j'ai marché sur une plaque de glace qui était recouverte par de la neige folle. Les deux pieds ont glissé, j'ai fait un tour sur moi-même et je suis tombé en plein visage sur le trottoir.
[…]
Je marche à cet endroit à tous les jours, même parfois deux fois par jour. Face au 93 rue Gillespie, la cour est en pente et il y a beaucoup d'eau des gouttières qui coule vers le trottoir. Quand il fait doux, la glace épaissie (sic) sur le trottoir…
J'ai constaté que la glace épaissie (sic) face à l'entrée du 93 Gillespie au début de l'hiver, même si dans les autres entrées il n'y a pas de glace.
Lors de ma chute, j'étais seul. Je n'ai eu aucune distraction. Je ne transportais rien. Je n'ai pas pris d'alcool ni de médicaments qui causent des étourdissements. Je portais des bottes d'hiver. Après cette chute, j'ai installé des crampons sur mes bottes. J'ai acheté ces bottes en octobre ou novembre 2011. Avant ma chute, j'avais oublié la présence de glace et avec la neige, je ne l'ai pas vue.
[12] Il s'agit là des extraits pertinents à retenir au sujet de cet accident que l'on retrouve sur cette déclaration contemporaine à l'événement, estime le Tribunal.
[13] Dans son témoignage à l'audition, le demandeur précise qu'il avait presque entièrement franchi l'espace de l'entrée de cour au moment de sa chute, il lui restait à peine un pas à franchir. « Ça tenait en faisant attention », témoigne-t-il.
[14] Le demandeur habitait sur la rue Gillespie depuis le mois de septembre 2011.
[15] Le demandeur reconnaît que des abrasifs avaient été épandus sur le trottoir par les préposés de la défenderesse, mais il croit qu'il n'y en avait pas eu suffisamment. Il dit qu'il était aux aguets, car c'était dangereux.
[16] Également, le demandeur a déclaré devant la Cour par son témoignage que le 18 ou le 19 décembre 2011, quelques jours avant l'accident, c'était glissant sur le trottoir et qu'il avait failli tomber.
[17] Voici en substance les circonstances de l'accident suivant la preuve entendue à l'audition.
[18] Il faut maintenant décider de l'aspect de la responsabilité avant de discuter des dommages et leur quantum.
Le droit
[19] Dans Paquin c. Cité de Verdun[1] , la Cour suprême du Canada, s'exprime ainsi quant à la responsabilité d'une ville pour l'entretien de ses trottoirs :
Il est clair qu'aucune présomption de faute ne repose sur la municipalité lorsqu'un piéton est victime d'un accident résultant d'une chute sur un trottoir. Le réclamant doit alléguer et prouver la faute de la Cité, et celle-ci ne peut résulter que d'une négligence. La question qui se pose toujours dans les causes de ce genre est de savoir si la municipalité a pris, dans le temps voulu, les précautions nécessaires pour protéger la sécurité des citoyens.
Comme il a été dit souvent, et c'est aujourd'hui la jurisprudence dans la province, le fait de faire une chute sur un trottoir ne donne pas nécessairement ouverture à une réclamation pour les dommages subis.
[…]
Quant à la portée du mot « piège », la Cour suprême du Canada dans Rubis c. Gray Rocks Inn Ltd [2], sous la plume du juge Beetz, s'exprime ainsi :
L'infinie variété des
faits empêche que l'on définisse avec précision ce que c'est qu'un piège. On
peut cependant dire que le piège est généralement une situation intrinsèquement
dangereuse. Le danger ne doit pas être apparent mais caché; par exemple
une porte ouvrant non pas sur un véritable escalier comme on pouvait s'y
attendre mais sur des marches verticales comme celles d'un escabeau :
Drapeau c. Gagné, [1945] B.R. 303; un piquet planté dans l'herbe d'un
sentier et dissimulé par celle-ci : Girard c. City of Montreal, [1962] C.S.
361; mais non pas une marche dans un corridor bien éclairé : Hôtel
Montcalm Inc. c. Lamberston, Lamberston,
[1965] B.R. 79
. Il y a généralement
dans l'idée de piège une connotation d'anormalité et de surprise, eu égard à
toutes les circonstances : par exemple, un trou dans le toit d'un bâtiment
en construction n'est pas un piège pour un ouvrier travaillant sur ce
toit : Larivée c. Canadian Technical Tape Limited,
[…]
[20] Enfin, dans Yelle et Guillemette c. Ville de Sherbrooke[3] le juge Bureau, après avoir analysé les principes les plus importants établis par la plus récente jurisprudence applicable, fait les constations suivantes :
[…]
36.1 L'obligation d'une ville d'entretenir ses trottoirs est une obligation de moyens.
36.2 Une municipalité n'a pas l'obligation de maintenir en tout temps et en toutes circonstances ses trottoirs en parfaite condition.
36.3 Une ville doit apporter à l'entretien de ses trottoirs les soins d'une personne raisonnablement prudente et diligente.
36.4 Il n'y a pas de présomption légale contre les municipalités; le demandeur a le fardeau de la preuve et il doit établir une faute de la municipalité.
36.5 Les piétons ont en hiver une plus grande obligation de prudence.
36.6 Une municipalité n'est pas l'assureur des piétons qui circulent sur ses trottoirs.
[…]
[21] En outre, le juge Louis J. Gouin de la Cour supérieure s'exprimait comme suit sur le sujet dans la cause Courval c. Ville de Laval[4]:
Par ailleurs, l’article
«585. 7. Nonobstant toute loi générale ou spéciale, aucune municipalité ne peut être tenue responsable du préjudice résultant d'un accident dont une personne est victime, sur les trottoirs, rues, chemins ou voies piétonnières ou cyclables, en raison de la neige ou de la glace, à moins que le réclamant n'établisse que ledit accident a été causé par négligence ou faute de ladite municipalité, le tribunal devant tenir compte des conditions climatériques.»
(Le Tribunal souligne)
[41] De plus, nous retrouvons dans la jurisprudence[6] certains principes et règles régissant la responsabilité des villes, et des citoyens, lors de chutes sur les trottoirs. En voici certains, utiles pour l’analyse du Tribunal :
a. il n’y a pas de présomption de faute à l’encontre d’une ville lorsqu’un citoyen chute sur un de ses trottoirs, même sur un trottoir glacé;
b. une ville doit être diligente dans son obligation d’assurer la sécurité des citoyens qui empruntent ses trottoirs, et elle doit prendre les mesures raisonnables à cette fin;
c. il s’agit d’une obligation de moyens et non de résultat, et le critère de «la personne raisonnablement prudente et diligente» s’applique;
d. le citoyen/réclamant doit alléguer et prouver que ses dommages résultent de la faute de la ville reliée à l’entretien du trottoir, tout en étant réaliste et conscient que notre climat est parfois imprévisible, et que tout ne peut pas être fait en même temps;
e. les citoyens doivent aussi être prudents lorsqu’ils empruntent les trottoirs, chacun étant responsable de ses faits et gestes, surtout lorsque les risques sont évidents.
Analyse et décision
[22] La défenderesse a produit en preuve sa politique écrite et pratiquée concernant l'entretien de ses rues et trottoirs en vigueur au moment de l'accident, voir la pièce D-1.
[23] Un rapport d'entretien a aussi été produit en preuve et il établit que le 23 décembre 2011, la machinerie de la Ville de Sherbrooke a procédé à du tassement de neige et à l'épandage d'abrasifs entre 10 heures et 16 heures dans le secteur incluant la rue Gillespie, voir la pièce D-2.
[24] Un rapport météorologique, pièce D-3, établit que les 24 et 25 décembre 2011, la température a varié entre -3 et -20 degrés Celcius, alors que du 19 au 23 décembre 2011 inclusivement, la température avait varié entre +1.3 et -18 degrés Celcius, avec des précipitations de 1.6 mm de neige le 25 décembre 2011.
[25] L'opérateur de la chenillette ayant effectué les travaux d'entretien du trottoir Gillespie le 23 décembre 2011, M. Christian Dion, a témoigné à l'enquête et il déclare avoir circulé là où est survenu l'accident, la gratte au sol et il épandait des abrasifs tout au long de son parcours.
[26] Il ajoute qu'il connaît bien l'entrée de Cour où est survenu l'accident à cause de sa largeur, et il est affirmatif à l'effet d'avoir épandu un surdosage d'abrasifs vis-à-vis cette entrée de cour, car elle est en pente légère, et que de l'écoulement d'eau vient souvent de la cour elle-même que l'entrée dessert ou des dalles à couverture de la maison voisine.
[27] Si ce n'est le 1.6 mm de neige tombé le 25 décembre 2011, il n'y avait pas eu de précipitation depuis le passage de la chenillette de la Ville le 23 décembre 2011.
[28] Madame Audrey Philippon était stagiaire aux études et oeuvrait chez la défenderesse au moment où le responsable des réclamations à la Ville a rencontré le demandeur pour recueillir sa déposition, ainsi qu'au moment de la signature dudit document.
[29] Madame Philippon déclare que le texte a été relu au demandeur et que ce dernier y a apposé sa signature sans restriction, ce que croit le Tribunal.
[30] Or, le demandeur doit établir la négligence ou la faute commise par le ou les préposés de la demanderesse, et ce, ayant une causalité avec l'accident survenu le 25 décembre 2011.
[31]
Telle exigence est stipulée à l'article
585.7. Nonobstant toute loi générale ou spéciale, aucune municipalité ne peut être tenue responsable du préjudice résultant d'un accident dont une personne est victime, sur les trottoirs, rues, chemins ou voies piétonnières ou cyclables, en raison de la neige ou de la glace, à moins que le réclamant n'établisse que ledit accident a été causé par négligence ou faute de ladite municipalité, le tribunal devant tenir compte des conditions climatériques.
[32]
Et aussi, le fardeau de preuve découlant des articles
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[33] Or, à la lumière de l'ensemble de la preuve faite à l'audition, le Tribunal estime que cette négligence ou faute de la défenderesse n'a pas été établie de façon prépondérante, ce qui incombait au demandeur.
[34] Le demandeur déclare qu'il savait que la glace pouvait s'accumuler à l'endroit de l'accident et il y a circulé au lieu de marcher dans la rue, ou ailleurs de l'autre côté de la rue, par exemple.
[35] M. Hamelin avait failli tomber à cet endroit deux jours auparavant, sans s'en plaindre. Il repasse au même endroit?
[36] Le demandeur dit bien qu'il achevait de traverser cette entrée de cour lorsqu'il a chuté, il lui manquait un pas à faire, donc c'était circulable sur le trottoir, bien qu'il faille faire attention.
[37] Le préposé à la chenillette avait épandu une surdose d'abrasifs vis-à-vis cette entrée de cour en guise de mesure additionnelle.
[38] La défenderesse déclare que son service des plaintes n'a reçu aucune plainte au sujet de cet endroit où est survenu l'accident, ni avant, ni après le 25 décembre 2011.
[39] Suivant la preuve, rien n'obligeait la Ville à offrir un entretien supplémentaire vu la température hivernale qui prévalait, d'autant plus qu'une équipe de surveillants parcourait la ville 24 heures sur 24 pour signaler les situations qui commandent une intervention.
[40] Dans les circonstances, le Tribunal estime que la défenderesse n'avait pas à en faire davantage au sujet des circonstances entourant ce malheureux accident, et il ne peut faire droit aux réclamations du demandeur.
[41] Dans les circonstances, le recours du demandeur sera rejeté sans frais.
[42] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[43] REJETTE sans frais le recours du demandeur.
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ALAIN DÉSY, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
3 avril 2013 |
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RETRAIT ET DESTRUCTION DES PIÈCES
Les parties doivent reprendre possession des pièces qu'elles ont produites, une fois l'instance terminée. À défaut, le greffier les détruit un an après la date du jugement ou de l'acte mettant fin à l'instance, à moins que le juge en chef n'en décide autrement.
Lorsqu'une partie, par quelque moyen que ce soit, se pourvoit contre le jugement, le greffier détruit les pièces dont les parties n'ont pas repris possession, un an après la date du jugement définitif ou de l'acte mettant fin à cette instance, à moins que le juge en chef n'en décide autrement. 1194, c. 28, a. 20.
[1] [1961] R.C.S. 101
[2]
[3]
[4]
[5] L.R.Q., chapitre C-19.
[6]
Garberi c. Cité de Montréal,
[1961] R.C.S. 408
; Paquin et la Cité de Verdun,
[1962] R.C.S. 100
; Picard et la Cité de Québec,
[7] L.R.Q., chap. C-19.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.