Décision

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Modèle de décision CLP - janvier 2010

Industries Canatal inc. (Usine)

2015 QCCLP 874

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

12 février 2015

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

544137-03B-1406

 

Dossier CSST :

141031161

 

Commissaire :

Michel Sansfaçon, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Industries Canatal inc. (Usine)

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

la Commission de la santé et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 13 juin 2014, Industries Canatal inc. (Usine) (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 30 avril 2014 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 20 février 2014 et déclare que l’employeur doit être imputé de l’ensemble du coût des prestations accordées au travailleur en raison de la lésion professionnelle qu’il a subie le 6 mai 2013.

[3]           Une audience devait avoir lieu à Thetford Mines le 17 novembre 2014. L’employeur et la CSST ont toutefois choisi de plaider par écrit.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur du 23 mai 2013 au 3 juin 2013 et du 5 juin 2013 au 11 juin 2013 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités. Il allègue que l’imputation de ce coût à son dossier financier l’obère injustement.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           Le travailleur est soudeur-assembleur. Le 6 mai 2013, il subit un accident du travail qui entraîne une lésion au coude droit.

[6]           Un diagnostic de contusion au nerf cubital droit est d’abord retenu et modifié en celui d’épicondylite droite par la suite.

[7]           Le 22 mai 2013, le médecin du travailleur produit un rapport portant les mentions « assignation temporaire » et « travaux légers ». À la même date, il remplit et signe un formulaire d’assignation temporaire par lequel il donne son aval au travail proposé par l’employeur. Ce travail implique diverses tâches comme faire des photocopies, distribuer des documents, effectuer de la vérification et du chronométrage, etc.

[8]           À première vue, cette assignation temporaire est conforme aux exigences de l’article 179 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :

179.  L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :

 

1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;

 

2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et

 

3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.

 

Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S - 2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.

__________

1985, c. 6, a. 179.

 

 

[9]           Le 23 mai 2013, le travailleur transmet à la CSST une lettre par laquelle il conteste l’assignation temporaire au motif que le travail proposé n’est pas de nature à favoriser sa réadaptation.

[10]        Dans un document daté du 27 mai 2013, le conseiller aux ressources humaines de l’employeur précise que le comité de santé et de sécurité a jugé de façon unanime que l’assignation temporaire est conforme à la loi. Le comité recommande à la CSST de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 27 mai 2013.

[11]        Le 30 mai 2013, le travailleur demande la révision de la décision rendue par le comité de santé et de sécurité.

[12]        Dans un rapport médical daté du 30 mai 2013, le médecin traitant recommande la poursuite de la même assignation temporaire.

[13]        Le 7 juin 2013, il réitère le diagnostic d’épicondylite droite en précisant que le travailleur a eu une infiltration. Dans un document intitulé « Annexe au formulaire d’assignation temporaire de la CSST », il précise que le travailleur peut faire des travaux légers en évitant d’utiliser le bras droit.

[14]        Le 11 juin 2013, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative, par laquelle elle rejette la contestation du travailleur à propos de l’assignation temporaire.

[15]        Le 12 juin 2013, le travailleur retourne chez l’employeur pour effectuer l’assignation temporaire[2].

[16]        La lésion professionnelle est consolidée le 17 juin 2013, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.

[17]        Le 25 juin 2013, l’employeur transmet à la CSST une demande de transfert de l’imputation à la CSST, alléguant être obéré injustement en raison de la contestation de l’assignation temporaire par le travailleur. Cette demande est rejetée dans une décision rendue par la CSST le 20 février 2014 et est confirmée par la révision administrative le 30 avril 2014. Il s’agit de la décision contestée.

[18]        La Commission des lésions professionnelles doit donc décider si l’employeur a droit à un transfert de l’imputation sur la base de ces faits.

[19]        La disposition applicable ici est l’article 326 de la loi :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[20]        Selon le premier alinéa de cette disposition, la CSST doit imputer à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

[21]        Le deuxième alinéa prévoit toutefois que la CSST peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

[22]        L’employeur prétend être obéré injustement puisque le travailleur a contesté une assignation temporaire qui a par la suite été jugée valide par la CSST. Même si la représentante de l’employeur ne le mentionne pas dans son argumentation, le soussigné comprend que n’eut été cette contestation, le travailleur n’aurait pas reçu une indemnité de remplacement du revenu durant la période concernée, et que le montant de celle-ci n’aurait pas été imputé à son dossier financier.

[23]        Selon un développement jurisprudentiel récent, la notion d’« obérer injustement » du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi s’applique lorsque la demande de l’employeur vise à obtenir un transfert total de coûts. Celle ayant pour objet un transfert partiel doit plutôt être analysée en vertu du premier alinéa. Dans ce dernier cas, l’exercice consiste à déterminer si les prestations ont été ou non imputées « en raison » de l’accident du travail. Les arguments à l’appui de cette nouvelle approche sont expliqués dans la décision Supervac 2000[3].

[24]        Dans la présente affaire, l’employeur cherche à obtenir un transfert partiel de coûts, de telle sorte que sa demande doit être analysée selon le premier alinéa de l’article 326 de la loi.

[25]        Le procureur de la CSST s’oppose à la demande de l’employeur. Il produit certaines décisions qui expriment un désaccord avec l’interprétation adoptée dans l’affaire Supervac 2000 ou qui apportent des précisions quant à son application dans les cas d’assignation temporaire[4].

[26]        L’article 326 de la loi entraîne des difficultés d’interprétation depuis de nombreuses années. Dans la décision Supervac 2000, la Commission des lésions professionnelles propose une approche cohérente fondée sur une étude approfondie des dispositions législatives en cause et de la jurisprudence pertinente. Les arguments à son appui sont conformes à la lettre et à l’esprit de la loi. Cette décision a récemment été jugée raisonnable par la Cour supérieure; elle obtient par ailleurs un appui majoritaire de la part des juges administratifs, dont le soussigné.

[27]        En contestant une assignation temporaire conformément à la loi, un travailleur exerce un droit. Ce faisant, il n’est pas tenu d’effectuer le travail proposé par l’employeur et il conserve son droit d’être indemnisé jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue. Dans les circonstances, il est difficile de prétendre que l’indemnité de remplacement du revenu ainsi versée découle d’une cause étrangère à l’accident du travail.

[28]        Les circonstances de la présente affaire sont toutefois particulières. Plusieurs éléments du dossier démontrent que le travailleur a produit une contestation sur de simples prétextes et dans le seul but de se soustraire à l’obligation d’effectuer une assignation temporaire. Lors de la première consultation médicale, il refuse de remettre à son médecin le formulaire d’assignation temporaire de l’employeur. Il informe le conseiller en ressources humaines qu’il « ne fera pas d’assignation temporaire » au motif qu’il a été suspendu dans le passé en raison de son statut de représentant syndical[5]. Dans sa demande de révision datée du 30 mai 2013, il mentionne que le travail proposé ne favorise pas sa réadaptation, parce qu’il n’a pas d’« affinité » avec ce travail et que celui-ci doit s’exercer dans un environnement différent et avec des travailleurs qu’il ne connaît pas.

[29]        Dans Construction Polaris inc.[6], la Commission des lésions professionnelles était saisie d’un cas tout à fait similaire au présent. Le travailleur avait contesté une assignation temporaire pour des motifs étrangers au texte de l’article 179 de la loi. Pour le juge administratif, il s’agissait de prétextes soulevés pour ne pas avoir à effectuer le travail assigné. Dans les circonstances, il conclut que l’employeur a droit d’obtenir un transfert d’imputation en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi :

[15]      Le tribunal estime que le fait que le travailleur ait droit de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu ne fait pas en sorte que l’employeur ne puisse avoir droit au transfert de coûts qu’il réclame.

 

[16]            Le tribunal constate que n’eut été des contestations sans fondement du travailleur, ce dernier aurait été assigné temporairement à un travail autorisé par son médecin de sorte que l’employeur ne se serait pas vu imputer des sommes inhérentes au versement de l’indemnité de remplacement du revenu entre le 27 février 2012 et le 11 mai 2012, date de fin du versement des indemnités.

 

[17]            L’indemnité de remplacement du revenu a donc continué à être versée en raison d’une décision personnelle du travailleur de contester, sans raison valable, les assignations temporaires autorisées par le médecin qui a charge. Il s’agit de circonstances étrangères à la lésion professionnelle qui ne sont pas dues en raison de l’accident du travail mais plutôt d’un choix personnel du travailleur sur lequel l’employeur restait impuissant.

 

[18]            Il est certain que le versement de toute prestation prévue à la loi se fait nécessairement et obligatoirement dans le contexte de la survenance d’une lésion professionnelle. C’est pourquoi le critère développé par une partie de la jurisprudence concernant le fait que l’exercice d’un droit prévu à la loi ne puisse donner droit à un transfert d’imputation doit être interprété avec circonspection.

 

[19]            En effet, interpréter ce principe au pied de la lettre reviendrait à stériliser complètement les demandes effectuées en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi ou de la notion d’employeur obéré injustement puisque toute prestation dont on demande le retrait dans un dossier a nécessairement été versée en application de l’une quelconque des dispositions de la loi.

 

[20]            Le soussigné se rallie aux principes établis dans la décision Supervac 2000 rendue récemment par la Commission des lésions professionnelles et suivie par plusieurs juges administratifs depuis.

 

 

[30]        Le soussigné est d’accord avec les motifs et l’interprétation retenus dans cette décision.

[31]        En l’espèce, le travailleur présentait une lésion particulièrement bénigne au coude droit. Il conservait une capacité résiduelle de travail qui lui permettait d’effectuer les tâches proposées par l’employeur sans difficulté. Les motifs de sa contestation ne sont que des prétextes dans le but de se soustraire à l’obligation d’effectuer une assignation temporaire conforme aux conditions de l’article 179 de la loi. Dans les circonstances, l’employeur a droit à un transfert d’imputation tel que demandé.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Industries Canatal inc. (Usine), l’employeur;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 30 avril 2014 lors d’une révision administrative;

DÉCLARE que l'employeur ne doit pas être imputé du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur du 23 mai 2013 au 3 juin 2013 et du 5 juin 2013 au 11 juin 2013.

 

 

__________________________________

 

Michel Sansfaçon

 

 

 

 

Mme Karine Jalbert

MEDIAL CONSEIL SANTÉ SÉCURITÉ INC.

Représentante de la partie requérante

 

 

Me David Martinez

VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Note évolutive du 12 juin 2013.

[3]           Supervac 2000, [2013] C.L.P. 354; requête en révision judiciaire rejetée 2014-12-16 (C.S.), 200-17-019337-138); requête pour permission d'appeler, 2015-01-12 (C.A.), 200-09-008909-159.

[4]           Terrebonne Ford inc, 2014 QCCLP 2035; Datamark inc., 2014 QCCLP 4174; Médias Transcontinental (Publi-sac); Ville de Montréal, 2014 QCCLP 6038. Trois de ces décisions sont antérieures à l’affaire Supervac 2000 : Entreprises de Construction Guy Bonneau ltée, 2010 QCCLP 1779; Bombardier Aéronautique inc., 2010 QCCLP 6224; CSSS de Gatineau, 2010 QCCLP 6900

[5]           Commentaires écrits du conseiller aux ressources humaines, 16 mai 2013.

[6]           2013 QCCLP 7245.

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