Déom c. Brouillette |
2010 QCCS 6849 |
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JB 4172 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE QUÉBEC |
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N°: |
200-17-010344-083 |
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DATE : |
30 novembre 2010 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
FRANCE BERGERON, j.c.s. |
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ESTHER DÉOM |
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Demanderesse |
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c.
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LUC BROUILLETTE et SUZANNE THIVIERGE et SYNDICAT DES EMPLOYÉS ET EMPLOYÉES DE L'UNIVERSITÉ LAVAL
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Défendeurs |
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J U G E M E N T |
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[1] La demanderesse saisit le Tribunal d'une réclamation en dommages contre les défendeurs, demandant qu'ils soient condamnés solidairement, à lui payer la somme de 100 000 $ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle depuis l'assignation, pour atteinte à sa réputation.
[2] La demanderesse soutient qu'une lettre datée du 5 septembre 2008, signée par les défendeurs, contient des propos diffamatoires, laissant croire qu'elle n'est pas une personne intègre.
[3] Les défendeurs allèguent qu'ils n'ont pas commis de faute, agissant alors dans l'exercice de leurs fonctions, en tant que fiduciaires du Régime de retraite, la lettre ne visant pas la demanderesse individuellement mais, en tant que présidente du Comité de placement et n'utilisant en aucun temps des propos incivils pouvant être qualifiés de diffamatoires.
[4] À l'audience, la demanderesse précise, concernant le quantum, qu'une condamnation des défendeurs au paiement d'une somme de 25 000 $ est plutôt appropriée.
LE CONTEXTE
[5] Esther Déom est professeure titulaire à l'Université Laval. Elle possède un PhD en relations industrielles de l'Université de Montréal. Elle a été directrice du département des relations industrielles de 1994 à 1997. Elle est directrice de la revue Relations industrielles depuis le 1er janvier 2006. Elle a obtenu des subventions comme chercheuse en relations de travail, a publié plusieurs écrits et donné des conférences. Elle a aussi travaillé dans le domaine de l'équité salariale, agissant comme experte des tribunaux dans ce domaine, comme personne ressource. Elle a reçu des distinctions.
[6] Depuis 2006, elle est présidente du Comité de placement qui gère les fonds communs de placement des Régimes de retraite de l'Université Laval. Les fonds communs de placement gérés sont ceux du Régime de retraite des professeurs et professeures de l'Université Laval (RRPPUL), du Régime de retraite des employés et employées de l'Université Laval (RREEUL), du Régime de retraite du personnel professionnel de l'Université Laval (RRPePUL) et l'actif du Régime complémentaire de retraite de l'Université Laval.
[7] Le Comité de placement dont Esther Déom assume la présidence, est composé de sept personnes soit, deux représentants de chacun des Comités de retraite, d'un secrétaire et de la présidente. Il s'agit d'une fiducie globale dans laquelle est investie l'actif des caisses de retraite. Le Comité de placement administre la totalité de ces actifs. Esther Déom a été nommée par les fiduciaires.
[8] Le Comité de placement impose une seule structure aux régimes de retraite et voit à l'implantation de politiques de placement. Le Comité de placement rend compte aux Comités de retraite par le biais de ses représentants. Concernant les stratégies de placement, les membres font appel à des consultants extérieurs et procèdent à l'embauche de consultants externes.
[9] Esther Déom est aussi présidente du Comité du régime de retraite des professeurs et professeures de l'Université Laval, depuis janvier 2006. Elle a été nommée par les membres et désignée par les professeurs.
[10] Le 18 juillet 2008, Martin Latulippe, secrétaire du Comité de retraite des employés et employées de l'Université Laval (RREEUL), écrit à Michel Toupin, secrétaire du Comité de placement, lui posant alors quatre questions concernant le taux de roulement constaté récemment au bureau du fonds commun, la structure organisationnelle et salariale dont les moyens mis en place pour améliorer le taux de rétention du personnel, et la comparaison entre la structure du fonds commun par rapport à des régimes de retraite de temps similaire. Il termine sa lettre en demandant une rencontre pour la réunion du 5 septembre 2008, pour discuter de ces questions.
[11] Le 28 août 2008, Esther Déom, à titre de présidente du Comité de placement, écrit à Martin Latulippe, lui rappelant le devoir de réserve du secrétaire du Comité de placement, que ce dernier ne peut agir à titre de représentant dudit Comité, que les représentants siégeant au Comité de placement font un compte rendu mensuel aux membres de leur Comité de retraite respectif et que, finalement, le secrétaire du Comité de placement ne sera pas présent à la rencontre du 5 septembre 2008.
[12] Dans une lettre datée du 5 septembre 2008 adressée à la demanderesse, Louis Jalbert, président du Comité de retraite du régime de retraite des employés et employées de l'Université Laval (RREEUL), répond à la lettre du 28 août 2008, de la façon suivante:
Le 5 septembre 2008
Madame Esther Déom
Présidente du Comité de placement
Maison Omer-Gingras
Fonds commun de placement
Objet : Questionnements du Comité de retraite du RREEUL
Madame,
Le Comité de retraite a reçu aujourd'hui à sa réunion, votre réponse du 28 août 2008 à la demande adressée le 18 juillet 2008 à l'effet de rencontrer le gestionnaire principal.
Nous comprenons que le secrétaire du Comité de placement a un devoir de réserve aux discussions tenues en Comité de placement. Nous maintenons toutefois nos interrogations et votre réponse à notre demande génère des questionnements additionnels.
Nous vous demandons donc de nous informer des démarches additionnelles que le Comité de placement envisageait d'entreprendre à cet effet.
Veuillez agréer, Madame, nos salutations distinguées.
Le président du Comité de retraite,
(s) Louis Jalbert
Louis Jalbert
[13] Le même jour, la demanderesse reçoit signification, par huissier, d'une lettre datée du 5 septembre 2008, émanant du Syndicat des employés et employées de l'Université Laval (SEUL), signée par Luc Brouillette, président du Syndicat, Suzanne Thivierge, secrétaire-trésorière du Syndicat et Louis Jalbert, représentant du Syndicat et président du régime de retraite des employés et employées de l'Université Laval (RREEUL). Cette lettre est libellée ainsi:
Québec, le 5 septembre 2008 PAR HUISSIER
Madame Esther Deom
Présidente du Comité de placement du
Fonds Commun de placement des régimes de retraite de l'Université Laval
et membre représentant le Syndicat des professeurs et professeures de
L'Université Laval (SPUL)
Fonds commun de placement des régimes de retraite de l'Université Laval
(FCPRRUL)
Maison Omer-Gingras
Université Laval
Québec (Québec) G1K 7P4
Objet : Votre lettre adressée à Monsieur Martin Latulippe, secrétaire du Comité de retraite du Régime de retraite des employées et employés de l'Université Laval (RREEUL), datée du 28 août 2008.
________________________________________________________________
Madame,
Nous avons obtenu copie de la lettre mentionnée en objet, laquelle donnait une réponse négative au Comité de retraite du RREEUL à une demande de rencontre avec le gestionnaire principal du FCPRRUL, Monsieur Michel Toupin. Cette demande était justifiée par une situation préoccupante au FCPRRUL qui nous laisse croire que le niveau de risque au FCPRRUL n'est pas celui qui a été avancé.
Nonobstant les raisons pour lesquelles le Comité de retraite désirait rencontrer le gestionnaire principal et secrétaire du FCPRRUL, votre réponse est tout simplement inacceptable. Nous vous rappelons que les sommes accumulées et appartenant aux participants actifs, retraités et futurs retraités du personnel de soutien sont supérieures à 500 millions $ et qu'à ce titre, lorsque nous désirons obtenir des réponses des personnes qui administrent nos argents, ces dernières doivent répondre à nos questions. Or, lorsque nous avons obtenu des réponses à celles-ci, elles étaient évasives, incomplètes et oiseuses.
Nous considérons que le traitement ainsi que les raisons fallacieuses que vous avez évoquées pour refuser une demande légitime témoignent d'une insouciance et d'un mépris qui nous obligent à exiger non seulement que le gestionnaire principal se présente directement pour répondre à nos questions, mais aussi à ce que vous remettiez votre démission à titre de Présidente du FCPRRUL puisque vous avez un comportement et des agissements indignes de votre charge.
À défaut d'obtenir réparation complète et totale, nous nous verrons dans l'obligation d'entreprendre des procédures.
Veuillez vous gouverner en conséquence.
(s) Luc Brouillette ________________ Luc Brouillette Président SEUL Représentant non-votant de membres actif |
(s) Suzanne Thivierge ___________________ Suzanne Thivierge Secrétaire-trésorière SEUL Représentant membres actifs |
(s) Louis Jalbert _______________ Louis Jalbert Représentant SEUL Président RREEUL |
c.c. Comité de retraite RREEUL
John G KINGMA, Président du SPUL
Michel Toupin
Les soussignés étant dans la lettre originale.
[14] Il s'agit de la lettre dont la demanderesse soutient qu'elle porte atteinte à sa réputation.
[15] Le 11 septembre 2008, Louis Jalbert, signataire des deux lettres du 5 septembre 2008, transmet un courriel à la demanderesse concernant la lettre du 5 septembre 2008, dans laquelle il écrit «je n'aurais pas dû signer celle du SEUL. Je regrette amèrement ce que j'ai fait. J'ai honte de l'avoir fait …»
[16] Le 17 septembre 2008, Esther Déom transmet une mise en demeure aux défendeurs leur demandant une rétractation. Elle leur demande de produire une lettre conjointe ayant pour effet de retirer toutes et chacune des accusations contenues dans la missive du 5 septembre 2008, tout en produisant des excuses en bonne et due forme, excuses qui s'adresseront tant à elle personnellement qu'à titre de présidente du Comité de placement du fonds commun de placement des régimes de retraite de l'Université Laval, qu'à titre de membre représentant du Syndicat des professeurs et professeures de l'Université Laval.
[17] Le 16 octobre 2008, Esther Déom reçoit une lettre d'excuses de Louis.
[18] Les défendeurs ne donnent aucune réponse à la demande de rétractation de la demanderesse du 17 septembre 2008 d'où le présent litige.
LES PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE
[19] Esther Déom explique qu'elle a reçu la lettre du 5 septembre 2008, que lui adressait le Syndicat, par un huissier, au bureau du Fonds commun de placement. C'était la première fois qu'elle recevait une lettre du Syndicat par huissier. Ce n'était pas la pratique de communiquer en utilisant les services d'un huissier.
[20] Lorsqu'elle a pris connaissance de la lettre, son contenu l'a choquée et insultée. Les termes employés dans la lettre l'ont affectée pendant une longue période. Cette lettre lui a occasionné beaucoup d'inquiétudes et de démarches.
[21] La lettre a été transmise au Comité de retraite des employés et employées de l'Université Laval (RREUL), à John G Kingma, président du Syndicat des professeurs et professeures de l'Université Laval (SPUL) et Michel Toupin, secrétaire du Comité de placement.
[22] Étant donné que le syndicat des employés et employées de Université requiert sa démission, elle a demandé un vote de confiance au Comité de placement. Elle a aussi dû s'expliquer auprès du Comité de retraite.
[23] Pendant cinq à six mois, à plusieurs occasions, elle a entendu parler de la lettre du Syndicat. Il y avait des gens inquiets qui la questionnaient à l'occasion d'événements auxquels elle participait. Étant porte-parole syndicale lors de la négociation de la convention collective, elle a parlé de cette lettre au Syndicat des professeurs, parce qu'il y avait une question de confiance. Lors des négociations, ses vis-à-vis avaient même une connaissance de la lettre.
[24] Ayant un rayonnement externe dans le domaine des relations industrielles, servant souvent de personne ressource, elle a dû faire ces démarches afin que soit sauvegardée sa réputation, puisque cette lettre mettait en cause sa crédibilité.
[25] Elle a aussi dû rassurer certaines personnes concernant le placement de leurs rentes.
[26] Elle explique que Louis Jalbert ayant démissionné du Comité de placements, c'est Yvan Pépin qui l'a remplacé. Ce dernier a demandé au Comité de la déclarer inhabile suite à la lettre du Syndicat, a exercé son droit de veto et a demandé la révocation du mandat d'un gestionnaire de fonds. Cette situation a généré pour elle, bien des démarches.
[27] Selon elle, il n'y avait pas lieu pour le Syndicat de s'ingérer dans cette affaire.
[28] Le 6 mars 2009, elle a rencontré le Comité de retraite des employés et employées de l'Université Laval (RREEUL) avec Éric Matteau, à la demande du Comité de placement, pour répondre aux questions contenues à la lettre du 5 décembre 2008 parce que la situation était devenue malsaine et d'autres événements nécessitaient sa présence devant le Comité pour ne pas envenimer la situation.
LES PRÉTENTIONS DES DÉFENDEURS
[29] Luc Brouillette explique que la lettre été rédigée pendant l'exécutif du Syndicat., composé de cinq membres. Il y avait consensus.
[30] La lettre a été remise aux membres du Syndicat avec le rapport annuel, lors de l'assemblée générale du 23 septembre 2008. Le Syndicat comprend 1 800 membres qui ne sont pas tous présents à l'assemblée générale. De plus, il a discuté de la lettre avec toutes les personnes qui lui en parlaient.
[31] À l'audience, Luc Brouillette exprime qu'il n'y avait pas matière à s'excuser auprès de Esther Déom pour les propos tenus dans la lettre. Cette lettre était un appui syndical au Comité de retraite. Pour lui, Esther Déom n'est pas visée personnellement, la lettre visant plutôt la présidente puisqu'elle n'assumait pas son rôle.
[32] Luc Brouillette soutient que l'emploi du terme «fallacieux» était approprié. Il explique que les mots «évasifs, incomplets et oiseux» sont employés parce que la président ne répond pas aux questions posées dans la lettre du 18 juillet. Les termes sont corrects et il le pense encore aujourd'hui.
[33] Selon lui, il est très grave que le gestionnaire détenant plus de 500 millions $ de leur argent, ne vienne pas les rencontrer. Ce refus alimentait leurs inquiétudes quant à leurs placements.
L'ATTEINTE À LA RÉPUTATION
[34] Jean-Louis Beaudouin1 explique ainsi le recours portant sur l'atteinte à la réputation :
1-293 - Nécessité d'une faute - Pour que la diffamation donne ouverture à une action en dommages-intérêts, son auteur doit avoir commis une faute. Cette faute peut résulter de deux genres de conduite. La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s'attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l'humilier, à l'exposer à la haine ou au mépris du public ou d'un groupe. La seconde résulte d'un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites donnent ouverture à responsabilité et droit à réparation, sans qu'il existe de différence entre elles sur le plan du droit. En d'autres termes, il convient de se référer aux règles ordinaires de la responsabilité civile et d'abandonner résolument l'idée fausse que la diffamation est seulement le fruit d'un acte de mauvaise foi emportant intention de nuire. De plus, la diffamation, en droit civil, ne résulte pas seulement de la divulgation ou de la publication de nouvelles fausses ou erronées. Il n'y a généralement pas de responsabilité lorsque les faits publiés sont exacts et d'intérêt public, quoiqu'un arrêt récent de la Cour suprême du Canada ne semble n'y voir que des facteurs à prendre en compte dans l'évaluation de la faute. Par ailleurs, lorsque la publication n'a pour autre but que de nuire à la victime elle constitue sans aucun doute de la diffamation. Il en est ainsi par exemple lorsqu'on est en présence de références au nazisme, lesquelles outrepassent le droit à la libre expression. En d'autres termes, on ne peut se réfugier derrière le droit à la libre expression dans le seul but de porter préjudice à autrui.
[35] Ainsi, il s'agit d'appliquer les règles générales en matière de responsabilité civile, notamment l'article 1457 du Code civil :
Art. 1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
[36] Les articles du Code civil doivent aussi être considérés:
3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.
Ces droits sont incessibles.
7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.
35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.
1526. L'obligation de réparer le préjudice causé à autrui par la faute de deux personnes ou plus est solidaire, lorsque cette obligation est extracontractuelle.
[37] Esther Déom demande au Tribunal de conclure que les termes employés dans la lettre du 5 septembre 2008, émanant du Syndicat, sont diffamatoires, laissant croire qu'elle n'est pas une personne intègre. Elle soumet que les défendeurs:
a) indiquent que les raisons invoquées dans la lettre P-3 sont «fallacieuses», donc destinées à trompe, ou mensongères et perfides;
b) demandent la démission de la demanderesse comme président du Comité de placement qualifiant son comportement et ses agissements d'«indignes» de sa charge;
c) mentionnent que copie de cette lettre est envoyée au comité de retraite du RREEUL, au président du SPUL et à M. Michel Toupin, secrétaire du Comité de placement;
[38] Dans un tel recours sont en cause les libertés et droits fondamentaux affirmés par la Charte des droits et libertés de la personne soit, dont la liberté d'expression, tel que les défendeurs plaident d'ailleurs ainsi que le droit à la réputation:
3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
[39] Cette liberté d'expression a cependant ses limites. Ainsi, le juge Cory soulignait dans l'arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto2:
Les démocraties ont toujours reconnu et révélé l'importance fondamentale de la personne. Cette importance doit, à son tour, reposer sur la bonne réputation. Cette bonne réputation, qui rehausse le sens de valeur et de dignité d'une personne, peut également être très rapidement et complètement détruite par de fausses allégations. Et une réputation ternie par le libelle peut rarement regagner son lustre passé. Une société démocratique a donc intérêt à s'assurer que ses membres puissent jouir d'une bonne réputation et la protéger aussi longtemps qu'ils en sont dignes.
[40] Dans Société Radio-Canada c. Radio Sept-Iles inc.,3 la diffamation est définie comme étant dans la communication de propos ou d'écrits qui font perdre l'estime ou la considération de quelqu'un ou qui, encore, suscite à son égard des sentiments défavorables ou désagréables.
[41] Comme le souligne la Cour suprême dans Prud'homme4:
La nature diffamatoire des propos s'analyse selon une norme objective (Hervieux-Payette c. Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, [1998] R.J.Q. 131 (C.S.), p. 143, infirmé, mais non sur ce point, par Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal c. Hervieux-Payette, [2002] R.J.Q. 1669 (C.A.)). Il faut, en d'autres termes, se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d'un tiers.
[42] Le Syndicat est mécontent de la réponse donnée par Esther Déom, à l'effet que le secrétaire général du Comité de placement ne viendrait pas rencontrer les membres du Comité de retraite. Le Syndicat veut donc signifier la situation à Esther Déom, la présidente du Comité.
[43] Le Syndicat, par son président, témoigne que les termes utilisés dans la lettre sont adéquats dans les circonstances et qu'il n'a pas à s'excuser des qualificatifs employés.
[44] Le dictionnaire5 écrit que fallacieuse veut dire qui est destiné à tromper, à égarer. Les mots synonymes étant: faux, fourbe, hypocrite, mensonger, perfide et trompeur.
[45] Quant au comportement et aux agissements indignes de la charge de présidente du Comité de placement, le dictionnaire6 enseigne que ce qualificatif se rapporte à qui n'est pas digne de (qqch.), qui ne mérite pas, qui n'est pas digne de sa fonction, de son rôle, qui ne mérite que le mépris pour la façon dont il s'en acquitte, digne faisant référence à: qui mérite quelque chose, la dignité étant le respect que mérite quelqu'un.
[46] Appliquant la norme objective7, le Tribunal considère qu'un citoyen ordinaire conclurait que les propos mettent en doute l'honnêteté, la droiture et les compétences de la demanderesse. Son intégrité est atteinte.
[47] La lettre du 5 septembre 2008 du Syndicat est diffamatoire. En effet, considérée dans son ensemble, elle attaque l'intégrité de la demanderesse.
[48] Les défendeurs auraient pu écrire cette lettre sans y mettre ces qualificatifs qui dépeignent fort négativement la demanderesse et qui sont, par ailleurs, vu la preuve, des allégations sans fondement. Aucune raison ne motivait les défendeurs à employeur ces termes. La lettre visait à considérer la présidente du Comité de placement face à la communauté universitaire visée, en laissant sous-entendre qu'Esther Déom était malhonnête.
[49] Les défendeurs allèguent la liberté d'expression et qu'ils ne sont que des fiduciaires. Cependant, même s'ils agissent à ce titre, ils ne peuvent dire n'importe quoi. La liberté d'expression ne va pas jusqu'à permettre que de tels propos soient utilisés contre une personne alors que les événements, les faits et le contexte ne permettent pas de conclure que les agissements aient été de cette nature.
[50] Le Syndicat et ses représentants pouvaient très bien contester la réponse formulée par Esther Déom, comme l'a d'ailleurs fait le Comité de retraite le même jour, sans pour autant se livrer à de telles attaques sans fondement.
[51] Tel que l'exprime le juge Dalphond8 alors qu'il a à décider de la responsabilité d'un permanent syndical:
En tout temps utile, Morin agissait comme permanent du syndicat, responsable du dossier RCM. Ses fautes amènent automatiquement celles du syndicat.
En plus, il y a lieu de retenir sa responsabilité personnelle. En effet, on ne saurait, sous guise de mandat, se permettre de violer de façon délibérée, intentionnelle des droits aussi fondamentaux pour tout individu que la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. En écrivant un tel communiqué de presse et en s'y donnant comme référence, Morin a commis un délit qui entraîne sa responsabilité personnelle.
[52] Que la demanderesse se soit finanlement rendue rencontrer le Comité de retraite des employés en juillet 2009, et ait donné des réponses à leurs questions, ne bonifie d'aucune manière les propos tenus dans la lettre transmise le 5 septembre 2008 par le Syndicat.
LES DOMMAGES MORAUX
[53] Dans sa demande introductive, la demanderesse réclame 100 000 $ à titre de dommages moraux. Rappelons qu'à l'audience, la demanderesse précise qu'elle réclame 25 000 $, à titre de dommages moraux pour atteinte à la réputation.
[54] Jean-Louis Baudouin9 expose de cette façon, l'indemnisation du préjudice en cette matière:
1-578 - Généralités - La notion de diffamation a généré un important contentieux. Toute atteinte à la réputation constitue une faute qui, si la preuve la soutient, doit être sanctionnée par une compensation pécuniaire. L'évaluation du dommage, surtout en ce qui a trait au préjudice moral, présente plusieurs difficultés.
1-579 - Préjudice matériel - La diffamation donne, tout d'abord, lieu à la réparation du préjudice économique qu'elle entraîne. Ainsi en est-il de la perte de revenus, de clientèle, de la perte d'un emploi, de certains coûts, de la diminution des ventes consécutive aux attaques dirigées contre un produit par un concurrent. Doit aussi être indemnisé le préjudice physique ou psychologique subi par la victime, surtout s'il a eu un effet sur sa capacité de travail et donc de gain.
1-580 - Dommages moraux - La plupart du temps cependant, l'essentiel de la réclamation est constitué des dommages moraux éprouvés par la victime. Il s'agit alors de compenser l'atteinte à sa réputation et de chercher à réparer l'humiliation, le mépris, la haine ou le ridicule dont elle a fait l'objet. Les sommes accordées par les tribunaux varient selon les espèces. Parfois ils n'octroient qu'une compensation symbolique pour souligner la sanction de la diffamation lorsqu'ils estiment que le fait allégué était vrai, mais qu'il y a quand même eu faute dans sa publication. Récemment toutefois, la jurisprudence a eu tendance à se montrer plus généreuse. Il faut également, lorsque l'attaque est intentionnelle, y ajouter les dommages punitifs.
[55] Les dommages moraux s'évaluent selon certains critères élaborés ainsi10:
1-585 - Facteurs d'évaluation - Comme l'a bien montré un auteur, l'analyse des facteurs influant sur l'évaluation du dommage moral est complexe. Le premier est la gravité de l'acte. S'agit-il d'un simple commentaire discourtois ou impoli, ou au contraire d'une attaque en règle? L'intention de l'auteur de la diffamation pour sa part, si elle n'a aucune importance sur le plan de l'établissement de la faute, peut en avoir une sur le plan de l'évaluation du préjudice. La jurisprudence est ainsi plus sévère lorsque l'auteur a réitéré ses propos pendant l'instance judiciaire ou s'est servi de la diffamation pour tenter de ruiner le demandeur ou de bloquer ses aspirations politiques. La diffusion de la diffamation est également conséquente.
Une publicité large doit logiquement motiver un octroi plus généreux que celle restreinte à un petit cercle, sauf si le cercle s'avère bien ciblé. De même, l'ampleur des dommages peut varier en fonction du milieu dans lequel la diffamation s'est produite. Sont aussi à considérer : la condition des parties, la portée qu'a eue l'acte sur la victime et sur son entourage, la répétition des propos diffamatoires par leurs auteurs, la durée de l'atteinte, la permanence ou le caractère éphémère des effets sont aussi à considérer. Des facteurs liés à la personne de la victime peuvent également entraîner une variation du montant octroyé à titre de dommages, notamment s'il s'agit d'une personne physique ou d'une personne morale, sa notoriété, la fonction qu'elle occupe et l'importance de l'intégrité professionnelle dans l'exercice de cette fonction, sa réputation préalable. Certaines décisions ont même invoqué la conduite de la victime pour justifier la réduction du quantum des dommages. À l'opposé, un auteur souligne que les tribunaux ont maintenant aussi tendance à prendre en considération l'identité des défendeurs. Finalement, des excuses ou une rétractation, même lorsque la situation n'est pas régie par la Loi sur la presse, peuvent constituer un élément mitigeant les dommages, alors que leur excuse peut constituer un facteur aggravant.
[56] Madame la juge Marie St-Pierre11 résume ainsi les conditions relatives à l'octroi de dommages pour atteinte à l'honneur et à la réputation :
1. la gravité de l'acte;
2. sa portée particulière sur celui qui est la victime;
3. l'importance de la diffusion;
4. l'identité des personnes qui ont été informées de la diffamation;
5. le degré de déchéance qu'a subi la victime;
6. la durée du dommages prévisible;
7. la contribution de la victime par sa conduite.
[57] Le témoignage qu'a rendu Ester Déom à l'audience, montre que la lettre qu'elle a reçue signée par Brouillette et Thivierge l'a affectée, choquée et insultée. Elle a mis beaucoup de temps avant de s'en remettre, devant faire face à différentes instances dont le Comité de placement, afin de divulguer la teneur de la lettre qui lui avait été transmise par huissier. Elle ne pouvait agir autrement. Sa démission ayant été demandée, la situation était sérieuse. Ainsi, elle a dû vérifier si les représentants des Comités dont elle était membre et ses mandants lui faisaient toujours confiance. Elle a aussi du faire face à une demande d'un membre afin qu'elle soit déclarée inhabile.
[58] Il ne fait pas de doute que Esther Déom occupe une position importante dans la sphère universitaire. Il ne fait pas de doute non plus, que les défendeurs exercent un pouvoir certain auprès de la communauté universitaire.
[59] Le Tribunal est convaincu que les propos diffamatoires tenus par Luc Brouillette, Suzanne Thivierge et le Syndicat constituent une faute et ont causé des dommages moraux à Esther Déom.
[60] La demanderesse a prouvé l'existence de dommages, de la nature du stress et de démarches effectuées afin de vérifier si elle avait la confiance de ses mandants et donneurs d'ouvrage et donneurs d'ouvrage. Cette lettre a eu un impact direct sur sa vie, la demanderesse devant en discuter et s'expliquer. Elle a donc droit à la réparation de ces dommages.
[61] Ainsi, utilisant les facteurs élaborés, le Tribunal qualifie la situation de grave puisque notamment, le Syndicat n'est pas l'interlocuteur immédiat du Comité de placement dans la demande qui lui est faite par le Comité du régime de retraite des employés et employées. Il s'octroie le droit de dire à la présidente ce que le Comité de retraite ne dit pas.
[62] La preuve démontre que la diffusion de la lettre a été importante dans la communauté universitaire, en aucun moment, Brouillette ou Thivierge et le Syndicat ne se sont excusés des propos tenus à l'égard de Déom, ayant plutôt renchéri quant à ceux-ci à l'audience, ne voyant pas matière à des excuses, ajoutant que les termes employés étaient appropriés. Jalbert s'est excusé auprès de Déom et a reconnu qu'il n'aurait pas dû signer cette lettre alors que Brouillette et Thivierge, sous le couvert du Syndicat, continuent à dire que les propos étaient corrects, Déom administrant leur argent.
[63] Le Tribunal a examiné la jurisprudence soumise12 ainsi que des jugements rendus en cette matière13. Ainsi, après analyse de ces jugements et les faits du présent dossier, le Tribunal conclu que la demanderesse a droit à des dommages moraux de l'ordre de 10 000 $, pour atteinte à sa réputation.
[64] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[65] ACCUEILLE la requête en diffamation;
[66] DÉCLARE que les propos tenus dans la lettre du 5 septembre 2008, des défendeurs Luc Brouillette, Suzanne Thivierge et du Syndicat des employés et employées de l'Université Laval, ont porté atteinte à l'honneur, l'intégrité et la réputation de la demanderesse Esther Déom;
[67] CONDAMNE les défendeurs à payer conjointement et solidairement à la demanderesse la somme de 10 000 $ en dommages moraux avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et l'indemnité additionnelle prévue par la loi;
[68] LE TOUT, avec dépens.
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__________________________________ FRANCE BERGERON, j.c.s. |
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Me Jacqueline Bissonnette Poudrier Bradet 1350, rue Sherbrooke ouest, bureau 500 Montréal (Québec) H3G 1J1 Procureurs de la demanderesse
Me Ronald Cloutier Syndicat canadien de la fonction publique 565, boul. Crémazie est, bureau 7100 Montréal (Québec) H2M 2V9 Procureur des défendeurs
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Date d’audience : |
1er février 2010 |
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1 BAUDOIN Jean-Louis, DESLAURIERS, Patrice, La responsabilité civile, 7e édicition, Éditions Yvon Blais, Vol. 1
2 [1995] 2 R.C.S. 1130 , p. 108.
3 (1994) R.J.Q. 1811 C.A., p. 1818.
4 (2002) 4 R.C.S. 663 .
5 ROBERT, Paul, Le Novueau Petit Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Édition 2003, p. 1031.
6 Idem note 5, pages 1347 et 750.
7 Idem à note 4.
8 Groupe R.C.M. et als c. Robert Morin et als [1996] R.R.A. 1005 , p. 1014
9 Idem note 1, page 551
10 Idem note 1. page 558.
11 Graffe c. Duhaime R.E.J.B. 2003-44146 C.S.
12 Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 R.C.S. 663 , 2002 CSC 85 ; Confédération des syndicats nationaux c. Jetté, 2005 QCCA 1238 ; Gatineau (Ville de) c. Abramowitz, 2009 QCCS 1742 ; Denis Petitclerc c. Commission des relations de travail et Société immobilière du Québec, jugement de l'Honorable Michel Caron, C.S. #200-17-010125-086, (2009); Caron c. R.E.T.A.Q., 2003 CANLII 738 (QCCS), 2004-BE-484.
13 Frappier c. Contant, 2005 QCCA778; Leblanc c. Transport Juroma Ltée, 2008 QCCS 5002 ; Lacroix c. Dicaire, 2005 CANLII 41500 (C.S.); Fernandez c. Marineau, 2005 Can LII 26421 (C.S.); Fabien c. Dimanche-Matin Ltée, [1979] C.S. 928 ; Distributions Lancelot inc. c. Labonté, 2007 QCCS 1888 , (conf. En appel dans 2008 QCCA 1850 ); Association générale des trappeurs Chaudière-Appalaches c. Fédération des trappeurs gestionnaires du Québec, 2006 QCCS 2534 ; Ross c. Cléricy, 2004 CanLII 23964 (C.Q.); Lavictoire du Tandem Inc., 2002 CanLII 40677 (C.S.).
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