Décision

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Fenplast inc. c. Prelco inc.

2015 QCCS 344

JR1338

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 MONTRÉAL

 

Nº :

500-17-049401-097

 

 

 

DATE :

6 FÉVRIER 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

ANDRÉ ROY, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

FENPLAST INC.

Demanderesse

 

c.

 

PRELCO INC.

Défenderesse

Demanderesse en garantie

 

c.

EXTRUCAN INC.

Défenderesse en garantie

Demanderesse en arrière-garantie

 

c.

 

POLYONE CANADA INC.

Défenderesse en arrière-garantie

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           La défenderesse Prelco inc., s’appuyant sur l’article 398 du Code de procédure civile[1] (C.p.c.), requiert la communication d’une copie des états financiers et des balances de vérification de la demanderesse Fenplast inc. pour les années 2005 à 2013. Elle offre que ces informations soient protégées par les clauses de confidentialité habituellement appliquées en semblable matière.

[2]           Fenplast inc. s’y oppose au motif que sa réclamation n’est pas basée sur les états financiers et que ceux-ci n’ont pas servi aux experts sur les rapports desquels elle est effectivement fondée.

[3]           Estimant que les documents réclamés sont essentiels pour lui assurer une défense pleine et entière, Prelco s’adresse au tribunal par requête en ce sens.

v

CONTEXTE

[4]           Par Requête introductive d’instance ré-ré-amendée et précisée en date du 31 octobre 2014, Fenplast inc. réclame à Prelco inc. un montant de plus de 5,2 millions de dollars.

[5]           Il s’agit d’une action fondée sur l’obligation de garantie de qualité du fabricant.

[6]           Fenplast fabrique des fenêtres en PVC et s’approvisionne chez Prelco pour ce qui est des unités de verre scellées (thermos) incorporées à ses fenêtres.

[7]           Fenplast allègue que les unités de verre scellées fournies par Prelco sont affectées d’un vice majeur qui a fait en sorte qu’elle a dû remplacer un nombre très élevé de fenêtres chez ses clients.


[8]           Les chefs de la réclamation de Fenplast sont les suivants :

-     Coût de remplacement des unités de verre scellées défectueuses

      (basé sur 2 rapports d’expertise).............................................................. 3 100 000 $

 

-     Dommages à sa réputation.......................................................................... 800 000 $

 

-     Dommages liés à la gestion de la problématique créée

      par les « thermos » défectueux.................................................................... 800 000 $

 

-     Estimation du coût de remplacement de 7 700 thermos

      de 2014 à 2017............................................................................................. 250 000 $

 

-     Frais d’expertise........................................................................................    260 000 $

 

                                                                                                Total ............... 5 210 000 $

 

v

ANALYSE ET DISCUSSION

[9]           Dans l’arrêt Westinghouse Canada[2], la Cour d’appel a dégagé les principes que doit appliquer le tribunal saisi d’une demande comme celle que formule Prelco.

[10]        Elle écrit :

En résumé de tous ces arrêts, j'estime que l'on peut en dégager les principes suivants:

1.   qu'au stade de l'interrogatoire préalable, tant avant qu'après défense, il y a lieu de favoriser la divulgation la plus complète de la preuve;

2.   qu'à ce stade, comme il s'agit d'une communication de la preuve, la preuve divulguée n'est ultimement produite au procès qu'au choix des parties;

3.   que le défendeur doit satisfaire le tribunal non pas de la pertinence de la preuve, au sens traditionnel du mot pris dans le contexte d'un procès, mais que la communication de l'écrit est utile, appropriée, susceptible de faire progresser le débat, reposant sur un objectif acceptable qu'il cherche à atteindre dans le dossier, que l'écrit dont il recherche la communication se rapporte au litige;


4.   que cette communication ne peut constituer une «recherche à l'aveuglette»;

5. que l'écrit soit susceptible de constituer une preuve en soi.[3]

(Référence omise)

[11]        En 2005, dans l’arrêt Glegg c. Smith & Nephew Inc.[4], la Cour suprême précisait que la pertinence s’apprécie principalement par rapport aux allégations contenues dans les actes de procédure et qu’à l’occasion de la communication de la preuve au cours de la mise en état du dossier, ce concept de pertinence s’apprécie largement.

[12]        Approche qu’a également adoptée la Cour d’appel dans l’affaire Clarica[5] lorsqu’elle écrit :

[9]         Il est utile de préciser que la demande de documents se situe dans la phase préalable à l'instruction de l'affaire, celle durant laquelle les parties complètent le dossier de la contestation. La règle de la pertinence doit alors être appliquée avec souplesse[6] :

La nécessité s'impose donc d'apprécier assez largement la notion de pertinence à ce niveau [préalable] à condition que l'on puisse constater un lien avec les allégations de l'acte de procédure.

[13]        En somme, la pertinence s’apprécie en fonction du débat tel qu’engagé entre les parties et, en l’instance, le Tribunal doit déterminer s’il donne ouverture à des questions sur les états financiers de Fenplast.

[14]        Le Tribunal croit devoir répondre à cette question par l’affirmative. Surtout lorsqu’un des postes de réclamation de la Requête introductive d’instance consiste à réclamer un montant de 800 000 $ à titre de « dommages liés à la gestion de la problématique créée par les thermos défectueux de la défenderesse ».

[15]        Comment Prelco peut-elle contrôler les coûts afférents à cette gestion de la problématique et bénéficier d’une défense pleine et entière à l’égard de ce chef de réclamation autrement qu’en ayant accès aux états financiers de Fenplast pour les années pertinentes?

[16]        Mais il y a plus. Bien que Fenplast soutienne que sa réclamation s’articule autour d’un calcul du coût unitaire de remplacement d’unités de verre scellées multiplié par le nombre de fenêtres remplacées et à remplacer et que ses experts ne se sont pas servis des états financiers pour établir sa réclamation, l’affidavit de Marc Thibault, l’expert mandaté par Prelco pour analyser la réclamation amendée de Fenplast, atteste que pour s’acquitter adéquatement de son mandat, il est nécessaire qu’il ait accès aux états financiers et aux balances de vérification pour les années 2005 à 2013 inclusivement.

[17]        Les états financiers et les balances de vérification, affirme-t-il, lui permettront notamment de vérifier que :

5.   […]

a)   La réclamation dans son ensemble est plausible;

b)   Les données utilisées dans le calcul de la réclamation et les hypothèses avancées par les représentants et les experts de Fenplast inc. sont valides et conformes à ce qui est indiqué dans les états financiers ou certains postes de revenus et de dépenses;

c)   L’ensemble des postes utiles et appropriés des états financiers ont été considérés correctement dans la réclamation;

d)   Les coûts réclamés par Fenplast inc. sont fondés et reliés spécifiquement au litige;

e)   Évaluer dans quelle proportion Fenplast inc. a mitigé ses dommages et si les experts ont considérés (sic) de façon appropriée cette mitigation.[7]

[18]        À l’instar du juge Godbout dans l’affaire Camiré c. Paradis (Architectes Deschamps, Paradis, s.e.n.c.)[8] qui a analysé les conditions d’application de l’article 398 C.p.c. et les principes mis de l’avant par la jurisprudence en pareille matière pour déterminer si les défenderesses pouvaient obtenir copie des états financiers de la demanderesse, le Tribunal est d’avis qu’en l’instance, la demande de Prelco est suffisamment « reliée au litige pour ne pas constituer une recherche à l'aveuglette »[9].

[19]        De ce qui précède, le Tribunal conclut que Prelco est justifiée d’avoir accès aux états financiers et aux balances de vérification de Fenplast pour les années 2005 à 2013 inclusivement.

CONFIDENTIALITÉ

[20]        Il est reconnu en jurisprudence qu’au stade des interrogatoires au préalable, une telle communication est faite sous le sceau de la confidentialité[10].

[21]        D'ailleurs, Prelco offre de mettre en place un mécanisme de protection de la confidentialité des états financiers de Fenplast du type « for your eyes only ». De la sorte, seuls ses procureurs et les experts mandatés par Prelco y auraient accès.

[22]        Par ailleurs, Fenplast avance que si le Tribunal fait droit à la requête de Prelco et lui donne accès aux états financiers et aux balances de vérification qu’elle demande, ce droit ne peut s’étendre à la défenderesse en garantie, Extrucan inc., et à la défenderesse en arrière-garantie, Polyone Canada inc.

[23]        Rappelons que Extrucan, une entreprise d’extrusion de plastique et un fabricant d’intercalaires nécessaires à la fabrication des unités de verre scellées fournies par Prelco, a été appelée en garantie par cette dernière et a, à son tour, appelé en garantie Polyone, un fabricant de granules en PVC qui aurait fourni à Extrucan les produits ayant servi à fabriquer ces intercalaires.

[24]        Ces dernières représentent au Tribunal qu’elles doivent également avoir accès aux écrits se rapportant au litige réclamés par Prelco.

[25]        Comme elles pourraient, ultimement, avoir à supporter la totalité ou une partie de la réclamation, le Tribunal estime qu’elles ont droit d’avoir accès à ces documents au même titre que Prelco et sujet aux mêmes protections de confidentialité.

ENTENTE SUR LE DÉROULEMENT DE L’iNSTANCE

[26]        La plus récente entente sur le déroulement de l’instance remonte au 2 juillet 2014. Elle fut entérinée par le tribunal le 15 août 2014.

[27]        Elle prévoyait notamment l’interrogatoire du ou des représentants de Fenplast avant le 17 décembre 2014.

[28]        Or, le 31 octobre 2014, Fenplast a signifié une requête introductive d’instance ré-ré-amendée aux termes de laquelle elle réclame dorénavant 5,2 millions de dollars.

[29]        S’est alors amorcé un chassé-croisé portant sur la transmission des états financiers de Fenplast que réclame Prelco et que refuse Fenplast.

[30]        Le présent jugement dispose de la demande de Prelco à cet égard et aura forcément pour résultat de repousser certaines échéances convenues.

[31]        C’est pourquoi, les parties devront, dans les dix (10) jours du jugement, convenir d’une nouvelle entente sur le déroulement de l’instance aux termes de laquelle notamment :

i.    l’interrogatoire d’un représentant de Fenplast devra être tenu avant le 13 mars 2015;

ii.    la contre-expertise de Prelco, le cas échéant, devra être produite avant le 28 août 2015;

iii.   l’inscription pour enquête et audition devra être produite avant le 2 octobre 2015.

[32]        Les ententes sur le déroulement de l’instance en garantie et en arrière-garantie devront être convenues en conformité avec ce qui précède.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[33]        ACCUEILLE la requête de la défenderesse pour communication d’écrits se rapportant au litige;

[34]        ORDONNE à la demanderesse de communiquer à la défenderesse et aux défenderesses en garantie et en arrière-garantie ses états financiers vérifiés et balances de vérification pour les exercices couvrant les années 2005 à 2013 inclusivement, et ce, dans les dix (10) jours de la date du jugement;

[35]        ORDONNE que seuls les procureurs de la défenderesse, de la défenderesse en garantie et de la défenderesse en arrière-garantie et les experts mandatés par elles pourront avoir accès aux informations contenues dans les états financiers et les balances de vérification ainsi visés et que ces informations ne soient utilisées qu’aux seules fins du présent litige;

[36]        ORDONNE que, dans la mesure où l’une ou l’autre des parties souhaite produire au dossier de la Cour les informations financières pertinentes, elle devra le faire sous pli confidentiel et les documents demeureront dans cet état jusqu’à ce qu’un autre jugement en décide autrement;

[37]        ORDONNE aux parties de convenir, dans un délai de dix (10) jours de la date du jugement, une nouvelle entente sur le déroulement de l’instance aux termes de laquelle la nouvelle date d’expiration pour produire l’inscription pour l’enquête et audition sera le 2 octobre 2015;

[38]        PROROGE au 2 octobre 2015 la date de production de l’inscription pour l’enquête et audition;

[39]        LE TOUT, frais à suivre.

 

__________________________________

ANDRÉ ROY, J.C.S.

 

Me Louis Coallier

Dufresne Hébert Comeau

Procureur de la demanderesse

 

Me Samuel Massicote

Stein Monast

Procureur de la défenderesse

Demanderesse en garantie

 

Me Benjamin Poirier

Lavery De Billy

Procureur de la défenderesse en garantie

Demanderesse en arrière-garantie

 

Me David Quesnel

LCM Avocats

Procureur de la défenderesse en arrière-garantie

 

 

Date d’audience :

19 janvier 2015

 

 

Mis en délibéré le :

19 janvier 2015

 



[1]     C.p.c., art. 398 : Après production de la défense, une partie peut, après avis de deux jours aux procureurs des autres parties, assigner à comparaître devant le juge ou le greffier, pour y être interrogé sur tous les faits se rapportant au litige ou pour donner communication et laisser prendre copie de tout écrit se rapportant au litige:

1. toute autre partie, son représentant, agent ou employé;

2. toute personne mentionnée aux paragraphes 2 et 3 de l'article 397;

3. avec la permission du tribunal et aux conditions qu'il détermine, toute autre personne.

Le défendeur ne peut cependant, sans l'autorisation du juge ou dans le cas visé au paragraphe 3 du premier alinéa, du tribunal, interroger en vertu du présent article une personne qu'il a déjà interrogée en vertu de l'article 397.



[2]     Westinghouse Canada Inc. c. Arkwright Boston Manufacturers Mutual Insurance Company, [1993] R.J.Q. 2735 (C.A.).       

[3]     Id., p. 2741.

[4]     Glegg c. Smith & Nephew Inc., [2005] 1 R.C.S. 724, aux par. 22 et 23.

[5]     Clarica, compagnie d'assurance sur la vie c. Taillefer, 2007 QCCA 312.

[6]     Kruger inc. c. Kruger, [1987] R.D.J. 11 (C.A.) j. Lebel.

[7]     Affidavit de Marc Thibault au soutien de la Requête de la défenderesse/demanderesse en garantie pour communication d’écrits se rapportant au litige, par. 5.

[8]     2012 QCCS 6976.

[9]     Id., par. 16.

[10]    Voir à cet égard les arrêts Lac d’amiante du Québec ltée c. 2858-0702 Québec inc., [2001] 2 R.C.S. 743; Glegg c. Smith & Nephew, inc., déjà cité, note 4, par. 25; Clarica, compagnie d'assurance sur la vie c. Taillefer, déjà cité, note 5, par. 24.

AVIS :
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