Décision

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Décision - Commissaire - Québec

 

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

103316

Cas :

CQ-2013-3831

 

Référence :

2014 QCCRT 0423

 

Québec, le

31 juillet 2014

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE COMMISSAIRE :

Jacques Daigle, juge administratif

______________________________________________________________________

 

 

Mélanie Duclos

 

Plaignante

c.

 

Industrielle Alliance, assurance et services financiers inc.

Intimée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION INTERLOCUTOIRE

______________________________________________________________________

 

 

[1]          La Commission doit statuer sur une objection préliminaire fondée sur l’argument de la chose jugée que l’Industrielle Alliance, assurance et services financiers inc. (l’employeur) oppose à la plainte pour harcèlement psychologique déposée par madame Mélanie Duclos (la plaignante), le 29 juillet 2013, en vertu de l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1 (la LNT).

Les faits

[2]          Dans le document qu’il transmet à la Commission le 23 avril 2014, l’employeur résume les faits pertinents à l’étude du moyen préliminaire qu’il soulève.

[3]          Pour l’essentiel, ce résumé n’est pas contesté par la plaignante dans la « Réponse au moyen préliminaire de l’employeur » qu’elle produit le 14 mai suivant.

[4]          La Commission prend pour avérés, aux fins du débat sur le moyen préliminaire, les faits exposés dans le document patronal. La Commission y remplace cependant le terme « salariée », utilisé pour désigner madame Duclos, par le terme la « plaignante », qui la désigne dans la présente décision.

[5]          En voici la teneur :

[…]

Le ou le 28 février 2013, la plaignante a déposé à la Commission des normes du travail (« CNT ») une plainte pour harcèlement psychologique au sens de l’article 123.6 de la LNT dont la dernière manifestation de harcèlement alléguée était datée du 22 février 2013.

En date du 7 mars 2013, la plaignante faisait parvenir à Mme Carole Simard de la CNT un résumé des événements allégués au soutien de sa plainte pour harcèlement psychologique (pièce E-1), dont le dernier événement allégué était daté du 22 février 2013.

En date du 9 avril 2013, la plaignante produisait auprès de Mme Nicole Caron, enquêteur à la CNT, un document (pièce E-2) dans le cadre duquel elle référait à différents événements qui, à son avis, constituaient des actes de harcèlement psychologique, le dernier événement relaté reprenait essentiellement les éléments évoqués dans le document daté du 7 mars 2013.

Selon les informations dont nous disposons, le processus d’enquête aurait été interrompu à la demande du procureur de la plaignante, et ce, afin que la plainte soit déférée à la Commission des relations du travail (« CRT ») en juillet 2013.

Le ou vers le 4 mars 2013, la plaignante déposait une réclamation (pièce E-3) à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») (dossier CSST 140793746) en lien avec un événement d’origine allégué du 22 février 2013 qu’elle décrivait au formulaire de réclamation dans les termes suivants :

« Le climat de travail était difficile à supporter, depuis quelques semaines. Vendredi, le 22 février 2013, sur l’heure du lunch, mon supérieur immédiat a clairement indiqué que, pour des motifs sans relation avec la façon que j’avais de m’acquitter de mes tâches, il avait décidé de prendre toutes les mesures à sa disposition pour se débarrasser de ma présence. J’ai été incapable de faire face à une prise de position aussi injuste et je me suis rendue consulter le Dr Leclerc qui m’a prescrit une période de repos. »

La plaignante transmettait à notre cliente et à la CSST une attestation médicale initiale (pièce E-4) faisant état d’un diagnostic de « trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive », et ce, eu égard à un événement allégué du 22 février 2013. Une lettre de suivi adressée au Dr Leclerc par le procureur de la plaignante a été transmise à la CSST (pièce E-5). La plaignante transmettait également à la CSST la version écrite des faits (pièce E-1) datée du 7 mars 2013 adressée à Mme Carole Simard de la CNT.

Après analyse de la réclamation de la plaignante, obtention de la version des faits de chacune des parties et enquête tenue auprès des parties telle que colligée par écrit aux notes évolutives consignées par l’agent de la CSST (pièce E-6), celle-ci rendait une décision en date du 22 mai 2013 (pièce E-7) refusant la réclamation de la plaignante pour lésion professionnelle. La CSST statuait alors que les événements décrits ne permettaient pas d’accepter la réclamation de la plaignante comme un accident de travail, ni comme aucune autre catégorie de lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP »).

Bien que cette décision ait été dûment notifiée à la plaignante, celle-ci ne l’a pas contestée par voie de demande de révision auprès de la Direction de la révision administrative de la CSST de telle sorte que cette décision revêt un caractère final et irrévocable au sens de la loi.

Il appert que la plaignante, qui est toujours à l’emploi de notre cliente, est demeurée dans l’incapacité d’exercer un retour au travail, et ce, compte tenu de la lésion psychologique dont elle est affligée. Cette invalidité médicale apparaît à la lecture de l’attestation médicale initiale (pièce E-14) du Dr Leclerc, médecin ayant charge de la plaignante, du rapport d’expertise psychologique complété par Mme Claudine Lepage, psychologue, en date du 16 avril 2016 et du rapport d’expertise psychiatrique complété par le Dr Marc-André Laliberté, psychiatre, en date du 21 octobre 2013, ces deux derniers rapports ayant été déposés à la CRT par le procureur de la plaignante le 25 octobre 2013. Le rapport d’expertise psychologique du 16 avril 2013 avait d’ailleurs, à l’époque, été produit au dossier de la CSST par le procureur de la plaignante le 19 avril 2013 (pièce R-8).

Selon les renseignements dont nous disposons, il appert qu’à ce jour, la plaignante présente toujours une incapacité totale à réintégrer son emploi en raison de cette lésion psychologique, cette invalidité étant effective depuis le 22 février 2013.

L’analyse et la conclusion

LE DROIT

[6]          L’argument de la chose jugée qu’invoque l’employeur est fondé sur l’article 2848 du Code civil du Québec qui prévoit :

2848. L’autorité de la chose jugée est une présomption absolue; elle n’a lieu qu’à l’égard du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même cause et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes qualités et que la chose demandée est la même.      

[7]          L’article 123.6 traitant du harcèlement psychologique est introduit en 2002 dans la LNT. Il mentionne que :

123.6   Le salarié qui croit avoir été victime de harcèlement psychologique peut adresser, par écrit, une plainte à la Commission. Une telle plainte peut aussi être adressée, pour le compte d’un ou de plusieurs salariés qui y consentent par écrit, par un organisme sans but lucratif de défense des droits des salariés.

[8]          Cette disposition, alors de droit nouveau, comporte des caractéristiques particulières qui ont fait couler bien de l’encre. Il importe de les avoir à l’esprit dans l’analyse qui doit être faite.

[9]          D’abord, le législateur, en l’adoptant, n’a pas créé le harcèlement psychologique. Il s’agissait à l’époque d’un mal trop répandu dans notre société, que les recours existants, notamment dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001 (la LATMP), ne réussissaient pas à éradiquer.

[10]       De la jurisprudence développée par la Commission des lésions professionnelles (la CLP), dans le contexte de l’ensemble des travaux menés par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), et de la doctrine, émergeaient des principes que les victimes avaient trop souvent peine à faire reconnaître.

[11]       Le législateur a fait la synthèse de ces principes (Québec, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats de la Commission de l’économie et du travail, 2e sess., 36e légis.,19 novembre 2002, « Adoption du principe du Projet de loi no 143 : Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives », 10h20 (M. jean Rochon)) (Rapport du comité interministériel sur le Harcèlement psychologique au travail, 14 mai 2001, notamment pages 49 et 64) pour adopter les articles 81.18 à 81.20 de la LNT, créant une nouvelle norme du travail interdisant le harcèlement psychologique et instituant le droit de tout salarié à un milieu de travail en étant exempt, puis les articles 123.6 à 123.16 de la LNT y adjoignant des recours.

[12]       L’article 81.18 de la L.N.T est ainsi rédigé :

81.18    Pour l’application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.

Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.

[13]       Certains auraient pu penser que, puisque la définition retenue comportait l’idée d’un danger pour les salariés victimes de harcèlement qui pouvait influer sur leur intégrité et leur santé au travail, l’administration du nouveau régime mis en place et les recours s’y rapportant seraient confiés aux instances responsables de la protection de la santé et de la sécurité au travail de la CSST.

[14]       Le législateur a fait un autre choix. C’est à la Commission des normes du travail (la CNT), puis à la Commission, par ricochet, que la gestion du nouveau régime de protection fut confiée, notamment en lui octroyant de nouveaux pouvoirs d’enquête.

[15]       La compétence d’entendre les nouveaux recours créés fut confiée à la Commission.

[16]       Tel est le sens de l’article 123.6 précité : « … le salarié… peut… adresser… une plainte à la Commission… »

[17]       L’article 123.16 de la LNT est en quelque sorte une trace du dilemme devant lequel était le législateur, conscient qu’existaient les instances créées par la LATMP, les compétences qui leur étaient réservées relativement aux lésions causées par des accidents du travail et/ou maladies professionnelles, « à l’exclusion de tout autre tribunal » et des besoins plus vastes encore des victimes.

[18]       Cet article est rédigé comme suit :

123.16   Les paragraphes 2o, 4o et 6o de l’article 123.15 ne s’appliquent pas pour une période au cours de laquelle le salarié est victime d’une lésion professionnelle, au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001), qui résulte du harcèlement psychologique.

Lorsque la Commission des relations du travail estime probable, en application de l’article 123.15, que le harcèlement psychologique ait entraîné chez le salarié une lésion professionnelle, elle réserve sa décision au regard des paragraphes 2o, 4o et 6o.

[19]       Sur tous les autres sujets d’application du principe établis à l’article 123.6 de la LNT et les pouvoirs de redressement mentionnés à l’article 123.15, c’est donc à la Commission que la compétence fut attribuée, et ce, à l’exclusion de tout autre tribunal.

[20]       Il est évident qu’une fois que les instances de la santé et de la sécurité au travail ont exercé leur compétence en dédommageant un salarié victime d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle entraînée par le harcèlement, le dossier est clos sur la question de cette compensation ou de toute autre réclamation en ce sens qui pourrait être adressée à l’employeur.

[21]       Mais, dans la mesure où la situation répond aux critères de l’article 123.6 et qu’une situation de harcèlement est identifiable, la compétence de la Commission n’est pas épuisée pour autant par une décision indemnisant le salarié.

[22]       À titre d’exemple, la deuxième phrase de l’article 123.6 réfère à une situation où plusieurs salariés sont victimes du harcèlement, en leur permettant, à certaines conditions, d’être représentés par un organisme sans but lucratif.

[23]       Certains d’entre eux peuvent avoir été victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle et d’autres pas.

[24]       Les premiers avaient un recours en vertu de la LATMP qu’ils ont exercé, ou auraient dû exercer, pour se faire compenser des dommages subis en raison de la lésion causée par leur accident de travail ou leur maladie professionnelle. Les seconds n’en avaient pas en vertu de cette loi.

[25]       Pour ces derniers, comme pour les premiers qui désirent que soit rendue une ordonnance enjoignant à l’employeur de prendre les mesures pour que le harcèlement cesse, ou obtenir tout autre moyen de réparation permis, la Commission est la seule instance qui est accessible. Elle est la seule à s’être vue octroyer ce champ de compétence, tout comme celui de rendre les ordonnances appropriées dans les circonstances de l’affaire.

[26]       Prétendre, comme le veut l’argument de l’employeur, qu’il y aurait chose jugée faisant obstacle à leur recours, parce que la CSST ou la CLP a conclu, à tort ou à raison, en dehors de leur champ de compétence, qu’il n’y avait pas de preuve de harcèlement psychologique, c’est commettre une profonde erreur de droit.

[27]       En effet, c’est à la Commission qu’est octroyée la compétence exclusive de déterminer s’il y a eu harcèlement psychologique.

[28]       C’est par contre aux instances de la CSST que sont dévolues celles, exclusives également, d’identifier si un accident du travail ou une lésion professionnelle est intervenu, et de compenser la victime pour les dommages s’y rapportant, comme ceux découlant de n’importe quel autre accident de travail.

[29]       En édictant la réserve de l’article 123.16 de la loi, le législateur n’a pas transféré la compétence d’identifier les cas de harcèlement psychologique aux instances de la CSST. Seule la Commission détient la compétence pour le faire.

[30]       Il n’a qu’exigé que la Commission cède le pas à la CSST, et ce, seulement pour identifier les lésions professionnelles potentiellement causées par ce harcèlement ou cet accident de travail, ainsi que la façon de les compenser.

[31]       Donc, qu’il s’agisse des ordonnances à rendre au sens de l’article 123.15 pour lesquelles la Commission est seule compétente, ou de tout autre motif statutaire, au - delà de la réserve faite en vertu des derniers éléments du second paragraphe de l’article 123.16, elle doit exercer les compétences qui lui ont été octroyées.

[32]       Elle ne peut se défiler en prétextant, pour quelque motif que ce soit, que les instances en santé et sécurité au travail ont assumé, à sa place, sa compétence.

[33]       C’est dans ce sens qu’a décidé la Commission dans Goulet c. Coopérative de soins à domicile Beauce-Nord, 2012 QCCRT 0138.

[34]       Compte tenu de la teneur de l’objection de l’employeur, objet de la présente décision et de la jurisprudence sur la question, il nous faut vérifier s’il y a triple identité de parties, d’objet et de cause, en regard des deux dossiers à l’étude.

LA TRIPLE IDENTITÉ

De parties

[35]       Dans un recours entrepris en vertu de l’article 123.6 de la LNT, les parties sont l’employeur, d’un côté, et le ou les salarié(s), de l’autre.

[36]       En effet, c’est à l’employeur qu’est imposée par l’article 81.19 de la LNT l’obligation de prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement tout autant que prendre les mesures nécessaires pour le faire cesser, quand il survient.

[37]       C’est lui qui doit en répondre. C’est la partie, celle que met directement en cause le recours du salarié lésé. C’est à lui que seront adressées les ordonnances appropriées pour mettre fin au harcèlement.

[38]       Par contre, devant les instances de la santé et de la sécurité au travail, dont la CLP, c’est à l’administration, l’assureur public en la matière, que s’oppose le salarié.

[39]       L’employeur n’y est que mis en cause, parce que la décision à rendre risque de l’affecter, notamment à l’égard de ses cotisations au régime.

[40]       Nous n’avons donc pas, en comparaison du recours devant la Commission selon l’article 123.6 de la LNT, des parties identiques intervenant en même qualité.

De cause

[41]       Devant la Commission en vertu de l’article 123.6, la cause, c’est la recherche d’une possible situation de harcèlement psychologique.

[42]       Devant les instances de la CSST, le débat tient à l’identification de lésions professionnelles survenues au travail ou à son occasion. Ne nous méprenons pas, ces instances n’ont pas pour compétence d’identifier le harcèlement, mais les lésions qu’il peut causer, et à les compenser quand elles surviennent à l’occasion du travail et que la preuve leur en est faite.

D’objet

[43]       C’est essentiellement l’effet des dernières mentions de l’article 123.16 de la LNT que d’éliminer la possibilité même qu’il y ait identité d’objet.

[44]       La compensation relative à l’identification des lésions, que ce soit pour accident de travail ou maladie professionnelle, est du domaine exclusif des instances relevant de la LATMP.

[45]       La compétence de la Commission, bien que fort large, est limitée à l’identification des situations de harcèlement et aux remèdes à y apporter, à l’exclusion de la compensation pour lésion professionnelle, objet de la réserve édictée par les derniers termes de l’article 123.16.

La chose demandée

[46]       Pour être fidèle au texte de l’article 2848 du Code civil, cité plus haut, il faut ajouter ici que la chose recherchée n’est pas du tout la même devant la Commission que devant la CSST.

[47]       Il ne peut donc y avoir reconnaissance d’une « triple identité »; les parties n’étant pas les mêmes, n’agissant pas en même qualité, ni à l’égard d’un objet identique et la chose recherchée n’est pas la même.

[48]       Voici comment s’exprime la Cour d’appel sous la signature de l’honorable juge Bich dans Carrier c. Mittal Canada inc., 2014 QCCA 679 à ce sujet :

[96]      Vu le caractère particulier de cette situation en quelque sorte dichotomique, je ne vois pas pourquoi le régime de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ne pourrait pas coexister ici avec celui de la Loi sur les normes du travail, chacun visant à corriger un préjudice n’émanant pas de la même source.

(soulignement ajouté)

[49]       La Commission réitère donc l’analyse qu’elle faisait dans sa décision Goulet c. Coopérative de soins à domicile Beauce-Nord, (déjà citée), sans y retrancher quoi que ce soit.

[50]       Au contraire, le fondement juridique de cette décision peut, pour l’essentiel, être repris ici.

[51]       Le faire, par extraits successifs, serait fastidieux en raison du nombre qu’il faudrait en reproduire.

Question close?

[52]       Est-ce à dire qu’aucun cas ne pose problème, en termes de gestion d’instance? Au contraire.

[53]       La principale situation qui est source de problèmes est celle où une preuve administrée devant une instance doit également l’être dans l’autre.

[54]       Voici comment s’exprime à ce sujet la Cour supérieure dans l’affaire Clavet c. Commission des relations du travail, 2007 QCCS 4450 :

[62]      Il faut bien réaliser que le processus suivi par le législateur risque d'entraîner dans certaines circonstances un dédoublement de preuve, notamment en matière médicale. Une preuve qui s'avérerait pertinente pour déterminer si un harcèlement psychologique a entraîné chez le salarié une lésion professionnelle, devant la Commission de la santé et de la sécurité du travail, pourra l'être également pour déterminer s'il peut être tenu pour vrai plutôt que pour faux que c'est le cas, devant la Commission des relations du travail.

[63]       Il appartient aux parties à un litige et à leurs procureurs qui, rappelons-le, sont des auxiliaires de justice, de trouver les moyens d'éviter ou, à tout le moins, de limiter ces dédoublements dans la mesure du possible, de façon à ce que justice soit rendue avec célérité et efficacité et à des coûts décents.

[55]       Il faut plutôt voir dans ces cas, estime la Commission, une incitation à faire, au nom d’une saine administration de la justice, les admissions de faits qu’exige la situation : quitte, pour le décideur, à mettre de son poids dans la balance pour y parvenir, mais toujours en préservant le droit des parties à placer devant le tribunal compétent la preuve de l’ensemble des faits sur lesquels se fondent leurs prétentions. Il s’agit ici de l’exercice par la Commission de sa compétence à gérer l’audience.

[56]       Le législateur, en adoptant les articles 123.3 et suivants du Code, a d’ailleurs, pour parvenir à des résultats palpables, mis à la disposition des parties qui le désirent, un moyen de taille : la conciliation pré-décisionnelle. Pour la Commission, les impératifs d’une gestion d’instance efficace devraient inciter les parties plus récalcitrantes à s’en prévaloir, au lieu de multiplier les journées d’audience.

[57]       Il s’agit là pour la Commission, au nom de cette saine administration de la justice, d’une façon d’exercer une facette de sa compétence pour délimiter le litige (Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471).

[58]       La Commission reconnaît que, comme elle le notait dans l’affaire Goulet précitée, depuis la décision Rajeb c. Solutions d’affaires Konica Minolta (Montréal) inc., 2011 QCCRT 0397, un deuxième courant de jurisprudence a vu le jour, tant à la Commission que parmi les arbitres de griefs.

[59]       Elle est consciente également que, depuis l’affaire Goulet, d’autres décideurs se sont vu poser la question et ont opté pour l’un ou l’autre des deux courants (argument de la chose jugée rejeté : Comax, Coopérative agricole c. Syndicat des salariés de Comax (CSD), [2012] AZ-50926832 (T.A.), Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 c. Montréal (Ville de), 2014 QCTA 306, Pigeon c. Sears Canada inc., 2014 QCCLP 1983) (argument de la chose jugée accueillie : (Fédération des paramédics et des employés-es des services préhospitaliers du Québec c. Ambulances Bellechasse inc., [2013] AZ-51018087 (T.A.), Durocher c. Commission des relations du travail, 2011 QCCRT 0571 (révision judiciaire rejetée 2014 QCCS 237, permission d’appeler accueillie 2014 QCCA 761).

La présente affaire

[60]       Par-delà les principes qui viennent d’être exposés, la Commission note, à ce stade de l’instance, le libellé des conclusions de la CSST que résume l’employeur dans l’extrait de son document du 23 avril 2014, cité plus haut (paragraphe 5).

[61]       Selon la teneur des termes utilisés dans la décision qu’il rapporte, lesquels sont tenus pour avérés, pour l’heure, l’instance de la CSST aurait déclaré que :

les événements décrits ne permettaient pas d’accepter la réclamation de la salariée comme un accident du travail, ni comme aucune autre catégorie de lésion professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP »).

[62]       Cette question, comme expliqué plus haut, relève de la stricte compétence des instances de CSST.

[63]       La Commission note de ce passage que la CSST ne s’est jamais arrogé la compétence qui lui est exclusive de vérifier si les faits d’espèce révèlent l’existence de harcèlement psychologique, ce que permettra de vérifier l’audience à laquelle seront conviées les parties.

[64]       Ce motif, à lui seul, aurait permis de rejeter le moyen préliminaire de l’employeur.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                      le moyen préliminaire;

RETOURNE                  le dossier au greffe afin que les parties soient convoquées dans les meilleurs délais.     

 

 

__________________________________

Jacques Daigle

 

Me Vincent Fortier

QUESSY HENRY ST-HILAIRE

Représentant de la plaignante

 

Me Louis Ste-Marie

CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS

S.E.N.C.R.L./Avocats

Représentant de l’intimée

 

Réception des derniers documents :

26 mai 2014

 

/nm

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