COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES QUÉBEC QUÉBEC, LE 22 septembre 1995 DISTRICT D'APPEL DEVANT LA COMMISSAIRE :ME MARIE BEAUDOIN DE QUÉBEC RÉGION: QUÉBEC ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR:GUY VALLIÈRES, MÉDECIN DOSSIER: 52805-01-9307 DOSSIER CSST: 0041 96457 AUDITION TENUE LE : 21 MARS 1995 DOSSIER BRP : DÉLIBÉRÉ LE : 31 MARS 1995 6118 2483 À : QUÉBEC GHISLAIN ROBINSON 924, du Moulin Saint-Jean-Chrysostome (Québec) G6Z 3G3 PARTIE APPELANTE et COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL 777, boul. des Promenades Saint-Romuald (Québec) G6W 7P7 PARTIE INTÉRESSÉE et MINISTÈRE DES TRANSPORTS 700, boul. René Lévesque est, 28e étage Québec (Québec) G1R 5H1 PARTIE INTÉRESSÉE D É C I S I O N Le 27 juillet 1993, M. Ghislain Robinson, le travailleur, dépose à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision du Bureau de révision paritaire rendue le 5 juillet 1993.Par cette décision, le Bureau de révision paritaire confirme les décisions de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) des 22 juillet, 27 août et 11 septembre 1992, déclare que l'état anxio-dépressif dont est atteint le travailleur ne constitue pas une lésion professionnelle, déclare qu'il n'a pas droit au remboursement des frais de déplacement relatifs aux consultations de M. R. Gagnon, psychologue, et déclare qu'il n'a pas droit au remboursement du médicament "Rivotril". Le Bureau de révision confirme également une décision de la Commission rendue le 6 mars 1993 et déclare qu'il n'a pas droit au remboursement d'un dossier et coussin obuforme.
L'employeur, le Ministère des transports, bien que dûment convoqué, était absent et non représenté.
Le 4 octobre 1993, la Commission déposait un avis d'intervention conformément à l'article
416 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).OBJET DE L'APPEL Le travailleur demande à la Commission d'appel de déclarer que son état anxio-dépressif est relié à la lésion professionnelle dont il a été victime.
La décision du 6 mars 1993 de la Commission, refusant de rembourser un dossier et un coussin «obuforme» n'est plus contestée.
LES FAITS À l'époque pertinente au litige, le travailleur, né le 29 mars 1943, est un ouvrier de la voirie à l'emploi du Ministère des transports depuis environ quatorze semaines.
Le 18 septembre 1990, en sortant une pancarte de sécurité d'un camion pour l'installer sur la chaussée, il trébuche et tombe sur le côté droit. Il ressent aussitôt une douleur lombaire et une douleur à la hanche. Un collègue de travail doit l'aider à se relever. Il consulte le soir même le Dr M. Roy. Ce dernier pose un diagnostic d'entorse lombaire et prévoit un arrêt d'une dizaine de jours.
Une semaine plus tard, il consulte à nouveau le Dr M. Roy.
Constatant la sévérité de l'entorse lombaire, il hospitalise le travailleur du 25 septembre au 1er octobre 1990 pour investigation radiologique. Une radiographie de la colonne dorsale ne démontre pas d'évidence de lésion osseuse mais uniquement de minimes changements dégénératifs. La myélographie lombaire s'avère normale.
Toutefois, puisque la condition du travailleur ne s'améliore pas, le Dr M. Roy demande une tomodensitométrie axiale de la colonne lombaire, car il suspecte la présence d'une hernie discale au niveau L3-L4.
Cet examen est fait en janvier 1991 et révèle la présence d'ostéophytes au niveau des facettes L3-L4, L4-L5, L5-S1, sans compression radiculaire. Devant les résultats de cet examen, le Dr M. Roy dirige son patient en orthopédie.
Il est d'abord examiné par le Dr Luc Côté, qui pose un diagnostic de "discarthrose lombaire sacrée rebelle" et suggère des traitements de physiothérapie. C'est ainsi que le 14 février 1991, le travailleur entreprend une première série de traitements de physiothérapie.
Le 17 octobre 1991, la Commission accepte la réclamation présentée par le travailleur.
Le travailleur est suivi au cours des mois de février à juin 1991 par le Dr M. Roy. Insatisfait des résultats obtenus en physiothérapie, il recommande une nouvelle consultation en orthopédie.
Le 17 juin 1991, le travailleur est examiné par le Dr Jean-Marc Lépine. Il retient un diagnostic de "séquelles d'entorse lombaire sur lésion d'arthrose". Il suggère d'abord des traitements conservateurs puis, si nécessaire, des infiltrations.
Le 18 septembre 1991, le Dr J.M. Lépine signe un rapport médical dans lequel il parle de douleurs lombaires résiduelles pour lesquelles une réadaptation devrait être envisagée. Il signale également que le travailleur bénéficierait d'une thérapie du support et de soins palliatifs.
Le 30 septembre 1991, le travailleur est examiné par le Dr Paul- O. Nadeau, orthopédiste, à la demande de l'employeur. Le travailleur a l'impression que sa condition s'aggrave; il boite continuellement et marche avec une canne. Il ne peut rester assis plus de 30 minutes ou se tenir debout plus de 10 minutes.
Après une quinzaine de minutes de marche, il doit s'arrêter. Il monte et descend très difficilement les escaliers. Il se plaint d'une douleur qui irradie au niveau du membre inférieur droit jusqu'aux orteils, avec engourdissement. Ses activités à la maison sont limitées; il ne fait aucun travail ménager, aucun entretien extérieur.
L'examen clinique révèle une sensibilité partout à la palpation de L3-L4 jusqu'à L5-S1, tant en central qu'en para-vertébral. La distance doigts-sol est à 60 centimètres et plus et la flexion à 20o. Cependant, lorsque le patient est assis à 90o, les hanches fléchies à 90o, les genoux en extension, il va à 12 centimètres à gauche et 15 centimètres à droite de sa pointe des pieds en gardant le tronc fléchi à 90o. Quant aux mouvements d'extension, ils atteignent 10 de façon active et 20 , de façon passive. Il n'y a pas de spasme musculaire lors de ces mouvements. Les rotations sont limitées à gauche comme à droite, de façon active comme passive. Le Lasègue est négatif, des deux côtés.
Le Dr P.O. Nadeau est d'avis que le travailleur a présenté une entorse lombaire qui est maintenant consolidée.
Dans un avis complémentaire, le Dr P.O. Nadeau signale qu'il n'y a pas de traitement utile chez ce patient. Il doit apprendre à vivre avec ses limitations. Il prévoit un déficit anatomo- physiologique de 2% et des limitations fonctionnelles reliées à une condition personnelle. Ces limitations comprennent celles d'éviter de soulever des poids de plus de trente livres, d'éviter les mouvements de torsion, flexion et rotation du tronc et d'éviter de rester en position stable prolongée, c'est-à-dire plus de quinze à vingt minutes.
Le 7 novembre 1991, le travailleur consulte son médecin traitant, le Dr M. Roy, qui note ce qui suit: «Patient de 48 ans.
Entorse lombaire, ostéophytose facettaire, dégénérescence discale, hernie? En attente de R.M.I. Anxieux - dépressif ++ Rec: 1) Conseils 2) Désyrel 50 2 co. M.S.
3) Rivotril ...» Le 20 novembre 1991, le Dr Jean-Marc Lépine complète un rapport d'évaluation médicale dans lequel il conclut que travailleur présente des séquelles anatomiques et fonctionnelles d'entorse lombaire, surajoutées à des lésions préexistantes d'arthrose. Il écrit que le travailleur est incapable d'effectuer, de façon efficace et rentable, un travail l'obligeant à manipuler, de façon répétitive, des charges de plus de vingt livres, qu'il est vulnérable aux mouvements répétitifs de flexion ou de torsion du tronc et doit éviter les vibrations à basses fréquences ressenties au niveau du rachis et éviter la marche de longue distance ou les positions statiques fixes prolongées. Compte tenu de ces limitations fonctionnelles, il suggère un déficit anatomo-physiologique de 2%.
Le 3 décembre 1991, le Dr Georges H. Reinhardt, neuro-chirurgien, en sa qualité d'arbitre médical, examine le travailleur afin de déterminer la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion.
Dans son rapport, le Dr G.-H. Reinhardt écrit ce qui suit: «Date ou période prévisible de consolidation de la lésion: Attendu que l'examen clinique ne met en évidence aucun signe de souffrance radiculaire, ni vertébrale; Attendu que la symptomatologie subjective alléguée n'est pas de nature organique; Attendu que les limitations des mouvements du rachis dorso- lombaire à l'occasion de l'examen sont incompatibles avec le reste de l'examen et que cette limitation est inconstante parce qu'au point de vue flexion, le patient présente une flexion normale de son rachis compte tenu de sa morphologie; Attendu que l'investigation neuro-radiologique n'a mis en évidence aucune hernie discale; Attendu que les radiographies simples ne montrent aucune lésion post-traumatique même si nous ne connaissons pas le rapport à venir de la résonnance magnétique, il est improbable que celle-ci révèle une pathologie qui ne serait pas corroborée par la clinique; Je confirme la date du 30 septembre 1991 comme étant la date de consolidation de la lésion.» Le 31 janvier 1992, la Commission donne suite à l'avis de l'arbitre médical, conclut que la lésion professionnelle du 18 septembre 1990 était consolidée le 30 septembre 1991, poursuit le versement de l'indemnité de remplacement du revenu puisque le rapport du médecin traitant indique une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
Le 7 février 1992, la Commission évalue à 2,20% l'atteinte permanente à l'intégrité physique du travailleur à la suite de sa lésion du 18 septembre 1990.
Le 6 mars 1992, il consulte à nouveau son médecin traitant, le Dr M. Roy. Ce dernier le dirige d'abord à la clinique de la douleur, auprès du Dr Bernard Paradis, et le renvoit également en psychologie, en raison de son état dépressif. Il suggère la reprise des traitements de physiothérapie.
Du 6 avril 1992 au 21 avril 1993, le travailleur consulte régulièrement M. Régis Gagnon, psychologue.
Le 8 mai 1992, la Commission déclare le travailleur admissible à la réadaptation et poursuit le versement de l'indemnité de remplacement du revenu, le temps de mettre en place un plan individualisé de réadaptation.
Devant l'impossibilité d'envisager un retour au travail chez l'employeur, des démarches sont entreprises afin de déterminer un emploi convenable.
Lors d'une visite du 5 juin 1992, le Dr M. Roy signe une attestation médicale parlant de discarthrose post-traumatique et d'anxiété secondaire.
En juin 1992, la Commission demande au travailleur d'énumérer les tâches qu'il aimerait occuper. Dans une lettre du 22 juin 1992, le travailleur, répond qu'il ne peut rien faire en ce moment. Il est sous les soins de M. R. Gagnon, psychologue et n'a pas les idées assez claires. Par contre, il écrit que dans un avenir rapproché, il aimerait soit obtenir son secondaire V, soit une technique en travail social; il aimerait prendre la lecture des compteurs pour Hydro-Québec ou travailler pour la Commission.
Apprendre les techniques de bureux ou suivre un cours pour travailler avec les personnes en difficulté seraient également parmi ces choix de carrière. Dans une note de bas de page, il ajoute qu'il n'a pas la capacité physique d'occuper l'un ou l'autre de ces postes, à temps plein.
Le 22 juillet 1992, la Commission refuse la réclamation du travailleur, en regard du diagnostic d'état anxio-dépressif, ne reconnaissant pas la relation entre ce diagnostic et la lésion initiale.
Cette décision est contestée par le travailleur. Elle est maintenue par le Bureau de révision paritaire, d'où l'appel devant la Commission d'appel.
Dans un rapport du 7 août 1992 adressé au procureur du travailleur, le Dr R. Gendron, psychologue, apporte les éclaircissements suivants: «Considérant l'atteinte de l'équilibre mentale quelques temps après l'accident de travail, la présence de douleurs omniprésentes, le changement du mode et du rythme de vie, l'insécurité et l'incertitude suscitées par son état de santé actuel tout comme par rapport à la recherche et l'exercice éventuelle d'une vie professionnelle adaptée à sa nouvelle réalité, génèrent chez lui une réaction non adaptée à ces facteurs de stress psychosociaux clairement identifiables.
Il s'agit ici d'un trouble de l'adaptation avec caractéristiques émotionnelles mixtes; les manifestations prédominantes associent une perturbation de l'humeur dont un syndrome dépressif incomplet et des symptômes d'anxiété.
En principe, la perturbation ne persiste pas au-delà de six mois suivant la survenue des facteurs de stress. Dans le cas présent, il s'agit de circonstances durables (près de deux ans) et la durée de la perturbation peut être beaucoup plus longue avant qu'un nouveau degré d'adaptation soit atteint. Suivant l'échelle de sécurité des facteurs de stress psychosociaux (DSM-III-R nous estimons de sévère à extrême la sévérité globale de l'atteinte.
(...)» Le 27 août 1992, le travailleur présente une facture pour des frais de déplacement reliés à une consultation auprès de M. R.
Gagnon, psychologue. La Commission refuse de rembourser ces frais en s'appuyant sur la décision précédemment rendue. Cette décision contestée à été maintenue par le bureau de révision d'où l'appel devant la Commission d'appel.
Le 4 septembre 1992, le travailleur présente une réclamation pour le remboursement de certains médicaments dont le Rivotril.
Le 11 septembre 1992, la Commission refuse de rembourser Rivotril, médicament associé au diagnostic d'état anxio- dépressif.
Cette décision a été contestée par le travailleur, maintenue par le Bureau de révision paritaire, d'où l'appel devant la Commission d'appel.
Au début de janvier 1993, le travailleur consulte régulièrement son médecin traitant, le Dr M. Roy, qui confirme les mêmes diagnostics, à savoir: "entorse lombaire, discarthrose post- traumatique, anxiété secondaire" et envisage la réadaptation sociale.
Au cours de la même période, il consulte le Dr Jean-Marc Lépine qui parle de séquelles douloureuses lombaires, avec limitations fonctionnelles importantes.
En octobre 1993, le Dr Jean-Marc Lépine suggère au travailleur de poursuivre une thérapie de support auprès d'un thérapeute social, M. Jean-Claude Bellavance. Dès les premières rencontres, le travailleur mentionne au thérapeute que depuis l'accident du mois de septembre 1990, il est au prise avec des limitations physiques importantes qui l'affectent psychologiquement. Après quelques mois de thérapie, le thérapeute constate que le travailleur se plaint régulièrement de douleurs physiques et qu'il vit énormément de frustrations liées à ses limitations en raison du fait qu'il doit renoncer à toutes sortes d'activités de loisir qui lui étaient accessibles auparavant. Il note également que le travailleur envisage avec beaucoup d'appréhension et d'incertitude son avenir et qu'il est souvent découragé.
Le 25 août 1994, le Dr Pierre Vincent, psychiatre, évalue le travailleur. L'objectif de son expertise, est de déterminer la présence ou non d'un processus psycho-pathologique qui serait en rapport avec l'accident du 18 septembre 1990 et d'en déterminer, s'il y a lieu, le déficit anatomo-physiologique.
Le Dr P. Vincent a pris connaissance du dossier médical et administratif, des notes médicales du Dr M. Roy et des notes de Régis Gagnon, psychologue. Il a également examiné le patient.
Le Dr P. Vincent note qu'une première prescription de Rivotril est faite le 23 avril 1991: «(...) Il n'est pas mentionné dans le dossier la raison de cette prescription mais il est plausible qu'elle soit faite soit pour ses vertus hypnotiques, soit pour ses vertus anziolytiques ou pour ses vertus myorelaxantes. En effet, le Rivotril est une benzodiazépine très puissante qui comme toutes les benzodiazépines peuvent avoir cette triple activité en plus d'une activité potentiellement anticonvulsivante.» (sic) Concernant la relation entre l'état émotionnel et sa lésion professionnelle, le Dr P. Vincent mentionne: «(...) En aucun moment dans le dossier médical de ce patient, le docteur Michel (sic) Roy qui connaît bien le patient ne présente de doute sur la relation qui existe entre l'état émotionnel de monsieur Robinson et les séquelles de l'accident subi en septembre 1990. Les notes du psychologue Gagnon, qui traite le patient au cours de cette période à partir du printemps 92 sont également explicites à ce sujet. Il apparaît clair que la réaction psychologique de monsieur Robinson est consécutive aux yeux de ces diverses personnes aux perturbations importantes qu'engendrent les conséquences de l'invalidité de monsieur Robinson sur sa vie personnelle. On constate que la vie du patient est globalement débalancée. Il ne peut plus avoir ses loisirs usuels de chasse et de pêche, ne fait plus des tâches usuelles qu'il faisait à la maison et aux alentours, même pour l'entretien de son parterre, le ramassage de la neige, etc.
Malgré le fait qu'il soit originaire d'une région socio- économique plutôt pauvre, son histoire personnelle d'autonomie socio-professionnelle est bonne le patient a exercé divers emplois d'abord comme journalier, en forêt et principalement comme épicier, métier qu'il a exercé pendant plus de 20 ans jusqu'à l'incendie de son établissement en 1986. Il n'y a aucune indication cependant dans l'histoire du patient ni dans son dossier médical que la perte de son commerce en 86 ait eu des répercussions sur son équilibre émotionnel. Nous savons également par l'histoire que son fils s'est suicidé par arme à feu le jour de la fête des pères en 1985. Le patient décrit tant à ses deux thérapeutes qu'à moi-même une réaction de deuil normal avec une acceptation finale de la décision qu'avait prise son fils. Il y a d'ailleurs 6 ans de distance entre l'apparition des symptômes anxiodépressifs notés par son médecin de famille et le décès du fils, et 5 ans avec l'histoire de l'incendie du commerce. il est pour le moins peu plausible qu'on puisse établir une relation de cause à effet entre les deux...
(...)» L'examen psychiatrique révèle ce qui suit: «Il est coopérant, spontané et cohérent tout au long de l'entretien. Il n'y a pas d'élaboration délirante, vécu hallucinatoire ou autres phénomènes d'ordre psychotique présents chez-lui. Le patient se plaint de troubles de concentration et d'attention variables. C'est sur le plan affectif que les symptômes prédominent avec une diminution de l'estime de soi, de tristesse, un sentiment de dévalorisation. Il y a des troubles du sommeil sous forme de sommeil achuré (sic). On dénote des période d'agressivité spontanées. Le patient décrit une anxiété subjective importante.
Le tableau clinique actuel sur le plan psychiatrique est celui d'un trouble dysthymique évoluant d'un trouble d'adaptation avec perturbations émotionnelles mixtes associé (sic) à un stresseur de niveau élevé. À mon avis, il n'y a aucun doute le stresseur et la limitation fonctionnelle que ce patient présente en rapport avec l'invalidité physique lombaire est consécutive à l'accident de 1990. Ce patient prend une médication constante, soit de la fluvoxamine (Luvox) 100 mg. par jour et Rivotril, une benzodiazépine très puissante à un dosage élevé, soit 4 mg. par jour. À mon avis, une approche associée en psychothérapie s'avère justifiée. Il n'y a aucune indication dans l'histoire de ce patient pouvant nous faire croire en une condition personnelle sur le plan émotif qui pourrait expliquer la pathologie psychiatrique actuelle de ce patient.
(...)» (sic) Dans un rapport rédigé en janvier 1995, M. J.C. Bellavance, thérapeute, écrit: «Quant à l'évolution notée au cours des dernières semaines, précisons au départ, que monsieur Robinson se plaint régulièrement de douleurs physiques qui perturbent son sommeil et qui l'obligent à des changements fréquents de positions.
Au plan psychologique, le tableau demeure le même avec la présence de frustrations reliées aux limitations physiques qui l'empêchent de mener une vie normale. Monsieur Robinson se voit donc confronté actuellement à une vie caractérisée par des restrictions de toutes sortes. Ajoutons que monsieur Robinson demeure très affecté par ses incapacités, ce qui contribue selon nous, à le rendre anxieux et déprimé. Nous notons toujours chez lui de l'incertitude face à l'avenir, un sentiment d'inutilité, une diminution de l'estime de soi, etc...
Nous notons également chez lui un niveau de vulnérabilité plus grand au plan psychologique, en ce sens que sa capacité de résistance au stress a diminué. Son état psychologique demeure variable. Certains jours, il vit des creux où il fait mention qu'il ressent une diminution de l'intérêt et du goût de vivre.
Par moment aussi, il se sent impatient et agressif, alors qu'il se dit "à fleur de peau".» À cette date, M. J.C. Bellavance recommandait de maintenir la thérapie de support entreprise il y a plus d'un an étant donné qu'on pouvait noter chez le travailleur une légère amélioration de son état sur le plan psychologique.
Dans un résumé de dossier, le Dr R. Gagnon, psychologue, reprend d'abord l'histoire personnelle du travailleur. Il retient que le travailleur a commencé à travailler très jeune. Il a un secondaire II, spécialisé en plomberie et chauffage. Il a été propriétaire d'une épicerie, de 1964 à 1986, date à laquelle un incendie a mis tragiquement fin à cette activité. Il est père de deux enfants, dont un garçon décédé en 1985 par suicide, à l'âge de 19 ans. Sur le plan personnel, le travailleur se dit sobre d'alcool depuis le 20 août 1980 et continue à fréquenter un groupe d'entraide pour maintenir sa sobriété.
Il ajoute que le travailleur se sent amoindri, diminué dans son mode de fonctionnement depuis l'accident du travail du 18 septembre 1990. Il écrit: «(...) Le trouble de l'adaptation avec caractéristiques émotionnelles mixtes mis en évidence le 06-04-1992 semble perdurer en raison des facteurs de stress qui persistent à ce jour. Ces derniers sont composés de divers éléments tels que la présence de douleurs chroniques, le changement du mode et du rythme de vie, l'insécurité et l'incertitude suscitées par son état de santé actuel et la recherche d'un emploi convenable génèrent chez lui une réaction non adaptée.
En définitive, la perturbation ne persiste pas au-delà de six mois suivant la survenue des facteurs de stress. Dans la présente situation, il est question de circonstances durables ainsi la durée de la perturbation peut-être beaucoup plus longue avant qu'un nouveau degré d'adaptation soit atteint.
(...) INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS Dans l'ensemble, les résultats mettent en évidence un accroissement de la condition anxio-dépressive de ce client entre mai 1992 et avril 1993. Plusieurs hypothèses peuvent être évoquées pour expliquer de tels résultats.
. En mai 1992, le contexte de la passation des tests étaient quelque peu différent. En effet, le client participait à des évaluations médicales et à des traitements de physiothérapie; ce qui lui permettait d'espérer une amélioration de son état. Il entrevoyait des possibilités de chirurgie ce qui le motivait et le maintenait confiant dans son processus de récupération.
. En avril dernier, à la lumière de constats médicaux récents, il se confronta à l'idée qu'il n'y aurait probablement pas ou peu d'alternative lui permettant d'espérer une situation physique plus acceptable.
. Les démarches d'identification d'un emploi convenable sont amorçées depuis peu. Il se dit intéressé à travailler tout au moins quelques années en autant que soient respectées les limitations qui lui ont été reconnues lors des diverses expertises. Cette étape l'insécure beaucoup d'autant plus qu'il anticipe de faibles possibilités de trouver ou d'identifier un poste de travail adapté et ce, dans un contexte socio-économique régional précaire.» La Commission d'appel a entendu le témoignage du travailleur.
Avant son accident, il pratiquait la chasse, la pêche, la marche en forêt, il coupait son bois de chauffage, faisait des travaux d'entretien courant, autant d'activités auxquelles il ne peut plus s'adonner.
Sept à huit mois après l'accident, son médecin traitant, le Dr M.
Roy, lui prescrit du Rivotril parce qu'il était dépressif. En 1992, il a su qu'il aurait des séquelles douloureuses de cette lésion sa vie durant; depuis ce temps, rien ne va plus. Il est découragé et a même pensé au suicide. Il a de la difficulté à faire face au public, il a même de la difficulté à se motiver pour aller voir son thérapeute.
Il voit M. J.C. Bellavance, thérapeute social, une fois par semaine. Il prend huit comprimés de Parafon, trois comprimés d'Entrotec, deux comprimés de Rivotril et un comprimé de Luvox 100 mg par jour. Cette médication le soulage partiellement et surtout, temporairement. Il utilise le TENS de cinq à sept heures par jour. Les Drs J.M. Lépine et A. Martin envisagent une greffe, ce qui lui redonne un peu d'espoir.
Il n'a jamais eu de problème lombaire avant l'accident du mois de septembre 1990.
La Commission d'appel a également entendu le témoignage du Dr P.
Vincent, psychiatre. Le Dr Vincent ne retient aucun autre facteur que l'accident de travail comme étant contributoire à la condition psychologique actuelle que présente le travailleur. Il écarte le facteur d'alcoolisme car le travailleur était sobre depuis une dizaine d'années. Il s'était, depuis longtemps, reconnu comme alcoolique, ce qui est, selon lui, un excellent pronostic d'abstinence. Il n'y a donc pas de lien entre l'alcoolisme et sa condition psychologique.
Quant au décès de son fils, il soumet qu'il n'y a pas d'évidence que cet événement ait été vécu par le travailleur autrement que comme un deuil normal.
Quant à l'incendie de son épicerie, il y a eu évidemment beaucoup de répercussions sur le plan financier mais cet événement n'a pas entraîné de consultation médicale ni fait renaître le problème d'alcoolisme. Le travailleur est une personne qui a eu des comportements responsables sur le plan économique. Il avait bonne réputation dans son village natal de la Gaspésie.
Concernant le «Rivotril», il précise que même si ce médicament n'est pas recommandé ou pas reconnu comme anxiolytique, n'étant pas classé comme tel, c'est surtout à ce titre qu'il a été prescrit en l'espèce. Aujourd'hui encore, ce médicament est prescrit pour l'anxiété. Le Désyrel que le travailleur prend depuis l'automne 1991 est un anti-dépresseur homéopathique fortement sédatif. Le Luvox est un anti-dépresseur thérapeutique et le travailleur en prend deux comprimés par jour. Il souffre d'une anxiété subjective, il se voit diminué, tant sur le plan physique que sur le plan intellectuel.
Enfin, il précise qu'un délai de six mois pour l'apparition d'un phénomène dépressif est un délai raisonnable. Il conclut que s'il n'avait jamais eu d'accident de travail, rien ne pouvait prédire qu'il évoluerait vers un syndrome dépressif.
ARGUMENTATION DES PARTIES Le représentant du travailleur soumet qu'on ne peut pas imputer uniquement à un phénomène personnel d'arthrose, qui par ailleurs a été nettement exagéré dans ce dossier, pour expliquer la condition psychologique bien documentée au dossier; il faut nécessairement rattacher cette condition psychiatrique à l'événement du mois de septembre 1990. La preuve est sans équivoque, et non contredite.
La preuve révèle également que le travailleur a passé à travers des difficultés énormes au cours de sa vie, ce qui démontre qu'il a une certaine force de caractère. Toutefois, les douleurs ressenties l'empêche de fonctionner.
De son côté, la procureure de la Commission explique que la réaction dépressive du travailleur est surprenante compte tenu de la nature de la lésion dont il a été victime il y a cinq ans.
MOTIFS DE LA DÉCISION La Commission d'appel doit déterminer si l état anxio-dépressif constitue une lésion professionnelle.
L'article 2 de la loi définit ainsi les notions de lésion profesionnelle et d accident du travail: 2. (...) «lésion professionnelle»: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation; «accident du travail»: un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle; La preuve n'établit pas la survenance d'un événement imprévu et soudain qui pourrait être à l'origine de l'état dépressif dont fait état le Dr M. Roy dans l'attestation médicale du 5 juin 1992. En conséquence, la Commission d'appel viendra à la conclusion que le travailleur a été victime d'une lésion professionnelle que dans la mesure où l'état anxio-dépressif constitue une rechute, récidive ou aggravation de la lésion profesionnelle du 18 septembre 1990.
Dans la mesure où la loi ne définit pas les expressions rechute, récidive ou aggravation, il faut présumer que le législateur n'a pas voulu conférer à ces mots une signification différente de leur sens usuel et courant de reprise évolutive, d'une réapparition ou d'une recrudescence de la lésion survenue lors de l'événement convenu.
Il importe dans un premier temps, d'identifier clairement la lésion dont le travailleur a été victime le 18 septembre 1991.
Le diagnostic posé par le médecin ayant charge est celui d'entorse lombaire. Constatant que cette entorse prenait un temps anormalement long à se résorber, le médecin suggère de poursuivre l'investigation. Celle-ci a permis de mettre en évidence des signes de dégénérescence discale à plus d'un niveau.
Un an après la survenance de cette lésion, les médecins reconnaissent unanimement que des douleurs résiduelles demeureront. De plus, il est également reconnu que le travailleur présente des limitations fonctionnelles qui sont identifiées tant par le Dr P. O. Nadeau que par le Dr J.M.
Lépine, le premier est toutefois d'avis que ces limitations relèvent de la condition personnelle du travailleur.
Or, la Commission a reconnu que le travailleur avait des séquelles fonctionnelles à la suite de sa lésion professionnelle en lui accordant un pourcentage d'indemnité pour atteinte permanente à son intégrité physique. De plus, elle a admis le travailleur en réadaptation reconnaissant ainsi que les limitations fonctionnelles résultant de sa lésion professionnelle l'empêchaient de reprendre son emploi.
Il est étonnant de remarquer que la première prescription de rivotril coïncide avec le moment où le travailleur apprend qu'il n'y a plus de traitement efficace pour sa condition et qu'il ne lui reste qu'à apprendre à vivre avec ses limitations fonctionnelles.
En mars 1992, le travailleur débute une thérapie qui a été jugé nécessaire tant par le Dr J.M. Lépine que par le médecin traitant. Dès les premières rencontres, le thérapeute identifie des troubles d'adaptation et d'anxiété reliés à la présence de douleurs constantes et au changement de mode de vie qu'elles ont entraînées.
À compter d'octobre 1993, il est suivi par un thérapeute social qui retient qu'en raison des contraintes physiques le travailleur mène une vie de frustrations, caratérisée par des restrictions de toute sorte.
En 1994, le Dr P.Vincent examine le travailleur et conclut de façon claire et sans équivoque qu'aucun autre événement que la lésion professionnelle peut expliquer l'état dépressif observé chez son patient.
Il écarte la possibilité que cette dépression soit reliée à d'autres événements dramatiques vécus par le travailleur en exposant les motifs qui l'amènent à conclure ainsi. Il rejette le fait que la mort de son fils contribue à son état actuel en démontrant que rien n'indique que cette mort tragique ait été vécue autrement que comme un deuil normal. Le travailleur n'a pas consulté, il n'a pris de médicament. L'incendie de son épicerie ne peut être contibutoire car l'évenement remonte à plus de six ans.
La Commission d'appel retient l'opinion du Dr P. Vincent et celles des thérapeutes qui ont suivi le travailleur depuis la lésion professionnelle de septembre 1991.
L'argument présenté par la représentante de la Commission selon lequel il y a disproportion entre la lésion professionnelle compte tenu de sa banalité et les conséquences psychologiques diagnostiquées chez le travailleur ne peut être retenu.
La Commission d'appel doit en effet tenir pour acquis le fait que l'entorse lombaire dont le travailleur a été victime a laissé des séquelles permanentes, qui ont été reconnues par la Commission.
Or, la preuve médicale reconnaît sans l'ombre d'un doute que ces mêmes séquelles qui ont amené la Commission à admettre le travailleur en réadaptation font également en sorte que le travailleur doit faire des ajustements significatifs dans sa façon de vivre, ce qui lui occasionne des problèmes d'adaptation qui sont le fondement de son état dépressif.
C'est dans ce contexte que la Commission d'appel reconnaît un lien entre la lésion professionnelle et l'état dépressif.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES ACCUEILLE l'appel de M. Ghislain Robinson; INFIRME la décision du bureau de révision rendue le 5 juillet 1993; et DÉCLARE que l'état anxio-dépressif est relié à la lésion profesionnelle dont M. Robinson a été victime le 18 septembre 1990.
MARIE BEAUDOIN Commissaire LABRIE, BELLEMARE & ASS.
Me Marc Bellemare 1584, chemin St-Louis Sillery (Québec) G1S 1G6 Représentant de la partie appelante PANNETON, LESSARD Me Susan Blais 777, rue des Promenades Saint-Romuald (Québec) G6W 7P7 Représentant de la Commission de la santé et de la sécurité du travail MINISTÈRE DES TRANSPORTS M. Gilles St-Laurent 92, 2e rue ouest, bureau 101 Rimouski (Québec) G5L 8E6 Représentant du Ministère des Transports
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appel; la consultation
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