Compagnie Carrelage de Montréal ltée et Cyr |
2011 QCCLP 7716 |
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Dossier 372436-01C-0902
[1] Le 27 février 2009, Compagnie carrelage de Montréal ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 février 2009 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 27 novembre 2008 et déclare que monsieur Jean-Ménard Cyr (le travailleur) a subi une lésion professionnelle, soit des entorses bilatérales aux bras, des tunnels carpiens [sic] bilatéraux et des tendinites bilatérales aux poignets, et qu’il a droit aux prestations prévues à la loi.
Dossier 421874-01C-1010
[3] Le 15 octobre 2010, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 27 septembre 2010 à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 31 août 2010 et :
- Déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi habituel depuis le 9 juin 2010 et n’a plus droit aux indemnités de remplacement du revenu;
- Déclare irrecevable la demande de révision du travailleur du 14 septembre 2010 quant à l’évaluation médicale faite par le docteur Nadeau et entérinée par le docteur Leblond;
- Déclare conforme le bilan des séquelles;
- Confirme la décision du 2 septembre 2010 avisant le travailleur que la lésion professionnelle du 7 octobre 2008 a engendré une atteinte permanente de 3,3 %, lui donnant droit à une indemnité de 1 587,17 $ à laquelle s’ajouteront les intérêts courus depuis la date de réception de la réclamation.
[5] Lors de l’audience tenue à Gaspé le 8 juin 2011, le travailleur est présent et accompagné de sa procureure. L’employeur est représenté par sa procureure.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] Le travailleur demande de déclarer que la contestation par l’employeur des conclusions du rapport final du docteur Leblond, médecin ayant charge du travailleur, du 14 avril 2010 est irrecevable, que le rapport final du docteur Leblond lie donc la CSST, qu’au surcroît le rapport complémentaire du docteur Leblond signé le 23 juin 2010 est irrégulier et ne lie pas la CSST et que la décision de la CSST concernant l’atteinte permanente et la capacité de travail du travailleur doit être annulée en conséquence et que le travailleur a toujours droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
[7] De façon subsidiaire, si le tribunal déclarait recevable la contestation médicale de l’employeur, le travailleur demande d’ordonner à la CSST de transmettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale, considérant l’irrégularité du rapport complémentaire du docteur Leblond.
MOYEN PRÉALABLE
[8] Les procureures conviennent que la question de la détermination du diagnostic de la lésion doit d’abord être déterminée avant que l’on puisse statuer sur l’admissibilité de celle-ci à titre de lésion professionnelle.
[9] Il est demandé au tribunal de ne procéder d’abord que sur deux moyens préalables et de reporter, s’il y a lieu, l’audience sur le fond à une date ultérieure. Les procureures sont donc entendues exclusivement sur ces questions. Un délai est accordé à la procureure de l’employeur pour compléter sa preuve et son argumentation relativement à un nouveau moyen préalable soulevé par la procureure du travailleur. Un délai est également accordé à la procureure du travailleur pour produire une réplique si souhaité. Le dossier est finalement pris en délibéré le 8 juillet 2011 sur réception du dernier document attendu.
L’AVIS DES MEMBRES
[10] La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie dans le dossier quant auquel des moyens préalables sont présentés.
[11] Ils considèrent plus particulièrement que le médecin ayant charge du travailleur doit motiver, au moins sommairement, un revirement de sa part quant à ses conclusions médicales et que son défaut de le faire, comme en l’instance, enlève tout caractère liant à son rapport complémentaire. Ils sont cependant d’avis que n’est pas fatal, dans les circonstances prévalant dans le présent dossier, le fait pour le médecin de ne pas avoir rencontré le travailleur avant de signer son rapport et de ne pas lui en avoir ensuite communiqué le contenu sans délai.
[12] Le membre issu des associations syndicales est également d’avis que le fait que l’employeur ait modifié par l’ajout de questions spécifiques le formulaire prescrit par la CSST à titre de rapport complémentaire avant de le transmettre lui-même au médecin ayant charge du travailleur invalide également ce rapport et lui fait perdre tout caractère liant au sens de la loi. La membre issue des associations d’employeurs, quoique surprise de cette façon de procéder, ne la sanctionnerait cependant pas par la nullité du rapport complémentaire, le médecin ayant charge du travailleur étant libre de ne pas y donner suite.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[13] La procureure du travailleur soulève deux moyens préalables (comportant différents sous-éléments) qui ont trait à la procédure d’évaluation médicale énoncée dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[14]
Ainsi, aux articles
[15] En vertu de ces dispositions, le médecin qui a charge du travailleur émet normalement son avis sur ces sujets, et son opinion lie la CSST :
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
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1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[16]
Il est en outre prévu à l’article
274. Lorsqu'un travailleur est informé par le médecin qui en a charge de la date de consolidation de la lésion professionnelle dont il a été victime et du fait qu'il en garde quelque limitation fonctionnelle ou qu'il n'en garde aucune, il doit en informer sans délai son employeur.
S'il s'agit d'un travailleur visé dans la section II du chapitre VII, celui-ci doit aussi en informer sans délai la Commission de la construction du Québec.
__________
1985, c. 6, a. 274; 1986, c. 89, a. 50.
[17] Par contre, tant la CSST que l’employeur peuvent obtenir un rapport d’expertise médicale d’un autre médecin et, si ce dernier contredit l’opinion émise par le médecin qui a charge du travailleur, décider de contester les conclusions du médecin ayant charge du travailleur :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .
__________
1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
__________
1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[18]
L’article
215. L'employeur et la Commission transmettent, sur réception, au travailleur et au médecin qui en a charge, copies des rapports qu'ils obtiennent en vertu de la présente section.
La Commission transmet sans délai au professionnel de la santé désigné par l'employeur copies des rapports médicaux qu'elle obtient en vertu de la présente section et qui concernent le travailleur de cet employeur.
__________
1985, c. 6, a. 215; 1992, c. 11, a. 17.
[19] La loi prévoit en outre que le médecin qui a charge du travailleur peut, dans les trente jours de la réception d’un rapport médical infirmant l’une ou l’autre de ses conclusions, fournir à la CSST un rapport complémentaire « en vue d’étayer ses conclusions ». Il doit alors informer sans délai le travailleur du contenu de son rapport :
212.1. Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216 .
__________
1997, c. 27, a. 5.
(art. 205.1 similaire dans les cas d’obtention par la CSST d’un rapport d’un médecin désigné)
[20] Une fois expiré le délai de trente jours pour la production, le cas échéant, d’un rapport complémentaire par le médecin ayant charge du travailleur, la CSST transmet les contestations puis les rapports contradictoires à, en quelque sorte, un arbitre, qu’est le membre du Bureau d’évaluation médicale :
219. La Commission transmet sans délai au membre du Bureau d'évaluation médicale le dossier médical complet qu'elle possède au sujet de la lésion professionnelle dont a été victime un travailleur et qui fait l'objet de la contestation.
__________
1985, c. 6, a. 219; 1992, c. 11, a. 21.
[21] Lorsqu’une contestation est valablement initiée et traitée et que le membre du Bureau d’évaluation médicale émet son avis dans le délai prescrit par la loi, cet avis lie la CSST plutôt que celui du médecin ayant charge du travailleur :
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
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1992, c. 11, a. 27.
[22] Le travailleur et l’employeur peuvent cependant contester la décision de la CSST y donnant suite, et la tâche du tribunal, lorsqu’un tel litige lui est soumis, consiste à apprécier l’ensemble de la preuve, particulièrement de nature médicale, afin de dégager ce qui s’avère le plus probable, ce qui ressort de façon prépondérante quant à chacune des questions médicales.
[23] Le tribunal souligne qu’il s’agit là d’une importante distinction entre le caractère liant de l’opinion du médecin qui a charge et celle du membre du Bureau d’évaluation médicale : personne ne peut contester une décision rendue sur la base de l’opinion liante du médecin qui a charge du travailleur :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .
Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2 .
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
(Soulignement ajouté)
[24] En d’autres termes, une fois que le médecin qui a charge du travailleur a valablement émis son opinion, il n’y a rien que le travailleur puisse ensuite faire pour contester les décisions qui y donneront suite. La CSST et l’employeur devront quant à eux obtenir une opinion médicale contraire et initier sans délai la procédure de contestation dans le cadre de la procédure d’évaluation médicale pour éviter le caractère liant de l’opinion du médecin qui a charge du travailleur et les décisions de la CSST y donnant suite en conséquence.
[25]
Les moyens préalables soulevés en l’instance concernent la recevabilité
de la contestation de l’employeur en vertu de l’article
[26] Un retour sur les faits en preuve s’impose.
[27] Le travailleur, actuellement âgé de 66 ans, est journalier spécialisé chez l’employeur à compter de septembre 2008. Il allègue avoir subi une lésion professionnelle le 7 octobre 2008.
[28] Les diagnostics initialement posés sont ceux d’entorse au poignet droit et de « tunnel carpien » [sic] bilatéral. Il est ensuite également question d’une ténosynovite sténosante au niveau du pouce gauche.
[29] À compter du printemps 2009, le docteur Christian Leblond, chirurgien orthopédiste, est clairement le médecin qui a charge du travailleur, ce que ce dernier, dans ses termes, reconnaît d’ailleurs lors de l’audience. Le docteur Leblond rencontre ainsi régulièrement le travailleur, procède à des chirurgies et, le 14 avril 2010, signe un rapport final sur lequel il déclare la lésion consolidée et ajoute qu’il produira le rapport d’évaluation médicale conforme au Barème des dommages corporels. Le travailleur déclare notamment lors de l’audience qu’il était d’accord pour que le docteur Leblond produise ce rapport et que ce dernier lui avait dit qu’il le reverrait pour son évaluation.
[30] C’est à compter de ce moment que les choses se compliquent et sont à l’origine des moyens préalables soulevés en l’instance.
La légalité de la contestation du rapport final du docteur Leblond
[31] La procureure du travailleur allègue que le délai de 30 jours accordé par la loi pour la contestation par l’employeur, rapport médical à l’appui, du rapport final du docteur Leblond n’a pas été respecté, que la CSST aurait dû rejeter cette contestation et que le tribunal doit rétablir la situation en déclarant cette contestation irrecevable et en précisant dès lors que la CSST était liée par le rapport final du docteur Leblond et devait agir en conséquence.
[32] Il s’avère que le docteur Leblond rencontre le travailleur le 14 avril 2010. Sur le formulaire de rapport final de la CSST que le docteur Leblond décide alors de compléter, il indique les décompressions auxquelles il a procédé puis le fait que la lésion est consolidée depuis le 8 octobre 2008, ce qui est manifestement une erreur puisqu’il s’agit de la date retenue comme étant celle de survenance de la lésion professionnelle.
[33] Le docteur Leblond coche ensuite « oui » aux questions de savoir si la lésion professionnelle a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique du travailleur et des limitations fonctionnelles. Considérant cette réponse positive, il doit répondre à la question de savoir s’il produira le rapport d’évaluation médicale conforme au Barème des dommages corporels ou s’il a dirigé le travailleur vers un autre médecin pour ce faire. Il indique qu’il produira le rapport. Selon le témoignage non contredit du travailleur, le docteur Leblond lui indique alors qu’il le reverra pour l’évaluation et la préparation du rapport.
[34] Le lendemain, soit le 15 avril 2010, la CSST estampille le rapport final du docteur Leblond, confirmant sa réception à cette date.
[35] Ce n’est cependant que le 13 mai 2010 que l’on retrouve aux notes évolutives une première note de l’agent d’indemnisation responsable du dossier du travailleur à ce sujet, celle-ci indiquant que le rapport final a été reçu et que le docteur Leblond produira le rapport d’évaluation médicale.
[36]
Rien n’indique que la CSST s’est conformée à son obligation énoncée à
l’article
[37] Rien dans la preuve ne permet non plus de croire, bien au contraire, que le travailleur a lui-même transmis copie de ce rapport à son employeur. Ni qu’il s’est conformé à l’obligation que lui imposait l’article 274 précité d’informer sans délai son employeur de la consolidation de sa lésion par son médecin.
[38] En outre, le tribunal constate avec étonnement, à la suite du dépôt de ce rapport d’expertise au dossier du tribunal par la procureure du travailleur six jours avant l’audience, que le 2 mai 2010, le travailleur est évalué par le docteur Jean-Marc Lépine, chirurgien orthopédiste, à la demande de sa procureure. Le docteur Lépine procède à l’évaluation complète du travailleur et signe le 9 juin 2010 un rapport d’expertise médicale qui aurait en fait très bien pu constituer à l’époque le rapport d’évaluation médicale du travailleur au sens de la loi si le travailleur l’avait souhaité et que ce rapport avait été transmis à la CSST. Le docteur Lépine y concluait à un déficit anatomophysiologique de 2 % et recommandait des limitations fonctionnelles de classe II suivant l’échelle de restrictions de l’IRSST. Ni l’employeur ni la CSST ne sont cependant informés à l’époque de l’existence de ce rapport manifestement gardé secret pendant que la CSST attendait le rapport d’évaluation médicale annoncé par le travailleur et le docteur Leblond.
[39] Quoi qu’il en soit, Monsieur Steve Céolin, responsable du dossier chez l’employeur, affirme dans sa déclaration assermentée que ce n’est que le 1er juin 2010 qu’il a été informé, par sa procureure (qui l’avait elle-même appris de la procureure du travailleur), du fait que le médecin ayant charge du travailleur avait produit un rapport final et déclaré la lésion du travailleur consolidée.
[40] Monsieur Céolin ajoute avoir reçu copie du rapport final le lendemain, en même temps qu’un ensemble de documents déposés par la procureure du travailleur à la Commission des lésions professionnelles.
[41] Monsieur Céolin affirme finalement que dès le 3 juin 2010, soit le lendemain de la réception du rapport final, il communiquait avec le docteur Paul-O. Nadeau afin de prendre un rendez-vous pour l’évaluation médicale du travailleur et communiquait avec le travailleur pour lui confirmer le tout, l’évaluation étant prévue pour le 9 juin 2010.
[42] Les notes évolutives au dossier révèlent que l’agent d’indemnisation écrit à l’époque que le travailleur a tenté de la rejoindre à plusieurs reprises et qu’elle n’a quant à elle pas obtenu de réponse lors de sa tentative de le rappeler. Elle communique avec l’employeur pour confirmer que les frais de l’expertise sont à sa charge puis ajoute qu’elle demande une copie de dossier « express », l’évaluation médicale ayant lieu le lendemain (« l’expertise est demain »). Cette dernière annotation amène le tribunal à considérer que cette note évolutive a vraisemblablement été inscrite non pas le 1er juin 2010 comme l’indique l’agent, mais bien plutôt une semaine plus tard, soit le 8 juin 2010. Le tout ne contredit donc pas le témoignage de monsieur Céolin.
[43] Le 21 juin 2010, l’employeur transmet à la CSST une lettre et le rapport d’expertise médicale du docteur Paul-O. Nadeau, chirurgien orthopédiste, du 9 juin 2010, indiquant contester le rapport final du docteur Leblond reçu le 1er juin 2010. Il précise vouloir obtenir un avis du Bureau d’évaluation médicale sur les questions de diagnostic et d’existence ou d’évaluation de limitations fonctionnelles. L’employeur ajoute alors avoir transmis au docteur Leblond le rapport d’expertise médicale du docteur Nadeau et le formulaire de rapport complémentaire prévu par la loi.
[44]
Considérant, selon la preuve nettement prépondérante, le fait que ni la CSST ni le travailleur n’ont transmis à l’employeur ou à son médecin désigné copie du rapport
final du docteur Leblond du 14 avril 2010, considérant que ce n’est que le 1er
juin 2010 que l’employeur a appris l’existence de ce rapport, considérant que
ce n’est que le 2 juin 2010 que l’employeur en a obtenu copie, considérant
que le délai de 30 jours énoncé à l’article
[45] Cela dispose du premier moyen préalable. Demeure la question du caractère liant du rapport complémentaire du docteur Leblond.
Le caractère liant du rapport complémentaire
[46] Avant de statuer sur cette question, eu égard aux différents moyens allégués, il importe d’abord de compléter l’historique des faits pertinents.
[47] Ainsi, dans son rapport d’expertise médicale du 9 juin 2010, le docteur Nadeau conclut que le diagnostic de la lésion professionnelle est celui de tunnel carpien bilatéral (en fait, il serait plus juste, sans pour autant que cela ne change le diagnostic en tant que tel, de parler de syndrome du canal carpien bilatéral) avec ténosynovite résolue au niveau du pouce, que cette lésion est consolidée en date de son examen, qu’elle ne nécessite plus de soins ou traitements, qu’elle entraîne un déficit anatomophysiologique de 3 % et qu’elle ne justifie pas la reconnaissance de limitations fonctionnelles.
[48] Le tribunal rappelle que le docteur Leblond n’indiquait quant à lui pas clairement de diagnostic, qu’il déclarait, quoique manifestement par erreur, la lésion consolidée le lendemain de sa survenance, soit le 8 octobre 2008, et qu’il cochait « oui » aux questions de savoir si la lésion avait entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, sans autres précisions, lesquelles devaient suivre ultérieurement dans le cadre de la production d’un rapport d’évaluation médicale.
[49] Le rapport du docteur Nadeau est donc directement transmis par l’employeur au docteur Leblond par télécopieur le 21 juin 2010, avec le formulaire de rapport complémentaire prescrit par la CSST sur lequel l’employeur a ajouté de façon manuscrite des questions précises à l’intention du docteur Leblond. Sur la question des sujets infirmés par le professionnel de la santé désigné, l’employeur a uniquement coché le diagnostic et l’existence ou l’évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
[50] Le surlendemain, soit le 23 juin 2010, le docteur Leblond transmet son rapport complémentaire à la CSST. Il y coche « oui » à la question ajoutée en gros caractères sur le formulaire par l’employeur, à savoir s’il est en accord ou non avec les conclusions du docteur Nadeau. À l’autre question ajoutée lui demandant de détailler son opinion, il ajoute : « diagnostic OK Ø [pas de] limitations ».
[51] Le tribunal constate que le rapport complémentaire du docteur Leblond vise explicitement, en réponse, d’ailleurs, à la mention en ce sens de l’employeur sur le formulaire, les questions de diagnostic et de limitations fonctionnelles.
[52] En ce qui concerne la date de consolidation de la lésion professionnelle, le docteur Leblond, manifestement par erreur, avait indiqué celle du lendemain de la survenance de la lésion professionnelle. Il est plus que probable qu’il souhaitait en fait indiquer celle du jour qu’il complète le rapport final, déclare la lésion consolidée et annonce qu’un rapport d’évaluation médicale suivra. La procureure du travailleur plaide d’ailleurs en ce sens. Quant au docteur Nadeau, il déclarait que la lésion était consolidée au moment de son examen. La conclusion quant à la consolidation de la lésion entraîne normalement celle de la nécessité de soins ou traitements.
[53] Demeure la question de l’atteinte permanente. Le docteur Nadeau déterminait un déficit anatomophysiologique de 3 %, mais il n’infirmait pas en tant que tel la conclusion du docteur Leblond puisque ce dernier ne s’était pas encore prononcé sur cette question de pourcentage d’atteinte.
[54] Il s’agit donc là de ce qui ressort du rapport complémentaire du docteur Leblond. Mais il y a plus au dossier, ce qui a notamment amené la CSST à rendre la décision qu’elle a rendue.
[55] Ce n’est ainsi que le 26 août 2010, après que le travailleur ait téléphoné à la CSST pour se plaindre du fait qu’il n’avait pas reçu son indemnité de remplacement du revenu, qu’il a été informé que le docteur Leblond avait produit un rapport complémentaire deux mois plus tôt et que selon celui-ci, aucune limitation fonctionnelle ne résultait de sa lésion professionnelle, d’où le fait que la CSST ait mis fin récemment au versement de son indemnité de remplacement du revenu.
[56] Les notes évolutives suivantes du 30 août 2010 et du 7 septembre 2010 méritent plus particulièrement d’être citées :
2010-08-30 […]
Titre : Tél. au dr Leblond / précision rapport complémentaire et RMF
- ASPECT MÉDICAL :
Tél. au dr Leblond, orthopédiste au centre hospitalier de Maria :
Je demande au Dr Leblond plus de précision concernant le rapport complémentaire qu’il a complété. Me répond qu’il est d’accord avec le rapport d’expertise du dr Nadeau dans sa totalité, soient : pour le diagnostic, la date de consolidation, l’atteinte permanente et l’absence de limitation fonctionnelle.
Me précise également que, considérant qu’il a fait une erreur sur son rapport médical en inscrivant la date de consolidation au 8 octobre 2008 (date de l’événement), il est d’accord que la date de consolidation soit fixée au 9 juin 2010 telle qu’indiqué par le dr Nadeau. De plus, il ne fera pas d’évaluation pour l’atteinte permanente puisque le dr Nadeau l’a évalué et c’est ce qu’il aurait indiqué.
Donc, l’évaluation du dr Nadeau sera le REM utilisé dans le dossier du T.
Capacité à occuper son emploi depuis le 9 juin 2010. Aucune limitation fonctionnelle. Calcul de l’APIPP à faire.
[…]
2010-09-07 […]
Titre : Désaccord avec le pourcentage d’apipp
- ASPECT LÉGAL :
Tél. du T [travailleur] : dit que son md, dr Leblond, ne l’a pas vu depuis le mois d’avril et qu’il n’avait pas le droit de prendre l’expertise du md désigné pour le pourcentage d’APIPP.
Je lui explique que oui, le md avait le droit d’être en accord avec l’expertise du md désigné. J’informe le T que la lettre de décision a été faxée à son avocate. Il peut contester la décision mais je lui suggère d’en discuter avec son avocate pour les démarches à suivre.
[…] [sic]
(Soulignements ajoutés)
[57] Il s’avère ainsi que c’est sur la base d’une mention verbale du docteur Leblond, médecin ayant charge du travailleur, que la CSST a considéré que l’ensemble des conclusions du docteur Nadeau devaient être considérées comme étant celles du médecin qui a charge du travailleur, incluant celles concernant la date de consolidation et le pourcentage d’atteinte permanente.
[58] Plusieurs irrégularités sont alléguées par la procureure du travailleur :
- La transmission du formulaire de rapport complémentaire au médecin ayant charge du travailleur par l’employeur plutôt que par la CSST, contrairement à l’article 212.1 in fine;
- L’absence de motivation par le médecin qui a charge du travailleur de son changement d’opinion sur la question de l’existence de limitations fonctionnelles, contrairement à l’article 212.1;
- Le fait que la CSST considère que le médecin ayant charge du travailleur a entériné la conclusion du médecin de l’employeur quant à l’atteinte permanente et se déclare liée par cette conclusion, contrairement à l’article 224;
- Le fait que le médecin ayant charge du travailleur n’a pas rencontré le travailleur avant de produire son rapport complémentaire et, surtout, n’a pas informé ce dernier sans délai du contenu de son rapport, contrairement à l’article 212.1.
La transmission du rapport complémentaire par l’employeur
- La légalité
[59] Le tribunal note d’abord que l’employeur a effectivement lui-même transmis au médecin désigné par la CSST le formulaire prescrit par la CSST pour la production d’un rapport complémentaire.
[60] Le tribunal ne voit là, en soi, rien d’illégal et encore moins de fatal. Par contre, cela n’apparaît pas souhaitable et peut entraîner des problèmes dont l’employeur fera essentiellement les frais le cas échéant.
[61] Il n’est en fait pas prévu à l’article 212.1 que qui que ce soit ait à transmettre ledit formulaire au médecin qui a charge du travailleur. Il est seulement mentionné que ce dernier « peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu’elle prescrit, un rapport complémentaire […] ».
[62] En transmettant lui-même le rapport d’expertise médicale au médecin ayant charge du travailleur, avec le formulaire au surcroît, l’employeur s’assure du traitement rapide du dossier, le médecin ayant charge du travailleur ayant immédiatement le rapport d’expertise en mains et le délai de 30 jours prévu à l’article 212.1 commençant immédiatement à courir plutôt qu’uniquement après que la CSST ait reçu le rapport d’expertise et l’ait elle-même retransmis au médecin du travailleur.
[63] En outre, il est clairement énoncé à l’article 215 précité que l’employeur doit transmettre « sur réception, au travailleur et au médecin qui en a charge, copies des rapports » obtenus en vertu de la procédure d’évaluation médicale. L’employeur s’acquittait donc de son obligation légale en transmettant copie du rapport d’expertise du docteur Nadeau au docteur Leblond.
[64] Incidemment, le tribunal souligne qu’en l’instance l’employeur avait déjà fait les frais du retard de la CSST et du travailleur, lesquels ne l’avaient pas informé sans délai, comme le prévoit la loi, de la production du rapport final 1 ½ mois plus tôt, le travailleur continuant à être rémunéré entre-temps et l’employeur à être imputé du coût de ces indemnités.
[65] La lettre et l’esprit de la loi sont donc respectés avec cette façon de procéder, le but étant que le médecin du travailleur reçoive copie du rapport d’expertise médicale et ait l’occasion, s’il le souhaite, de fournir à la CSST un rapport complémentaire pour étayer ses conclusions.
[66] En outre, si jamais (ce qui n’est pas le cas en l’instance, tel que décidé précédemment) le rapport d’expertise médicale du médecin de l’employeur était irrecevable à titre de rapport infirmant les conclusions du médecin qui a charge, parce que produit après l’expiration du délai de 30 jours accordé par la loi, il reviendrait ensuite à la CSST, le cas échéant, de refuser tant le rapport du médecin de l’employeur que le rapport complémentaire et de se considérer liée par le rapport contesté du médecin du travailleur, conformément à l’article 224 de la loi[2].
[67] Le tribunal précise en outre, contrairement à ce qui est allégué par la procureure du travailleur et évoqué dans certaines décisions qui ont suivi, qu’il n’a pas été décidé dans l’affaire Coopérative forestière Papineau-Labelle et Gagnon[3] que le fait pour l’employeur d’avoir transmis lui-même au médecin du travailleur le formulaire de rapport complémentaire invalidait totalement ce dernier. Le tribunal signale alors plutôt uniquement, qu’il « serait logique et préférable » qu’on laisse le soin à la CSST de s’en occuper, ce qui est fort différent.
- L’opportunité
[68] Bien que n’étant pas en tant que telle illégale et méritant d’être sanctionnée de nullité, cette façon de procéder n’est cependant pas souhaitable, plus particulièrement pour les raisons qui suivent.
[69] D’abord, lorsque c’est la CSST qui transmet le formulaire de rapport complémentaire au médecin qui a charge du travailleur, il est permis de croire qu’elle l’accompagne d’une lettre explicatrice ou, à tout le moins, que le médecin saura avec qui communiquer s’il a des interrogations.
[70] Ensuite, un autre problème réside dans le fait que le formulaire en question ne peut à toutes fins utiles être transmis en blanc au médecin ayant charge du travailleur, différentes sections devant normalement être remplies par la personne qui le transmet. Il doit être clair que si l’employeur décide de remplir et de transmettre lui-même le formulaire et qu’il commet une erreur dans ce qu’il inscrit, il devra en assumer les conséquences.
[71] Ainsi, il est notamment prévu au formulaire qu’il faut indiquer au médecin ayant charge du travailleur les sujets quant auxquels ses conclusions ont été infirmées. Cela peut parfois être simple, parfois moins, les nuances ou distinctions ne sautant pas toujours aux yeux, surtout à ceux d’un profane.
- La globalité des rapports médicaux (ou le caractère indissociable des conclusions)
[72] On ne saurait en outre permettre à un employeur de faire un tri dans les conclusions de chacun des deux médecins et de choisir ce qui fait son affaire dans chaque rapport médical. L’opinion d’un médecin constitue un tout et ses conclusions sont normalement en interrelation les unes avec les autres. L’employeur ne peut s’arroger le droit de ne retenir que ce qui lui convient dans chaque rapport médical et de ne demander l’opinion du médecin qui a charge du travailleur que sur les questions quant auxquelles il privilégie l’opinion de son médecin, même si ce dernier diverge également d’opinion avec le médecin qui a charge sous d’autres aspects.
[73] Il va de soi que cela implique également, indépendamment du fait que ce soit l’employeur ou non qui soumette le formulaire de rapport complémentaire à la CSST, que l’employeur ne peut non plus limiter la contestation du rapport du médecin qui a charge du travailleur aux sujets qu’il choisit, ce qui reviendrait au même. C’est d’ailleurs ce que l’employeur a fait en l’instance : il a transmis le rapport du docteur Nadeau à la CSST et indiqué qu’il contestait le rapport final du docteur Leblond, mais précisé vouloir un avis du Bureau d’évaluation médicale sur les questions de diagnostic et de limitations fonctionnelles uniquement. Il excluait donc plus particulièrement la date de consolidation, son médecin ayant consolidé la lésion plus tard que le docteur Leblond.
[74] Il est important de préciser qu’il peut arriver que le tribunal retienne certaines conclusions d’un expert et certaines d’un autre expert, mais dans un contexte de débat contradictoire et de prise de décision impartiale, dans le but de rendre justice, après avoir apprécié l’ensemble de la preuve et considéré que c’était ce qui correspondait le mieux à la réalité médicale du travailleur, ce qui est très différent.
[75] Le fait pour l’employeur de choisir les sujets quant auxquels il soumet une contestation médicale peut mener à des situations qui n’auront aucun sens. Tel que mentionné précédemment, une opinion médicale constitue un tout et les conclusions de deux experts, à la lumière d’évaluations qui peuvent parfois être fort différentes, pour différentes raisons, ne sont pas nécessairement et logiquement interchangeables.
[76]
Il est d’ailleurs énoncé à l’article
- Les ajouts au rapport complémentaires
[77] Quoique prêt à ne pas condamner l’envoi du formulaire de rapport complémentaire au médecin ayant charge du travailleur par un employeur, le tribunal est cependant nettement moins à l’aise avec le fait que cet employeur ajoute des annotations, et notamment des questions, audit formulaire de rapport complémentaire ou qu’il le modifie de quelque façon.
[78] Le tribunal rappelle que le médecin qui a charge du travailleur n’est pas obligé de remplir un rapport complémentaire même s’il reçoit copie d’un rapport médical qui infirme l’une ou l’autre de ses conclusions. S’il s’abstient, la procédure médicale suivra son cours, le dossier complet sera transmis au Bureau d’évaluation médicale, un avis sera émis par un membre désigné par ce Bureau, la CSST rendra une ou des décisions en conséquence et celles-ci pourront être contestées par l’une ou l’autre ou les deux parties, ce qui inclut le travailleur.
[79] Il ressort plus précisément de l’article 212.1 que le médecin qui a charge du travailleur peut fournir à la CSST un rapport complémentaire, « en vue d’étayer ses conclusions ». Il peut même alors « joindre un rapport de consultation motivé ». En fait, cette disposition vise clairement à donner au médecin du travailleur un droit de réplique face au rapport médical qui infirme l’une ou l’autre de ses conclusions. Libre à lui de s’en prévaloir ou non.
[80] Le législateur a en outre pris la peine de préciser que le rapport complémentaire, transmis le cas échéant par le médecin ayant charge du travailleur, serait sur un formulaire prescrit par la CSST. Les termes de ce rapport sont donc rigoureusement encadrés.
[81] Or, lorsque l’employeur modifie ou ajoute à ce formulaire, cela cause d’emblée un malaise. Lorsque ce qu’il modifie ou y ajoute dénature le sens de l’article 212.1, son but et le choix qu’il laisse au médecin ayant charge du travailleur de remplir ou pas ce formulaire, il y a là un véritable problème.
[82] En ajoutant au formulaire prescrit une question directe au médecin qui a charge du travailleur, à savoir s’il est d’accord ou non avec les conclusions du médecin infirmant les siennes et en ajoutant même les réponses « oui » et « non » avec un trait pour qu’il coche la réponse retenue, puis en demandant au médecin de détailler son opinion, l’employeur laisse clairement entendre au médecin qu’il doit répondre et prendre position.
[83] Or, tel que mentionné précédemment, ce n’est pas du tout le cas en vertu de la loi. Le médecin qui a charge du travailleur n’a pas l’obligation de prendre position, ni de se justifier s’il n’est pas d’accord avec les conclusions du médecin désigné. Il a le droit d’avoir un doute, il a le droit de se méfier des conclusions du médecin désigné tout en ne se sentant pas à l’aise ou suffisamment compétent pour le contredire, et il a le droit de préférer, que ce soit pour ces motifs, du fait de sa relation avec son patient ou de quelque autre raison qui lui appartient, que la procédure d’évaluation médicale suive plutôt son cours sans autre intervention de sa part. Il peut alors tout simplement ne pas transmettre de rapport complémentaire à la CSST : le dossier sera alors transmis au Bureau d’évaluation médicale, un avis sera émis par un membre désigné et spécialisé dans le domaine concerné et le travailleur pourra en outre contester les décisions qui y donneront suite s’il le désire. Ce qui n’est pas le cas si le médecin qui a charge du travailleur se dit en accord avec les conclusions du médecin désigné : le travailleur est alors lié par ces conclusions et ne peut les contester.
[84] Obliger (ou lui faire sentir qu’il l’est) le médecin qui a charge du travailleur à prendre position, voire à se justifier s’il n’est pas d’accord avec les conclusions du médecin désigné (ce qui peut favoriser le fait qu’il se dise en accord avec ces dernières), cela, au surcroît, alors que le plus souvent le médecin désigné est un médecin spécialiste alors que le médecin qui a charge du travailleur est quant à lui un omnipraticien, n’est conforme ni à la lettre ni à l’esprit de la loi et une action en ce sens ne peut être approuvée par le tribunal.
[85] Le but de l’article 212.1 (tout comme l’article 205.1, similaire) et du formulaire prescrit par la CSST pour l’actualiser, est de donner l’opportunité au médecin du travailleur de répliquer au médecin désigné et de motiver son opinion médicale s’il le désire. Cela s’inscrit dans la philosophie de la loi et plus particulièrement de la procédure d’évaluation médicale qui accorde préséance à l’opinion du médecin qui a charge du travailleur.
[86] Cela n’empêche évidemment pas le médecin qui a charge du travailleur, si c’est le cas et qu’il souhaite le mentionner, de plutôt écrire sur ce formulaire qu’il est finalement en accord avec les conclusions d’abord divergentes du médecin désigné.
[87] Mais considérant que ce n’est pas le but poursuivi par ce formulaire, que le médecin ayant charge du travailleur n’a aucune obligation de remplir ce formulaire non plus et que l’opinion qu’il exprimera dans ce formulaire liera le travailleur, il faut être extrêmement prudent et s’assurer que la loi est alors rigoureusement respectée.
[88] Or, ce n’est pas le cas en l’instance.
[89]
Les annotations de l’employeur au formulaire de rapport complémentaire
transmis au médecin ayant charge du travailleur ne respectent pas l’article
212.1. Ne serait-ce que pour ce motif, le rapport complémentaire du docteur
Leblond ne peut être jugé recevable et possédant le caractère liant prévu à
l’article
[90] Dans ce contexte, le dossier devait, et devra, être transmis au Bureau d’évaluation médicale afin qu’un membre soit désigné et que celui-ci statue sur les sujets quant auxquels les conclusions du docteur Leblond ont été infirmées par le docteur Nadeau, soit le diagnostic, la date de consolidation et l’existence ou l’évaluation de limitations fonctionnelles. Il est entendu que le membre du Bureau d’évaluation médicale pourrait également estimer approprié d’émettre son avis sur le pourcentage d’atteinte permanente, ce qu’il est d’ailleurs permis d’espérer considérant les délais déjà encourus dans ce dossier.
L’absence de motivation par le médecin qui a charge du travailleur de son changement d’opinion
[91] Sur son rapport final du 14 avril 2010, le docteur Leblond indique que la lésion professionnelle subie par le travailleur a entraîné une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et qu’il produira le rapport d’évaluation médicale du travailleur conformément au barème des dommages corporels.
[92] Selon le témoignage non contredit du travailleur, le docteur Leblond lui dit alors qu’il lui donnera un rendez-vous pour son évaluation. Les notes évolutives du dossier révèlent que le 13 juillet 2010 le travailleur déclare être toujours en attente de ce rendez-vous.
[93] Entre-temps, le docteur Nadeau, médecin désigné par l’employeur, évalue le travailleur et produit un rapport d’expertise médicale le 9 juin 2010, rapport qui est transmis au docteur Leblond. Le docteur Nadeau conclut quant à lui, notamment, que la lésion n’a pas entraîné de limitations fonctionnelles.
[94] Sur le rapport complémentaire qu’il signe vraisemblablement le 23 juin 2010, Le docteur Leblond se dit maintenant d’accord avec les conclusions du docteur Nadeau, médecin désigné par l’employeur et précise qu’aucune limitation fonctionnelle ne résulte de la lésion professionnelle. Le docteur Leblond n’explique pas son changement d’opinion.
[95] La procureure du travailleur allègue que le médecin ayant charge du travailleur devait justifier son changement d’opinion, d’autant qu’il n’a pas rencontré et encore moins évalué le travailleur entre-temps, et que ce silence invalide son rapport complémentaire.
[96] Une revue de la jurisprudence en la matière permet de constater le bien-fondé de cette allégation en l’instance. Il en ressort effectivement, de façon majoritaire, que si le médecin qui a charge du travailleur peut changer d’opinion et se rallier à celle du médecin désigné par l’employeur ou la CSST, il doit cependant expliquer minimalement ce changement[4].
[97] Cette exigence de motivation, à tout le moins sommaire, est d’autant compréhensible que le travailleur est lié par l’opinion de son médecin et qu’il est minimalement en droit de comprendre ce qui peut avoir justifié un revirement complet de la part de ce dernier sur une question médicale qui a un impact important sur le cheminement de son dossier, outre le fait qu’il a le droit d’être rassuré quant au fait qu’il ne s’agit pas d’une erreur d’inattention ou de quelque autre nature de la part de son médecin (surtout si le médecin ne l’a pas revu ou ne lui a pas reparlé entre-temps).
[98] Il est vraisemblable et acceptable qu’un médecin, après avoir lu un rapport d’évaluation médicale détaillée et motivée, convienne des conclusions qui en ressortent et qui peuvent différer de celles qu’il anticipait de prime abord. Il est également vraisemblable et acceptable qu’un médecin ait machinalement coché « oui » sur le rapport final aux questions de savoir si la lésion entraînait une atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles, en se disant qu’il procéderait ensuite à une évaluation médicale approfondie et qu’il statuerait alors de façon plus rigoureuse sur ces questions.
[99] Mais il est également possible que le médecin commette une erreur lorsqu’il écrit sur son rapport complémentaire qu’il est d’accord avec l’opinion du médecin désigné. Cette erreur est d’autant possible si le médecin ne rencontre pas le travailleur entre le moment de la réception du rapport du médecin désigné et celui de sa signature du rapport complémentaire. Il est alors permis de s’interroger : le médecin a-t-il pu confondre deux dossiers? Se souvenait-il de sa dernière rencontre avec le travailleur et de ce qu’il avait indiqué sur le rapport final? A-t-il bien pris le temps de comprendre toutes les conclusions du rapport d’expert? Si le médecin n’explique aucunement son revirement, toutes ces questions demeurent sans réponse, tant pour le travailleur que pour les instances ensuite appelées à se pencher sur son dossier. Et, dans la mesure où ce rapport est final et incontestable, cela n’est pas acceptable.
[100] Dans les circonstances, le rapport complémentaire du docteur Leblond doit également être déclaré irrecevable pour ce motif.
L’entérinement de l’ensemble des conclusions du rapport du médecin désigné
[101] Sur le formulaire de rapport complémentaire transmis par l’employeur au docteur Leblond, médecin ayant charge du travailleur, l’employeur a uniquement coché les questions de diagnostic et de limitations fonctionnelles comme étant celles quant auxquelles les conclusions du docteur Leblond auraient été infirmées par le docteur Nadeau.
[102] L’employeur ajoute ensuite de façon manuscrite la question suivante : « Êtes-vous d’accord avec les conclusions du Dr Nadeau? ». Le docteur Leblond coche « oui ». Invité par l’employeur à détailler son opinion, le docteur Leblond précise que le diagnostic est correct et qu’il n’y a effectivement pas de limitations fonctionnelles.
[103] La CSST s’interroge ensuite à savoir si le docteur Leblond est d’accord avec l’ensemble des conclusions du rapport du docteur Nadeau ou si son accord visait uniquement les deux questions visées et qui font ensuite l’objet de sa précision.
[104] Force est donc de constater que le rapport du docteur Leblond n’est pas clair du tout sur cet aspect.
[105] Or, il ressort clairement de la jurisprudence en la matière que l’opinion du médecin qui a charge du travailleur, plus particulièrement du fait qu’elle possède un caractère liant et qu’elle ne peut être contestée par le travailleur, doit être claire, limpide, sans ambigüité et ne pas porter à interprétation[5]. Cela est d’autant plus vrai lorsque le médecin qui a charge du travailleur se déclare en accord avec les conclusions d’un médecin désigné par l’employeur ou la CSST sans autre évaluation médicale du travailleur.
[106] En l’occurrence, l’opinion du docteur Leblond sur son rapport complémentaire ne peut, quant aux questions autres que celles du diagnostic et des limitations fonctionnelles, être jugée claire et dénuée d’ambigüité. D’ailleurs, la CSST elle-même était embêtée et a jugé bon communiquer avec le docteur Leblond pour clarifier le tout.
[107] Selon les notes évolutives au dossier, l’agent d’indemnisation de la CSST a communiqué par téléphone avec le docteur Leblond et obtenu des éclaircissements. Verbaux. Que l’agent rapporte dans ses notes.
[108] Des éclaircissements verbaux au rapport complémentaire, rapportés par un agent d’indemnisation de la CSST dans ses notes évolutives, peuvent-ils être considérés au même titre que ce que le médecin écrit dans son rapport complémentaire?
[109] Le tribunal conclut sans hésitation que non.
[110] Encore une fois, les conclusions du médecin qui a charge du travailleur ont un impact trop important, du fait de leur incontestabilité par le travailleur, et, de ce fait, la procédure entourant leur émission trop bien encadrée par la loi pour que l’on puisse contourner les exigences de celle-ci et accepter que des notes prises par un agent d’indemnisation de la CSST, même en toute bonne foi, puissent remplacer et même compléter ou préciser un rapport écrit dudit médecin.
[111] Le travailleur a minimalement le droit d’entendre ou de lire ce qui émane directement de son médecin et par lequel il sera lié.
[112] Si le législateur avait voulu que le médecin qui a charge du travailleur puisse communiquer verbalement ses conclusions à la CSST et que cela soit suffisant pour lier le travailleur, il l’aurait prévu. Il a au contraire prévu la production de rapports écrits précis et bien encadrés dans la loi.
[113] Même les écrits portent souvent à interprétation. Que dire des échanges verbaux? Comment être assurés que l’agent d’indemnisation a compris exactement les propos du médecin et les a rapportés avec tout autant d’exactitude? Pourquoi le travailleur devrait-il croire aveuglément ce qui est rapporté par l’agent? Alors que cela a un tel impact pour lui?
[114] En outre, dans d’autres circonstances, ce pourrait être l’employeur qui ait à se plaindre des conséquences de ce qui est rapporté par l’agent d’indemnisation de la CSST. Or, comment pourrait-il contester les conclusions du médecin qui a charge… simplement rapportées au dossier par l’agent d’indemnisation? Si tant est qu’il en prend rapidement connaissance?
[115] Bref, la loi prévoit explicitement la production de rapports écrits par les médecins, les conséquences de ces rapports médicaux peuvent être très lourdes, cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit des conclusions du médecin qui a charge du travailleur et il importe dans ce contexte d’être rigoureux et d’exiger que toute conclusion ou précision de la part du médecin soit formulée par écrit par ce dernier.
[116] De ce fait, c’est erronément que la CSST a conclu et rendu une décision selon laquelle elle était liée par l’opinion du docteur Leblond quant à l’ensemble des conclusions du docteur Nadeau et plus particulièrement quant au pourcentage d’atteinte permanente.
[117] La CSST aurait en fait dû obtenir, n’eut été l’irrégularité du rapport complémentaire à sa base, une évaluation écrite de la part du docteur Leblond quant au pourcentage d’atteinte permanente, ou bien désigner un médecin pour procéder à cette évaluation. Le dossier aurait alors pu être transmis au Bureau d’évaluation médicale en cas de différent. En outre, il est permis de croire que si le dossier avait été transmis au Bureau d’évaluation médicale sur les autres sujets, le membre désigné aurait vraisemblablement jugé opportun d’également régler la question de l’atteinte permanente.
[118] Dans l’état actuel des choses, considérant le délai important écoulé ainsi que les précédents motifs qui amènent le tribunal à rejeter l’ensemble du rapport complémentaire du docteur Leblond, il serait plus qu’opportun, en toute justice et équité, que le membre du Bureau d’évaluation médicale auquel le dossier sera soumis émette son avis sur l’ensemble des sujets médicaux énoncés dans la loi, incluant le pourcentage d’atteinte permanente.
L’absence de rencontre du travailleur avant la production du rapport complémentaire et l’absence de notification au travailleur du contenu dudit rapport par le médecin ayant charge de ce dernier
[119] La procureure du travailleur allègue que le médecin ayant charge du travailleur devait obligatoirement rencontrer le travailleur avant de remplir le rapport complémentaire et qu’il devait également informer ce dernier de son contenu, le non-respect de ces exigences entraînant l’irrecevabilité du rapport complémentaire.
[120] Avec respect, et après étude des dispositions et de la jurisprudence en la matière, le tribunal n’adhère pas à cette interprétation de la loi.
[121] Il faut en effet, tel que mentionné précédemment, être prudent et rigoureux dans l’appréciation de la recevabilité du rapport complémentaire du médecin qui a charge du travailleur lorsque celui-ci met fin à la procédure d’évaluation médicale. On peut également juger préférable, voire souhaitable, que le médecin du travailleur rencontre ce dernier avant de signer un rapport ayant un impact aussi important sur l’évolution de son dossier.
[122] Il y a cependant un grand pas entre juger souhaitable et exiger sous peine de nullité de l’acte, pas que le tribunal ne juge pas opportun de franchir, sous réserve de l’appréciation des circonstances propres à chaque dossier.
[123] Ainsi, conformément à la jurisprudence en la matière[6], le tribunal considère que ce qui importe est que l’on puisse conclure que le médecin ayant charge du travailleur avait une connaissance suffisante de l’état du travailleur lorsqu’il a signé son rapport. Cette connaissance lui permet d’évaluer la valeur du rapport d’évaluation du médecin désigné et de remplir en toute connaissance de cause son rapport complémentaire sans qu’il ne soit obligatoire qu’il revoit le travailleur.
[124] En l’instance, le docteur Leblond avait déclaré la lésion du travailleur consolidée lorsqu’il l’a rencontré le 14 avril 2010. Or, par définition, une lésion consolidée n’évolue plus. Ainsi, lorsqu’il lit le rapport du docteur Nadeau complété 1½ mois après cette consolidation, il n’y a aucune raison de croire qu’il ne connait pas bien l’état du travailleur. Le problème ici se situe plutôt sur le plan de la compréhension du revirement du docteur Leblond qui ne s’explique pas, lacune d’ailleurs retenue précédemment comme invalidant son rapport.
[125] En ce qui concerne le fait que le médecin n’ait pas informé le travailleur du contenu de son rapport, le tribunal conclut qu’il ne s’agit pas non plus d’un manquement fatal et invalidant le rapport complémentaire.
[126] Il est vrai qu’il est énoncé à l’article 212.1 in fine que le médecin informe le travailleur sans délai du contenu de son rapport.
[127] Comme il en est généralement décidé dans la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles[7], le tribunal conclut cependant qu’il ne s’agit pas là d’une obligation faite au médecin dont le non-respect invalide son rapport, mais bien uniquement d’un rouage administratif dans la transmission de l’information, le travailleur devant normalement être informé par son médecin, notamment, du fait qu’il ne subsiste pas de limitations fonctionnelles de sa lésion et qu’il est donc capable de retourner au travail, le travailleur étant alors quant à lui censé communiquer sans délai l’information à son employeur[8].
[128] Dans la mesure où le travailleur ne peut de toute façon pas contester le rapport de son médecin, le fait que ce dernier ne l’informe pas lui-même et sans délai du contenu du rapport qu’il a produit ne change rien aux droits du travailleur, ne lui fait perdre aucun droit. On voit mal, dans ce contexte, comment le fait pour le médecin de ne pas avoir communiqué rapidement le contenu de son rapport pourrait être fatal, invalider son rapport et entraîner des effets exorbitants équivalant à ce qui aurait prévalu si le travailleur avait eu un droit de contestation du rapport de son médecin. Le remède apparaît nettement excessif par rapport au mal.
[129] Le tribunal précise ne souscrire aucunement à l’interprétation de la loi selon laquelle, du fait que le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix[9], il peut demander un rapport médical à un autre médecin s’il n’est pas d’accord avec les conclusions du médecin qui avait auparavant charge de lui[10].
[130] D’abord, il y a une nette différence entre les soins d’un professionnel de la santé et les rapports administratifs qu’il produit ensuite. Le fait de pouvoir choisir par qui on se fera soigner n’implique pas de pouvoir ensuite le renier lorsque l’on n’est pas d’accord avec son opinion sur des aspects médico-légaux.
[131] Ensuite, retenir une telle interprétation pourrait entraîner un magasinage éhonté de médecins par les travailleurs, ceux-ci, de manière compréhensible, étant alors tentés de renier, et même à répétition, tout médecin ne concluant pas de façon satisfaisante à leurs yeux et entraînant un cheminement administratif de leur dossier avec lequel ils sont en désaccord.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 372436-01C-0902
SUSPEND la mise au rôle de cette requête;
CONVOQUERA à nouveau les parties lorsque le litige concernant le diagnostic de la lésion alléguée être professionnelle sera réglé ou porté devant la Commission des lésions professionnelles.
Dossier 421874-01C-1010
ACCUEILLE le moyen préalable soulevé par le travailleur, monsieur Jean-Ménard Cyr;
ACCUEILLE la requête du travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 septembre 2010 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE recevable la demande de révision du travailleur du 14 septembre 2010 quant aux conclusions médicales retenues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que le rapport complémentaire produit par le docteur Christian Leblond le 23 juin 2010 ne lie pas la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle achemine sans délai le
dossier médical au Bureau d’évaluation médicale afin qu’un avis soit émis sur
l’ensemble des sujets énoncés à l’article
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Tel qu’il en a d’ailleurs été décidé dans l’affaire Coopérative
forestière Papineau-Labelle et Gagnon, C.L.P.
[3] Précitée, note 2.
[4] Voir notamment : Ouellet et Métallurgie Noranda inc.,
C.L.P.
[5] Voir notamment : Rousseau et Boiseries du
Saint-Laurent inc., C.L.P.
[6] Voir notamment : Jean et Belron Canada inc.,
[7] Voir notamment : Hamilton et Toyota Pie IX inc.,
C.L.P. 312268-63-0703, 10 mars 2004; Raymond et Transformation B.F.L.,
C.L.P.
[8] Arts. 57 et 274 plus particulièrement.
[9] Art. 192
[10] Bergeron et Fondations André Lemaire, C.L.P.