Décision

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Québec (Procureur général) c. Bilodeau

2014 QCCA 117

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-007221-101

(200-17-012380-093)

 

DATE :

15 janvier 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

APPELANT - Défendeur

c.

 

JOSÉE BILODEAU

PASCAL VEILLEUX

FERME BERTNOR INC.

INTIMÉS - Demandeurs

et

MINISTÈRE DES TRANSPORTS DU QUÉBEC

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC

COMMISSION DE PROTECTION DU TERRITOIRE AGRICOLE DU QUÉBEC

MIS EN CAUSE - Mis en cause

et

TREMBLAY BOIS MIGNAULT LEMAY S.E.N.C.R.L., en sa qualité de procureurs des intimés

REQUÉRANTE en sa qualité de procureurs des intimés

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           La Cour est saisie d'une requête des intimés présentée aux termes de l'article 15 du Tarif des honoraires judiciaires des avocats[1].

[2]           Le contexte de cette demande se résume aux éléments suivants.

[3]           Par un jugement du 3 novembre 2010, la Cour supérieure du district de Québec (honorable Paul Corriveau) a invalidé le décret 1180-2209 qui autorisait l'aliénation et l'utilisation à des fins autres que l'agriculture des lots ou parties de lots touchés par le tracé de l'autoroute 73 (tracé Est).

[4]           Le 30 novembre 2010, l'appelant a interjeté appel contre ce jugement de la Cour supérieure.

[5]           À la demande des intimés, le dossier d'appel a fait l'objet d'une gestion d'instance. La juge gestionnaire, en plus d'imposer un échéancier pour la production des exposés, a fixé l'audience sur l'appel dans la semaine du 16 mai 2011.

[6]           Le 24 mars 2011, le ministère des Transports présente à l'Assemblée nationale le projet de loi no 2. Ce projet vise à valider rétroactivement le décret 1180-2209 et a ainsi court-circuité l'appel.

[7]           En adoptant la loi no 2 le 8 juin 2011, l'Assemblée nationale entendait mettre un terme au débat judiciaire.

[8]           Le 22 juin 2011, l'appelant se désiste de son appel.

[9]           Au cours de la commission parlementaire qui a précédé l'adoption de la loi, le ministre des Transports, en réponse aux demandes des députés de l'opposition qui exigeaient que les intimés soient indemnisés par les honoraires extra-judiciaires encourus par eux, a indiqué notamment ce qui suit :

[…]   Cependant… cependant, et suite à la discussion que nous avons eue avec l'opposition ce matin, et c'est que nous avons, comme intention, et d'ailleurs, mon intention a été mentionnée à la consultation, lorsque les citoyens ont présenté leurs éléments à la… à la consultation, j'ai dit que définitivement, un citoyen s'en va en cour pour présenter, pour se défendre, le gouvernement amène des lois qui changent les lois et qui changent, en fait, les décisions des tribunaux. Il y a là, il y a là quelque chose. Et suite… avec cette suite logique là, Mme la Présidente, ce  que nous avons entendu avec l'opposition aujourd'hui, que nous sommes ouverts à discuter avec les parties concernées. Donc, nous sommes ouverts à avoir des discussions avec ces parties-là, après, bien sûr, l'adoption du projet de loi et les gens du ministère auront la… la directive de s'asseoir et discuter avec ces gens-là.

[10]        À l'audience, la Cour a été informée que l'État avait fait des offres aux intimés, sans toutefois que les parties en viennent à une entente à ce sujet. Qui plus est, deux des trois intimés ont entrepris, le 11 décembre 2013, un recours contre le Procureur général et par lequel ils réclament notamment le paiement des honoraires extra-judiciaires encourus dans l'exercice de leur droit. Il s'agit en partie des honoraires judiciaires que les intimés réclament par leur requête.

[11]        La règle est connue, la Cour l'a réitéré à maintes reprises, notamment dans l'arrêt JTI MacDonald Corporation c. Canada (Procureur général)[2] où les juges Brossard et Forget écrivent :

[16]           Un jugement de la Cour supérieure en 1978 fait une analyse élaborée des critères d'application de l'article 15; cette décision a constamment été reprise par la suite.  Le juge Maurice Archambault énonce les « règles régissant la demande d'honoraire spécial et les facteurs objectifs et critères de l'appréciation de l'importance d'une cause » :

A) Règles régissant la demande d'honoraire supplémentaire ou spécial

1.                  […]

5.                  La Cour supérieure a discrétion pour accorder ou refuser un honoraire supplémentaire ou spécial, et en fixer le montant.

[…]

8.                  L'honoraire supplémentaire ou spécial ne doit pas s'assimiler à une punition ni tenir lieu des honoraires extrajudiciaires qu'un client peut devoir à ses avocats.

9.                  Les critères d'appréciation de l'«importance» (nouveau tarif) ou de la «très grande importance» (ancien tarif) d'une cause revêtent un caractère objectif et non subjectif.

10.              Les éléments subjectifs, tels que la compétence, l'expérience, la réputation ou toutes autres qualités de l'avocat choisi par le client sont des facteurs d'appréciation de la valeur des services professionnels extrajudiciaires rendus par l'avocat à son client, qu'une instance judiciaire ait eu lieu ou pas.  Vu à travers le tarif et l'ordonnance d'honoraire supplémentaire ou spécial, chaque avocat est ce qu'on appellerait aujourd'hui un avocat «ordinaire».

B) Facteurs objectifs et critères d'appréciation de l'importance d'une cause

1.                  La gravité et la complexité des questions de fait et de droit soulevées dans l'instance.

2.                  La nature particulière du litige et le peu de fréquence de son apparition devant les tribunaux.

3.                  La durée de la préparation et de la présentation de la cause.

4.                  Le quantum du montant ou des intérêts en jeu.

5.                  Les études et recherches obligatoires avant et pendant procès dans un domaine autre que le juridique.

6.                  Le genre de preuve requise et, particulièrement, la preuve scientifique ou technique par experts.

7.                  L'assistance ou présence nécessaire d'un conseil ou d'un aide ou expert, surtout lorsque les parties adverses en agissent de la sorte.

8.                  La quantité, l'importance ou complexité des documents étudiés et produits.

9.                  Le nombre de jours d'enquête et d'audition, le nombre de témoins ordinaires ou experts entendus.

10.              La multiplicité des actes et incidents de procédure et leur importance ou utilité relative.

11.              La tenue de commissions rogatoires, leur éloignement et leur durée.

12.              La répercussion normale du jugement sur la réputation et les affaires des parties ayant commandé une préparation plus complète et plus soignée de la demande ou de la défense.

13.              L'ordonnance de mémoires après audition au fond ou sur les incidents sur faits et droit.

14.              Les difficultés particulières que présentaient la préparation de la cause et la tenue du procès.

15.              Les conférences préparatoires entre avocats, parties ou experts en vue d'écourter l'enquête et de fournir des aveux sur des points particuliers.

16.              Les conférences avec les témoins et spécialement les experts avant et pendant le procès.

17.              La réunion de plusieurs causes présentant des aspects particuliers, chacune d'elle devant toutefois être traitée séparément en regard de l'honoraire supplémentaire ou spécial demandé.

18.              L'existence de multiples recours dont l'exercice ou l'abandon peuvent résulter du jugement définitif dans la cause préparée, entendue, plaidée et décidée.

19.              Le nombre de parties au litige, le fait que plusieurs défendeurs plaident séparément ou non des moyens similaires et répercussions.

20.              L'insuffisance manifeste des honoraires tarifiés en regard de l'ensemble de la cause, de ses incidents, circonstances et répercussions.

21.              Sous le nouveau tarif, le montant en litige est presque négligeable, alors qu'il conserve son poids dans les causes commencées avant le premier février 1975, le tarif de cette époque étant qualifié d'inadéquat et d'insuffisant dans bon nombre de décisions.

22.              Nécessité de suppléer à cette insuffisance en raison, sans être en proportion, de l'escalade du coût de tous autres services depuis la mise en vigueur de l'ancien tarif en 1953.

23.              Très rarement exercerait-on une «sage discrétion» en accordant un honoraire supplémentaire ou spécial, à moins qu'il apparaisse que l'importance d'une cause résulte de la conjugaison de plusieurs des facteurs ci-dessus, dont l   'énumération n'est pas présentée dans l'ordre de leur valeur respective.

[12]        Les intimés n'invoquent aucun de ces critères. Ils reprochent plutôt à l'appelant sa conduite répréhensible qui a mené les intimés à encourir inutilement d'importants frais extra-judiciaires.

[13]        Tel que ci-haut mentionné, il est depuis longtemps acquis que « l'honoraire supplémentaire ou spécial ne doit pas s'assimiler à une punition… ». Dans l'arrêt Aubry c. Éditions Vice-Versa[3], la Cour suprême mentionne spécifiquement que l'article 15 ne peut être utilisé pour sanctionner une conduite répréhensible :

79           Les tribunaux du Québec n’ont pas interprété les articles ci-dessus comme autorisant l’octroi de dépens additionnels pour sanctionner la mauvaise foi ou l’abus de procédures, comme c’est le cas dans les juridictions de common law.  Le tribunal peut néanmoins, aux termes de l’art. 477, ordonner que les dépens soient payés par le procureur personnellement, lorsqu’il s’est rendu coupable d’une conduite très répréhensible.  Voir Droit de la famille — 1777, [1994] R.J.Q. 1493 (C.A.), à la p. 1501 (le juge Delisle).

80           La «cause importante» à laquelle réfère l’art. 15 ne comprend pas, non plus, les dépens additionnels qui auraient pour but de sanctionner une conduite répréhensible.  Voir Banque canadienne impériale de commerce c. Aztec Iron Corp., [1978] C.S. 266, à la p. 284 (le juge Archambault), et Droit de la famille — 1777, précité, à la p. 1501.  Elle vise cependant la cause très longue et très complexe (voir Berthiaume c. Réno-Dépôt inc., [1996] R.J.Q. 1323 (C.S.)).  Dans certains cas, une cause-type pourra satisfaire aux exigences de l’art. 15 parce que son importance pour une industrie l’aura en fait transformée en une cause beaucoup plus longue et complexe que ne l’aurait normalement justifié l’intérêt des parties immédiates.[4]

[14]        Il n'y a aucun élément dans la requête qui justifie l'octroi d'un honoraire spécial au sens de l'article 15 du Tarif des honoraires judiciaires des avocats. Force est de convenir que même si les intimés avaient eu gain de cause en appel, leur dossier ne rencontrait pas les exigences ci-haut mentionnées pour qu'un honoraire additionnel soit accordé.

[15]        Cela dit, les intimés ne sont pas sans recours. Ils peuvent s'adresser aux tribunaux et réclamer de l'appelant que l'État donne suite à son engagement de négocier le paiement d'honoraires raisonnables. En l'absence d'entente entre les parties, les tribunaux pourront fixer le montant approprié de ces honoraires. Cependant, la Cour n'exclut pas le droit de l'appelant d'invoquer une autre cause d'action contre l'État, outre la promesse qu'elle a faite, pour obtenir une indemnisation adéquate.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[16]        REJETTE la requête des intimés, sans frais, vu les circonstances particulières de ce dossier.

 

 

 

 

ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A.

 

 

 

 

 

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 

Me Frédéric Maheux

Chamberland, Gagnon

Pour l'appelant

 

Me André Lemay

Tremblay, Bois

Pour les intimés

 

Date d’audience :

13 janvier 2014

 



[1]     R.R.Q., 1981, c. B-1, r. 22.

[2]     2009 QCCA 10, paragr. 16-21. Dissident sur un autre point, le juge Nuss est d’accord avec la majorité sur les éléments à considérer aux termes de l’article 15 du Tarif.

[3]     [1998] 1 R.C.S. 591.

[4]     Ibid., paragr. 79-80.

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