Décision

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[Texte de la décision]

Section des affaires sociales

En matière de sécurité ou soutien du revenu, d'aide et d'allocations sociales

 

 

Date : 11 mai 2015

Référence neutre : 2015 QCTAQ 0569

Dossier  : SAS-M-204274-1210

Devant les juges administratifs :

CAROLINE GONTHIER

GILLES LÉGARÉ

 

L… L...

Partie requérante

c.

MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE

Partie intimée

 

 


DÉCISION




[1]              Le Tribunal est saisi d’un recours logé par la requérante à l’encontre d’une décision rendue en révision par l’intimé, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (le MTESS), le 1er octobre 2012, laquelle confirme l'annulation de l’aide financière de dernier recours à compter du 1er août 2012 ainsi que la réclamation d’un montant de 6 607,76 $, pour la période du 1er septembre 2011 au 31 juillet 2012, en raison d’avantages comptabilisables (dons répétitifs).

[2]              S’ajoutent également à ce montant des frais de recouvrement de 100 $ liés à une fausse déclaration.

 

CONTEXTE FACTUEL

[3]              Les faits ayant mené à cette réclamation se résument de la façon suivante.

[4]              La requérante bénéficie de l’aide financière de dernier recours depuis plusieurs années.

[5]              Le 16 mai 2012, à la suite d’un échange d’information avec la Société de l’assurance automobile du Québec, l’intimé demande à la requérante de lui fournir les certificats d'immatriculation du véhicule loué de marque Nissan, modèle Versa, de l’année 2007 et du véhicule GMC 1988 ainsi que les contrats d'achat liés à ces véhicules[1].

[6]              Par lettre du 1er juin 2012, la requérante déclare que le camion GMC 1988 appartient à son fils J... D..., mais qu’il est immatriculé à son nom, puisque son fils n’a plus de permis de conduire et qu’en raison de son âge, le coût de ses assurances est trop élevé. Elle effectuera le changement de nom à ce certificat d’immatriculation au plus tard le 20 juin[2].

[7]              Quant au véhicule Nissan, Versa 2007, elle indique qu’il lui a été offert en cadeau par ses quatre garçons. Ces derniers, également signataires de cette lettre, confirment ce fait et précisent qu’ils se sont entendus de ne pas lui offrir de cadeaux durant les trois prochaines années[3].

[8]              Le certificat d’immatriculation du véhicule est signé par la requérante[4].

[9]              La valeur au détail du véhicule d’occasion est de 8 450 $[5].

[10]           La requérante joint également le contrat de location du véhicule qu’elle a signé, le 18 juillet 2011.

[11]           Le locateur est la compagnie A[6] et les principales clauses du contrat prévoient que :

·        à partir de la date de la signature, la locataire (la requérante) loue ce véhicule pour une durée de 102 semaines;

·        elle doit verser 1 000 $ comme premier paiement;

·        chaque semaine, pendant toute la durée du contrat, payer la somme de 135 $, dont les paiements sont portables au bureau de location, jusqu’à 20 h le vendredi;

·        elle doit souscrire à une assurance pour sa protection ainsi que pour celle du véhicule de tous les risques potentiels[7].

[12]           Dans une seconde lettre datée du 18 juin 2012, la requérante fournit à son agente la description de ses revenus et de ses dépenses mensuels.

[13]           Quant aux dépenses concernant le véhicule, elle explique que ses quatre fils se partagent, à tour de rôle, les paiements de 135 $ par semaine pour la location du véhicule ainsi que ceux de 35 $ par mois pour le paiement des assurances[8].

[14]           Elle précise qu’à l’occasion, elle se rend directement au bureau du locateur afin d’effectuer les paiements de 135 $ à partir de l’argent que ses fils lui donnent ou par le biais de leurs propres cartes de crédit.

[15]           Elle ne savait pas qu’elle devait déclarer au MTESS la location de ce véhicule.

[16]           Par lettre du 18 juillet 2012, ses quatre fils confirment le mode de paiement décrit auparavant par la requérante et déclarent que le véhicule a été loué pour l’offrir en cadeau à leur mère avec une entente, au préalable, qu’elle n’aurait pas d’autres cadeaux de fête pour les trois prochaines années[9].

[17]           Le 19 juillet 2012, en raison d’un changement lié à ses revenus, gains ou avantages divers, la requérante est informée qu’à partir du 1er août 2012, elle n’est plus admissible à des prestations d’aide sociale ni au droit du carnet de réclamation et qu’elle doit rembourser au MTESS un montant de 6 607,76 $ ainsi que des frais de recouvrement de 100 $ pour fausse déclaration[10].

[18]           Le 1er octobre 2012, l’intimé confirme en révision ces décisions[11], d’où le présent litige devant le Tribunal[12].

 

TÉMOIGNAGE

[19]           À l’audience, le Tribunal a entendu le témoignage de la requérante qui relate essentiellement les mêmes faits que ceux déjà décrits précédemment dans ses déclarations ainsi que dans celles de ses quatre garçons.

[20]           Elle sait qu’en étant bénéficiaire de l’aide sociale, elle peut posséder un véhicule dont la valeur ne peut dépasser 10 000 $.

[21]           Comme elle n’encaissait aucun argent de ses fils, qui eux veillaient à payer la location du véhicule et les assurances offertes en cadeau, elle ne croyait pas qu’il fallait qu’elle déclare ce fait au MTESS.

[22]           À sa grande surprise, ce n’est qu’en juillet 2012 qu’elle a appris que son aide financière était cessée pour cette raison, alors qu’à ses yeux, il lui apparaissait tout à fait  normal que le véhicule Nissan soit à son nom. Elle ne s’en est jamais caché, même qu’elle en était très fière.

[23]           Contre-interrogée sur les motifs pour lesquels elle n’a pas déclaré ce changement de situation lors des déclarations mensuelles faites par téléphone à l’intimé, la requérante explique qu’il s’agit d’un cadeau offert par ses quatre fils et non d’un changement de situation qui, à son avis, doit être associé à des revenus ou des gains.

[24]           Elle souligne, d’ailleurs, que dans le cadre des déclarations mensuelles par téléphone, il n’y a aucune question se rapportant à l’acquisition d’une automobile.

[25]           Enfin, la requérante précise que le véhicule loué est maintenant au nom de l‘un de ses garçons et que le 8 novembre 2012, sa nouvelle demande d’aide financière a été acceptée par l’intimé[13].

 

ANALYSE ET DÉCISION

[26]           C’est à la lumière de l’article 55 de la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles[14] (la Loi) et de l’article 111 de son Règlement[15] que le Tribunal doit apprécier le présent litige qui vise ici à déterminer si, en raison de dons répétitifs, l’intimé est justifié d’annuler l’aide financière de la requérante à compter du 1er août 2012 et de lui réclamer une somme de    6 607,76 $ ainsi que les frais de recouvrement de 100 $ liés à une fausse déclaration.

[27]           Précisons que l’article 55 de la Loi prévoit que la prestation d’aide de dernier recours est versée sur la base du déficit existant entre les besoins reconnus pour un adulte ou une famille et ses ressources, et est établie chaque mois, selon sa situation au dernier jour du mois précédent.

[28]           L’alinéa deux du second paragraphe de cet article indique également que doit être soustrait du montant obtenu, les revenus de travail ou de biens, les gains et autres avantages de toute nature sauf dans la mesure où ils sont exclus par règlement.

[29]           L’article 111 du Règlement énumère la liste des revenus, gains et avantages pouvant être exclus aux fins du calcul de la prestation.

[30]           À la lecture de cet article, soulignons que le législateur ne réfère aucunement au don en argent. Seul le don en nature est exclu spécifiquement au paragraphe 28 de cette disposition, lequel paragraphe énonce comme exclusion :

« 28° la valeur monétaire des biens donnés ou des services rendus, notamment sous forme de vêtements, de meubles, de repas, de denrées alimentaires ou de réductions de loyer consenties par le propriétaire ou le locataire, s'ils sont offerts à titre gratuit et autrement que pour assurer l'exécution d'un jugement ou d'un acte juridique; »

[31]           Ainsi donc, afin de bien encadrer l’interprétation de la notion de « don », l’intimé s’est doté d’une directive intitulée « Dons, entraide ou simple cadeau ».  

[32]           Bien que le Tribunal ne soit pas lié par cette directive tirée du Manuel d’interprétation- Règles normatives élaborées par le MTESS, tout comme sa jurisprudence y fait référence, il juge également utile de s’y référer, d’autant plus que le litige repose ici sur la détermination de la nature du don[16].

[33]           Il y a lieu de reproduire ici les extraits pertinents de cette directive, lesquels se lisent comme suit :

«  LES CATÉGORIES DE DONS

Le CADEAU d’usage, reçu à certaines occasions, comme l’anniversaire de naissance, la fête de Noël, etc., EST EXCLU à titre de revenu lorsque la personne prestataire le déclare comme tel. Selon la nature du don, il sera considéré comme un bien ou un avoir liquide.

Le DON en NATURE est exclu en totalité, s’il ne découle pas d’une obligation légale ou contractuelle. Ce don consiste, par exemple, en :

Vêtements;

Meubles;

Denrées alimentaires;

Repas.

Le DON d’un BIEN, comme une auto, un bateau, un chalet, est considéré comme un bien, et ce, en tenant compte de sa nature. Pour plus d’information, se référer au thème 12.

Le DON en SERVICES est exclu en totalité s’il ne découle pas d’une obligation légale ou contractuelle comme par exemple un jugement de pension alimentaire. Ce don consiste, par exemple, en un mois de loyer gratuit, sans obligation imposée à la personne prestataire.

Le DON en ARGENT est considéré comme un revenu lorsqu’il a un caractère RÉPÉTITIF et comme un avoir liquide s’il est fait de façon ponctuelle.

CONSIDÉRATION D’UN DON À CARACTÈRE RÉPÉTITIF

Le don en argent devient répétitif lorsque la personne prestataire a reçu au moins un autre don au cours des 12 derniers mois, incluent le mois où le dernier don est reçu, et ce, peu importe la source. Il est donc important, en présence d’un don, de toujours vérifier s’il y a eu un autre don au cours des 12 derniers mois. Toutefois, il ne faut pas tenir compte des dons reçus alors que la personne prestataire ne recevait pas d’aide de dernier recours.

Lorsque la ou le prestataire reçoit plusieurs dons au cours d’un même mois, ceux-ci sont considérés comme un seul don.

Le montant à comptabiliser correspond au montant versé comme don. »

(Transcription conforme)

[34]           Dans le cas qui nous occupe, le Tribunal doit donc maintenant déterminer s’il s’agit d’un don unique, soit un cadeau d’usage offert à la requérante par ses enfants, celui-ci étant exclu à titre de revenu, ou bien s’il s’agit plutôt d’un don en argent, et qui, en raison de son caractère répétitif, et de par la jurisprudence constante du Tribunal[17], doit être comptabilisé comme un gain ou avantage aux fins du calcul de la prestation versée à la requérante.

[35]           Ainsi, après avoir analysé l’ensemble de la preuve qui lui a été présenté et considéré les arguments invoqués par chacune des parties, le Tribunal est d’avis qu’il s’agit d’un don en argent, à caractère répétitif. Par conséquent, les sommes sont comptabilisables, sauf pour une période de trois mois dont les raisons sont les suivantes.

[36]           Tout d’abord, le Tribunal estime que le contrat de location du véhicule est un élément important en ce qu’il établit que ce n’est pas le véhicule qui est offert en cadeau, mais plutôt la valeur du paiement hebdomadaire de la location du véhicule ainsi que le paiement mensuel pour les assurances qui permettent l’utilisation du véhicule.

[37]           En somme, bien qu’il s’agisse du mode de financement que ses fils ont choisi pour qu’elle puisse bénéficier de ce véhicule, il n’en demeure pas moins que chaque semaine, ces derniers versent, à tour de rôle, une somme d’argent au bénéfice de la requérante qui, d’ailleurs, est liée au contrat de location et qui, à défaut d’effectuer les paiements, sera la seule responsable vis-à-vis le créancier.

[38]           Dans les faits, tel que la jurisprudence constante du Tribunal le précise, c’est le caractère répétitif du don qui fait en sorte qu’il devient un avantage et qu’il doit alors être comptabilisable.

[39]           Ici, même si ce sont les fils de la requérante qui vont porter les paiements de location au bureau du locateur, il s’agit bien de dons répétitifs faits sous forme de versements hebdomadaires, pour une période de plus d’un mois, au profit de la requérante.

[40]           Certes, le Tribunal ne met aucunement en doute la bonne foi de la requérante et la générosité de ses fils.

[41]           Néanmoins, bien qu’ils aient utilisé ce mode de financement, la finalité de leur geste fait en sorte que la requérante bénéficie chaque mois de quatre versements hebdomadaires de 135 $ pour la location du véhicule ainsi que d’un montant mensuel de 35 $, lesquels, en raison du caractère répétitif, constituent des gains ou avantages et doivent être comptabilisés aux fins du calcul de ses prestations.

[42]           Dans une telle mesure, le Tribunal ne peut retenir les prétentions du procureur de la requérante voulant qu’il s’agisse d’un cadeau unique offert par ses fils et qu’elle n'a pas à être pénalisée par le mode de paiement utilisé par ces derniers.

[43]           Toutefois, s’inspirant de la directive voulant que le cadeau d’usage reçu à certaines occasions soit exclu à titre de revenu et qu’un prestataire qui reçoit plusieurs dons au cours du même mois qu’ils soient considérés comme un seul don, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de réduire, au motif qu’ils sont considérés comme cadeau unique, les mois de décembre 2011 (Noël), mai 2012 (fête des Mères) et juillet 2012 (anniversaire de la requérante).

[44]           Quant aux autres mois, le Tribunal considère que, lors du calcul de la prestation de la requérante, la comptabilisation des sommes de 135 $ par semaine et de 35 $ par mois la rendait inadmissible à l’aide de dernier recours.

[45]           Enfin, concernant la fausse déclaration, en raison du manque de précision quant au fait que l’acquisition d’un véhicule peut constituer un changement de situation, le Tribunal estime qu’il ne peut s’agir d’une omission de manière à recevoir un montant supérieur à celui qui lui aurait autrement été accordé.

[46]           Dans ces circonstances, alors que l’intimé a une obligation légale d’informer la requérante de ses droits et obligations prévus par la Loi, le Tribunal retient les explications de cette dernière pour conclure qu’il n’y a pas fausse déclaration et que les frais de recouvrement de 100 $ ne sont donc pas justifiés.


POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

-        ACCUEILLE en partie le recours;

-        ANNULE les sommes réclamées pour les mois de décembre 2011, mai 2012 et juillet 2012 ainsi que les frais de recouvrement de 100 $ liés à une fausse déclaration;

-        REJETTE le recours quant au surplus.

 


 

CAROLINE GONTHIER, j.a.t.a.q.

 

 

GILLES LÉGARÉ, j.a.t.a.q.


 

Lambert et Associés, Avocats

Me Jimmy Ernst Jr Laguë Lambert

Procureur de la partie requérante

 

Madame Danielle Bourassa

Représentante de la partie intimée


 



[1] Page 1.

[2] Page 15.

[3] Idem. Cette lettre est également signée par les quatre fils.

[4] Page 23.

[5] Page 17.

[6] Pages 18 et suivantes.

[7] Pages 18 et 19.

[8] Page 6.

[9] Page 11 - La requérante est née en juillet 1963.

[10] Pages 24, 26 et 27.

[11] Pages 49 et suivantes.

[12] Pages 56 et 57.

[13] Pièce I-2.

[14] RLRQ, chapitre A-13.1.1.

[15] Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles, RLRQ, chapitre A-13.1.1., r.1.

[16] 2014 QCTAQ 06355, [22] et [23].

[17] 2014 QCTAQ 04176, 2014 QCTAQ 0757, 2014 QCTAQ 10908 et 2014 QCTAQ 8399.

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